Derkomai's Mask

Chapitre 24 : Les couleurs de l’œillet d’Inde étaient trop tentantes

7263 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/06/2024 11:28

Une fraicheur agréable, quelques peintures émaillées sur les murs, des colonnes fissurées qui se débrouillaient pour soutenir le toit. Les Ruines Désert n’étaient pas en si mauvais état, pas assez pour les traiter de « ruines » et si quelqu’un s’attelait à les rénover, l’endroit ferait un charmant lieu touristique. Alors oui, ce serait à condition que l’expert en assurance - ce genre de personne qui pouvait vous expliquer avec aplomb que vous ne possédiez « que » l’assurance échelle et qu’il vous était donc impossible de monter sur un escabeau - donne son accord. Mais la première expertise d’Adriane ne montrait ni trous béants dans les murs, ni fissures trop larges qui menaceraient la stabilité générale. Et elle pourrait même certifier, maintenant qu’elle atteignait le fond du site, de l’absence du moindre sbire.

Sauf que la championne ne rendrait aucun rapport. Ou bien si, lors de la prochaine réunion des champions, pour expliquer comment un des dégénérés de la célèbre Team Magma lui avait échappé.

Adriane massa l’arrière de sa tête, sa tension devait battre des records en ce moment. Ce n’était pas faute d’avoir dit qu’ils devaient se séparer, au moins un qui bloquait l’issue pour éviter que l’autre type passe dans leurs dos et rejoigne tranquillement la sortie. Même Serena était d’accord avec l’idée. Adriane réprima un haut le cœur.

Deux sur trois, et pourtant c’était Sacha qui avait eu le dernier mot. La championne pouvait bien lever les yeux au ciel en grommelant, jamais il n’aurait changé d’avis. Mais toi tu étais prête à le faire, comme si la première fois ne t’avait pas suffi. Quand on se séparait, il fallait du temps pour se rejoindre. Ce temps comptait quand vous attendiez de l’aide, cette durée devenait atroce quand quelqu’un souffrait dans vos bras, quand Serena souffrait dans ses bras… Plus jamais ça.

La coordinatrice se gela en croisant le regard du monstre. Il lui avait fait peur ? Encore ? Sacha exhala un peu de vapeur. Il voulait oublier, fermer les yeux et croire en Serena. Pouvoir comme avant affirmer qu’elle était forte et la laisser se débrouiller. Il y était parvenu à Kalos, alors pourquoi était-ce si dur à présent ? Il ne comprenait pas, et la douleur qui pulsait en ce moment dans son crâne au point de lui donner des vertiges ne l’aiderait pas à retrouver sa bonne humeur habituelle.

- Est-ce… est-ce qu’on pourrait faire une pause ? demanda soudain Serena.

L’ancien humain n’aurait jamais cru que ces mots feraient siffler ses oreilles de joie. Elle demandait à se reposer, elle pensait à elle, elle faisait attention à elle… Il déchanta vite. Serena s’appuyait contre une colonne, le front en sueur, le teint presque violacé pendant qu’elle mettait ses mains devant sa bouche.

- Pas juste une pause… Tu devrais sortir Serena.

Se mettre dans un tel état, lui cacher qu’elle se sentait mal jusqu’à ce que ce ne soit plus tenable. A quoi elle pensait ?

- Quelques secondes, assura la coordinatrice.

- Depuis combien de temps tu te sens mal ?

La jeune fille chercha un signe de moquerie de la part de la championne. Mais en voyant le visage altéré d’Adriane, elle comprit que la question était sérieuse.

- L’entrée…

Elle aussi ? Adriane fronça les sourcils. Deux personnes, les mêmes symptômes, en même temps.

- Dracaufeu ? s’étonna la championne en le voyant s’éloigner.

Une vieille statue auquel il manquait la tête, ses tempes martelées au fur et à mesure qu’il s’en approchait. L’épicentre, Sacha pensait l’avoir découvert. Ce flot, cette ondulation, cette lourdeur qui voulait l’emporter, qui blessait Serena. Le métamorphosé inspira profondément. Elle irait mieux s’il détruisait cet objet.

Deux yeux morts gravés dans le torse. Leurs limites nettes, la profondeur de l’entaille, un aspect trop parfait alors que tout autour ne subsistaient que reliefs érodés et rainures estompées. L’ancien humain tituba. Des vagues. Ce n’était pas une comparaison, ni la définition la plus proche de ce qu’il pouvait ressentir. C’était des vagues, aussi certain que si on lui avait demandé de reconnaitre l’air, le sable ou la pierre.

Sacha plongea. Submergé, refusant de respirer et cet étrange voile, cette membrane qui couvrait ses yeux. Les Ruines Désert, la statue, les pierres et même les grains de poussières, il les discernait toujours sans percevoir le moindre changement. Une hallucination sans apparition, sans ajout, sans création des sens. Une hallucination qui effaçait, retirait, supprimait… Serena, la championne et même lui, ils n’étaient pas ici.

Le faux-pokémon inspira. A nouveau les vagues. Il se recula, frotta ses yeux comme s’il craignait que quelque chose y soit collé. A nouveau Serena.

- Tu as trouvé quelque chose ? demanda Adriane.

Un escalier en partie recouvert par le socle de la statue et d’où s’élevaient des voix, ça ne comptait pas vraiment, si ?

