Derkomai's Mask
Chapitre 22 : Tu ne veux pas voir les orties qui le blessent
9555 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 18/05/2024 15:16
Ton bras. La seule chose à laquelle Sacha pensait alors qu’il trainait derrière elle. L’asymétrie, cette façon qu’elle avait d’éviter de trop le bouger, sa crispation quand son membre esquissait un mouvement trop ample. Et pourtant, elle s’obligeait à presser le pas sans se soucier de raviver la douleur.
Le métamorphosé ne peinait plus à la suivre, il aurait même pu aisément la dépasser s’il l’avait voulu. L’avantage d’avoir évolué en dracaufeu, même en tant qu’humain il n’aurait pu espérer atteindre une telle taille. Pas de quoi sourire, certainement pas de quoi se réjouir, mais c’était la seule chose qui s’approchait d’une « bonne nouvelle » pendant qu’il observait les vêtements raccommodés de sa dresseuse. Moore avait fait du bon travail, au point qu’il n’était pas si simple de voir les fils qui suturaient le tissu. Cependant, Serena n’avait pas pu réparer elle-même les dégâts.
Pressentiment, divination, intuition, le nom importait peu, seul comptait le fait que Sacha savait qu’il devait se rapprocher, se tenir près d’elle jusqu’à ce que… Elle trébucha, un léger cri de surprise lui échappa. Elle tombait, devant lui, Serena tombait. Sacha s’interposa, ses bras entourèrent les hanches de la dresseuse, ses ailes recouvrirent le corps frêle, masquant le soleil, les isolant du reste.
- Dracaufeu ? murmura la jeune fille.
Pendant quelques secondes, il décela un vague espoir dans les prunelles de sa camarade. Elle voulait croire que sa colère s'était apaisée, que le temps avait fini par le calmer. Parce qu’il avait vu sur le volcan sa détermination, sa volonté, la preuve qu’elle pouvait se sacrifier pour lui. Elle pouvait continuer, même si ça faisait mal. Sa main levée, ses doigts proches du visage de la créature, la mordrait-il si elle essayait de toucher les écailles ?
"Pourquoi tu me regardes comme ça," murmura-t-il.
La main se figea et le dragon releva la tête, hors d’atteinte. Les ailes libérèrent la jeune fille, l’exposant à nouveau au froid de cette fin de soirée.
- Je comprends.
Elle repartit. Elle refusa d’écouter. Des mots de haine, sa fatigue d’être avec elle, son dépit de lui appartenir, tout ce qu’elle imagina sans le regarder une seule fois.
- Tu te sentiras mieux, dès que Joëlle se sera occupée de toi, tu te sentiras mieux.
Et elle marchait, sans ralentir, sans se poser, sans s’inquiéter de ce qui pouvait lui arriver.
"Pourquoi tu refuses d’écouter ?"
Le centre n’était pas tout à fait remis. Il restait encore des trous dans le toit et des fenêtres brisées, mais toute la machinerie et le matériel dédié au soin avait été réparé ou livré en urgence depuis Lavandia. L’essentiel, ce qui faisait le cœur d’une institution de santé, parce que l’expertise humaine ne suffisait plus… ou n’avait jamais été suffisante.
Silencieux, trop silencieux, même pas une musique d’ambiance dans le hall d’accueil. Pas de dresseurs non plus à part Serena. Avaient-ils préféré retourner à Lavandia ou bien n’avaient-ils pas encore eu vent de la nouvelle, la jeune dresseuse n’y réfléchissait que vaguement.
Et si elle appelait sa mère le temps que l’infirmière revienne. Au moins avoir l’impression de faire quelque chose au lieu d’attendre bêtement. Serena se leva, chercha le coin où étaient alignés les visiophones. Les fils pendaient sur les côtés des grosses carcasses vertes, la plupart ayant définitivement rendu l’âme, les autres s’allumant et s’éteignant par intermittence.
Inutilisables et ce n’était pas plus mal. De toute façon que pourrait-elle dire à sa mère ? Le volcan, son Reptincel qui avait évolué trop vite, le pokémon feu qui la détestait. Quant à prétendre que tout allait bien, elle voyait mal sa mère ne pas déceler le mensonge.
On appela. Son prénom prononcé par l’infirmière dans le micro fit battre son cœur. La promesse de revoir ses pokémons guéris, les mauvais souvenirs effacés, toute cette histoire enfin réglée. Serena courut, une décharge déchira son bras. Elle s’arrêta, se contraignit à marcher pour rejoindre la soignante.
- Comment vont-ils ? s’enquit la coordinatrice.
- Il faudra faire attention au genou de Pandespiègle, mais dans l’ensemble ils ont bien récupéré.
Sur le chariot, aucun monstre n’était visible, il n’y avait que les capsules opaques et immobiles. Serena les reprit une à une, les rangea dans sa poche, fit confiance à Joëlle. Mais lorsqu’elle attrapa celle de Négapi, lorsque le regard vide du pokémon lui revint à l’esprit, elle ne put s’empêcher de demander :
- Vous êtes sûre qu'il va bien ?
- Les soins se sont déroulés sans soucis, il était même plus sage que d'habitude, assura la soignante.
Pourtant, Serena avait beau presser discrètement le bouton de la capsule, le monstre de poche ne daignait pas sortir.
- Justement… il n’était pas trop calme ?
- Eh bien, c’est vrai que cette fois je n’ai pas eu besoin de mettre des gants en caoutchouc, mais de là à dire qu’il était trop calme…
Serena fixa son reflet sur la surface bien lisse de la pokéball. Elle hocha la tête, un mouvement léger et régulier qu’elle répéta encore et encore pour bercer son esprit.
- C’est une bonne chose s’il n’est plus énervé, admit la dresseuse.
- Oui, ça fait du bien de voir que les choses s’apaisent après ce qu’il s’est passé.
Joëlle prenait grand soin de proscrire les mots « Team Aqua » ou « Attaque » de son vocabulaire. Elle faisait aussi attention à ne pas regarder les vitres brisées, les banquettes éviscérées ou même le visage fatigué de la dresseuse. Serena n’ennuya pas plus l’infirmière et rangea la pokéball de Négapi. Il ne restait qu’à récupérer la sixième sphère… qui n’était pas là. Evidemment, l’ultime capsule était toujours dans son sac, endroit duquel elle n’avait presque pas bougé depuis qu’un certain Salamèche lui avait bien fait comprendre qu’il n’aimait pas être enfermé.
- Où est-il ?
Elle essaya de zieuter derrière l’infirmière, mais aucune trace d’écailles orange ou de flammes.
- Justement je voulais t’en parler, sourit Joëlle.
Un sourire, c’était quelque chose de rassurant. Ne pas voir le reptile, pour Serena, c’était terrifiant.
- Est-ce que c’est grave ? demanda la jeune fille d’une voix étranglée.
