Derkomai's Mask
Chapitre 25 : Il n’y a qu’une fleur d’Agératum dans mon jardin
7394 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/06/2024 10:54
Une blague ? Oui, ça devait être une plaisanterie, ce n’était pas possible que ce soit autre chose.
- Tu as besoin d’un vrai dresseur. Quelqu’un qui ne commet pas d’erreurs. Et qui ne te fera pas perdre ton temps dans des combats de concours.
Elle restait calme, peut-être même était-elle soulagée de me dire cela. Je… Je savais que j’avais été dur avec toi, que je m’étais énervé, que je t’en avais voulu. Il suffirait que je te pardonne, que je souris en te disant que ce n’était rien, que ce n’était pas de ta faute… Une main réconfortante sur mon bras, les prunelles orange qui me reflétaient avec calme.
"J’ai déjà essayé. J’ai vraiment essayé Roussil et tout ce qu’elle a trouvé à faire c’est… Je ne peux pas," avouai-je.
"C’est humain."
Je sentais le regard de Serena sur moi. Il me demandait pourquoi je ne repoussais pas le pokémon.
- Roussil… Je te l’ai déjà expliqué, il a le droit de…
"Non, trancha la renarde. Il n’est pas un pokémon, il n’est pas comme nous, il n’est pas comme Négapi alors… On a peut-être trop l’habitude de pardonner aux humains, d’accepter tous ce qu’ils font et de les y aider. Mais tu ne peux pas lui demander la même chose qu’à nous."
Pouvais-tu l’entendre Serena ? Si ma voix ne te parvenait pas, au moins celle de Roussil. La masse froide qui emplissait mon estomac se mit à fondre, brûla mes entrailles, bien décidée à me rappeler ce qu’elle était à l’origine. Tu ne devais pas parler Serena, je savais déjà ce que tu allais dire, mais si je l’entendais…
- Il doit partir.
Mes écailles se dressèrent, ma queue claqua contre le sol. Je sentais le sang pulser à toute vitesse et se diffuser dans mes ailes afin de dissiper la chaleur qui risquait bien de me faire exploser. C’était pour elle ! Pour elle que je n’étais pas parti tout de suite à la recherche d’un moyen de redevenir humain. C’était pour l’aider à reprendre confiance que j’avais fait ces concours. C’était… c’était pour elle que j’avais évolué et maintenant… Elle parlait comme si je n’en avais rien à faire d’elle, comme si je ne la voyais que comme un moyen de faire des combats. Elle m’insultait. Cette coordinatrice m’insultait et elle n’avait même pas le courage de me regarder dans les yeux pour le faire !
- Eh bien, eh bien, ça n’a pas l’air d’aller bien entre vous deux, intervint la vieille dame qui nous avait hébergés.
La mamie à peine plus grande que quand j’étais un reptincel s’était interposée entre la dresseuse et moi. Son visage ridé me souriait au point que j’aurais pu croire qu’elle se moquait.
- Madame Roc ! Vous ne devriez pas… paniqua Serena.
Est-ce qu’elle craignait que je fasse du mal à cette pauvre mamie ? J’étais peut-être énervé, mais je n’étais pas une bête hors de contrôle !
- Pardonne-moi jeune fille, mais j’ai besoin de vérifier quelque chose, dit-elle en appelant un Rhinastoc.
Le rugissement du gros pokémon roche suffit à me faire faire un pas en arrière. Je n’aurais jamais cru qu’elle possédait un pokémon dégageant une telle puissance. Toutefois, je n’étais pas d’humeur à combattre.
Je ne restais pas plus longtemps et m’envolai jusqu’au sommet d’une corniche pour m’y allonger et faire semblant de dormir. Après tout, si je me fichais d’elle, je n’avais pas à me gêner ! Autant que je retourne tout de suite voir Pikachu. J’avais des ailes, il faisait beau, la coordinatrice était décidée à se débarrasser de moi.
Je me tendis. Un picotement désagréable, différent de la douleur, avait traversé mon visage. Je touchai le masque. Les écailles ne bougeaient pas, leur chaleur disparue, je ne sentais même pas le fin pouls qui les parcourait habituellement. Et si je remontais mes doigts, si j’essayais de toucher ce fin trait de fourmillement au milieu de mon visage…
"Serena !"
Qu’est-ce qu’il faisait ? Qu’est-ce que ce pokémon faisait !? Je sautai, il chargeait, sa corne vrillait, des éclats verts sur mes mains, les crissements qui enflaient et puis... J’écrasai le crâne rocheux, la carapace craqua sous mes griffes pendant que la vibration du choc se diffusait à travers mes os. La foreuse cessa de tourner et le pokémon recula avec précaution. Mes bras tremblaient, mes ailes brûlaient, mon souffle était rauque alors que je l’appelais.
"Serena."
Derrière moi, à genou, effondrée sous l’effet de la peur, le col de sa robe s’était légèrement déplacé. Le pansement, la peau qui garderait une cicatrice.
- Adriane n’avait pas menti, je suppose que ce qu’il y a là-dessous n’est pas beau à voir, remarqua la vieillarde toujours souriante.
Mes poings se crispèrent. Serena prenait toujours soin d’elle et, quand elle avait dit qu’elle se fichait de garder une marque… Elle mentait. Elle me mentait ! Même si c’était pour me protéger… Tu pouvais la détester ! Je voulais que tu la détestes, que tu me dises que tu la haïssais !
