Mechamon Iris
VI - Safrania
Chapitre 43 - Nouvelle force
Le soleil se couche peu à peu sur la ville, et alors que les ombres gigantesques des immeubles s’abattent sur les rues vides de Safrania, ici, dans les hauteurs, nous profitons encore des derniers rayons transperçant les nuages de ce début de mois d’octobre.
Je regarde la jeune fille que j’entraîne quitter le dojo en sueur, se dirigeant en direction d’une douche bien méritée.
Chaque fois que je la vois, un sourire se dessine sur mes lèvres. Je suis la seule personne, ici, à connaître le passé de cet enfant. Je suis donc la seule à comprendre le véritable trésor que représentent ces moments paisibles pour elle.
“Il va pleuvoir.”
Ah oui. J’en ai presque oublié la présence de Farida. Comme avec tous les adultes que j’ai rencontrés dans ma vie, je me suis méfiée d’elle au départ. Après tout, contrairement aux enfants, nous autres les « grandes personnes » sommes déjà teintés de noir par le monde qui nous entoure.
Cependant, j’ai appris à la connaître et j’ai compris qu’elle ne représente aucun danger. Elle est forte, et bien que sa marque sur le front sous-entende qu’elle a elle-même connu un passé sombre, son âme est d’une pureté étrange.
Mais si personnellement, je lui fais confiance, on ne peut pas dire que le sentiment soit réciproque. Effectivement, je connais leurs identités, mais il en va de même pour elles. Mes nombreux titres sont parfois difficiles à porter…
M’approchant des portes coulissantes du dojo, je constate que les nuages recouvrant doucement le ciel de Safrania s’assombrissent de plus en plus. Il y a de la tension dans l’air. Si nous étions dans un livre, je dirais même que nous sommes face à un tournant.
“Mm… J’aurais aimé lui en apprendre plus, mais nous devrons faire avec. Je compte sur vous pour la suite, Farida.”
“Hah ? Que voulez-vous dire par là ?”
Je ferme doucement mes yeux, prenant une grande inspiration. Mes poumons se remplissent de l’air lourd mais pur qui nous entourent. Une sensation douloureuse, me rappelant que cela fait une semaine que je n’ai pas allumé de cigarette. Il serait peut-être temps de reprendre les mauvaises habitudes.
“Si tout se passe comme je l’espère, alors, ce soir, vos amis libéreront la ville. Et s’ils y parviennent, je m’arrangerai afin que la Ligue vous cède un temps de répit à Safrania. Nous ne reviendrons la réclamer que dans un mois.”
Le regard de la jeune femme s’écarquille tandis qu’elle me fixe, bouche bée. C’est un beau cadeau. Trop beau pour des rebelles. Cependant, si elle n’est pas stupide, elle comprendra également que ce cadeau contient un poison mortel.
“... Pourquoi ?” Me demande-t-elle, d’un ton méfiant.
“Pour plusieurs raisons. Déjà, car ce qu’il se passe ici est un débordement de notre part. L’un des membres du conseil abuse de ses pouvoirs, et je ne suis malheureusement pas en capacité de l’arrêter,” je l’observe de mon œil fonctionnel, lui offrant un sourire qui, je l’espère, aura l’air naturel. “J’attends que votre groupe s’en occupe. Il est donc juste de vous récompenser pour cela.”
“Je ne vous crois pas.”
Wow. En voilà une réponse froide. Et après, c’est moi que l'on appelle la Dame de Glace ? Mais peu importe. Ce n’est pas une offre négociable. Juste un caprice de ma part.
Cela leur donnera le temps de s’organiser. De plus, je ne veux qu’aucun mal n’arrive à Emily et Anzu. Et puis comme dit plus tôt, ce cadeau contient un poison. La position centrale de Safrania sur la carte.
Après avoir informé ma nouvelle « amie », j'entame une marche lente en direction de la sortie du dojo, remettant mes talons au passage.
“Ce fut un plaisir.”
“Un instant ! Qu’en est-il de Sabrina ?” M'interrompt Farida, toujours aussi méfiante.
Sabrina… J’avais totalement oublié que cette chose était ici également. Peu importe. Je continue de marcher, offrant une réponse à la dernière question futile de la jeune femme.
“Faites-en ce que vous voulez.”
Haah… Une douche fraîche après les exercices. C’est ça ce que j’appelle le paradis.
Hm ? AH ?!
V.. Vous êtes là depuis quand ?! Ah, mais je suis bête, vous ne me voyez pas. Ouf…
De toute façon, si vous m’aviez vu, je vous aurais juste cassé la figure ! Car oui, maintenant, je suis plus forte qu’avant !! Grâce à Farida et Olga.