- Oh non, non, ne t’en fais pas. C’est juste que je suis un peu maniaque donc j’aime bien ausculter moi-même le pokémon en plus du scan. Sauf que chez les dracaufeus… tu sais, c’est toujours le problème des ailes.
- Les ailes ?
- Ce n’est déjà pas facile en temps normal, mais là l’intérieur des ailes de ton Dracaufeu est beaucoup trop sensible pour que je puisse y toucher.
Serena ne comprenait pas où la soignante voulait en venir, et quelque chose lui disait qu’il vaudrait mieux ne pas le savoir. Malheureusement, Joëlle tenait à partager sa vision des choses :
- Habituellement, on réalise une anesthésie assez lourde quand on doit soigner cette partie. Mais dans mon cas je voudrais juste m’assurer qu’il n’y a vraiment rien et je ne vais certainement pas endormir Dracaufeu pour cela donc… c’est là que tu interviens.
- Comment ça ?
- Ça se fait très régulièrement. On laisse le dresseur rassurer son pokémon le temps qu’on regarde les ailes. C’est si efficace que parfois, on peut traiter des blessures importantes sans la moindre anesthésie.
- Il faut vraiment que vous vérifiez ? Je croyais qu’avec les machines…
- On n’est jamais à l’abri d’une erreur.
On ne pouvait qu’admirer la rigueur et la précaution de l’infirmière. Sans doute une mauvaise expérience passée, une négligence qu’elle avait regrettée, qu’elle regrettait encore et qui dictait désormais quelques-uns de ses principes. Des principes dont la jeune dresseuse se serait bien passée en ce moment.
- Je ne suis pas sûre…
Quand on savait que certains dresseurs s’occupaient eux-mêmes des ailes de leurs dracaufeus, les hésitations de Serena n’avaient pas lieu d’être pour la soignante. C’est vrai, il suffisait juste de parler un peu à Dracaufeu, peut-être une caresse ou deux et le tour serait joué. Cependant, Serena avait passé trop de temps, ou justement trop peu de temps avec le monstre pour savoir qu’elle ne serait d’aucune aide.
- Tu as des difficultés pour qu’il t’obéisse, c’est pour ça que tu hésites ? demanda finalement Joëlle.
Des difficultés aussi pour lui parler, pour ne pas l’énerver, pour lui donner à manger, pour le soigner. Tout posait problème en fait.
- Depuis qu’il a évolué, on ne s’entend plus très bien, résuma la jeune fille.
Joëlle connaissait le comportement parfois difficile des dracaufeus. Oh, elle ne se vanterait pas d’être une experte non plus, sa patientèle se résumant surtout aux zigzatons, machocs et autres pokémons du coin, mais elle connaissait les bases.
- Tu n’en restes pas moins sa dresseuse. Je suis certaine qu’il t’écoutera en voyant que tu veux son bien. Et puis, tous les dresseurs de dracaufeu ont dû se prendre un Lance-Flammes ou deux à leurs débuts.
Serena croisa ses bras derrière son dos, se dandina légèrement. Alors les dracaufeus étaient du genre à attaquer leurs dresseurs, tout comme les reptincels pouvaient se montrer cruels et sans pitié. La jeune dresseuse fit un maigre sourire, l’infirmière ne savait pas que ce pokémon ne faisait jamais rien comme ses semblables. Que ce soit Salamèche, Reptincel ou cette nouvelle forme…
- Il n’a jamais craché ses flammes sur moi, assura Serena.
La jeune fille se sentait bien en disant cela, ce petit détail qui lui faisait espérer qu’elle avait encore une chance avec le dragon. Ou bien il ne veut pas perdre son temps avec moi.
- C’est vrai qu’il n’était pas bien méchant quand je m’occupais de lui, sourit Joëlle. Alors ? Je peux compter sur ton aide ?
La jeune fille réfléchit encore peu. Elle avait du mal à imaginer qu’il se calmerait pour elle. En revanche, avec un peu de chance, elle pourrait jouer la carte du « on partira plus vite comme ça ». Serena ramena sa main contre son ruban avant de souffler un grand coup.
- C’est un gentil pokémon vous savez.
- Je n’en doute pas.
- Je voudrais qu’il aille mieux.
- Ce ne sera possible que si tu es là.
Guidée à travers les couloirs de ce monde qui ne se dévoilait que rarement aux dresseurs, Serena faisait attention de ne pas trop s’éloigner de l’infirmière. Cet endroit n’était pas un labyrinthe, loin de là, mais la jeune fille était certaine qu’elle pourrait s’y perdre. Serena colla un peu plus les pas de Joëlle tout en lisant les chiffres marqués sur les portes.
- Quand on pense que les trois-quarts de ces salles sont encore inutilisables, commenta Joëlle ayant bien remarqué les regards de celle qui l’accompagnait.
- Il y en a tellement… constata la dresseuse.
- Heureusement elles ne sont pas toujours toutes remplies. Mais ce n’est pas tant que ça en vérité, il suffit que quatre dresseurs viennent avec une équipe complète et tous mes lits sont pris. D’ailleurs, en parlant de ça, j’étais étonnée que tu m’amènes Dracaufeu. Tu ne me l’avais jamais présenté jusque-là au point que je pensais que tu ne possédais que cinq pokémons.
Joëlle aurait dû s’arrêter à ce moment. Au moins se demander pourquoi le gros reptile n’était jamais avec sa dresseuse lors de ses visites.
- Il n’aime pas être enfermé.
Si Joëlle s’était retournée, elle aurait remarqué ce regard fuyant et cette bouche crispée. Se méfier des paroles d’un dresseur, une aberration qui à cet instant aurait été nécessaire. Mais Joëlle croyait en ce qu’on lui disait, elle faisait confiance à sa clinique, aux machines qui l’aidaient, aux résultats qu’elle trouvait. Un pokémon à la patte cassée ? Le dresseur expliquait que c’était un accident de combat alors Joëlle vérifiait qu’il n’y avait pas d’urgence. Un Vibra Soin en antalgie, radiographie, puis plâtre ou chirurgie – qu’elle faisait elle-même, les infirmières Joëlle étant des monstres de polyvalence dans le soin des pokémons – et enfin une E-Coque pour accélérer et améliorer la guérison. Le blessé repartait, tous ses problèmes réglés, Joëlle ignorant que le dresseur avait attendu trois jours pour amener son ami. Trois jours avec la patte cassée sans que le maître ne s’inquiète… Mais faire exprès d’attendre avant de consulter, c’était une éventualité que la soignante ne pouvait même pas imaginer.
- On y est, claironna l’infirmière.
Pas tout à fait. La première porte menait à une sorte de salle de contrôle. D’ici, Joëlle pouvait aisément actionner les bras mécaniques ou faire tourner les scans tout en gardant un œil sur le pokémon dans la salle de soin juste en face.
