Mechamon Iris

VIII - Jadielle

Chapitre 69 - Une autre route

Cinq jours se sont écoulés depuis le combat contre Giovanni.

Malgré le fait que Jadielle ait subi de lourds dégâts suite au débordement de la Team Rocket, aucune action n'a été entreprise par le gouvernement.

De même pour les journaux, qui n'ont toujours pas abordé le sujet. Probablement, car la Ligue leur a demandé de ne rien dire.

Pour moi, cela ne peut signifier qu'une seule chose. Ils sont au courant pour les plans des rebelles, et ont estimé qu'il serait plus sage de les laisser gérer la situation à Jadielle.

Quelque chose me dit que la bataille finale, au Plateau Indigo, ne sera pas de tout repos. Non pas que cela me concerne, désormais…

Des bruits de pas, derrière moi, effraie les ptitards qui se promenaient dans les herbes humides autour de la petite mare que je fixais jusqu'alors.

Me retournant, je constate que la personne que j'attendais est enfin arrivée.

"Pourquoi est-ce que vous-vous êtes retirés du plan de la Résistance ?" Me demande Ursula, arborant un air beaucoup moins amical que la dernière fois.

"Tu penses que je suis en état de me battre ?" Je rétorque, mettant en évidence mes nombreuses blessures.

Ses yeux parcourent mon corps, constatant que mon combat contre Giovanni m'a laissé dans un piteux état. Bras et côtes cassés, blessures par balles, hématomes… Plein de choses qui auraient pu être régénérées si je n'avais pas rendu à Ember sa forme d'origine, je suppose.

"Et qu'en est-il du Chevalier Dragon ? Jusqu'aux dernières nouvelles, elle n'est pas blessée."

C'est donc ça qui la dérange. Ursula pensait pouvoir de venger facilement de la Ligue pour le meurtre de sa sœur, que ce soit via Giovanni et son dieu mécanique, ou Ember et le Vyzard.

Cependant, non seulement j'ai annoncé notre retrait de la bataille mais, en plus, le vaisseau de la Team Rocket ne fonctionne plus depuis la mort de l'ancien don de la Team Rocket. Est-ce lié au fonctionnement de la Masterball ? Ou est-ce qu'Erika a également eu le temps de le saboter avant de nous rejoindre…? Je l'ignore.

"... Peu importe," soupire Ursula, se détendant de plus en plus en étirant ses bras. "Notre nouveau boss est un monstre, elle aussi. Et puis, les johtonnais ont leur propre gamine aux pouvoirs absurdes."

"...?"

"Bref. La Résistance ne manque pas de ressources. Par contre, tout le monde a tiré une tronche bizarre lorsque tu as annoncé votre retrait."

"Pas plus bizarre que lorsqu'ils ont su que la Team Rocket s'imposerait en tant qu'allié…" Je réponds en soufflant du nez.

"Tu rigoles ? La cheffe du clan Fuschia s'est levée de sa chaise tellement tu l'as choquée," ajoute-t-elle en rigolant.

Beaucoup de personnes se sont mises à compter sur nous après qu'on les ait aidés, au cours de notre voyage… Cela me gêne un peu de les abandonner de la sorte. Mais je ne regretterais pas mon choix.

"Au fait, comment est-ce que la Team Rocket se porte ? Avec votre nouveau leader…" Je demande, changeant de sujet en manquant de subtilité.

"Quoi ? Tu me demandes de te cracher des infos sur notre organisation ?" Ursula se tourne vers moi, me fixant d'un air abasourdi.

"Non. Je me demandais juste si…"

Un sourire se dessine sur les lèvres de mon interlocutrice, alors qu'elle me frappe sur l'épaule, se souciant peu de mon état de santé actuel.

"Je sais, t'inquiète. À vrai dire, je ne sais pas vraiment quoi en penser, personnellement…" commence-t-elle à expliquer. "Dans les rapports, Erika Kimono était une fille sans histoires. Naïve et pure, qui avait la mauvaise manie de suivre le danger lorsqu'il se présentait à elle."