Je suis sûre que si les gens que j’ai rencontrés depuis mon réveil à Argenta me voyaient aujourd’hui, ils seraient tous choqués. Et je ne parle pas du fait que je sois nue.
Olga m’a appris plein de choses qui ne se limitent pas au combat, comme par exemple comment être attentive à ce qui m’entoure. Elle dit que c’est essentiel pour savoir esquiver comme elle, mais aussi que ça m’aidera à ne pas tomber dans des pièges.
Perso, je me suis contenté d’absorber toute la connaissance sans poser de question ! Et c’est vraiment choquant comment ma vision du monde change peu à peu.
Rien qu’en repensant à toutes les personnes que je connais, j’ai l’impression de prendre conscience de choses qui m'échappaient à l’époque !
Les gens sont beaucoup plus intéressants qu’ils n’en paraissent en fait. Mais plus j’y pense, et plus je me rends compte d’une chose terrifiante. Au final, la personne que je connais le moins parmi toutes celles que je pense connaître, c’est lui. Azul…
L’eau de la douche s’arrête doucement, tandis que je regarde mon reflet sur le miroir de la salle de bain.
Est-ce qu’Azul sera fier de moi quand nous nous reverrons…? Est-ce que je lui manque…?
Est-ce que nous nous reverrons un jour…?
— !!!!!!!!
AAaaahh…!!! Mon crâne !! C’est comme quand nous étions à Céladopole ! Il y a quelque chose dans ma tête qui tente de prendre le dessus. Comme pour me prévenir que des trucs graves sont sur le point d’arriver.
Comment je sais ça ? J’en sais rien ! C’est quelque chose que je ressens… Si je laisse ce machin prendre le contrôle, alors plus rien ne sera comme avant…
Une fois habillée, je quitte la salle de bain, balayant ma longue chevelure comme le font les filles cool dans les pubs. Je suis sûre que j’ai l’air trop badass en faisant ça. Je devrais peut-être le noter dans un coin de ma tête… Maintenant que je sais me battre, je dois en profiter pour être aussi cool qu’Azul !
“Ember.”
Qu— FARIDA ?!! E.. Elle m'attendait devant la porte ?! Oh non… J’espère que j’étais vraiment cool sinon ce souvenir me hantera toute ma vie !!!
“Il faut qu’on parle,” dit-elle sans sourciller. Elle a l’air de s’en ficher… C’est à la fois rassurant et décevant.
Mais avant qu’elle n’ait le temps de me dire de quoi on est censés parler, un bruit sourd retentit à l’extérieur.
Pourquoi ces choses arrivent toujours au pire moment…? Peu importe. Maintenant que je suis une personne forte, j’ai le devoir d’aller voir !!
Je commence donc à courir dehors, en direction du bruit, suivie de près par Farida, qui me demande d’attendre. Sauf qu’elle est bête, car les gens forts n’ont pas le temps d’attendre !
En arrivant à l’extérieur, je constate rapidement une chose. Il pleut. Je suis forte, mais pas assez pour esquiver des gouttes de pluie… Je risque donc de tomber malade !!!
Farida me rattrape et pose sa main sur mon épaule, m’empêchant d’aller plus loin.
“Ne fonce pas la tête baissée.”
“J’avais pas la tête baissée !”
“Ne soit pas stupide…”
“J’suis pas stupide !!”
Le regard vide de ma coach sportive se tourne en direction des escaliers descendant vers Safrania.
“Prépare-toi à faire appel à ton Soldat en cas de besoin. Mais quoi qu’il arrive, garde la tête froide,” me dit-elle, sûrement de peur que j’aie de la fièvre après ça.
Je ravale lourdement ma salive. C’est donc maintenant que mon entraînement portera ses fruits. Mais quand j’y pense, pourquoi quelqu’un nous attaquerait…? La Team Raclette nous a découvertes ? Comment ?
Nous nous approchons donc des escaliers, en faisant très attention. Tant pis pour la pluie. Je reprendrai une douche s’il le faut.
Un instant… C’EST QUOI CE TRUC AU MILIEU DES DÉCOMBRES ?! Un Mechamon Soldat ?! Une machine de chantier ?! Les deux en un ?!!
Il a une tête en triangle avec un seul œil. Ses bras sont énormes, dont un qui possède des grosses griffes, comme les jeux impossibles où tu dois attraper des peluches dans les salles d’arcades de Céladopole. Et deux scies circulaires sont attachées à des branches reliées à sa taille.
J’aimerais dire que je le trouve super méga cool, mais malheureusement ce gros robot se tient en face d’Anzu, et a visiblement déjà détruit un morceau des grands escaliers de la mort.