- Je crois qu’on a trouvé où est parti notre ami de la Team Magma.

Serena déglutit en se souvenant des avertissements de Voltère. Adriane ne l’avait pas prévenue que c’était ce genre de personnes qu’ils cherchaient.

- Tu peux attendre ici pendant que je vérifie ce qu’il y a là-dessous, assura la championne.

Cependant, elle hésitait à descendre les marches alors que le sbire devait être recroquevillé dans son coin à prier pour qu’on l’oublie.

- Dracau… souffla le faux-pokémon.

- Cela doit faire un moment que ce passage est à découvert.

Adriane ne s’était pas montrée très convaincante, mais pourquoi devrait-elle trouver une excuse ? Même si c’était le sbire lui-même qui avait bougé la statue en sachant pertinemment ce qu’il trouverait en dessous…

- Dra.

Bon d’accord. Entre ce pauvre gars de la Team Magma perdu dans le désert qui faisait la rencontre malencontreuse d’une championne, ce mal de tête depuis qu’ils étaient entrés dans le temple et ce passage secret plus si secret que ça, descendre n’était peut-être pas la meilleure idée du monde.

Sacha soupira de soulagement en sentant que la championne était sur la même longueur d’onde que lui. Maintenant ils allaient sortir, s’éloigner de cette statue décapitée et oublier ce mirage à capuche.

- Dracaudra, dracau…

Alors pourquoi Serena passait devant lui ?

- Dra…

Pourquoi sa main tendue ne parvenait pas à la retenir ?

- Dracau…

Pourquoi restait-il sans bouger, obnubilé avec la mâchoire béante pendant qu’elle descendait les marches et fonçait tête baissée dans le piège.

- Serena ! Reviens ! hurla Adriane.

Elle n’écouterait pas. Elle ne reviendrait pas. S’il la laissait partir, s’il la laissait avancer, s’il lui faisait confiance… La statue bascula, heurtée de plein fouet par le monstre. Le passage était désormais grand ouvert.

- C’est une blague, elle ne peut pas être aussi idiote, c’est forcément une blague, répétait Adriane.

Si seulement ! L’ancien humain dégringola les escaliers. Si seulement tu revenais ! Il trébucha. Si tu t’excusais ! Il tomba. Je voudrais y croire.


***


Deux hommes à l’uniforme rouge marqué d’un grand « M » examinaient les antiques représentations sur les murs.

- Pourquoi je me retrouve de corvée alors qu’Adèle…Courtney je veux dire a pu rentrer au quartier général ? se plaignit un homme au visage rond à son partenaire.

Un petit blond du nom d’Ignacio n’écoutait qu’à moitié son collègue tout en prenant des photos des quelques peintures encore en état. Pourquoi lui infligeait-on de faire équipe avec Kelvin ? Alors bien sûr, il ne raffolait pas des pics de Courtney, mais il préférait mille fois cela à ce soi-disant génie imbu de sa personne. Enfin, s’il ne se dépêchait pas de répondre, Kelvin allait devenir invivable.

- Elle te manque déjà ?

- Non. Les mois passés à la centrale avec cette peste m’ont suffi. C’est juste que c’est moi le cerveau, l’homme qui a fait en sorte que ce plan fonctionne et je me retrouve dans ces vieilles ruines pleines de sable avec toi pendant qu’elle reçoit tous les compliments.

Peut-être parce que contrairement à ce cher cerveau, elle faisait ce qu’il fallait au lieu de se plaindre et de casser les oreilles à tout le monde.

- Tu ne veux pas qu’on laisse tomber les recherches pour aujourd’hui ?

Le blond massa ses tempes. Ce cher Kelvin réussissait l'exploit de lui donner un mal de tête carabiné avec ses propositions saugrenues.

- Pour quoi faire ? On est au milieu du désert je te rappelle.

- Oh pas la peine d’être aussi sérieux, surtout que toi et moi on sait très bien ce que Max va nous dire quand on fera notre rapport ce soir : « Continuez les recherches. Je compte sur vous. »

- Il nous a demandé de venir dans ces ruines et de récupérer toutes les informations qu’on pourrait y trouver. Je suis déterminé à accomplir ma mission.

- Et moi j’en ai ma claque d’avoir la nausée ! Je sais pas si c’est l’air qui est vicié ou si je me suis découvert des penchants claustro, mais j’ai besoin d’une pause.

- Je ne te retiens pas.

- Fais pas comme si t’allais bien. J’ai bien vu que tu t’enfilais quatre à cinq cachets d’aspirine par jour quand tu montes pas jusqu’à huit. Moi je te le dis, ça sert à rien de se prendre la tête alors que c’est évident qu’il n’y a aucune information sur Groudon ici.

Son partenaire se contenta d’hausser les épaules. De toute façon Max n’avait jamais dit que c’était des informations sur le pokémon légendaire qu’il cherchait mais bien : « Toutes les informations que vous pourrez trouver là-bas. » Leur leader avait une idée derrière la tête, sans doute trop importante pour qu’il puisse la partager avec qui que ce soit.