J'acquiesce. Cette description était la bonne. Cependant, quelque chose a changé chez elle… Et j'ignore encore quand cela s'est produit.

"Mais la Erika Kimono qui a commencé à diriger la Team Rocket il y a quatre jours est une personne étrange. Voir carrément flippante. Elle se comporte comme une adolescente joyeuse, amusée par le monde de la pègre. Mais dès lors que quelqu'un lui tient tête, elle n'hésite pas un instant à faire preuve d'autant de cruauté que l'ancien boss."

"Je vois…"

"C'est vraiment bizarre. Une partie d'entre nous tremble de peur en la voyant, tandis que d'autres se sont déjà liés d'amitié avec elle. Elle m'a même demandé de devenir son assistante, juste parce qu'elle a aimé ma personnalité…"

Ursula semble vraiment dépassée par ces changements. Pour ma part, je comprends qu'Erika a probablement vu en elle une personne similaire à son amie, Chris.

"Bon, j'ai assez parlé pour aujourd'hui," dit-elle en baillant, s'étirant à nouveau. "Quand tout sera terminé, je compte sur toi pour venir chercher ta revanche."

"Encore une course mortelle…?" Je demande, prêt à refuser poliment son offre.

"Une course normale, sans morts," précise-t-elle, approchant son poing pour me frapper de nouveau l'épaule.

Cette fois-ci, je l'intercepte avec ma main dont le bras n'est pas couvert d'un plâtre. Enfin, je lui offre un sourire satisfait.

"Marché conclut."

"AAAAAAAAAAAH !!!"

Je me réveille en sursaut, touchant rapidement l'intégralité de mon corps afin de confirmer que je ne suis pas devenue un nez.

C.. C'est bon… Ce n'était qu'un cauchemar. Ou un rêve fiévreux. Dans tous les cas, c'était super bizarre ! Je savais que c'était une erreur de regarder tous ces films d'horreur johtonnais avec Morgane, l'autre soir !!

Une fois calmée, je remarque qu'une personne est assise à côté de mon lit, me fixant bouche bée. Il s'agit d'Erika.

"Ah. Salut," je lui dis, nonchalamment.

"B.. Bonjour…" me répond-elle, toujours surprise.

"Euh... Maintenant qu'on s'est dit bonjour, est-ce que je peux savoir pourquoi tu me fixes quand je dors ?"

Erika se détend un peu. Ou, du moins, elle fait des efforts pour avoir l'air plus calme tandis qu'elle se gratte la joue, nerveusement.

"C'est normal que des gens veillent sur toi lorsque tu dors pendant cinq jours…"

"Oh. Maintenant que tu le dis… COMMENT ÇA CINQ JOURS ?!!!"

Instinctivement, je pose mes mains sur ma tête, me rendant compte qu'un paterne semble se dessiner sous mes yeux.

Alors que mes souvenirs d'il y a cinq jours refont peu à peu surface, Erika en profite pour se pencher sur sa chaise, rapprochant son visage pour me regarder de plus près.

Soutenant son regard, je prends conscience d'une chose. Quelque chose a changé en elle. Et je ne dis pas ça juste parce qu'il y a un symbole super bizarre dans ses yeux.

"Tu es vraiment une personne étrange. Et je ne saurais même pas par où commencer si tu me demandais de te l'expliquer," dit-elle en souriant.

"J.. Je suis censée le prendre comment…?"

Ignorant ma question, Erika continue tout en attrapant une de mes mèches blanches entre ses doigts.

"Depuis que tu as pris cette forme, j'ai commencé à comprendre certaines choses. Par exemple, le fait que tu es la femme dont Azul m'a parlé, à Parmanie."

Mon cerveau parvient, sans aucun délai, à retrouver le souvenir précis dont elle fait référence. Une scène un peu très gênante que j'aurais préféré oublier.

"P.. Pa.. Parmanie…?! J.. Je me demande bien de quoi tu parles…!" Mon visage brûle de honte.