Un peu de fumée s’échappa de ma mâchoire. Pour l’instant il y avait quelque chose de bien plus important. Notamment cette vieillarde qui caressait et félicitait son monstre alors qu’il avait failli empaler ma dresseuse.
- Tu tiens énormément à elle mon petit Dracaufeu.
Pas le moindre remord chez la femme. De la fumée volait devant mes yeux, mes écaillent vibraient et claquaient les unes contre les autres pendant que l’éclat émeraude recouvrait à nouveau mes mains. Serena cria, me supplia d’arrêter, mais tu ne voulais plus être ma dresseuse non ? Alors rien ne me retenait de le… Ma trachée s’écrasa, collabée par la main puissante de Rhinastoc. Je griffai la roche, tordant mon cou pour le mordre, mais ce ne fut pas suffisant. Je percutai le sol, pris sous le plaquage du monstre. Je crachai, ma gorge toujours fermement maintenue, le reste de mon corps bloqué sous cette montagne vivante.
- Du calme mon petit, je n’avais pas l’intention de la blesser. Et je crois comprendre pourquoi tu refuses de l’écouter, me dit Mme Roc d’un ton serein.
Alors qu’elle me lâche ! Sinon Serena va encore… Trop tard. J’entendis Serena crier, je la vis saisir le bras de Rhinastoc, tirer dessus pour obliger le pokémon à me libérer.
- Laisse le tranquille ! répétait-elle.
Ses ongles se fendaient, son visage se tordait sous l’effort et si jamais elle énervait le monstre… Ma voix asphyxiée, je ne pouvais pas lui hurler de reculer.
- Sais-tu pourquoi Dracaufeu a évolué ? questionna Mme Roc.
- Je vous ai dit de le relâcher !
- J’y réfléchirai si tu me réponds, rétorqua la vieille dame.
Comme pour appuyer les dires de sa maîtresse, Rhinastoc desserra légèrement sa prise autour de mon cou. Je sentais bien que Serena hésitait, mais au moins elle semblait avoir compris qu’elle ne m’aiderait pas par la force de ses bras.
Serena expliqua, que ce soit Arthur ou ma soi-disant volonté de vaincre mon adversaire. Qu’il n’y avait que ça qui comptait pour moi, que le reste pouvait bien brûler dans le magma… Si seulement c’était le cas. Si je pouvais oublier la lave qui avait failli te capturer, ma terreur quand ta respiration faiblissait et cette peur constante que tout recommence. Mais tu ne te souciais pas de ce que je disais. Tu n’entendais que les grognements d’un pokémon et tu t’entêtais à te jeter devant moi, à me faire vivre à nouveau ce cauchemar.
- Tu veux te sacrifier pour Dracaufeu ?
- C’est la seule chose que je peux faire.
- Tu es une jeune fille inquiétante, soupira la vieille dame. Rhinastoc, tu peux le libérer.
Rhinastoc n’avait pas l’air de son avis, mais il se recula quand même. Je me relevai pour voir la vieille dame sourire de toutes ses dents. Elle releva soudain sa canne, pointant l’extrémité effilée vers Serena.
- As-tu déjà volé sur le dos de Dracaufeu ?
« Le dos de Dracaufeu » ? Les dents de la vieille dame étaient trop belles et blanches pour être vraies, ce devait être un dentier et… Mon dos !?
***
Moi ? Monter sur son dos ? C’était une plaisanterie ! Non madame Roc… Arrêtez de me regarder avec cet air sérieux !
- Je… Je n’ai jamais entendu dire qu’ils pouvaient voler avec quelqu’un.
Et de toute manière, le mien n’accepterait jamais, pas avec moi. Le sourire de la vieille dame s’élargit. Je me sentais mal à l’aise, avec la désagréable sensation de subir le regard d’un luxray.
- Alors que dirais tu d’essayer maintenant ? me proposa-t-elle.
- Mais… Son évolution est encore récente et…
- Je ne vois pas le problème, mieux vaut lui apprendre tôt. Et puis si tu veux arriver à temps à ton concours, tu ne vas pas avoir le choix.
Je baissai la tête n’osant pas soutenir le regard de la vieille dame. Demander au dragon de jouer les moyens de transport pour une compétition qui ne l’intéressait pas, quelle riche idée. Heureusement, je n’aurai pas à l’expliquer moi-même. Adriane s’approchait et je ne doutais pas qu’elle se ferait un plaisir de vanter les concours et mes « incroyables » talents de dresseuse.
- Tu devrais l’écouter, même si je trouve que madame Roc prend des risques sur ce coup.
Pourquoi Adriane ne la contredisait pas ? Je lui avais déjà dit qu’elle pouvait me prendre mon pokémon… ça ne lui suffisait pas !?
- Puisque je vous dis…
L’ancienne réarrangea d’un geste souple l’écharpe brune autour de son cou. Elle m’ignorait, plus préoccupée par le manque de confiance de la championne que de tout ce que je pourrais dire.
- C’est trop urgent pour faire de la demi-mesure Adriane.
- Vous avez pourtant vu l’état de son bras, elle aura du mal à se maintenir.
- Dracaufeu fera plus attention, voilà tout.