Ignacio soupira, en fait ce n’était pas compliqué de comprendre le problème. Son chef se montrait nerveux ces derniers temps, ou pour être exact, depuis que la bande rivale avait lancé son action au Mont Chimnée. Et comme par hasard, juste après ces évènements, il les envoyait au fin fond du désert à la recherche « d’informations ». En y réfléchissant, il était évident que leur mission ici servirait à contrer ces maudits Aqua. Dommage que Kelvin, avec son cerveau de génie, ne soit pas capable de le comprendre.

- Cette mission c’est pas un truc d’Admin.

- Ce n’est pas à nous d’en juger.

- C’est bon j’ai compris, se désespéra Kelvin. Tu admires beaucoup trop Max pour...

Kelvin fit une pause, les paroles de sa collègue résonnaient à nouveau dans sa tête. L’Admin grimaça, c’est qu’elle réussirait presque à l’inquiéter avec ses histoires.

- Bon, moi je remonte.

Il mit ses mains dans ses poches, attendant un peu des fois que son partenaire change d’avis. Sauf que celui-ci s’entêtait à prendre en photo les murs pleins de pokémons oiseaux gribouillés par un môme de quatre ans.

- Max est peut-être un gars intelligent, mais même lui pourra rien tirer de ça.

Ignacio massa ses tempes avant d’avaler un des fameux comprimés orodispersibles. A quand le prochain ? Quatre heures, trois heures, à moins qu’il décide de tout de suite se faire une petite association avec le Paracétamol. Le bon plan pour se bousiller le foie.

- Ne bougez plus !

Kelvin arqua un sourcil. Il ne savait pas si c’était un ordre ou une menace, mais ça manquait d’assurance. Au point qu’Ignacio n’avait même pas pris la peine de se retourner.

- Tu t’es perdue gamine ? se moqua l’Admin.

N’abandonne pas ! Elle l’avait vu en haut, la championne et son partenaire Dracaufeu, ce duo qui ne craignait pas le danger, prêt à descendre en la laissant derrière. Alors n’abandonne pas, ne fuis pas, montre lui que tu peux être aussi forte qu’Adriane !

Le sourire de cet homme, tout partit de là. De ces lèvres narquoises dont les rebords infectèrent le reste du visage. La peau s’assombrissait, les traits se durcissaient et ces yeux… Ce n’est pas Arthur, ce n’est pas Arthur, ce n’est pas Arthur !

- Elle a dû se faire surprendre par une tempête de sable et se réfugier dans le temple, raisonna Ignacio sans lâcher le mur du regard.

Kelvin plissa les yeux. Effectivement, vu comment elle tremblait, cette petite ne devait pas avoir prévue de se retrouver face aux puissants dresseurs de la Team Magma.

- Ça n’explique pas comment elle nous a trouvés ? Le passage est pas si évident.

- Vu comment tu beugles en même temps… siffla entre ses dents le blond.

- Tu m’as parlé ? demanda Kelvin.

Le génie auto-proclammé était sincère quand il disait ne pas avoir entendu. Pourtant, s’il savait toutes les messes-basses qu’on faisait dans son dos… Mais pour lui, c’était impossible qu’il soit le sujet de critiques et il se laissait donc duper par les sourires de politesse, persuadé qu’il était apprécié de tous. La seule un tant soit peu sincère était Courtney, raison pour laquelle elle n’était aux yeux du grand Kelvin qu’une sale garce jalouse de ses talents.

- Allez gamine, fiche-moi le camp d’ici, c’est pas un endroit pour jouer.

- Kelvin, on ne peut pas la laisser partir. On risque d’être gêné si elle prévient du monde.

- Oh mais elle ne dira rien si on lui demande. Regarde ! On dirait qu’elle est prête à fondre en larme juste en nous voyant.

Non ! C’est faux ! Je n’ai pas peur, je n’ai pas… Elle cria et tout son corps se tendit lorsque l’Admin frappa le sol du pied tout en faisant mine d’avancer.

- Tu vois ! s’exclama le génie, mais il attrapa soudain sa tête avec un grognement de douleur. J’aurais pas dû crier…

- Kelvin.

- C’est bon, j’ai pigé, grommela l’Admin en massant son front.

Il approchait, il tendait sa main, prêt à la saisir, à mordre son épaule. Elle aurait mal, horriblement mal, ses muscles déchirés, ses nerfs mis à vifs. Courir, appeler un pokémon, supplier, pleurer. Quelque chose, prendre une décision, n’importe quoi ! Sa tête lui faisait mal, elle allait vomir.

- Dracaufeu ! Lance-Flammes !

Kelvin se recula juste à temps alors que Serena tombait à genou.

- La championne de Vermilava ? Qu’est-ce qu’elle fiche ici ? cracha Kelvin.

Le ventre de Serena se contracta si violemment qu’elle ne put retenir le contenu de son estomac de sortir. Il lui a obéi ! Il a obéi à Adriane !

- Elle a un Dracaufeu maintenant ? s’étonna Ignacio en rejoignant son allié.

Non ! Ce n’est pas son pokémon ! C’est… C’est mon… Dracaufeu est…

- Retourne en haut Serena. On s’occupe d’eux.

Pourquoi ? Pourquoi n’y arrivait-elle pas ? La puanteur emplissait son nez et sa bouche, les muscles entre ses côtes tiraient de toute leur force pour faire entrer l’oxygène dans ses poumons. Le dragon lui tournait le dos. Il avait une championne à ses côtés, alors à quoi lui servirait une coordinatrice.