"Tu l'as vu, hein ? Le moment où il m'a rejeté," demande Erika d'un air étrangement amusé.

"J.. J'ai rien vu ! I.. Il pleuvait trop ce jour-là !!"

En réponse, un CLAC retentit derrière la porte de la chambre. Le bruit ressemble à celui d'une gifle. Ou celui d'une personne faisant une facepalm…

Cela fait rire Erika, qui interpelle alors la coupable, derrière la porte.

"Tu tombes bien. Rejoins-nous, Anzu."

Prise la main dans le sac, notre espionne ouvre la porte d'un air frustré, la marque de ses doigts encore visible sur son énorme front…

Pour ma part, je me contente de la fixer sans rien dire, mais pas sans la juger.

"J'ai longtemps hésité à venir te parler, de peur de manquer de discernement. Après tout, non seulement tu es une personne étrange mais, en plus, tu as tout ce que j'ai toujours voulu avoir," avoue Erika en revenant à notre conversation. "Cependant, la situation est un peu différente aujourd'hui."

Sur ces mots, la jeune fille lève sa main gauche, mettant en évidence une bague noire ornée d'une pierre verdoyante.

"C'est…!" S'écrie Anzu en fixant la bague.

"Une alliance !! T.. Tu t'es fiancée avec un type riche pour rendre Azul jaloux ?!!" Je demande en hurlant à moitié, beaucoup trop outrée par la décadence d'Erika.

Mais, à ma grande surprise, c'est moi qui finis par devenir la cible des regards critiques des deux autres filles.

"... Non. C'est bien une alliance, mais sa couleur noire signifie que mon cœur appartient au clan Kimono. Je ne peux donc plus me marier avec qui que ce soit," explique-t-elle comme s'il s'agissait que d'un détail superflu, alors que ça me semble être une info super importante… "Bref, c'est de la pierre que je souhaitais parler."

"C'est une pierre élémentaire !" S'exclame Anzu, parlant plus rapidement et plus fort que d'habitude, m'empêchant de la couper dans sa phrase, cette fois.

Les pierres élémentaires… Ce sont ces cailloux magiques qu'on trouve dans les Eevolv, si je me souviens bien.

"Je n'en attendais pas moins de l'ancienne Spectrum," commente Erika, procurant chez Anzu un grognement de frustration.

"Mais c'est pas censé être dangereux ?" Je demande, me retenant de souligner le fait que c'est un peu ridicule de se vanter de ses bijoux auprès des autres filles.

"C'est dangereux pour ceux qui ne sont pas compatibles avec la pierre. C'est un « secret » que garde le clan Kimono. Bien que les rumeurs à propos des personnes portant une alliance noire circulent depuis plusieurs générations," répond-elle en observant sa propre alliance, dont l'ornement partage la couleur de ses yeux. "Lors de la course, je suis entrée en résonance avec la pierre élémentaire. C'est ainsi que j'ai pu tuer la joueuse de la Team Rocket."

Attends un instant… C'était elle notre joueur mystère ?! E.. Et elle a tué quelqu'un ?!!

Mon corps se refroidit soudainement. Le choc d'imaginer Erika, une fille normalement gentille et pure, assassiner une autre personne, fait chuter ma tension. Qu'est-ce qui lui a pris…?

Ma réaction semble l'amuser, alors qu'elle se lève de sa chaise, me dévisageant toujours.

"Aussi, c'est moi qui ai porté le coup de grâce à Giovanni, l'ancien boss de la Team Rocket."

"Quoi...? Mais… Cela fait de toi—"

"La nouvelle marraine de l'organisation," ajoute-t-elle en souriant. "Sais-tu pourquoi je te dis tout cela ?"

Je ne réponds pas. Mon cerveau a du mal à comprendre, et mon cœur peine à accepter les choix d'Erika.

"J'ai vengé mes amies. J'ai débarrassé le monde de cette ordure et le clan n'aura plus à décider de mon destin. Enfin, je suis devenue une personne spéciale, moi aussi. Azul ne pourra plus détourner le regard de ma direction."