L’infirmière vérifia que le verre de plusieurs centimètres d’épaisseurs n’était pas fissuré et que la deuxième porte était bien fermée. Elle ne voulait pas que Dracaufeu puisse entendre.
- Tu aurais dû me le montrer plus tôt au lieu d’essayer de soigner toi-même ses blessures, avoua la femme.
Serena s’était mise dans un coin de telle sorte que son pokémon ne pouvait la voir à travers la vitre.
- Je sais, dit-elle en appuyant sa tête contre le mur.
Tout comme elle savait que ce n’était pas elle qui avait pansé les plaies du pokémon, elle n’avait jamais eu l’occasion de le faire. Déjà quand elle était évanouie et même après, Adriane s’en était toujours occupée. Où et à quel moment y parvenait-elle, comment réussissait-elle seulement à le toucher… En tous cas c’était grâce à elle que les blessures de Dracaufeu n’avaient pas empiré et Serena devrait la remercier pour cela. Un de ces jours, pensa-t-elle vaguement.
- En plus la douleur devait lui couper l’appétit, même si je sais que ce n’est pas forcément simple à remarquer chez les dracaufeus… A l’avenir tu ne dois pas hésiter à demander conseil.
La douleur ? C’était juste à cause de la douleur… Alors maintenant qu’il n’a plus mal il va remanger. Est-ce que ça pourrait aller plus vite ? Est-ce qu’elle a quelque chose pour qu’il aille mieux plus vite ?
- Je te donnerai quelques compléments alimentaires, dit Joëlle en devinant la question de la dresseuse. Ce n’est franchement pas la meilleure chose du monde, mais il y a suffisamment de goûts différents pour que tu trouves celui qui conviendra.
Serena hocha docilement la tête, buvant les paroles de la soignante.
- Quant aux plaies au niveau de ses bras… Il a combattu d’autres pokémons récemment ?
- Je ne sais pas, avoua Serena.
La dresseuse plissa les yeux. Dracaufeu de l’autre côté avait depuis longtemps remarqué l’infirmière. Il s’était approché de la vitre, sa queue frappait le sol pendant que sa tête se mouvait, cherchant à débusquer le moindre angle mort. Il cherchait. Le dragon cherchait quelqu’un.
- Il aime se battre, dit finalement la jeune fille.
Joëlle fit signe au monstre de retourner s’assoir et d’attendre. Mais celui-ci ne semblait pas décidé à obéir, de la fumée lui sortait des narines alors qu’il s’agaçait de ne pas trouver.
- Il doit se ménager, grinça la soignante.
Leveinard, qu’elle avait laissé avec le dragon pour veiller à ce que rien ne soit endommagé, attrapa le bras du pokémon et lui fit signe qu’il devait retourner s’assoir sur la table d’auscultation. Le dracaufeu jeta un dernier regard à travers la vitre avant de se résoudre à faire ce qu’on lui disait.
- Je lui ai déjà expliqué. Mais Serena, ce sera à toi de veiller à ce qu’il applique mes conseils.
Sacha continuait de se demander si Serena était vraiment venue. Il regrettait de ne pas pouvoir se contrôler, mais les sensations qui diffusaient dans ses ailes étaient trop intenables. A peine la soignante esquissait-elle un mouvement de doigt sur la fine membrane qu’il avait juste envie de fuir à l’autre bout de la pièce. Et il avait fallu que Joëlle se dise que ce serait une bonne idée de demander de l’aide à la dresseuse.
"Ne raye pas la table, on vient tout juste de la remplacer," prévint Leveinard.
Le métamorphosé baissa la tête. Ses griffes avaient déjà laissé de profonds sillons dans le métal froid. Il les retira vite, arrachant au passage quelques éclats argentés. Il tourna la tête vers le pokémon aux allures d’œufs roses qui s’attelait à ranger le plan de travail.
"Trop tard ?" demanda l’assistant.
Sacha avait toujours vu les leveinards comme des aides qui suivaient docilement l’infirmière et disaient « oui » à tout ce qu’elle leur demandait. Un pokémon qui ressemblait plus à une prolongation de la soignante qu’à une vraie entité indépendante.
"J’aurai des problèmes si c’est le cas ?" questionna l’ancien humain.
Le pokémon prit une des seringues usagées, visa, tira, l’aiguille tournoya dans les airs un moment pour finalement échouer dans la poubelle. « Panier ! » crut entendre Sacha avant que Leveinard ne se tourne vers lui.
"Ne le répète pas à Joëlle et en échange je me tairai pour la table."
L’infirmière avait-elle seulement besoin que son pokémon lui dise pour remarquer les rayures ? Possible… Elle n’avait rien compris quand il l’avait suppliée de ne pas faire venir Serena, alors peut-être que là aussi elle ne verrait rien.
"Tu voudrais bien lui dire… Je n’ai pas envie que Serena vienne," murmura Sacha.
"Tu ne préfères pas que j’explique à ta dresseuse tout ce que tu m’as dit ?"
Sacha baissa la tête, contempla ses bras bandés. Ce n’était plus utile de les garder, les machines du centre avaient fait des miracles. Sous les ondes bienfaisantes, il avait vu ses plaies se refermer et se recouvrir de jeunes écailles. D’ici quelques jours, elles auraient durci, ne laissant plus rien deviner de ses anciennes blessures. Guéri. Serena serait-elle heureuse ? Voir son pokémon comme neuf, sans la moindre cicatrice, en parfaite santé, tous les problèmes réglés.
"Ce n’est pas une bonne idée," remarqua calmement Leveinard.
Sacha gela son mouvement, se rendant compte que ses crocs s’étaient à nouveau approchés de ses bras. Il releva la tête, fixa ce pokémon à qui il s’était confié. Lui qui ne pourrait rien changer, qui ne ferait qu’écouter sans rien faire, le dernier à qui Sacha devrait parler.
"Je sais."
"Alors pourquoi tu continues ?"
Parce que c’était aberrant, parce que ça n’avait pas de sens, parce que… La lèvre inférieure du métamorphosé trembla. Si les larmes refusaient de se montrer, alors la voix les remplacerait, coulerait hors de cette gorge qui le piquait. Drainer la douleur, drainer ce magma durci qui s’abcédait dans son ventre.
"Parce que le seul qui peut… qui veut m’écouter c’est toi. Toi, seulement toi, alors que c’est elle qui…"
Le clic de la poignée qui tournait arrêta net le dragon de feu. Il ne prononça pas un mot, pas même un grognement quand l’infirmière avec sa tenue qui mimait grossièrement un leveinard s’avança vers lui. Et bien sûr, juste derrière, qui y avait-il ? Oui, en plein dans le mille !
Sacha serra si fort sa mâchoire qu’il crut sentir ses dents s’enfoncer dans ses gencives. Pourquoi avait-elle accepté ? Surtout si c’était pour afficher cette mine effrayée.