- Je peux y arriver ! Laisse-moi… Accorde moi juste la chance de te le prouver !

Un cri si désespéré qu'il fit hésiter Sacha. S'il voulait la calmer, l'aider, faire en sorte qu'elle aille mieux il avait juste… Est-ce que je peux y arriver ? Il s'était entrainé, il était devenu plus fort, était-ce suffisant pour la croire ? Pour prétendre que tout allait bien, même si le poids dans son ventre s'alourdissait... J’ai l’habitude, j’ai juste mis du temps à m’en souvenir. A contrecœur, il s’accroupit. Plein de regrets, il tendit sa main.

- Tu es sûr de toi ? demanda la championne.

Il attendait, Serena aussi. Elle croyait qu’il se moquait, que c’était un jeu qu’il s’était trouvé. Mais quand elle glissa ses doigts entre les griffes acérées, quand il la tira avec douceur pour qu’elle se relève, quand il la guida sans lâcher sa main pour qu’elle se place à ses côtés, elle sut qu’il était sincère.

L’imposteur frémit. Adriane le fixait et lui en voulait. Alors pour la calmer, pour se rassurer lui-même, il utilisa cette excuse bien commode que lui avait offerte Serena :

"J’ai promis, une dernière chance, même si je n’aurais pas dû, je lui ai déjà promis."

Tant que ses entrailles restaient bien froides, ce ne serait pas un mensonge.

- Alors pourquoi tu lâches sa main ? souffla la championne.

Il ne répondit pas. Adriane ne s’y attarda pas plus et appela son Maganon.

- Bon… Ce sera un combat en double si je comprends bien.

Serena regardait sa paume, exactement la même douceur que lorsqu’elle était tombée et qu’il l’avait rattrapée.

- Je dois y arriver, murmura-t-elle.

Kelvin venait à peine d’envoyer sa tortue orange que déjà Maganon braquait ses canons sur elle. Le pauvre Chartor n’était pas dans une position très agréable, mais cela ne semblait pas l’inquiéter outre mesure.

- Hé hé hé ! J’ai bien envie d’ajouter une championne d’arène à mon tableau de victoire, s’amusa Kelvin.

Ignacio se contenta d’un léger sourire pendant que son pokémon rampait vers ses adversaires, laissant un sillage de lave derrière lui. Kelvin était motivé, alors peut-être que cette fois il en tirerait quelque chose.

- Limagma, tu peux y aller, ordonna le blond.

La lave qui brulait dans les veines de la limace s’échauffa et les bulles gonflèrent à la surface de son corps. La pierre sous lui fondit, les phlyctènes éclatèrent, Ignacio cria son ordre.

Le sourire de Maganon s’élargit, prêt à relever le défi. Il souleva ses bras et arrêta le souffle ardent sans la moindre difficulté. C’était son tour maintenant.

- Chartor, dit Kelvin en claquant des doigts.

Au lieu des flammes habituelles, le pokémon charbon cracha un liquide violet qui toucha de plein fouet Maganon. Le pokémon cessa son attaque et se recula de quelques pas, son visage ayant soudain pris des tons violacés.

- Une technique de lâche, grimaça Adriane.

- Si tu veux, soupira Kelvin peu intéressé par les reproches de la femme. Maintenant finissons-en avec Gyroballe.

Pendant que la championne était aux prises avec son adversaire, Serena faisait de son mieux contre le sien.

- Dracaufeu, utilise Tranche !

Bien que Limagma esquivait sans peine, la coordinatrice sentait une vague de bonheur monter en elle. Il l’écoutait, il acceptait qu’elle le dirige, qu’elle soit sa dresseuse.

- Recule et enchaine avec Poing-Eclair !

Sacha consommait le fond de son carburant. Tout ce vieux mazout engluait le sang artériel tout en jetant ses déchets dans l’intima des parois. Bien obligé de passer par là pour inonder les poings, nourrir ces pauvres cellules qui ne voyaient plus la différence entre les déchets qu’elles recrachaient et ceux qu’elles absorbaient. Elles firent avec, elles travaillèrent cette fange pour la transformer en une chaleur suffisante pour générer des éclairs.

Les yeux de Serena pétillèrent de joie quand il toucha enfin Limagma, l’ancien humain crut même discerner un faible sourire. C’était peut-être pour ça qu’il supportait ce combustible impur qui encrassait ses poumons à chaque fois qu’il crachait ses flammes. Pour la voir heureuse, pour qu’elle puisse avancer, parce que c’était le mieux pour elle.

Il toussa, mais Adriane cria suffisamment fort pour que personne ne l’entende. De la fumée noire sortit de sa gueule, heureusement Serena tournait la tête vers Maganon.

- Dracaufeu va l’aider ! s’écria la coordinatrice.

Le cœur de Sacha pompa plus fort et plus vite le fioul, un peu plus de marasme pour ces muscles qui se déchiraient déjà dans leur propre acidité. Par miracle, il fit illusion, repoussa Chartor avant qu’il ne touche le pokémon de la championne.

Il mit sa main devant sa gueule, refoulant la crasse vers le fond de sa gorge. Mais voilà qu’au loin la limace ébrouait son corps. Les gouttes de magma volaient, devenant le cœur d’imposants rochers. Un danger que la championne reconnût immédiatement, prête à le contrer tout comme son partenaire qui levait ses bras.