Hein…?

Je peux comprendre chacun de ses points, mais le dernier ne fait aucun sens…

Doucement, je me lève du lit afin de faire face à Erika, la regardant droit dans les yeux d'un air strict.

"Je doute qu'Azul soit fier de toi."

"Je n'ai pas de leçon à recevoir d'une criminelle de guerre. Est-ce que tu veux qu'on compare la liste des personnes que nous avons tuées, toutes les deux ?" Rétorque-t-elle en adoptant une expression aussi froide que moi.

Ses accusations me font perdre en assurance, me forçant à détourner le regard. Mais Erika pose sa main sur ma joue, m'incitant à la regarder, de nouveau, dans les yeux.

"Si, à l'avenir, je vois une opportunité pour m'emparer de lui, alors je le ferais," dit-elle presque en chuchotant, avant de s'écarter.

Elle offre un sourire bienveillant à Anzu, qui est vraisemblablement totalement absorbée par la scène qui vient de se dérouler sous ses yeux. Et, enfin, elle décide de sortir de la chambre, me laissant seule avec la ninja du clan Fuschia.

"Et dire que je la trouvais sympa avant… L'amour rend vraiment tout le monde idiot. C'est fou," constate mon amie en soupirant, relâchant la pression comme si son corps tout entier était tendu depuis un moment.

J'aimerais critiquer Erika derrière son dos, moi aussi, mais maintenant que nous sommes seules, je me dis que je devrais saisir cette opportunité pour aborder un sujet plus pertinent.

"Euh... Je voulais m'excuser pour la dernière fois…"

Anzu me regarde d'un air surpris, avant de détourner le regard, de gène.

"Non... C'est moi qui suis désolée. T'avais raison pour une fois. J'ai été nulle."

P.. Peut-être que je devrais arrêter de lui dire qu'elle est nulle… Ou que son village est nul…

"Tu..." Anzu reprend la parole, essayant de réunir ses forces pour me regarder à nouveau. "Tu m'énerves !"

…

Hein ?

"HEIN ?! JE CROYAIS QUE T'ÉTAIS DÉSOLÉE !"

"JE LE SUIS ! MAIS TU PASSES TOUJOURS TON TEMPS À DIRE ET FAIRE DES CHOSES QUI M'ÉNERVENT !!!"

Elle est la personne désolée la moins désolée que je connaisse !!!

"D'abord, tu te penses meilleure que tout le monde !" Dit-elle en me pointant du doigt.

C'est… C'est pas faux, mais ça dépends quand même vachement du domaine et du contexte !

"Et puis tu te fais toujours plein d'amis, te souciant peu de si ceux que tu as déjà se sentent délaissés ou non !!" Ajoute-t-elle en me pointant avec un second doigt.

P.. Pourquoi elle me reproche ça comme si j'étais à la tête d'un harem ?!! Toutefois… Il est vrai qu'Anzu a un peu été mise à l'écart dans toute cette histoire depuis que nous avons quittés Safrania.

"Enfin, tu te bats comme si ta vie comptait moins que celle des autres !!! Est-ce que tu t'es déjà arrêtée pour pensée à ce que les gens qui t'aiment pensent de tout ça ?!!!" Cette fois-ci, ce sont trois doigts qui pointent dans ma direction.

C'est…

Je baisse ma tête, laissant mes cheveux noir et blanc obscurcir mon champ de vision. Après Azul, Farida, Léo et Morgane, c'est au tour d'Anzu de me faire la leçon là-dessus, hein…?

Non pas qu'elle ait tort. Je sais que beaucoup de gens tiennent à moi. Je suis terriblement chanceuse de les avoir… Alors que je ne les mérite pas.

Sans que je ne le remarque, Anzu avait traversé la chambre. Elle se tient juste devant moi désormais et, sans prévenir, me serre dans ses bras en occultant son visage dans ma poitrine.

"Anzu..."