Il faut qu’on l’aide ! Sans son Eevolv, elle ne pourra jamais rivaliser contre un Soldat !!
Hein ? Derrière le robot, il y a une personne inconsciente… C.. C’est—
“SABRINA !!!”
Anzu se tourne dans ma direction, un air surpris sur son visage trempé par la pluie. Elle semble hurler quelque chose, mais j’entends à peine ce qu’elle dit.
Soudain, une voix féminine, déformée par les hauts-parleurs du robot de chantier, retentit autour de nous avant que les stores mécaniques couvrant ses épaules ne s’ouvrent.
“NOOOOOON !!!”
Cette voix… Elle me dit quelque chose. Je l’ai déjà entendue quelque part. Mais où ?
De ses épaules sort un vent puissant, soufflant en direction d’Anzu. Son petit corps ne résiste pas longtemps avant d’être poussé en arrière, en direction des bois entourant la propriété des Leeves.
Farida se lance dans les bois, me criant de faire appel à mon Soldat tandis qu’elle part retrouver Anzu.
Je sais pas qui c’est ce robot avec ses gros bras et sa grosse tête de triangle à deux balles, mais je ne laisserais pas faire mal à mes amies !!! Levant ma main au ciel, je fais appel au Proto-Vyzard.
“N.. Non… Pourquoi…?”
Encore cette voix. Le pilote est une femme ? Peu importe qui elle est, elle devra payer de ses actes !!
Mais avant que mon robot n’arrive, celle-ci attrape le corps de Sabrina au sol puis se propulse en direction de la ville.
“N’Y PENSE MÊME PAS !!!”
Je cours en direction des escaliers, puis saute le plus loin possible. Pendant que je suis dans les airs, je mime les mouvements que je souhaite voir mon Soldat reproduire. Et alors que celui-ci arrive, interceptant mon adversaire, la longue épée longeant son bras se déploie afin de trancher le membre tenant ma meilleure amie.
Cependant, l’ennemi change d’angle et envoie une puissante bourrasque sur le Proto-Vyzard, qui voit sa trajectoire déviée. Mince… je n’ai pas le choix, il faut qu’il me sauve avant que je n’atteigne le sol !!!
Offrant à contre-coeur une avance au robot de chantier, je laisse mon propre robot me foncer dessus avant que je n’ai le temps de mourir sur les marches d’escalier. Son cockpit s’ouvre afin de me recevoir, et je couvre ma tête avec mes mains pour ne pas me faire trop mal.
Les parois intérieures de mon Soldat ne sont pas les plus douces, mais ce n’est pas grave ! J’ai l’habitude des bleus.
Durant cette semaine d’entrainement, Farida et Olga m’ont appris comment manipuler mon corps lors d’une chute ou d’une attaque impossible à esquiver. Pour ce faire, Farida m’a d’abord attaqué en retenant ses coups. Mais après qu’Anzu nous ait rejoints, c’est elle qui s’est donnée une joie de me martyriser.
D’ailleurs, j’espère qu’Anzu va bien… Bon sang ! Je suis encore plus en colère maintenant !! Farida m’a dit de garder la tête froide, mais je commence à chauffer et ce n’est pas de la fièvre !!!
Mon visage se déforme de rage alors que je hurle à mon Proto-Vyzard de foncer en direction de la ville. Ses propulseurs crachent de puissantes flammes, avant qu’il ne tranche les airs de ses ailes. La vitesse de vol de mon Soldat surpasse celle d’une simple propulsion. Après tout, mon mecha est une unité aérienne de base.
Rapidement, je rattrape le robot ennemi. Celui-ci retente d’envoyer des bourrasques de vent derrière lui afin de me ralentir, mais une fois de plus, mon entraînement m’a préparé à ce genre de situation.
Pour être plus précise, Olga m’a expliqué comment analyser le plan de mon adversaire et éviter les potentiels pièges. Souvent, les ennemies tentent d’utiliser le terrain à leur avantage, comme Farida a voulu le faire lors de leur combat amical. Pour ce faire, ils doivent nous attirer à des endroits précis. Pour éviter de tomber dans ce genre de piège, il faut utiliser le stratagème de l’adversaire contre lui.
Lors de nos entraînements, Farida et Olga essayaient de me distraire tout en m’attirant à plusieurs endroits possibles. Je devais deviner où nous allions et utiliser ma dextérité afin de rediriger mon corps dans un endroit plus idéal malgré le fait qu’elles me poussaient en permanence. Afin de savoir si je passais ou non le test, nous nous arrêtions au bout de vingt secondes, et vérifions si je suis en position d’esquiver un coup et contre-attaquer.