- Tu m’excuseras Dracaufeu, mais je dois vraiment vérifier tes ailes, expliqua la femme de son air le plus sérieux possible.
Joëlle approchait et Sacha espérait maintenant que Leveinard lui vienne en aide. Mais le pokémon œuf avait repris son rôle habituel, prêt à plaquer au sol le dragon si sa maîtresse lui en donnait l’ordre. L’infirmière effleura la membrane verte, mais les fines écailles qui couvraient les ailes vibrèrent et le membre se retira.
- Serena, je ne vais pas pouvoir me passer de ton aide.
Les plaies et les hématomes avaient disparu. Ils s’entendaient bien quand il était Salamèche, il ne la détestait pas quand il était Reptincel et maintenant… il l’avait rattrapé quand elle avait failli tomber. Si elle trouvait les bons mots, si elle faisait ce qu’il attendait d’elle, peut-être redeviendraient-ils une équipe ou du moins s’en approcheraient. Elle osa tendre sa main. Sacha lui avait enseigné qu’un « bon dresseur » était capable de se sacrifier pour ses pokémons et… peut-être que le monstre l’estimerait au moins pour cela.
- Tu pourras à nouveau te battre autant que tu veux, promit la coordinatrice.
L’imposteur s’écarta. Les grondements ronflaient dans sa gorge, ses écailles orange s’échauffaient. Il avait promis une nouvelle chance à Serena et Serena lui avait promis de se racheter. Alors il attendait, il se préparait à cracher ses flammes vers le ciel et à éviter d’approcher de trop près toute matière inflammable pendant quelques heures lorsqu’elle s’excuserait pour l’avoir autant inquiété. Ensuite, il lui ferait la tête quelques jours, histoire d’être sûr qu’elle comprenne le message et enfin… Enfin il verrait ça le moment venu, pour l’instant qu’elle arrête de le regarder comme si elle était à nouveau prête à se jeter dans les mâchoires de Sharpedo !
Serena recula d’un pas, puis de deux. Elle l’avait senti, ce point d’équilibre, celui qui faisait que le pokémon ne déchainait pas sa rage. Si fragile, si instable, si elle approchait à nouveau sa main…
- Serena ? appela à nouveau l’infirmière.
La dresseuse fut bien incapable de répondre à Joëlle. Elle ne pouvait que regarder pendant que la femme faisait de son mieux pour marchander, expliquer, amadouer le reptile qui s’obstinait à ne pas dévoiler l’intérieur de ses ailes.
- Il n’y aurait pas une autre solution ? demanda finalement la dresseuse.
Serena baissa la tête en sentant le regard lourd de reproches de la soignante. Agacée, Joëlle leva les mains en l’air tout en ronchonnant :
- Déjà qu’un dracaufeu qui a l’habitude que son dresseur lui touche les ailes est compliqué à ausculter...
Sacha grogna. L’intérieur de ses ailes, il avait vraiment l’impression que c’était quelque chose… Fragile ? Intime ? Quoiqu’il en soit, un endroit qu’il ne voyait pas devenir habitué au toucher de Serena.
- Dracaufeu, je te pose la question donc réponds franchement : est-ce que tu arrives à voler sans difficulté ? demanda Joëlle.
- Dra, acquiesça-t-il sans hésiter.
L’infirmière soupira, ce serait à contrecœur et à regret, mais des fois ça ne voulait pas et il fallait l’accepter… Ou contentionner ? Euh… non, accepter, mieux valait rester sur accepter.
- On a qu’à dire que le scan suffi… Mais seulement à une condition.
Pendant que l’infirmière marquait une pause pour ménager son effet, Leveinard se dirigeait nonchalamment vers la dresseuse. Enfin pas exactement vers la dresseuse, mais plutôt vers le tiroir juste derrière où elle pourrait ranger son plateau d’instruments. Joëlle parla, le corps de Leveinard brilla. Serena cligna plusieurs fois des yeux, aussi bien surprise par la proposition de l’infirmière que par le fait qu’elle trouvait son épaule moins lourde que d’habitude.
Un Vibra Soin discret qui bien qu’incapable de guérir la blessure pouvait au moins la rendre, pour quelques heures, plus supportable. Un geste qui ne durerait pas, une simple solution palliative qui ne règlerait rien. Mais pour Sacha, le seul à avoir remarqué le tour du pokémon, juste savoir qu’elle irait un peu mieux, même si ce n’était que temporaire…
"Merci," souffla-t-il.
***
Assis en tailleur, Sacha attendait près de la porte en bois. L’atmosphère du soir était si paisible, légèrement humide mais chaude. Le métamorphosé inspira à fond pour en profiter. Une douce odeur parmi toutes les flagrances environnantes retenait particulièrement son attention. Légère et sucrée, c’était ainsi qu’il pouvait la définir, elle lui réchauffait le cœur et apaisait ses pensées.
Il s’immobilisa. Sacha connaissait bien cette odeur, depuis le commencement de son voyage dans la région de Kalos. Serena… Le faux-pokémon avait désormais un nez si sensible qu’il pouvait parfaitement la distinguer sans même avoir besoin de se concentrer.
Le métamorphosé ferma sa gueule et boucha ses narines, même ainsi il n’arrivait pas à s’isoler complètement du parfum. En fait, juste avec les informations olfactives, Sacha se sentait capable de dessiner la forme de son amie et de deviner ses mouvements. Je ne vais pas bien, il faut que je me calme et… Il entendait sa voix. Est-ce que finalement il devait la rejoindre ?
"Non ! C’est mal !"
Il voulut se concentrer sur autre chose, mais rien n’y faisait. Toujours la même idée qui lui revenait, toujours la même envie, pourtant ce n’était pas son genre. Seulement là, c’était vraiment insupportable, à croire que Pierre avait pris possession de son corps et de ses pensées. N’y tenant plus, il se retourna et tomba sur le visage menaçant de Roussil. Sacha revint rapidement à sa position de départ.
"Alors comme ça on n’est pas intéressé ?" se moqua la renarde.
L’ancien humain baissa la tête, ses ailes recouvraient son visage pour masquer sa honte. Tout ça à cause de Joëlle… Elle s’était faite un plaisir de vanter les mérites des sources chaudes derrière son centre que même les pokémons feu appréciaient et avait encouragé Serena à en faire profiter ses amis.
Sacha grogna sur sa propre bêtise d’avoir accepté. Il aurait dû s’en douter pourtant que le bain n’était pas réservé qu’aux pokémons. Et bien sûr, à aucun moment, il ne s’était dit que l’habituelle séparation garçon/fille ne s’appliquerait pas pour lui, le faux-pokémon.
Serena avait beaucoup insisté et Sacha avait eu toutes les peines du monde à la convaincre d’aller se baigner avec ses autres pokémons sans lui. Il avait refusé… et elle avait encore eu ce regard effrayé.