Elles réglaient leurs affaires entre elles, se fichant bien de ce que je pensais. Madame Roc était âgée, mais elle n’était pas aveugle. Elle avait bien dû comprendre ce que le pokémon feu pensait de moi. Quant à Adriane… Déjà ce n’était pas la peine de lui parler de ma blessure, mais qu’est-ce que je t’avais fait pour que tu m’en veuilles autant ?
- Vous ne comprenez pas ! Jamais il n’acceptera…
J’entendis un grognement et un battement d’aile derrière moi. Cela faciliterait les choses s’il était retourné sur sa corniche.
- Je suis contente de voir que mon petit est d’accord avec moi, pouffa la vielle dame.
Je me tournai et restai bouche bée. Le pokémon s’était accroupi, ses ailes écartées de telle sorte que je pourrai facilement me hisser sur lui.
- Alors Serena ? Tu comptes faire attendre ton pokémon ?
- Il ne peut pas accepter…
Je parlais machinalement, alors que moi-même je n’en étais plus si sûre. Même si je voyais toujours dans le regard du monstre qu’il me détestait, c’était aussi comme si... Il m’attendait ?
- Même si ce n’est que mon humble avis, je pense que cet exercice t’aidera à comprendre le point de vue de ton pokémon.
Je secouai la tête. Je ne savais pas ce qu’il lui prenait, mais il n’y avait aucun moyen qu’il accepte. Sauf que Roussil ne prit pas en compte mes réticences et se mit à me pousser vers le monstre.
- Attends Roussil !
- Silrou silrou, fit semblant de se sentir concerné la renarde.
Ses deux mains fermement agrippées à mes épaules ne me laissaient aucune échappatoire. Et pour couronner le tout, mes autres pokémons étaient sortis et lui prêtaient main forte. Posipi et Pandespiègle postés à chacun de mes pieds, Nymphali tirant mon poignet à l’aide de ses rubans. Quant à Négapi, il était en pleine discussion avec le reptile, discussion que j’entendais de plus en plus distinctement.
- Négnéga, pi.
On aurait dit qu’il donnait des conseils au monstre de feu. Un peu comme un maître et son apprenti, son très grand apprenti capable de le réduire en cendre en une seconde.
- Dra, dracau, bougonnait-il.
Je fus rassurée qu’il ne se montre pas agressif, mais cela ne réglait pas le principal problème.
- Pitié ! Je vous ferai des profiteroles ! Plein de profiteroles !
Ils ne s’arrêtèrent pas. Maintenant toute proche, Nymphali forçait ma main à franchir les derniers centimètres de vide. D’abord le bout de l’ongle, puis la pulpe du majeur, les doigts qui se posèrent un à un et enfin la paume qui fit frémir les écailles. Je fermai les yeux, attendais qu’il crache ses flammes ou me repousse d’un coup de queue. Toutefois, à part les écailles qui chauffaient doucement contre ma paume, il ne se passa rien. S’était-il endormi pour ne pas remarquer que je le touchais ?
- Dracau, s'agaça-t-il.
Je déglutis, mes pokémons me poussèrent et sans trop savoir comment, je me retrouvai assise sur lui, juste en avant de ses ailes.
- Je… Je ne suis pas trop lourde ? fut la seule chose que je trouvai à dire.
Ses muscles se crispaient sous mes mains, il me lançait des regards peu assurés, voir même gênés. Ce comportement me faisait plus penser à Salamèche ou même à Reptincel, ses écailles commençaient même à rougir.
- Maintenant décollez ! cria madame Roc.
Un peu trop violemment puisqu’il s’embrouilla dans ses mouvements et s’écrasa avant même d’avoir quitté le sol.
- Tu ne t’es pas fait mal ? m’inquiétai-je.
J’étais vite descendue de son dos pour le soulager. Il secoua la tête, crachant la poussière qu’il avait avalé. Ça commençait mal. J’avais l’habitude de monter les rhinocornes, mais entre un pokémon qui court et un pokémon qui vole, il y avait une nette différence.
- Nega, pi !
Les mots du petit monstre ragaillardirent le reptile. Mais moi, je n’avais toujours aucune idée de ce que j’étais censée faire.
- Ne t’avoue pas vaincu dès le premier essai. Il faut recommencer, s’énerva madame Roc plus pour moi que pour le pokémon.
Le dragon semblait plus concentré et déterminé que jamais. Il resta calme, me laissa prendre mes appuis pour que je retrouve ma place précédente. Je ne me trouvais pas très stable, mais il battait déjà des ailes. Les muscles se contractaient contre mes jambes, la bourrasque qu’il créait soulevait mes cheveux et mon manteau pendant que la poussière piquait mes yeux. Je criai, surprise par son envol. Le sol qui s’éloignait de plus en plus, mes pokémons qui rapetissaient... Trop haut ! Beaucoup trop haut ! Un de mes pieds glissait, mes mains ne trouvaient aucune prise sur les écailles. J’allais tomber ! J’allais vraiment tomber !
- Redescends ! Redescends maintenant ! le suppliai-je.
Je ne faisais plus attention à comment me placer et serrais son cou le plus fort possible alors que mon corps penchait dangereusement d’un côté. Mon bras ! Mon bras me faisait mal ! Avec moi complètement paniquée, il lui était impossible de rester en l’air. Le dragon s’empressa de rejoindre la terre ferme avant que je ne l’empêche définitivement de bouger.