Bien sur les coups étaient pour de faux, jusqu’à ce qu’Anzu nous ait rejoint… Je suis toujours inquiète pour elle, mais plus j’y pense et plus je me dis que ma colère est peut-être en partie dirigée dans la mauvaise direction.
Bref. Revenons au présent ! Le vent de la machine en face de moi fonctionne comme la force qu'utilisaient Farida et Olga lors de l’entraînement. Mon adversaire souhaite me maintenir à l’écart. Sauf que ma position idéale serait au corps-à-corps.
Je rétracte les ailes du Proto-Vyzard puis déploie son épée, la tendant en avant, utilisant les propulseurs à pleine puissance afin de me lancer de nouveau en direction de mon ennemie.
La lame de mon épée coupe le vent, et mes ailes, formant un V dans mon dos, donnent à ma machine l’aérodynamisme nécessaire afin de passer outre cette barrière.
La pilote d’en face à l’air de paniquer, cherchant désespérément à changer de position afin de me repousser, mais je suis ses mouvements à la perfection. Je ne dis pas ça pour avoir l’air super cool, mais tout ce qu’elle fait est prévisible. Il est difficile de dire si c’est moi qui suis devenue méga forte, ou elle qui est vraiment nulle.
Avant que je ne l’atteigne, elle se retourne et propulse son bras-griffe dans ma direction. Comme le Rocket Punch qu’on voit dans certains dessins animés ! Oups… Pardon. Ce n’est pas le moment de l’admirer !!
Comme il a déjà été précisé, une grande partie de mon entraînement consistait à devenir une maîtresse des esquives. Comme Olga. Pour cela, je devais apprendre à bouger mon corps dans toutes les positions possibles, gagner en souplesse et surtout apprendre à observer ce qui m’entoure, afin de rapidement comprendre la trajectoire des attaques adverses.
J’ai beaucoup appris en une semaine, mais mes compétences ne sont pas parfaites. De plus, le vent généré par ses épaules donne encore plus de vitesse à son Rocket Punch !
…
Mais oui. Le vent !
Déployant mes ailes, je laisse la bourrasque générée par mon adversaire me pousser tel un cerf-volant. Heureusement, elle ne contrôle pas la trajectoire de son poing une fois lancé, et celui-ci n’est pas à tête chercheuse non plus. Je peux donc facilement l’esquiver.
Le robot chantier se pose enfin au sol, dans une des nombreuses rues vides de Safrania, tendant ce qui lui reste de son bras droit en avant. Le vent qui sortait de ses épaules s’est arrêté. Comme je le pensais, une fois l’attaque terminée, le bras-griffe revient à son propriétaire, tel un boomerang. Je saisis cette occasion, littéralement, en agrippant le bras, le laissant m’emporter jusqu’au Soldat ennemi.
Il ne pourra pas changer la trajectoire de son poing. Mais quelque chose me dit que la pilote de ce truc n’en a pas l’intention. Ses deux scies circulaires se déploient à leur tour. Elle souhaite trancher mon Proto-Vyzard. Une fois de plus, cette attaque ne sera pas simple à esquiver. C’est pourquoi je vais utiliser les capacités de Farida cette fois-ci !
Avant le contact, je lâche le bras de mon adversaire, puis utilise mon bouclier afin de parer la scie à ma gauche. Au même moment, j’envoie un coup d’épée en direction du bras tenant toujours Sabrina. Le Soldat adverse change la trajectoire de sa deuxième scie afin de rencontrer ma lame… mais c’était un piège !
Je rétracte l’épée de ma machine au dernier moment, faisant en sorte à ce que sa scie fende le vide. Profitant de cette ouverture, je déploie de nouveau ma lame, puis tranche son bras une bonne fois pour toutes.
“RENDS-MOI MON AMIE !!!” Je crie à pleins poumons, donnant plus de puissance à mon coup.
Alors que la main fraîchement coupée du robot d’en face tombe au sol, je l'intercepte, l’attrapant avant de me propulser en arrière.
Ouvrant mon cockpit, je m’empresse de retirer Sabrina de l’emprise du membre arraché à mon adversaire. Son corps est lourd, mais j’arrive quand même à la traîner jusqu'à l’intérieur de mon Soldat. Jusqu’à ce que…
“Sabrina… Ne t’en fais pas, je suis là, maintenant. Est-ce que ça—”
Un bruit étrange émane de son cou. Comme lorsque l'on casse une assiette. Je sens mon cœur s'accélérer et des sueurs froides couler le long de ma peau, toujours trempée par la pluie, tandis que sa tête se décale lentement dans une position qui n’est pas normale…
…avant de se détacher de son corps.