- Utilise…

Un coup de tonnerre ravagea sa cervelle, la paralysa au point de l’empêcher d’hurler. Serena balbutia alors que Maganon se précipitait vers sa dresseuse, oubliant les rochers qui menaçaient sa tête.

- Esquivez ! hurla la coordinatrice.

Maganon n’écoutait pas, mais Serena avait au moins espoir que le reptile… Les couloirs étaient trop étroits pour fuir. Les deux pokémons se firent ensevelir sous ses yeux, sans qu’elle ne puisse rien faire.

- Adriane… supplia la jeune coordinatrice.

La championne n’avait pas la tête à les aider, les salves électriques monopolisaient déjà toute sa conscience.

- Il a résisté ? s’étonna Ignacio.

Les rochers fondaient au bout des griffes de Maganon. Il se releva, tituba un instant avant de cracher en salve des boules d’énergie sur Limagma. Mais le pokémon glissait sur les murs et déformait son corps visqueux pour éviter les attaques, sacrifiant les peintures millénaires.

- Tout va s’effondrer s’il continue, pesta le blond.

Pendant qu’Ignacio et son pokémon faisaient de leur mieux pour contenir les attaques dévastatrices, Sacha repoussait les rochers qui l’écrasaient. Sa première attaque roche, il ne pourrait pas nier l’avoir sentie passer.

- Chartor, utilise à nouveau Gyroballe.

La toupie vivante fonçait vers son pokémon et Serena n’avait plus le temps de réfléchir. Alors par réflexe, elle hurla :

- Lance-Flammes !

Le souffle du dragon entra en collision avec la carapace ignifugée, cette dernière continuait de tourner, défiant le torrent de feu qui voulait la repousser.

Je ne dois pas faiblir, je ne veux pas que Serena…

Fini. Le sucre, la graisse, le peu d’énergie qu’il avait récupéré lors de leurs rares pauses. Fini tout comme son Lance-Flammes.

Si je ne suis pas assez fort elle va…

Désormais libre de ses mouvements, Chartor accéléra sa rotation, la tête du reptile dans sa ligne de mire.

Elle va…

Les yeux de Sacha s’écarquillèrent. Elle se jetait devant lui les bras tendus, se sacrifiait, encore…

"Pas cette fois !"

Un bruit sec. Derrière lui Serena. Le métamorphosé inspira et expira avec force. Sous son poing, encastré dans le sol, Chartor ne bougeait plus. Un peu de lave s’échappait du haut de la carapace et dégoulinait.

Le volcan, il était là, sous ses yeux. Serena blessée. Elle a recommencé. Serena qui acceptait d’être blessée. Elle a encore recommencé. Il se tourna vers elle. La dresseuse hoqueta de peur. Elle se recula et bredouilla d’une voix tremblante :

- Je croyais que Lance-Flammes pourrait… Je suis désolée, je ne ferai plus d’erreurs !

Une erreur ? Ce n’est pas seulement une erreur tu aurais pu…

- Je te promets de ne plus me tromper dans mes ordres et…

Tes ordres ? De quoi tu parles ?

- Je vais tout faire pour t’aider à les vaincre ! cria-t-elle déterminée.

Un bruit d’explosion. Sans doute l’Exploforce de Maganon qui avait encore raté sa cible. Pas de quoi lui faire détourner les yeux de la dresseuse. Alors c’était pour ça ? Tu m’as demandé une dernière chance et c’était pour ça…

La queue du reptile frappa le sol, soulevant un épais nuage de sable. Les grains de silice sifflaient sous l’effet de la chaleur pendant que la jeune fille tombait par terre. Elle voulait le fuir. Mais l’immense dragon la surplombait et elle savait qu’elle ne pourrait lui échapper.

- S’il te plait… Je sais que tu es fort, que… que tu veux une meilleure dresseuse… Mais je vais faire des efforts ! Comme ça… Comme ça…

Serena toucha le ruban noué à son poignet, ce lien bleu qu’elle n’osait plus porter à sa poitrine. Du courage, que Sacha lui donne du courage pour…

"Ne te mêle plus de mes combats."


***


Je n’avais pas crié, je n’avais pas eu la force de crier. Mais je savais que même sans ça, elle avait compris. Serena ne parlait plus, sa tête baissée, ses épaules tremblantes et cette fois je ne pensais pas qu’elle aurait le courage de répliquer.

- Attention ! cria-t-elle soudain.

Chartor s’était relevé et une fumée noire sortait de sa carapace. Il cracha ses flammes dans ma direction en même temps que Serena me criait d’esquiver. Je n’en pouvais plus.

Le torrent de feu se dispersa, tranché en deux par mes griffes. Je pensais être devenu assez fort pour que tu n'aies plus à... A quoi toutes ces nuits d'entrainement avaient servi ? Si je t'écoutais, si j'acceptais d'esquiver, tous mes efforts, tu les réduirais à néant.

"Je n’ai pas besoin de ton aide."

Mais elle ne voulait pas abandonner son rôle alors que Chartor revenait vers moi avec Gyroballe. L’espoir de Serena dans cet ordre, l’espoir que ma réaction ne soit qu’un accident.

- Protège-toi derrière les rochers !