Je soufflai de soulagement en touchant le sol. Mes tremblements persistaient et ma tête me tournait. Je ne voulais plus jamais faire ça.
- Ne me dis pas que tu as le vertige… suspecta la vieille femme.
Mon visage devait être aussi blême que mes bras. Je me concentrai sur ma main gauche, la forçant à s’ouvrir et se fermer. Oui, j’avais le vertige. Et puis comment j’étais censée me tenir avec ce maudit bras !
- Tu n'as pas assez confiance en Dracaufeu, c’est pour ça que tu l’empêches de voler. Et ne prends pas ton vertige comme excuse ! Ton pokémon n’est pas un pont suspendu à ce que je sache ! me cria-t-elle.
- Mais on va vraiment haut, gémis-je. Et puis ce n’est pas comme les rhinocornes, je ne sais pas comment m’y prendre pour l’aider à voler.
Le visage sévère de mon interlocutrice m’empêcha de continuer. Quoique je dise, rien ne pourrait la convaincre.
- Commence déjà par t’accorder avec les sensations de Dracaufeu, me répondit-elle.
Je clignai des yeux. M’accorder avec lui ? Comment j’étais censée faire ça ?
- Première chose : remonte sur son dos.
Je croisai le regard du pokémon, prêt à recommencer malgré le mauvais coup que je venais de lui faire. Tu ne voulais plus de moi comme dresseuse et pourtant, en ce moment, tu faisais de ton mieux pour réussir, pour voler avec moi.
- J’arrive.
Je fermai les yeux pour me concentrer. Son souffle puissant, sa chaleur rassurante, son odeur légèrement épicée et son cœur…
- Tu es malade ? Ton cœur bat à toute allure.
Ma remarque n’avait pas dû lui plaire. Il décolla encore plus vite que la fois précédente. Je me collai à nouveau contre lui, criai, fermai les yeux. Je n’aurai pas dû remonter, je détestais ça !
- Dra !
Il aurait dû s’énerver, chercher à me faire tomber tellement je le gênais, mais… Son cri, c’était comme s’il m’encourageait. Il bougeait moins, le bruit de ses ailes se régularisait et il me laissait appuyer mes pieds sur ses épaules le temps que je me replace. Je restai encore un temps contre lui, complètement immobile pendant qu’il glissait sur le vent. Et puis, prise de curiosité, je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule.
Le Mont Chimnée couronné de nuages s’élevait au loin, entouré par une tapisserie de forêts. Le désert aussi était visible, avec ses vagues immobiles qui rougissaient sous le soleil. Tout était si loin, mais lui était si proche. Son long cou de lézard, sa gueule garnie de crocs, si effrayant…
- C’est beau, murmurai-je.
Tu te détendais. Je le devinais à ta respiration apaisée, aux quelques flammèches que tu relâchais sans t’en rendre compte, à tes ailes qui caressaient le vent. Je pouvais oublier ? Ta haine, ton envie de partir, est-ce que je pouvais abandonner tout ça aux vents ?
Une violente bourrasque frappa mon visage. Chaud, sec, chargé de sable. J’entendis la flamme caudale crépiter, les ailes claquer, tout son corps luttant pour retrouver son équilibre. Mais plus il résistait, plus la tempête le repoussait vers les rochers tranchants de la falaise. Si ça continuait… Fatiguée, le corps lourd, le Mont Chimnée qui avait arraché mon épaule, le désert où était gravé mon échec. Tu ne pouvais pas voler à cause de moi, tout comme tu ne pouvais combattre comme tu le souhaitais. Tant que je serais là, tu ne serais jamais vraiment libre.
La falaise se rapprochait et je le sentais faiblir. Je te brimais, te faisais souffrir, te décevais et même si je m’en voulais j’espérais toujours pouvoir changer les choses. Je caressai ses écailles, le remerciai d’avoir bien voulu m’accorder, encore une fois, une dernière chance.
- Tu seras mieux sans moi, promis-je.
Fermer les yeux, se laisser glisser, sentir la rugosité des écailles une dernière fois avant de les perdre. Ma gorge était trop nouée pour pousser le moindre cri, mais j’entendais des hurlements qui accompagnait les sifflements du vent. Combien de temps encore ? Il suffirait d’ouvrir les yeux et de regarder pour le savoir.
Je m’arrêtai. Aucune douleur, mais la sensation d’un vent encore plus violent qui me repoussait. Je rouvris les yeux, le Vent Féérique de Nymphali m’entourait et me maintenait dans les airs comme si nous étions en pleine performance.
Je tordis mon cou lorsque deux bras écailleux entourèrent ma taille. La brume rose gonflait ses ailes et les flammes affleuraient au bord de ses lèvres pendant qu’il gardait ses yeux rivés sur moi. Il descendait lentement, aidé par Nymphali qui réduisait au fur et à mesure la puissance de son attaque.
- Je suis soulagée que tu ailles bien.
J’avais mal au dos, je crois que mes muscles avaient un peu trop anticipé le choc. Mais au moins, cette fois, j’avais pu l’aider.
- Dracau… souffla-t-il tout bas.
Il me posa à terre, me relâcha, se recula. Il étendit ses ailes, définitivement prêt à s’en aller. Je voulais lui sourire, pour lui prouver que j’avais compris, que je n’aurais pas de regrets, que j’étais en paix. Au moins qu’il puisse être fier de nos adieux.