"Merci de l’avoir protégée, dit soudain la renarde. Si tu n’avais pas été là…"
"Je n’allais pas la laisser tomber," marmonna-t-il.
Mais j’aurais pu, j’ai même failli… se rappela avec horreur le métamorphosé. L’humidité chaude de cet endroit lui semblait étouffante tout d’un coup. Et Arthur qui est toujours dans la nature. Si jamais on le recroisait… Sacha crut sentir son sang exploser dans son crâne. Il avait oublié ! Comment avait-il pu oublier quelque chose de si important !?
"Elle connaissait Arthur !" hurla-t-il terrifié.
Le pelage de la renarde s’était hérissé de surprise. Elle secoua la tête, s’empressant de corriger :
"Arthur la connaissait. Ce n’est pas pareil."
"Tu sais quelque chose ?" demanda le faux pokémon.
"Rien de plus que toi. Arthur a prétendu la connaitre et Serena a dit qu’il se trompait."
Sacha serra son poing. Il s’était trompé au point d’essayer de lui arracher le bras et de la jeter dans le volcan ? Comme s’il pouvait croire que ce n’était qu’une erreur, comme s’il pouvait encore la croire…
"Si Serena mentait…" souffla-t-il.
L’oreille de Roussil tressauta alors qu’elle répondait indignée :
"Pourquoi elle ferait ça ? Et de toute façon comment pourrait-elle le connaître ?"
"C’est ce que j’essaye de comprendre ! Peut-être que c’était avant qu’elle ne devienne dresseuse, ce serait pour ça que ni toi ni moi…"
"Tu ne veux pas juste lui faire confiance quand elle dit qu’elle ne le connait pas ?"
La flamme caudale du dragon flamba, s’éleva en léchant le dos du reptile.
"J’ai déjà vu ce que ça donnait !"
Roussil attendit que les flammes retombent. Il ne ressemblait plus au Sacha qui croyait en ses amis quoiqu’il arrive. De toute façon avec son corps de reptile, il n’y avait plus grand-chose qui ressemblait à l’humain qu’il était.
"Serena en a parlé à Adriane ?" demanda Sacha une fois calmé.
La renarde retint un grondement. Même s’il n’était pas beaucoup là ces derniers temps, il avait bien dû se rendre compte que ce n’était pas la franche camaraderie entre la championne et la coordinatrice.
"Je ne vois pas pourquoi elle devrait être au courant," rétorqua sèchement Roussil.
La queue du métamorphosé claqua contre le sol. Que Roussil le veuille ou non, Adriane était une championne, quelqu’un qui pourrait faire quelque chose si on lui expliquait. Et si Serena n’était pas décidée à le faire, il s’en chargerait lui-même.
"Si Arthur la connait, il cherchera à nouveau à lui faire du mal. C’est pour ça qu’on doit demander de l’aide à Adriane."
"Tu voudrais qu’on reste ici ? Honnêtement, je pense que même recroiser cet Arthur serait moins pire que…"
Elle s’arrêta, se rendant compte de l’horreur qu’elle s’apprêtait à dire. Elle aurait compris que Sacha ne lui pardonne jamais si elle avait continué.
"Il vaudrait mieux qu’on parte et qu’on veille à ce que Serena ne revoit jamais cet homme," exposa-t-elle finalement.
L’ancien humain sentit ses écailles frémir de mécontentement. Si seulement Adriane se comportait mieux avec Serena et si elle n’avait pas… Il ravala ses flammes de colère, se souvint, de quand il était dresseur, de la première fois qu’il avait rencontré la championne. Cette image, il devait conserver cette image.
"Adriane n’est pas quelqu’un de mauvais. Je la connais et… Elle veillera à ce que Serena soit en sécurité."
Pendant une seconde, il crut avoir convaincu le pokémon de Kalos, mais Roussil reprit vite de l’aplomb pour répondre :
"J’ai du mal à croire qu’on parle de la même personne."
Sacha expira bruyamment. Il voulait encore s’accrocher à la championne qui lui avait offert son badge, qui aurait pu devenir une amie pour la coordinatrice si les circonstances avaient été différentes... Elle lui a brûlé l'épaule.
"Je sais que je n’ai rien pu faire pour l’aider à ce moment, reprit la renarde, mais au moins j’aimerais lui permettre de poursuivre son rêve."
Sacha baissa la tête. Rester ou partir, il avait la sensation que de toute façon les deux feraient du mal à Serena. Si elle ne se mettait pas en danger aussi, on n’aurait pas à s’en faire.
"Ce n’est pas facile d’être son pokémon," soupira-t-il exaspéré.
Il remarqua un sourire amusé se dessiner sur les lèvres de la renarde.
"Quoi ?" questionna-t-il ne comprenant pas la raison de son expression.
"Tu es vraiment idiot Sacha."
Roussil continuait de taquiner le faux-pokémon. Sa dresseuse était toujours trop gentille quand il s’agissait de Sacha, qu’il soit humain ou pokémon. Elle le défendait, n’aimait pas qu’on dise du mal de lui et même la renarde, son premier pokémon, ne pouvait librement se moquer du métamorphosé quand elle était dans les parages. Donc ce soir, elle avait bien l’intention d’en profiter.
Son jeu devait cependant vite être interrompu. Déjà par le fait qu’elle n’était plus le centre d’attention du gros reptile, mais aussi à cause de cette femme aux cheveux rouges qui s’approchait d’eux entourée de son équipe de pokémons feu.
Deux hautes palissades de chaque côté, semblables à des falaises, étriquaient et resserraient le passage. Roussil se tenait au centre, son pelage gonflé, cherchant à définitivement boucher ce détroit. Aucun moyen de contourner, on ne pouvait que reculer ou avancer.
Volcaropod fut le premier à se présenter, un sourire benêt sur son visage liquide, l’ambassadeur demanda aimablement qu’on les laisse passer. Grognement de la renarde, les flammes s’échappèrent des fissures de la carapace. Le gastéropode haussa le ton, réitéra sa demande, arguant que ces sources appartenaient à tous et que nul n’avait le droit de se les approprier.
"Après. Vous irez après. Pour l’instant, laissez ma dresseuse se reposer. Ce serait bien la moindre des choses."
Le gastéropode savait parfaitement à quoi elle faisait allusion. Il savait aussi que sans son intervention, la dresseuse ne serait peut-être pas en train de se détendre en ce moment. La lave vivante se considérait dans son droit, d’autant plus qu’elle avait passé sa journée et les précédentes à aider dans les réparations de la ville et que maintenant elle méritait sa récompense.
Volcaropod prit alors en considération les forces en présence. Six combattants de leur côté, deux de l’autre. Et encore, l’un d’eux semblait hésiter à prendre parti, peut-être même était-il prêt à trahir. Fort de sa supériorité, le pokémon s’engagea dans le défilé et le regretta dans la seconde qui suivit. Il baissa juste à temps la tête pour éviter les griffes lumineuses et les entendit crisser contre sa fine carapace. Il recula, des flammes vivaces jaillissaient des nouvelles fissures.