Il était temps que tu comprennes. La douleur qui tournoyait dans mes mains n’était rien, les écailles qu’il arrachait en effleurant mon torse repousseraient. Mais il était hors de question qu’il passe et qu’il te blesse !

Le corps de Chartor se fracassa contre la roche, sa carapace se fendit sous le coup de l’impact libérant une épaisse fumée. Je me reculai, la poussière de charbon m’empêchait de voir ou de sentir quoi que ce soit. Et maintenant elle se propageait dans tout le couloir. J’entendais la coordinatrice tousser, Adriane gémir quelques insultes alors qu’elle aussi, sa voix se muait en bruits courts et secs.

"Serena !" appelai-je en mettant mon aile devant mon nez.

Mais je n’aurais pas dû ouvrir la bouche, la fumée se faufila jusqu’à mon palais faisant monter les larmes.

- D-Dracau… Dracaufeu, entendis-je siffler entrer deux quintes de toux.

Je me dirigeai à tâtons vers elle. J’étais maintenant suffisamment proche pour la discerner. Elle était secouée de spasmes, son corps luttait contre la fumée qui entrait en elle. La voir ainsi, je ne pouvais plus… Je n’arrivais plus à respirer.

Un nouveau bruit d’explosion. Je ne voyais toujours rien mais j’entendis Adriane crier :

- Dracaufeu tes ailes ! Il faut que tu battes des ailes !

Inutile d’en dire plus. Les membres dans mon dos bougèrent avec force pour repousser la fumée. La bourrasque força la suie à s’échapper par les multiples trous qu’avait créé Maganon dans le plafond.

Dès qu’elle put à nouveau respirer, Serena prit de grandes goulées d’air en frottant ses yeux. Adriane revenait vers nous et expulsait les dernières particules de charbon de sa gorge.

- Ça s’est arrêté, ça s’est enfin arrêté, souffla-t-elle soulagée.

Et ce n'était pas de la fumée dont elle parlait. Maganon la soutenait, la championne de feu gardait sa main contre sa tête, un de ses yeux rougi.

- Il… essaya Serena.

Elle tenait sa gorge, incapable de poursuivre. Les expirations, chacune plus longue que la précédente, se succédaient.

- Je sais. Ils se sont enfuis, se crispa la championne.

- Il n’a pas voulu m’écouter.

Elle avait murmuré, mais j’avais parfaitement entendu et Adriane aussi vu comment elle la dévisageait.

- Ça t’étonne ?

Serena secoua la tête et sortit une potion de son sac. Je l’observai alors que sa main tremblait en levant vers moi le flacon violet.

- Ça va piquer un peu, dit-elle avec un de ses sourires pour masquer sa voix peu assurée.

Je balayai sa main d’un coup de queue, la forçant à lâcher l’objet. Elle resta sans bouger à regarder sa paume vide, comme si elle cherchait à comprendre ce qu’il venait de se passer.

- Pourquoi ? me demanda-t-elle d’une voix plaintive.

Je lui avais laissé sa chance, je l'avais cru et pourtant…

- Dra, caufeudra, essayai-je de lui expliquer.

Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas fermer les yeux et sourire, pas pour elle. Si elle arrêtait de se mettre en danger, si elle pouvait comprendre à quel point la voir blessée me terrifiait, peut-être qu'alors… Je la regardai, les grains de sables volaient autour de son visage, rendant presque flous ses contours.

"Ecoute moi."

Dehors, aucune tempête de sable, pas même le cri du vent. Le désert était calme. Adriane finissait de soigner mes mains ensanglantées, Serena se contentant de nous observer à distance.

- Allons-y, nous encouragea la championne.

L’ombre des Ruines Désert accompagnait notre départ, nous suivant alors que le bâtiment de pierre restait immobile. Serena marchait d’un pas lent derrière moi, ses pieds qui trainaient dans le sable provoquaient à chaque fois des centaines de minuscules crépitements. Je m’arrêtai et elle en fit de même, conservant une distance de plusieurs pas entre nous. J’aurais voulu qu’elle comprenne.

- Dra, murmurai-je.

Mais elle ne réagissait pas, je n’étais même pas sûr qu’elle m’ait entendu. Comme si le désert avait absorbé les sons pour ne pas que sa paix silencieuse soit troublée. Et de toute façon, même si ma voix l’avait atteinte je crois que…

Le silence continua, imperturbable, pas même le souffle du vent n’osait l’interrompre. Il dura longtemps, très longtemps. Et même lorsque le soleil commença à disparaitre derrière les falaises au loin, même après l’apparition de la verdure qui se fortifiait au fur et à mesure de notre progression, le silence du désert refusait de nous quitter.

Je crois que le ciel resplendissait de milliers d’étoiles lorsque nous franchîmes enfin les limites des murailles rocheuses. Mais il y avait maintenant ce vent glacial derrière moi qui me tourmentait, me faisant frissonner et claquer des dents.

Le désert. Il continuait de marcher derrière moi et quelque part je savais que peu importe à quel point je pourrais crier, déchirer ma gorge en espérant que ma voix échappe au sable, peu importe mes efforts… elle ne pourrait plus m’entendre.


***


Est-ce que tu me détestes ?