Mais décidemment, je n’arrivais pas à le comprendre. Quand il me plaqua au sol, quand colère et haine brulèrent dans son regard, qu’avais-je fait ? Il retroussait ses babines et approchait ses crocs de mon visage alors que…
- Qu’est-ce que tu veux ? tremblai-je.
La pression qu’il exerçait sur mes bras s’intensifia, l’air s’échauffait et moi aussi…
- Je fais de mon mieux ! hurlai-je.
Moi aussi, la colère montait. J’avais accepté qu’il veuille un nouveau dresseur, qu’il me déteste, qu’il me repousse.
- Ce n’est jamais suffisant et peu importe ce que je fais, je ne suis jamais digne de toi, jamais assez forte pour toi. Alors pourquoi tu restes ? Pourquoi tu n’es pas déjà parti avec Adriane !
Ma voix s’étrangla de terreur. Les éclairs parcouraient son poing, le recouvrait pendant qu’il l’armait. Cette attaque… Oh, j’avais été si bête. Croire qu’il l’avait apprise pour me protéger, à quoi je pensais à l’époque ?
Il mordit. Son propre bras. Son visage se tordit de douleur en même temps qu’il tirait sur les écailles, que les éclairs faisaient vibrer son sang.
- Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais !? Arrête ça ! Arrête ça tout de suite !
Les plaies de ses bras qui ne guérissaient jamais, les blessures qu’il se faisait en combattant d’autres pokémons… Non ! Non ne me dites pas que… La chair céda au niveau de son coude. Comme un élastique trop tendu, le lambeau se rétracta d’un coup sec pour pendre mollement dans sa gueule.
- Tu restes dans ta vision des choses sans même chercher à comprendre les sentiments de Dracaufeu.
J’en avais assez des conseils de cette femme ! C’était sa faute ! Si je n’avais pas volé avec lui, si je l’avais laissé partir… Oh pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu te fais du mal comme ça ! J’hurlai contre le pokémon, contre madame Roc, excédée, folle de rage alors que lui crachait sa peau comme si ce n’était rien, comme si c’était sans importance. Et la femme qui me regardait, elle qui se vantait de comprendre ce que j’étais incapable de voir. Les mêmes yeux qu’Adriane, exactement les mêmes reproches…
Il me lâcha, se recula, maintenant tu allais rejoindre la championne. Comme ça elle pourrait te soigner puisque tu refusais que je te touche, et puis tu deviendrais son pokémon, un pokémon de champion d’arène. Mais il passa devant Adriane et elle ne fit rien pour l’arrêter, pour l’empêcher de se diriger vers le désert. Il chancelait, la tête basse, ses ailes tout comme sa queue frottaient le sol.
- Est-ce que voler avec lui était une perte de temps ? me questionna madame Roc.
- Vous avez vu ! Vous avez vu non ? Ça … ça n’a servi à rien, ça a juste empiré les choses.
- Vraiment ? Pourtant, si tu appliquais convenablement mes conseils, tu n’aurais eu aucun problème.
Je continuais de regarder le pokémon qui s’éloignait. Quel conseil ? Qu’est-ce qui m’éviterait de le blesser ? Mes autres pokémons n’osaient pas me regarder dans les yeux. Eux aussi devaient avoir honte de moi, de ce que j’avais fait subir à leur camarade.
- Va le voir.
L’ordre d’Adriane m’étonna. Ce serait plutôt à elle de le rejoindre, de l’aider, de l’emmener avec elle.
- Tu es une meilleure dresseuse que…
- Oui Serena. Je suis une championne expérimentée, tu es une coordinatrice novice. Je suis une spécialiste des types feus, tu apprends tout juste à connaitre les particularités d’un dracaufeu. Me le confier c’est la meilleure solution, la plus intelligente, la plus logique, tout le monde te le dirait, je serai la première à te le dire mais… Il est capable de se mettre en colère. Tu comprends ? Il peut t’en vouloir, il peut dire que c’est ta faute, tout ça… Et tu ne te rends même pas compte de cette chance qu’il t’offre.
Je restai bouche bée, les yeux écarquillés et à ce moment, j’étais persuadée qu’Adriane attendait que je lui pose une question. Mais n’avais-je pas déjà utilisé les trois ?
- Tu ne sais vraiment rien de lui ?
- Absolument rien.
- Je n’avais le droit qu’à trois questions.
- Tu n’en as utilisé aucune.
Evidemment. Adriane avait été claire dès le début.
- Vous voulez bien m’attendre ici ?
Ni les pokémons, ni les humains ne rétorquèrent. Je remis mon chapeau, soufflais longuement. Attends-moi. Ce ne sera pas long, juste trois questions. Juste trois questions à te poser.
Je courrais au milieu des champs, criais son nom, priais pour qu’il n’ait pas disparu dans le sable ocre. Je le retrouvai enfin, assis sur un rondin de bois, me tournant le dos. Tu aurais préféré ne jamais m’avoir comme dresseuse, moi qui bridais ton potentiel, qui aimais ces concours sans intérêts. Tous ces reproches… Je voulais les entendre de ta bouche.
- Est-ce que je suis une bonne dresseuse ?