"J'en fais partie… T'es ma seule amie… Alors ne disparais pas…! Je t'en supplie…!" Sa voix tremble, me faisant comprendre qu'elle est probablement en train de pleurer.

Silencieusement, je passe ma main dans ses cheveux, m'excusant à nouveau.

Le soleil se couche rapidement à l'horizon, laissant Bourg-Palette se couvrir d'un voile d'obscurité. Heureusement, bien que nous soyons en décembre, le ciel est suffisamment dégagé pour que la pleine lune illumine les rues les plus sombres du village.

Comme la dernière fois, j'ai décidé de sortir faire un tour pour me dégourdir les jambes. Il faut dire que se réveiller après un sommeil de cinq jours n'a rien d'agréable…

Mes pas me guident jusqu'à un petit magasin de pêche dont la propriétaire, une vieille dame au dos courbé, est actuellement en train de fermer les rideaux métalliques.

Cet endroit n'a pas tant changé depuis la mort de la mère de Scarlett…

"Hm ? Est-ce que je peux vous aider, jeune fille ?" Me demande la femme âgée en remarquant ma présence devant son magasin.

"Oh ! N.. Non ! Merci beaucoup !"

"Tu fais partie du groupe de jeunes que Daisy héberge chez elle en ce moment, non ?" Demande-t-elle en se rapprochant, examinant mon apparence avec très peu de discrétion…

"N.. Nous sommes des amis de la famille Chen."

"Hmm... La famille Chen a beaucoup fait pour notre beau village. J'espère que vous ne vous ennuyez pas trop, ici," dit la vieille dame en ricanant.

"Non. J'aime beaucoup cet endroit," je lui réponds en souriant.

"Ça fait plaisir à entendre ! Surtout venant d'une jeune fille aussi charmante ! D'ailleurs, tu me fais penser à quelqu'un…"

Mon cœur se resserre lorsqu'elle entame cette nouvelle phrase. Une part de moi anticipant l'identité de la personne dont elle parle.

"Une femme charmante avec des cheveux blancs," dit-elle en remuant sa propre chevelure avec ses mains, un grand sourire joueur se dessinant sur son visage. "Bien que je ne sois plus toute jeune ! Hoho !"

C.. C'était donc une blague…

Mon corps se détend tandis que je me laisse entraîner par son rire. Jusqu'à ce qu'elle lève son regard par-dessus mon épaule. La dame me fait alors un clin d'œil avant de repartir sans rien dire.

Par curiosité, je me retourne pour voir ce qu'elle a vu. Un jeune homme aux cheveux châtains lui effleurant presque sur les épaules, dont les yeux bleus percent les ténèbres de la nuit s'approche de moi, une main dans la poche de son manteau, l'autre tenue par des bandages.

"T'es venu acheter des outils de pêche ?" Me demande Azul, tournant son regard sur l'enseigne du magasin.

"Ah...! Euh… Non. Je me promène juste."

En le regardant, je ne peux m'empêcher de repenser à la visite d'Erika, plus tôt dans la journée… Mais surtout, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter en voyant à quel point il est blessé.

Son combat dans le vaisseau de la Team Raclette a dû être plus dur que prévu…

Captant mon tracas, Azul ôte la main de sa poche pour la poser sur ma tête, m'offrant un sourire coupable.

"Ça te dérange si je te tiens compagnie le temps de ta promenade ?"

Ensemble, nous marchons silencieusement jusqu'à la plage. Par chance, la marée est particulièrement basse. Je m'empresse donc de retirer mes chaussures et mes chaussettes pour courir dans l'eau.

Cette dernière est si froide qu'un cri aigu quitte mes lèvres au contact avec ma peau.

"Heureusement que tu aimes la mer. Il n'y a pas grand-chose d'autre ici," souligne Azul, me regardant faire l'idiote en restant à côté de mes chaussures, sur le sable.

"Tu n'aimes vraiment pas Bourg-Palette, hein ?" Je lui demande en ricanant.