"Vous n’avez qu’à revenir plus tard."
Mais c’était sa ville et il ne se laisserait pas marcher sur son seul pied par des pokémons même pas nés sur le sol d’Hoenn. Sa cause fut bien vite rejointe par Démolosse qui monta en première ligne à ses côtés. Quant à Chartor et Camérupt juste derrière eux, malgré le calme apparent de leur visage, la fumée qui sifflait hors de leurs corps trahissait leur hostilité.
Une cause juste, la défense de valeurs, pas de quoi motiver Maganon à se battre contre une boule de poils. En revanche, tester sa force contre le gros reptile de feu, cela l’intéressait.
Deux-mille degrés, les enchères pouvaient même monter à dix-milles si on laissait ces pokémons se défouler. Braségali savait que s’ils voulaient épargner le champ de bataille, qui était quand même les agréables sources chaudes, seul l’abandon était permis. Mais pas sûr que ses camarades y seraient très enclins, même sur l’ordre de leur commandante en chef.
A compter qu’Adriane décide de les arrêter. Elle pouvait tout aussi bien juger que ce serait une bonne occasion pour ses troupes d’évacuer la frustration qu’ils contenaient jusque-là. Pas sûr que ce soit une manière très louable ou que l’infirmière serait ravie de voir la fierté de son centre à nouveau endommagée. Complètement réduite en cendre si on décidait de ne pas minimiser les choses.
Braségali sentait ses propres poignets s’échauffer. Elle aussi finalement avait peut-être de la rage et de la frustration à faire sortir. Le gallinacé sentait les puissants muscles qui tenaient ses jambes se contracter. Ils n’étaient pas intervenus lors de l’attaque de la Team Aqua sur les ordres de Moore. Le vieil homme avait pensé bien faire en préservant du danger les pokémons que sa petite fille lui avait confié. C’était un acte prudent, réfléchi et sage qui ne convenait cependant pas à l’équipe de la championne. Elle leur avait confié la ville pendant son absence, prête à négliger sa propre sécurité en n’emmenant que le gastéropode. Et voilà qu’à son retour, elle découvrait que les gardiens en qui elle avait tant confiance étaient restés cachés dans la maison du grand-père.
Braségali regrettait d’avoir écouté le vieil homme, elle s’en voulait encore plus de s’être laissée convaincre. Elle voulait revenir en arrière et se battre, protéger, se montrer digne de son rôle. Les flammes sortaient de ses poignets, ses envies résonnant avec celles de ses camarades. Ce pokémon de Kalos n’avait rien fait de grave, rien qui mérite la correction qu’ils s’apprêtaient à lui infliger. Mais elle était une idée, le souvenir de ceux qui se prenaient pour les rois dans une ville qui n’était pas la leur, un comportement que cette fois ils ne manqueraient pas de punir.
- Ça suffit, intervint la championne.
Le magma qui bouillait dans les veines fut obligé de refroidir. Les pokémons se tournèrent vers leur chef, questionnant sa volonté.
- Je n’ai pas envie de me prendre la tête ce soir, expliqua-t-elle simplement.
Les pokémons hésitèrent encore, lorgnant sur l’entrée des sources chaudes. Adriane les appela une nouvelle fois sans se soucier de leur mine contrariée. La renarde souriait à belle dents, son nez relevé avec prétention. Pas besoin de mots, la lueur dans son regard suffisait à comprendre qu’elle se moquait d’eux.
- Roussil, ne nous provoque pas, prévint tout de même la championne.
- Rouuu, s’excusa le pokémon d’une voix mielleuse.
Son jeu d’acteur ne convainquit personne et Sacha, qui miraculeusement s’était aussi rendu compte de l’ironie de la renarde, craignait que cette ultime défiance embraserait tous les pokémons présents.
- C’est tout ce que vaut le dressage de Serena ?
Roussil se renfrogna à cette remarque, exactement comme Adriane l’espérait. La championne n’en était pas fière, mais ses pokémons semblaient heureux que la renarde ait été remise à sa place. Tant mieux si cela suffisait à apaiser leurs âmes brûlantes et éviter qu’ils ne blessent le pokémon de Kalos. Mais la dresseuse n’était pas tout à fait prête à partir alors qu’elle observait le dragon essayant de temporiser la colère de Roussil.
- Tu ne veux toujours pas te joindre à moi ?
Les yeux du pokémons s’assombrirent. Il baissa la tête et ses ailes s’affaissèrent. Ses écailles étaient trop pâles, son corps trop maigre, sa flamme trop terne. Trop tard.
Trop tard pour qu’Adriane évite le Lance-Flammes. Il effleura sa joue, donnant une teinte caramel à l’épiderme. Elle toucha la brûlure du bout des doigts avant de regarder celle qui l’avait attaquée. Son bâton à la main, une flamme naissante à son bout, la prochaine attaque de Roussil serait une Déflagration si la femme osait l’interrompre.
"Il a fait des efforts pour rester et même si ça lui fait mal… Alors ne te moques pas de lui ! Ne parle pas comme si c’était inutile, comme s’il devait forcément la laisser ! Et même si c’était la seule chose à faire, au moins… A chaque fois que je t’entends, c’est comme si tu te fichais d’eux, comme si… Toi. Il ne s’agit que de toi quand tu parles et…"
Il y eut un horrible bruit, de la fumée et le visage terrifié de Roussil alors que la main d’Adriane s’était refermée sur le bout du bâton, éteignant les flammes.
- Les dracaufeus aiment la force, c’est pour ça qu’ils suivent les dresseurs les plus forts et abandonnent les faibles.
Elle tira sur la branche, déséquilibra Roussil qui s’écroula sur le ventre.
- Mais ça c’est juste un prétexte. Le prétexte qui m’aurait arrangé mais…
Elle s’arrêta, les petites artères qui maillaient sa sclère se dilataient, imprégnant le blanc de leur rouge brumeux.
- Dis Dracaufeu… Qu’est-ce que ça te fait quand Serena te regarde ?
Le visage du faux pokémon s’écrasa contre la cornée, percuta le cristallin, se noya dans l’humeur, s’inversa sur la rétine. Mais malgré tous ces obstacles, Adriane l’aperçut. Elle interpréta aussi, combla les cases noires, aussi fausse puisse être cette image, Adriane voyait.
- Tu hais la façon dont elle te regarde. Tu as beau appeler à l’aide, pleurer, souffrir, elle continue de voir ce qu’elle veut et ignore le reste. Vraiment… A croire qu’elle te déteste. Si cruelle...
Les pupilles du monstre se rétrécirent alors qu’il portait la main au centre de sa poitrine et y plantait ses griffes.