Quand il se retourna, quand je me concentrai, exactement comme je l’avais fait quand tu m’avais emmené avec toi dans les airs… Des flammes de colère et de haine dans tes yeux, bien sûr. Et pourtant, en cet instant, je discernai autre chose, des émotions qui les entretenaient. De l’inquiétude, de la peur, depuis combien de temps brûlaient-elle ?
Je m’asseyais à côté de lui, effleurais le ruban accroché à mon poignet. Les bras ensanglantés du monstre, sa maigreur, ses écailles ternes, ses flammes affaiblies. C’était de ma faute. Je pouvais l’entendre, l’accepter.
- Est-ce que je te fais souffrir ?
Ses dents apparurent, ses mains s’approchèrent, tu pouvais me lacérer de tes griffes, me mordre, me brûler. Tu pouvais me détester de t’avoir fait autant souffrir, tu pouvais… m’enlacer ? Je restais sans bouger, sans savoir ce qu’il ferait. Ce pokémon, cette évolution, il me terrifiait parce qu’il n’était pas Reptincel, il n’était pas Salamèche, il était… Tu grognais un « oui » épuisé contre mon oreille. Je te faisais souffrir, toi-même tu le disais, alors pourquoi tu me gardais contre toi ? Pourquoi tu continuais de me rattraper quand je tombais ?
- Est-ce que… Est-ce qu’on doit se séparer ?
Les larmes chaudes trempaient mon cou, les écailles frottaient contre ma joue pendant que les ailes m’entouraient. Celui qui devait me détester, qui ne me trouverait jamais digne de lui, qui voulait que je disparaisse… Qui avait pris le temps de voler avec moi.
Je caressai sa joue. Je m’étais sacrifiée pour lui… Qu’est-ce que tu avais ressenti à ce moment ? Son bras ensanglanté, les caillots noirs qui s’étaient formés, la douleur de son visage lorsqu’il s’était mutilé… Comment avais-je pu l’ignorer tout ce temps ? Pourquoi avais-je détourné les yeux ? Mais… Je n'avais toujours pas… malgré tout ce que je lui avais fait je n’avais toujours pas…
- Mon Dracaufeu…
Ses mains agrippaient mes vêtements, ses gémissements se muaient en gargouillement douloureux. Comment je pouvais espérer que tu me pardonnes si je ne te l’avais jamais dit.
- Je suis désolée, je suis tellement désolée.
Je le sentis se tendre contre moi. Peut-être avait-il prévu de s’énerver, de me bouder, de me faire regretter de l’avoir autant inquiété… Une autre fois d’accord ? Quand tu te sentiras mieux, quand tes larmes auront séché, je ne partirai pas, j’attendrai, pour que tu puisses me hurler tout ce que tu as sur le cœur. Je caressais sa tête, son cou, l’arrière de ses cornes, attendais qu’il consume ses larmes.
- Tu l’as enfin écouté ?
La voix d’Adriane. Elle avait dû en avoir assez d’attendre et je savais parfaitement ce qu’elle désirait. La championne tira une pokéball de sa ceinture, la sphère grossit dans sa main puis explosa dans le ciel, libérant Volcaropod. Dracaufeu s’écarta, frotta ses yeux rougis et son nez, sa flamme brûlait si intensément que je doutais de pouvoir le retenir. Toutefois…
- Attendez ! m’écriai-je.
Adriane fronça les sourcils. Elle pouvait croire que je cherchais à retarder notre affrontement ou même à l’éviter, mais hors de question que je l’envoie combattre dans cet état.
- Je t’affronterai, assurai-je, mais laisse-moi m’occuper de ses blessures avant.
Je m’attendais à ce qu’elle me rit au nez en entendant que je voulais le soigner par moi-même. Mais la championne soupira comme si je l’avais insultée et me lança mon sac que j’avais oublié chez madame Roc.
- Prends le temps qu’il faudra, se contenta-t-elle de dire.
Dracaufeu semblait partager cette idée, comme le prouvait la flamme au bout de sa queue qui s’était calmée.
- Tu es d’accord pour… voulus-je quand même m’assurer.
Il me tendit un de ses bras. Je craignais tant cet affrontement, cette épreuve dont le résultat déterminerait si oui ou non il resterait avec moi. Cependant, alors que j’achevais de couvrir ses plaies, j’avais le sentiment que ce ne serait pas le but de ce combat et que peut-être, cela n’avait jamais été le cas.
- Montre-moi que tu peux l’emporter, mademoiselle la coordinatrice.
Respirer calmement, se concentrer, essayer de s’accorder. La nervosité de mon pokémon, mon épaule qui me faisait mal, les souvenirs du Mont Chimnée. Volcaropod passa à l’attaque, projeta sur mon ami les roches imprégnées de magma. Ton visage terrifié. Ton regard qui se tourna vers moi complètement affolé. C’était toi pourtant que cette attaque visait, pas moi et…
- Esquive !
Mais il fonça tête baissée vers les énormes blocs, prêt à les détruire de ses griffes. Pourquoi tu refusais encore de m’écouter ? Et Tranche ne pouvait… D’énormes griffes vertes recouvrirent ses mains et brisèrent les pierres. Cette attaque… J’avais déjà vu d’autres pokémons s’en servir mais toi… Quand l’avais-tu apprise !?
- Tu n’avais pas remarqué ? me demanda Adriane.
- De… De quoi tu parles !?
La championne frotta l’arrière de sa tête avec un air dépité.