"J'aime à peu près autant ce village que toi, tu aimes Parmanie," répond-il en soufflant du nez.

Pendant quelques minutes, après qu'on ait plaisantés, je profite de la marée basse pour chercher des kokiyas. Avec un peu de chance, je pourrais en trouver un d'une couleur rare !

"... J'ai été à Jadielle aujourd'hui, pour le conseil de guerre," la voix d'Azul brise le calme de la plage, jusqu'alors bercée par le clapotis de l'eau.

Je me redresse alors, le regardant en attendant la suite.

"Je leur ai dit de continuer sans nous."

Mes yeux s'écarquillent alors que je cherche à comprendre ce qu'il vient tout juste d'annoncer. Comment ça « continuer sans nous » ? P.. Peut-être que j'ai juste mal entendu…

"Pardon, tu peux répéter ?" Je lui demande, espérant que ce soit un quiproquo.

"J'ai pris mon temps pour y réfléchir, et j'ai décidé qu'on n'irait pas au Plateau Indigo," reformule-t-il. "Je me suis rendu compte que quelque chose n'allait pas, dernièrement. J'avais des objectifs très clairs, à la base : protéger ceux que j'aime."

Qu'est-ce qui lui prends…? C'est comme si sa froideur d'antan était de retour… Pourtant, lors de sa conversation avec Léo, à Cramois'île, il semblait avoir changé.

"J.. Je ne comprends pas… Tu étais pourtant super heureux d'avoir sauvé Safrania ! Comment tu peux dire des choses pareilles ?!" Je rétorque, commençant déjà à perdre mon calme.

"Oui... J'étais heureux. Mais pendant que nous étions occupés à jouer les héros aux Cramois'îles et à Jadielle…" réponds-il en grimaçant, comme si ce qu'il était sur le point de dire lui faisait du mal. "... Je n'étais pas là pour Erika."

…!

A.. Azul…

Ma colère se disperse dans l'air, tandis que mon regard retombe au niveau de mes pieds, encore submergés sous l'eau glacée.

"Et ce n'est pas tout. Toi aussi, Ember… Je sens que tu me glisses entre les doigts petit à petit."

"...…"

Mes mains passent instinctivement dans mes cheveux blêmes. Il fait référence à mon utilisation répétée du Full Drive… Ainsi qu'aux conséquences subséquentes.

"Je préférerais largement laisser Kanto brûler plutôt que de te perdre," déclare-t-il sur un ton plus décisif.

"Tu n'es pas raisonnable, Azul… Si c'est le Full Drive qui t'effraie, alors—"

"Il n'y a pas que le Full Drive, Ember !!!"

Au moment où il lève sa voix, je ne peux m'empêcher de sursauter. Mon pouls s'accélérant au fur et à mesure qu'il se rapproche, entrant les pieds dans l'eau à son tour, se souciant peu de finir avec les chaussures et le pantalon trempé.

"Tu as l'intention de jouer les héros encore longtemps ?! Peu importe le résultat de cette bataille, si ça continue, tu seras perdante quoi qu'il arrive !!!" Ajoute-t-il en saisissant mon épaule, son regard fixant le mien avec un mélange de colère et d'inquiétude.

Mon souffle se coupe et mes yeux s'ouvrent en grand. Aucun son ne sort de mes lèvres, bien que je continue, désespérément, de chercher un contre-argument.

Je ne m'en suis pas rendu compte, et pourtant, les mots d'Azul débordent de vérité. Je suis celle qui est en train de faire marche arrière depuis le début, en redevenant un pantin servant à être sacrifié pour les intérêts de Kanto.

Mais peu importe… Mes yeux se referment doucement, alors que je me calme peu à peu. Ce rôle… C'est tout ce que je mérite. Après tout, je ne suis qu'—

"J'ai un deal à te proposer," la voix du jeune homme me sort de mes pensées sombres, me forçant à le regarder de nouveau. Ses yeux tremblent d'émotion, mais son expression hurle d'une intense motivation. "Si tu n'as aucun amour-propre, alors laisse-moi t'aimer."