- Le plus simple est de partir Dracaufeu. Ça finira comme ça. Peu importe combien de temps tu essayes de tenir, un jour tu te réveilles en pensant que ça ne sert plus à rien, que tout ce temps à hésiter n’a servi à rien. Et pourtant…
Adriane tirait délicatement sur les doigts du monstre, retirant une à une les griffes enfoncées dans la chair.
- Pourquoi je crois que tu pourrais rester ? Pourquoi je prie pour que Serena puisse enfin te voir ? Pourquoi… Pourquoi maintenant, je voudrais que ce que je te propose soit la pire des solutions alors que… C’est la meilleure… Cette foutue solution est la meilleure chose à faire, tu y crois toi ?
Roussil s’était relevée. Sacha regardait sa main posée dans la paume brûlée de la championne.
- Oh bon sang, moi qui voulais passer une soirée tranquille…
Adriane voulait passer. Roussil était-elle d’accord ? En tous cas elle ne fit rien quand les pokémons de la femme lui passèrent devant. Elle ne grogna même pas lorsque la championne conquit les portes chaudes. Sacha l’entendit, les derniers mots d’Adriane, la clameur de victoire qui n’était qu’un murmure :
- Je ne te promets rien.
***
Serena s’apaisait. Adossée contre une pierre, l’eau brumeuse relaxait ses sens pendant qu’elle passait ses doigts entre les poils pleins de mousse de Pandespiègle. Leur douceur était si agréable. La dresseuse leva la tête pour voir la colline au-delà de la palissade. Une nature sauvage où de temps en temps elle voyait des ombres se balancer entre les feuillages. Et si Arthur était là, caché au milieu des arbres ? Et si dans l’eau se terrait Sharpedo ? Les dents brillantes émergeraient, fondraient sur elle… Une douce aura se diffusa, se conjugua à l’eau tiède pour la calmer. Nymphali était là, allongée sur une des pierres du bassin, son ruban enroulé autour du poignet de sa dresseuse.
- Pan ! sursauta le petit monstre.
Un peu de mousse avait coulé sur ses yeux et il se les frottait vigoureusement pour faire partir les bulles qui gonflaient sur ses paupières.
- Ne bouge pas, je vais rincer ça.
Posipi restait étrangement calme à côté d’eux tout en agitant ses pieds dans l’eau. Seul, séparé de son frère, Serena aurait pensé qu’il insisterait pour que Négapi sorte de la capsule.
- Pandes ?
- On partira demain matin. Si on se dépêche on devrait réussir à atteindre Autéquia pile pour le concours.
- Piègle... gémit-il en regardant l'épaule de sa dresseuse.
- Ça ira, ne t'en fais pas. Et puis vous aussi, refaire des concours vous fera du bien.
- Pandespan.
- Je sais que toi tu peux attendre, mais je ne suis pas sûre que Dracaufeu... Il a beaucoup d'énergie à dépenser tu sais.
Posipi dressa soudain les oreilles et se leva, dévisageant la nouvelle arrivante. Serena aussi la remarqua et écarquilla grand les yeux. Que faisait-elle ici ? Enfin ce bain était public mais…
- Pi, entendit-elle grogner.
- Pas d'attaques électriques ! paniqua Serena en plaquant ses mains sur les joues du monstre.
Quoiqu'une petite électrocution lui ferait une bonne excuse pour quitter le bain. D'ailleurs, qu’est-ce qui l’obligeait à rester ? Autant s'en aller tout de suite. Mais Adriane pourrait mal le prendre… Elle comprendrait bien qu’une kalosienne n’était pas aussi habituée que les gens d’Hoenn à partager son bain.
Pendant que Serena réfléchissait à une bonne excuse, Adriane se glissa dans l'eau, soufflant de soulagement en sentant la douce chaleur. Ses autres pokémons se joignirent à elle, certains restant sur les bords, d’autres plongeant sans se retenir, oubliant que l’élément était leur ennemi naturel.
Les trois pokémons de Serena s’écartèrent vite du bassin, les sources chaudes s’étaient transformées en véritable bain marie avec tous ces nouveaux arrivants. La coordinatrice aussi n’en pouvait plus, sa peau rougissait et de toute façon elle n’avait pas à se torturer ainsi, Adriane devait attendre qu’elle parte.
- Tu as réfléchi à ma proposition ?
Serena se figea, oubliant le bain d’enfer dans lequel elle cuisait. Dire qu'elle n'y avait pas pensé serait un mensonge, mais… Elle se tourna en entendant le cri de Pandespiègle. La tortue de feu crachait sa fumée au visage du petit monstre qui ne cachait pas son mécontentement.
- Pandespiègle ! Du calme ! paniqua la jeune fille.
Ses cris n’eurent pas grand effet alors que d’un simple regard, Adriane intima à Chartor de ne pas plus embêter le pokémon combat. D’un pas lent, la tortue se recula et revint plonger dans l’eau, faisant encore plus monter la température.
- Mon arène est par là, dit-elle en faisant un signe du menton. Elle est en si mauvais état à cause de ces hommes… Je me demande si ça lui a rappelé de mauvais souvenirs.
Les élucubrations d’Adriane… c’était aussi intéressant que lorsqu’elle lui demandait de lui passer le poivre ou le sel à table. Bien qu’on n’ait pas souvent mangé ensemble, se souvint Serena. La championne leur disait toujours de ne pas les attendre et qu’elle avait beaucoup à faire… alors pourquoi refusait-elle son aide à chaque fois ? Pour la ménager ou bien parce qu’elle ne voulait pas s’encombrer d’une infirme ?
Serena se souvint soudain du pansement blanc toujours collé à son épaule. Si l’eau l’avait décollé, si en ce moment Adriane pouvait contempler la plaie répugnante… Mais la jeune fille n’avait pas à s’inquiéter, non seulement le pansement était toujours en place mais en plus sa main droite était déjà machinalement venue le recouvrir.
- C’est mon grand-père qui l’a sauvé à l’époque. Ce vieux temple dont l’intérieur pourrissait, il a réparé ses fenêtres, a lavé ses murs, a restauré ses boiseries et sa cour d’entrée. C’est devenu son arène, notre maison. Oui, ça comptait énormément pour grand-père et c’est bien pour cela qu’il ne pouvait laisser n’importe qui succéder au poste de champion, c’est pour cela qu’il devait se montrer ferme.
- Tu dois être fier qu’il t’ait choisie alors, grinça Serena.
Braségali qui se prélassait jusque-là ouvrit un œil, n’appréciant pas le ton que venait d’employer la jeune humaine. Adriane ramena calmement sa jambe contre elle et posa sa joue contre son genou brulant.
- Tu n’écoutes pas, dit la femme sans une once d’énervement.
Le reflet d’Adriane se mêlait à celui de Serena, il l’oppressait, le noyait en lui. La jeune fille voulait juste se détendre dans les sources chaudes et même par respect, elle n’avait pas envie de participer au cours d’histoire de la championne.