- Tu as compris pourquoi il avait évolué, non ? me demanda-t-elle.
Mes joues s’échauffèrent soudain. Je… Je m’étais déjà évanouie à ce moment alors je ne pouvais pas savoir. Ma blessure me brûla soudain et j’esquissai une grimace de douleur. J’aurais voulu être plus discrète, éviter que Dracaufeu ne se tourne vers moi et que dans ses yeux je vois…
- Alors Serena, vas-tu le lui dire ? Ou bien as-tu encore besoin de quelques sessions de vol ?
Je l’avais vu en vérité. Cet éclat vert qui descendait du ciel, qui avait arrêté Rhinastoc avant qu’il m’atteigne. Mais, à ce moment, cela me paraissait si étrange, si stupide que tu veuilles…
- Allez Volcaropod, on leur a laissé suffisamment de répit, décréta la championne.
Mon pokémon gardait son œil rivé sur moi, sans se soucier de l’attaque que préparait l’adversaire. Si tu voulais le vaincre, tu ne perdrais pas ton temps à me regarder. Même si tu voulais gagner, rien ne t’empêchait d’esquiver. Je le savais, je le savais bien, même si c’était toujours dur à admettre, même si je craignais encore de me tromper.
- S’il te plait, tu dois éviter son attaque.
Il se crispa si fort que le sang imbiba les bandages propres. Je m’étais excusée, mais tu voulais plus, tu voulais en être certain. Dracaufeu… Tu tenais tant à ce que je le dise ? Toutes mes erreurs, tout ce dont j’avais honte, tout ce qui t’avais fait souffrir…
- Je ferai attention ! Pour que tu n’aies plus à t’en vouloir, pour que l’on puisse à nouveau combattre ensemble… Tu peux esquiver ! Parce que cette fois… Je sais que je peux te décevoir !
Ses yeux s’élargir quelques secondes avant que son visage ne se détende. Il s’envola, évita les pierres que l’escargot continuait de projeter sur lui.
- Tu es toute rouge, se moqua Adriane.
- Je sais !
La championne d’arène était redoutable, je n’avais pas d’idées pour la battre et mes ordres n’étaient pas très utiles à mon pokémon, peut-être même s’en sortirait-il mieux sans moi. Mais il m’écouta, peu importe le nombre d’attaque qu’il reçut, peu importe que les siennes tombèrent dans le vide ou furent contrées, pas une seule fois il ne me refusa sa confiance.
Il tomba finalement hors combat. Une défaite écrasante malgré tous nos efforts. Je caressai sa tête alors qu’Adriane s’approchait.
- Tu seras une dresseuse digne de lui ?
- Même si ce n’est pas le cas… Ce serait suffisant pour l’abandonner ?
- Ça ne l’était pas.
Mon dragon ouvrit un œil, il devait s’en douter mais…
- On a perdu.
Je m’attendais à ce qu’il soit triste à cette annonce. Mais ce qu’il fit me surpris et… Il…
- Dracau ? s’inquiéta mon pokémon.
- Non, ce n’est rien.
- Dra… suspecta-t-il.
- Ton sourire, expliquai-je.
Il pencha la tête sur le côté sans comprendre.
- C’est… C’est la première fois que tu me souris… En tant que Dracaufeu.
Il porta sa main à son visage, cherchant dans sa mémoire un exemple pour me contredire.
- On dirait que je peux rentrer chez moi, annonça soudain Adriane.
Je ne pensais pas pouvoir m’attrister de cette annonce, je me sentais même soulagée.
- Fais au moins semblant que je vais te manquer, bougonna-t-elle.
Elle ne me gronda pas plus, se contentant d’un signe de main avant de repartir vers le désert. Elle ne repasserait même pas saluer madame Roc. J’entendis soudain le ventre de mon pokémon grogner, j’avais du mal à y croire. Il ramena ses mains contre son estomac, ses joues rougies par la gêne. En fait, moi-même je commençais aussi à avoir un peu faim.
- Tu veux que je te cuisine quelque chose ?
- Drrr… Dracau, se renfrogna-t-il au dernier moment.
Je me relevai et m’étirai. Tu tenais tant que ça à me faire culpabiliser ?
- Alors je cuisinerai uniquement pour moi, appuyai-je les derniers mots.
Et si un certain pique-assiette décidait d’agir, je ne pourrai pas y faire grand-chose. Ses yeux brillèrent et… Ce sourire. Exactement le même que Sacha. Je chassai vite cette pensée et nous rejoignîmes madame Roc ainsi que le reste de mes pokémons. Ils ne cachèrent pas leur joie de nous revoir, Dracaufeu se faisant vite tourmenter par les deux frères et Pandespiègle.
- Rou…
- Je ne pensais pas que lui parler serait si simple, avouai-je.
La vieille dame m’observait tout en hochant la tête de contentement.
- Voudras-tu un bon chocolat chaud ? me demanda-t-elle.
- Je veux d’abord lui préparer un repas. Mais oui, après, pourquoi pas.
- Un peu de sucre ?
- Ce serait bien.
Elle me sourit, vint se mettre à côté de moi, appuyant de ses deux mains sur sa canne en observant mon Dracaufeu.
- C’était tout à fait louable de vouloir protéger et aider tes pokémons. Cependant, ne pas veiller à ta propre sécurité n’a servi qu’à les inquiéter et à les faire se sentir coupable.