Je n’arrivais pas à dormir, allongée sur le canapé avec Dracaufeu qui dormait par terre. Le robinet était mal fermé, les gouttes d’eau tombaient à un rythme régulier, explosant dans un bruit sourd contre l’évier. Il ne m’avait pas écoutée, il avait refusé de m’écouter. Rien d’étonnant après avoir vu ma piètre performance face à ces hommes. Il était devenu fort, il avait besoin de plus qu’une simple coordinatrice pour pouvoir s’accomplir.

Est-ce que tu me trouves pathétique ?

J’entendais un peu de bruit, quelqu’un faisait couler de l’eau. Adriane ? Ou la vieille dame qui nous avait accueillis chez elle à la sortie du désert…

Est-ce que je te déçois ?

Dracaufeu, ses puissantes ailes couvraient son corps musculeux. Même s’il dormait, la flamme au bout de sa queue brillait avec intensité, menaçant de faire fondre quiconque oserait troubler son sommeil. C’était évident, il avait besoin d’un dresseur qui lui correspondait, un dresseur capable de l’emmener vers les sommets. Et si je m’obstinais, si je l’obligeais à rester avec moi, il allait juste souffrir.

Est-ce que tu veux toujours de moi ?

Je voulais lui parler, j’avais besoin de lui parler. Mais ma bouche s’ouvrit et se referma rapidement sans qu’aucun son ne sorte. Je n’avais même pas le courage d’aborder le sujet.

Tu me détestes.

J’attendais. Incapable de dormir, incapable de bouger, incapable, incapable, incapable. Tu serais mieux sans moi. « Serais » ? Même maintenant, j’hésitais encore ?

Je suis pathétique.

Le matin. Déjà ? Dracaufeu quitta la chambre sans m’attendre, sans se demander si je faisais semblant de dormir. C’était mieux, je n’aurais rien trouvé à lui dire, alors autant qu’il parte pendant que je fermais les yeux.

Je te déçois.

La table du petit déjeuner. Je n’avais pas envie de manger, je n’avais envie de rien à part retourner m’allonger. Mais mes pokémons avaient faim. Négapi d’ailleurs semblait aller mieux. Joëlle avait raison, je m’étais inquiétée pour rien. Alors pourquoi Dracaufeu ne s’était-il pas calmé ? Pourquoi était-il le seul à être en colère ?

Tu ne veux plus de moi.

- Excusez-moi.

Je quittais la cuisine, fermais la porte qui s’ouvrit la seconde suivante, ma vieille amie ne me laisserait pas fuir.

- Rou ?

- Négapi va mieux.

- Sil.

- Il doit avoir hâte de participer à son premier concours. Avec Posipi, ils ont toujours eu l’air plus enthousiaste quand on s’entraînait que… Il avait toujours l’air de se forcer.

Pourquoi tu semblais aussi surprise ? Toi aussi tu devais t’en douter, que ça ne lui correspondait pas, que je l’obligeais à participer à quelque chose qui ne l’intéressait pas. Mon rêve, celui de mon équipe, ce pokémon ne l’avait jamais partagé.

Elle attrapa mon bras, me tira sur quelques pas et je savais pertinemment où elle souhaitait m’emmener.

- Je t’en prie Roussil.

Elle gronda, secoua la tête, ses yeux emplis d’inquiétudes. Pour moi, elle agissait pour moi, mais elle ne pensait pas à ce que lui ressentait.

- Même si je renonçais à être coordinatrice pour me focaliser sur les arènes… Il me faudra du temps pour m’améliorer, oublier que ce n’est pas un concours. Je ne peux pas lui demander de m’attendre.

Les oreilles basses, Roussil lâcha mon bras. J’aurais voulu que tu le dises : que j’avais raison, que je devrais le relâcher maintenant, que toi aussi tu pensais que ce serait la meilleure chose à faire.

- Rou ! cria-t-elle.

Son pelage hérissé, ses crocs bien apparents, tu n’étais pas d’accord, mais il n’en demeurait pas moins que j’étais ta dresseuse, que c’était à moi de t’apprendre ce qui était important.

- Tu as pensé à ce qu’il ressent en ce moment ?

De la fureur. Pendant un bref instant, je crus que Roussil utiliserait sa Déflagration contre moi. Mais elle détourna la tête d’un air indigné, exagérant chacun de ses mouvements alors qu’elle retournait vers la cuisine, comme pour me laisser le temps de regretter et de la rattraper. Elle attendit un peu devant la porte, ses griffes glissant sur la poignée sans l’attraper, les poils de sa queue gonflés. Mon amie n’était pas assez discrète pour que je ne remarque pas sa tête qui se tournait vers moi ou sa jambe qui tremblait d’impatience.

- Je ne changerai pas d’avis Roussil.

Elle claqua la porte. A nouveau seule, sans aucun témoin, je prenais ma tablette et regardais la distance qui nous séparait d’Autéquia. La date, l’heure, les minutes, les secondes, y arriver à temps… C’était déjà trop tard de toute façon.

Il me déteste.

Que faire maintenant ? Le concours ne servait à rien, m’excuser était vain, mais…

- Encore une chance.

Ma voix était si lente, si plate, indifférente. Ce n’était pas ça, mes émotions…

- Une dernière chance.

Froide, détachée, comment il pourrait me croire s’il m’entendait.

Il me déteste.