"... Ha…!"

Ses mots ont un étrange pouvoir. Comme si, d'un coup, en une simple phrase, Azul venait d'illuminer la nuit dans laquelle je suis perpétuellement plongée.

Pourquoi…? Ce qu'il dit n'est pourtant pas si diffèrent du discours d'Anzu… Mais mon cœur se sent si léger en l'entendant de sa bouche.

C'est comme si l'eau glacial dans laquelle nous nous tenons avait été remplacée par une matière douce et chaude, tentant désespérément d'enlacer mon cœur.

"... Tu ne devrais pas dire ce genre de chose à la légère. Je pourrais mal l'interpréter," j'ose plaisanter, me sentant soudainement de meilleure humeur.

"Non. C'est exactement ce que tu penses."

…

Hm ?

Attends… A.. ATTENDS JUSTE UN INSTANT !!!

"A.. Azu… AZUL !! J.. JE CROIS QU'IL Y A UN ÉNORME QUIPROQUO !!!!" Je recule d'un pas, mon visage rougissant de plus belle alors que j'essaie de faire prendre conscience à mon partenaire qu'il est en train de faire une erreur super embarrassante !

Mais le jeune homme fait un pas en avant, m'empêchant de m'échapper, rapprochant dangereusement son visage.

Mes sens n'ont jamais été aussi alertés. Mon champ de vision étant désormais limité à celui de ses yeux azurés, dans lesquels la lueur de la lune se reflète. Son odeur fruitée envahissant mes narines, me forçant à entrouvrir les lèvres pour respirer plus librement. Sauf que, même là, son souffle rencontre le mien.

Mon cœur n'a jamais battu aussi fort. C'est… douloureux. Et pourtant, malgré tout ce que j'ai pu penser ou dire au cours de ces dernières semaines… J'ai le sentiment de vivre dans un rêve, actuellement.

"Il n'y a aucun quiproquo…" murmure-t-il à quelques centimètres de mes lèvres. "Je t'aime Ember."

"Ha... Mais…" Mon regard cherche à fuir le sien, sans succès. "T.. Tu ne me vois pas comme une gamine…?"

"La femme que j'ai devant moi, actuellement, n'est pas une gamine, non…"

T.. Techniquement, il n'a pas tort. Puisque je suis un clone de Scarlett, et qu'ils ont le même âge, mon corps est également celui d'une femme en début de vingtaine…

"I.. Il y a plein de filles plus légitimes que moi…"

"Non. Personne n'est plus légitime que toi. Et je n'accepterais personne à part toi…"

D.. Depuis quand est-il si fort avec les mots ?! S.. Si ça continue, je risque de tomber dans les pommes tant mes émotions ne font que gagner en puissance depuis tout à l'heure !

Je… Il faut que je les canalise d'une façon ou d'une autre…! Et… la manière la plus évidente et attirante dans l'immédiat… c'est…

Naturellement, comme si mon corps n'en avait que faire de ma conscience, je finis par couvrir la distance séparant mes lèvres de celle d'Azul, lui offrant mon premier baiser, mes sentiments, ainsi qu'une chance de me prouver que j'ai une place dans ce monde.

Après cet épisode intense et embarrassant, nous-nous asseyons tous les deux dans le sable, laissant le bruit des vagues calmer nos émotions.

"Alors...?" Me demande le garçon aux yeux bleus, fixant toujours les eaux sombres de l'océan.

"A.. Alors quoi…?"

"J'attends toujours ta réponse."

Ma réponse…? I.. Il veut vraiment que je le dise à voix haute ?! Ce qu'il s'est passé il y a dix minutes ne lui a pas suffi ?!!

Hmrr… Il a été sincère avec moi… Et ça a dû être super gênant pour lui. Ce ne serait pas juste si je ne faisais pas un effort également.

"Je..." J'enfouis mon visage rouge dans mes genoux, espérant qu'il ne m'en veuille pas si je me cache. "Je t'aime aussi…"

JE N'ARRIVE PAS À CROIRE QUE JE L'AI FAIT !!!