Je touchai du bout des doigts le pansement blanc collé à mon épaule. Les dresseurs faisaient tout pour leurs pokémons, quitte à prendre des risques inconsidérés mais…
- Ce n’était pas de la bravoure Serena, mais de l’inconscience des plus stupides.
- Je n’avais pas le choix à ce moment… Je croyais ne pas avoir le choix.
- Tu n’as pas voulu qu’il y ait un choix. La fuite était-elle vraiment impossible ? Faisais-tu si peu confiance en tes pokémon pour te sentir obligée de te sacrifier ?
Je voulais qu’il gagne. Parce que je pensais qu’il n’y avait que cela qui comptait pour lui et que mon rôle se résumait à l’aider à atteindre cet objectif. J’avais prétendu que c’était le plus important pour lui… Alors qu’il pouvait me sourire si gentiment.
- Adriane est repartie ? me demanda soudain la vénérable.
- Après notre combat.
- Je vois. Qui a gagné ?
La question ne se posait pas. La championne était largement meilleure que moi et n’avait pas restreint sa force pour me le montrer.
- Je n'ai pas pu l'aider à gagner... et ça ne l'a pas dérangé.
La vieille dame me tendit un petit objet, une flamme de métal qui semblait brûler dans la paume de sa main.
- La championne de Vermilava m’a dit de te le remettre après ta victoire.
- Je n’ai pas vaincu Adriane pour le mériter, rappelai-je.
Madame Roc soupira avant de prendre ma main et d’y placer l’objet.
- Tu as gagné, c’est suffisant.
La seule chose qu’Adriane me laissait après tout ce qu’il s’était passé. Une amie, jamais elle ne le serait. Une ennemie, elle ne s’en soucierait pas. Mais… Une championne d’arène, oui, peut-être était-ce bien cela qu’elle était. J’accrochai cette flamme à l’intérieur de mon manteau, tout près de mon cœur. Mon premier badge… Le ventre de mon pokémon gargouillait à nouveau. Il s’impatientait et je n’avais pas l’intention de le faire plus languir.
- J’arrive Dracaufeu.
Mon premier et dernier badge.
***
Les chants du désert, la voix mélodieuse des libégons et Adriane qui marchait. Le coin de sa bouche tressautait, son cou se crispait au point de lui faire mal. Elle implorait intérieurement, elle suppliait. L’air du désert changeait, se modifiait.
Des gazouillis, quelques vocalises, un babillage maladroit, la première syllabe, le premier mot. Elle aurait dû s'arrêter à ce premier mot, elle n'aurait jamais dû aller plus loin. Mais la fierté de construire, de donner du sens, d’avoir du pouvoir, comment y résister. Hum... tu y retournes encore ? Non, ça ne m'ennuie pas c'est juste... Bonne chance.
C'était tout ce qu'elle trouvait à lui dire. Parce qu'elle n'osait plus l'accompagner, parce qu'elle en avait assez de regarder. Les défaites, son père qui pleurait, qui maigrissait, qui n’était pas digne d’être le prochain champion d’arène. Elle ne l’écoutait pas.
Est-ce que je te déçois ? Adriane soufflait bruyamment. Pourquoi il ne se mettait pas en colère ? Pourquoi il acceptait tout ce qu’elle disait sans broncher ? Il prenait tout sur lui, il écoutait son idiote de fille qui le faisait se sentir comme un incapable, sa fille qui ne remarquait même pas à quel point ses mots le faisaient souffrir.
Ils auraient dû lui dire. Son père aurait dû se mettre en colère contre elle au lieu de lui laisser une lettre. Son grand-père aurait dû lui dire que c’était sa faute pour qu’elle n’abandonne pas l’idée de le rejoindre en courant pour se faire pardonner. Mais c’était la faute de son père, la faute de son grand-père et jamais la faute d’Adriane, jamais la faute de la gentille petite Adriane. Et à force de l’entendre, elle y croyait, la stupide gamine y croyait.
La championne fit un long détour pour être certaine de ne pas repasser à proximité des Ruines Désert. La précédente expérience là-bas lui avait largement suffi.
En définitive, partir était le mieux pour lui, pour qu’il puisse s’accomplir, pour que tout simplement il reprenne du poids. La meilleure chose à faire… Tu as raison, avait dit son père. Il s’en était allé peu de temps après.
- Dracaufeu… il n’a jamais détourné les yeux.
Ce pokémon qui l’accusait, qui n’acceptait pas, qui refusait de partir. Ce qui avait manqué à son père… Ce qui sauvait Serena.
- Ce qui m’a condamnée.
Le sable glissait dans ses cheveux, ses yeux rouges luisaient sous le soleil alors qu’elle regardait une dernière fois en arrière.
- Voilà pourquoi je te déteste Serena.
Elle s’éloignait. De cette fille, de ce bras qu’elle avait brûlé, de sa culpabilité qu’elle ne pourrait avouer. Serena, elle-même, son père.
- Voilà pourquoi je devais être une championne d’arène pour toi.
Bientôt la nuit tomberait. Bientôt elle serait de retour chez elle, auprès de ce grand père qu’elle aimait tant, qui ne l’avait jamais accusée. Ainsi elle pourrait lui dire, qu’elle avait raison, qu’elle avait toujours eu raison… Et qu’elle était heureuse que Serena ne l’ait pas écoutée.