- Tu n’as toujours pas demandé. Pour la brûlure à ton épaule.
Tous les muscles de Serena se figèrent, certains contractés à l’extrêmes pendant que les autres se tendaient pour éviter que les os ne cassent sous la pression.
- Ce n’est pas important, articula difficilement la kalosienne.
- Vraiment ? Alors pourquoi l’as-tu cachée à Joëlle à chaque fois qu’elle venait ? Même en ce moment, voir comment tu agrippes ton épaule suffit à comprendre.
- Qu’est-ce que ça peut faire…
Serena releva soudain la tête, croyant comprendre ce qu’Adriane avait en tête :
- Je ne chercherai pas à me venger d’Arthur, donc ça ne sert à rien…
- Sharpedo t’a mordue, c’est vrai. Mais cette brûlure, tu crois vraiment que c’est ce pokémon qui te l’a faite ?
Adriane cessa de parler, amusée d’enfin voir un peu de colère chez la kalosienne. Beaucoup de colère en fait, mais Serena avait un certain talent pour la contenir.
- Oh ! Tu n’hésites même pas avec Dracaufeu ?
S’en était trop. Serena lâcha sa plaie, ses mains plongèrent dans l’eau bouillante, ses jambes se tendirent et… Elle s’arrêta puis rebascula vers l’arrière tout en se recroquevillant sur elle-même.
Leurs reflets s’étaient séparés. Adriane trempait son doigt dans l’eau et observait les ondes qui se propageaient autour.
- Tu le savais alors pourquoi ne pas t’être exprimée plus tôt ? Tu avais peur de te disputer, que je t’en voudrais si tu m’accusais ? Ou bien tu pensais que je n’en valais pas la peine et qu’il était plus simple de partir.
Adriane sortit de l’eau, s’assit sur les pierres aussi brulantes que le reste pendant que ses pieds continuaient de tremper. Elle dominait Serena, les reflets se superposaient.
- Je t’ai abandonné là-haut, j’ai brûlé ton épaule et maintenant je menace de te prendre ton Dracaufeu. Pourtant cette situation, la raison pour laquelle il te fuit… Tu en es la seule responsable.
- Qu’est-ce que tu en sais ! hurla Serena.
Elle s’était levée, les poings serrés, l’air frais mordant sa peau brûlante.
- Je sais ce qu’il pense, je vois bien ce qu’il pense mais… Je n’abandonnerai pas !
- Eh bien, eh bien, il est chanceux d'avoir une dresseuse qui le comprend si bien, ironisa Adriane.
Serena releva la tête, croisant pour la première fois depuis le début de cette discussion le regard d’Adriane.
- Ça me va Serena. Que tu considères que je ne sais rien de lui, que tu penses l’avoir compris mais… Est-ce que tu peux faire quelque chose pour ton pokémon?
Serena ferma les yeux et s’en alla prendre sa serviette. Elle s’enveloppa dedans et sans se retourner souffla :
- Les coordinateurs ne sont pas faibles.
- Il suffirait d’un combat pour en décider non ? défia Adriane.
Les mains de Serena se crispèrent sur le tissu. La championne rayonnante dans son arène, la petite coordinatrice se faisant écraser et le dragon de feu qui choisissait sa dresseuse, la meilleure dresseuse.
- On ne peut pas perdre plus de temps. Le concours d’Autéquia est pour bientôt.
- Cette compétition compte tant que ça pour toi ?
Cette fois Serena se retourna pour soutenir le regard de la championne. Sa réponse ne faisait aucun doute.
- Serena, Serena, Serena, se désespéra Adriane.
Elle tendit sa main devant elle, plia son pouce et son auriculaire pendant que les trois doigts au milieu restaient bien levés.
- Trois questions. Je t’accorde trois questions pour comprendre. Je ne tenterai rien d’ici à ce que tu les aies toutes posées. Mais une fois fait, s’il devient évident que tu es incapable de t’occuper de Dracaufeu, je mettrai tout en œuvre pour qu’il se joigne à moi.
La peau de Serena lui faisait mal et pelait même à certains endroits. Mais la jeune fille ne pensait qu’à cette étrange proposition. Des questions ? Un répit ? Une chance de garder Dracaufeu… Serena ramena sa main contre sa poitrine. Elle avait déjà une question, des mots qui tournaient dans sa tête depuis qu’elle s’était réveillée, peut-être même avant.
- C’est parce que tu crois que je suis une mauvaise dresseuse ? C’est pour ça que tu tiens tant à me le prendre ?
Adriane soupira de dépit tout en enlevant les cheveux qui tombaient sur ses yeux.
- Tu ne fais vraiment pas attention à ce qu’on te dit… Non Serena, tu n’es pas une mauvaise dresseuse. Je pourrais même dire que tu es une bonne dresseuse. Oui, tu l’es pour Roussil, Pandespiègle, Nymphali, Posipi et Négapi. Mais Dracaufeu... Tu es une bonne dresseuse, mais je ne suis pas sûre que tu le sois pour lui. Non, ce n’est même pas ça, si je devais vraiment être exact je dirais que… Tu n'es pas la dresseuse qu'il lui faut.
- Je n'ai pas pu le lui prouver, pas encore. Mais je suis sûre qu'à force d'efforts il finira par comprendre.
- Oh ! C'est pour ça que tu tenais tant à m'aider à réparer le toit du centre ? Avec ton bras…
- Je peux le bouger !
- Et te le fracturer. C'est toujours possible tu sais.
Serena ne dit rien de plus, elle n’avait pas envie d'en dire plus. Elle ferait comme d’habitude, elle se tairait et écouterait son ainée. Elle pouvait encore le supporter en sachant que demain tout serait fini.
- En fait Serena, tu as réfléchi à comment ne pas te perdre dans le désert qui nous sépare d’Autéquia ?
- Avec mon navi-map je devrais pouvoir...
La championne s’esclaffa.
- Tu ne t’en sortiras jamais avec ça ! Surtout que le concours est pour bientôt si je ne m’abuse.
Serena le sentait venir. Les moqueries d’Adriane sur le fait qu’elle ne pourrait même pas participer à la compétition, qu’elle arriverait trop tard, qu’elle pouvait tout abandonner maintenant.
- Je t’accompagne.
La bouche de Serena s’ouvrit de stupeur, lui donnant une expression de ramoloss venant de se rendre compte qu’un kokiyas lui mordait la queue.
- Pourquoi !? s’écria-t-elle.
- On a un accord je te rappelle, répondit-elle naturellement.
Le bec de Maganon se tordit pour étouffer un rire en voyant la mine déconfite de la jeune dresseuse. Ce que sa maîtresse pouvait être joueuse ! En tous cas, après tout ce qu’il venait d’entendre, hors de question qu’il n’assiste pas à la suite.