MON COEUR EST SI LOURD ET LEGER EN MÊME TEMPS ! J'AI… j'ai envie de vomir… je crois que c'était trop de pression pour moi, finalement.

"Hm ? Je le sais ça," répond Azul, nonchalamment. "Je faisais référence à ce dont on parlait avant— Ember…?"

Ah. Ça va beaucoup mieux, d'un coup. Non seulement mon pouls à repris un rythme normal, mais en plus, mon visage est beaucoup moin chaud.

"P.. Pourquoi tu me fixes comme ça…?" Demande le jeune homme d'une voix presque tremblante.

"Je comprends mieux ce que ressentent les gens qui ont recours à la violence conjugale."

"T.. Tu ne devrais pas dire des choses pareilles !"

Soupirant, je décide de laisser ma haine rejoindre les poissons, les microplastiques ainsi que le romantisme de la soirée dans l'océan.

"Ce que tu veux, c'est que j'arrête de me battre pour Kanto ?"

Azul acquiesce.

"Exactement. Je ne te demanderais pas d'arrêter de te battre, car la Ligue n'est pas notre seule ennemie. Mais j'aimerais que tu te valorises davantage."

Il parle de Mew et de Scarlett…

Tant que je vivrais, ils continueront de me traquer, envoyant ces monstres géants à mes trousses. Et, comme on l'a vu, ils se soucient peu des dommages collatéraux.

Je n'aime pas l'idée de les considérer comme des ennemis, mais je comprends où il souhaite en venir.

"Nous laisserons donc nos alliés mener leur bataille au Plateau Indigo, et partirons nous occuper d'une menace plus personnelle," précise-t-il sur un ton plus décisif.

"Dit comme ça, je me sens vraiment mal pour nos amis de la Résistance…"

"Tu n'as pas à te sentir mal," dit-il en me caressant les cheveux. "Tant que nous n'aurons pas réglé le problème de Mew et de Scarlett, il existera toujours un risque qu'un Mechamon Primitif apparaisse. Il est donc évident que nous devons prioriser leur cas."

La situation est encore plus urgente que ce que j'imaginais…

"Nous avons commencés à enquêter avec Morgane—"

Une soudaine crise de toux m'envahit, interrompant Azul dans sa phrase.

"AVEC MORGANE ?! P.. Pourquoi est-ce qu'elle est au courant ?!!"

"Je croyais que c'était ta meilleure amie… Tu ne lui fais pas confiance ?" Me demande mon partenaire en me jugeant du regard.

"S.. Si… C'est juste que j'aurais bien aimé être informée !"

À bien y réfléchir, je suis probablement la reine des hypocrites en lui reprochant cela. Puisque j'ai établi une alliance avec Green sans rien dire à personne…

En fait, mon cas est beaucoup plus grave que le sien !! L.. La culpabilité me ronge…

"Peu importe. Nous sommes presque sûrs que Mew et Scarlett se cachent au sein de la Ligue, sous le surnom de « Grand Maître »."

"Le Grand Maître…? Attends, s'ils sont avec la Ligue, dans ce cas, on ne devrait pas participer à la bataille avec les autres ?!" Je lui demande, perplexe.

"Non. Je ne pense pas qu'ils soient au Plateau Indigo. Morgane a dit que seul le Maître et l'Ancienne avaient le droit de s'entretenir avec le Grand Maître."

…

Je ne sais absolument rien à propos de la Ligue, mais je connais quelqu'un qui devrait être capable de nous aider.

Lorsqu'Azul se lève enfin, retirant le sable s'étant incrusté sur le tissu de son pantalon, il me propose de rentrer avec lui.

Poliment, je lui demande de partir devant. Prétextant que j'ai besoin d'un moment, seul, pour digérer les événements de la soirée.

Une fois mon que mon partenaire est suffisamment loin, je sors mon téléphone de ma poche, entrant le numéro de Green.

"C'est moi. J'ai des infos."