Hein ? Comment ? Une table basse, un tapis coloré, si proches… Il me déteste. Les motifs dessinés, des lignes qui s’entrecroisaient et des fleurs fantaisistes qui naissaient à leur bout. La douceur sous mes mains et contre ma joue.

- C’était quoi ce bruit ? entendis-je crier Adriane.

Je m’agenouillai, regardai la pièce autour de moi et la table que mon front avait évitée de peu. Je… J’étais tombée ? Et… Je ne me souvenais pas avoir marché jusqu’ici.

- Serena... Tu as vraiment une sale mine.

La championne s’était assise à côté de moi. Je voulais bien la croire, ces derniers temps je ne prenais pas aussi soin de moi que d’habitude. Je n’y voyais plus vraiment d’intérêt en fait.

- Est-ce que je le fais souffrir ?

Deuxième question, deuxième chance. Mais même en sachant son importance, ma voix ne tremblait pas, mon visage restait figé.

- Evidemment. Ce que tu dis, ce que tu fais, même si tu ne t’en rendais pas compte, ce ne serait pas une excuse.

Son poing se serra pendant qu’elle ramenait ses jambes contre elle. Sa bouche près du jean bleu, ses mots étouffés par le textile :

- Pourquoi tu t’entêtes Serena ? Alors que je te l’ai dit : ça me va si tu considères que je ne sais rien de lui.

Elle se releva, épousseta son long pantalon comme si les sons s’y étaient accrochés.

- Je vais aider Madame Roc dans son ménage. Préviens-moi quand tu voudras partir et… ne casse rien d’ici là.

Je restais assise sur le tapis à suivre des yeux les motifs. Le souffle de l’aspirateur, la vaisselle qui tintait et puis… La vieille dame déposa une tasse sur la table basse.

- Quand j’ai vu ton Dracaufeu, il m’a immédiatement fait penser au père d’Adriane juste avant qu’il ne parte en voyage.

- Il voulait devenir plus fort ?

Elle se pencha, tata le dessous de la table d’une main pendant que l’autre restait fermement agrippée à sa canne.

- Il était maigre.

Elle ouvrit le tiroir, dévoilant une pièce d’orfèvrerie.

- Pourquoi… murmurai-je.

De l’argent massif, un couvercle richement orné, un corps oblong en cristal bleu. Quel secret renfermait cet objet ? Pourrait-il m’aider ?

- Un peu de sucre avec ton chocolat chaud ?

Je clignai des yeux en voyant la poudre blanche. Il n’y avait que ça ?

- Tu croyais voir un trésor à l’intérieur ? me dit-elle d’un sourire narquois.

Je rougissais, c’était beaucoup trop beau pour juste servir de sucrier. La vieille dame attendait que je me décide, une cuillère déjà plantée dans les minuscules cristaux.

- Je ne pense pas qu’Adriane t’a amenée chez moi sans raison.

- Elle ne m’a pas accompagnée sans raison.

Au moins, ses efforts seraient récompensés. Je quittai la pièce sans toucher la boisson et retrouvai Adriane. Dès qu’elle me vit, elle jeta l’éponge dans le seau et retira ses gants.

- Tu as quelque chose à me dire.

J’acquiesçai, elle s’essuya les mains et me fit signe de l’accompagner dehors. Roussil et mes autres pokémons n’avaient pas bougé de la cuisine depuis ce matin. Mais comme par hasard, lorsque je passais devant la porte, elle sortit le bout de son nez.

- Je dois parler à Adriane, lui expliquai-je.

Elle ignora mon sous-entendu et fit signe à Pandespiègle de nous attendre avec les autres dans la cuisine.

- Si tu viens, c’est uniquement pour écouter, précisa la championne.

Mon premier pokémon accepta, ses poils toujours hérissés, une pointe d’impatience dans ses yeux alors qu’elle prenait la tête de notre ridicule cortège. Mon épaule me lançait au fur et à mesure que nous nous approchions de la sortie.

- Réfléchis bien Serena.

Parce que c’était ma dernière question, n’est-ce pas ? Mais à quoi bon plus y penser, à quoi cela servait de le faire attendre ?

Le soleil m’éblouissait et je fermai les yeux. Le désert, la terre ocreuse que nous avions traversée, elle était là. Elle se moquait de moi, me murmurait à l’oreille des mots que je voulais ignorer.

Tu le sais Serena.

Le dragon de feu s’entrainait. Il détruisait les rochers de ses Poing-Eclair, réduisait en cendre les débris à l’aide de ses flammes jusqu’à ce que la poussière rougisse l’air.

Peu importe comment tu le tourneras, peu importe à quel point tu chercheras à te convaincre que c’est faux…

- Est-ce que je dois me séparer de lui ?

Personne ne répondit. Ni Adriane, ni Roussil, un silence pesant alors que les bruits d’explosions s’enchainaient derrière moi.

Tu l’avais déjà compris à ce moment.

C’était à moi de le faire. A la seconde où je t’avais promis que tu pourrais partir si je n’étais pas digne de toi. Le sable ocre me piquait les yeux, me donnait envie de pleurer. Ma main contre mon cœur, face au pokémon qui me tournait le dos, je ne m’approcherai pas plus.

Et tu ne peux plus l’ignorer.

- Sois heureux avec Adriane.

Parce que Sil avait fait le bon choix.

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