Les Train Twins
Chapitre 23
Les liens du son
Le lendemain matin, Fry se força à se lever en entendant Robin s’activer sur la mezzanine. Il vérifia auprès de Jenny qu’elle pouvait gérer Jessy toute seule au moins pour la matinée, puis il fila dans le jardin.
« Seb ! L’interpella Fry alors qu’il allait accompagner son fils à l’école. Robin va bien à l’école à Jadielle ?
- Oui pourquoi ?
- Je peux l’accompagner ? J’ai un truc à faire là-bas et je crois qu’Arcanin pourra m’aider au retour.
- Bah si tu veux.
- Ouais ! Trop bien ! S’enthousiasma Robin en s’agitant sur le dos de l’arcanin.
- Ouais euh… Du calme hein ? Ajouta Seb, pris de court et un peu inquiet. Pas question d’être en retard ou de sécher les cours. Sinon ta mère va me tuer…
- T’inquiète pas Pa’ ! Avec la vitesse extrême d’Arcanin on risque pas d’être en retard ! Vas-y grimpe Fry ! »
Robin tendit la main à Fry mais l’arcanin n’avait jamais vu Fry et il le toisa de la tête aux pieds. Fry lui sourit timidement, il n’avait jamais eu peur d’aucun pokémon, mais il devait reconnaître que le vieil arcanin de Maître Al était impressionnant. Il approcha sa main prudemment pour que le canidé la renifle, puis il caressa le museau du pokémon en essayant de rendre son geste le plus respectueux possible.
« Toi t’es sacrément costaud dis-donc… Murmura Fry au pokémon. J’ai besoin d’un service, tu veux bien m’aider ?
- Waourf, répondit l’arcanin sensible à la flatterie en s’abaissant pour laisser Fry monter.
- Merci… J’aurais adoré avoir un pokémon comme toi. »
Il caressa le cou de l’arcanin avant de grimper derrière Robin, déjà accroché à la crinière du canidé géant.
« Si c’est comme ça que tu parles aux filles, elles doivent toutes tomber comme des apitrini, plaisanta Seb. Robin se mit à rire.
- Et encore là t’as rien vu, répliqua Fry en réprimant un sourire.
- T’es prêt Fry ? Demanda Robin avec impatience. Accroche toi bien ça va secouer !
- Euh doucement Robin s’il te plaît… Insista Seb.
- J’suis prêt !
- Alors fonce Hades !
- Waaourf ! »
L’arcanin bondit à toute vitesse par-dessus la clôture, Fry se cramponna furieusement au pull de Robin d’une main et à la crinière d’arcanin de l’autre, heureusement qu’il avait de bons réflexes. Robin riait à gorge déployée, tandis que l’arcanin filait à toute allure à travers les pâtures et les chemins de terre du Bourg Palette. Seb les regarda partir en grimaçant, il commençait à regretter d’avoir donné son autorisation. L’arcanin de Al courait avec la fougue d’un caninos de cinq ans, mais sa vitesse était sans commune mesure avec sa pré-évolution. En moins d’une minute ils étaient sortis du village et remontaient vers le nord par la route 1. Un cornèbre au grelot-coque les suivait en volant. Excité, Robin montra une direction à Arcanin.
« Prend le chemin des graviers Hades !
- Waourf !
- Robin, je crois que ton père t’a demandé d’être prudent ! Objecta Fry.
- Ah ah ! J’savais pas que les champions de ligue pokémon pouvaient être aussi trouillards ! Répliqua Robin.
- J’ai pas la trouille, répliqua Fry, vexé. Mais si tu désobéis à tes parents quand je suis là je vais avoir des problèmes !
- Et ça c’est pas avoir la trouille pt’être ? Renchérit Robin avec un haussement de sourcil amusé. Que t’aies peur de la vitesse ou de ma mère c’est pareil ! Ah ah ah ! »
"J’hallucine…" Songea Fry en serrant les dents et en plissant les yeux à cause du vent qui lui cisaillait le visage, Robin l’étonnait sur ce coup-là, il n’avait rien d’une petite chose fragile. Arcanin accéléra et emprunta un chemin accidenté, cela l’obligeait à sauter de nombreuses corniches et talus. Il semblait s’amuser autant que son petit passager. Il avait fait ça toute sa vie, avec tous les enfants d’Al et Jacky et une partie de leurs petits-enfants. Il connaissait la route par cœur, il pouvait la parcourir les yeux fermés. Fry finit par se détendre et profita du décor et de l’ambiance, la bonne humeur de Robin et de l’arcanin était communicative, ça le changeait des jumelles et de leur air sinistre depuis Verchamps.
Ils furent arrivés à l’école en moins de trente minutes alors qu’à pieds il fallait quasiment six heures de marche. Lorsque Fry descendit de l’arcanin, il avait l’estomac retourné, il crut qu’il allait vomir ses brioches et son jus de baies. Il ne voulait pas perdre la face devant Robin, alors il s’abstint de s’affaler sur la grille de l’école, pourtant elle lui semblait particulièrement confortable.
« Au fait c’est quoi ton truc à faire ? Demanda Robin, il n’était visiblement pas pressé d’entrer à l’école.
- Tu verras bien ce soir…
- Aller ! Donne-moi un indice !
- Ok… Souffla Fry en essayant de contrôler sa nausée. J’ai besoin d’un truc pour calmer ta sœur.
- Laquelle ?
- Jessy.
- Tu vas acheter une muselière ? »
Fry éclata de rire et sa nausée revint de plus belle, il dut se tenir le menton. Le visage de Robin s’illumina comme s’il avait eu une révélation.
« Ah ! Sinon, tu sais quand maman est vraiment très énervée, papa lui fait un gros câlin dans la chambre et la plupart du temps ça marche ! Enfin Pa' dit gros câlin mais j’suis pas débile, je sais très bien ce qu’ils font en vrai, j'ai vu les pokémon dans le jardin et…
- Merci pour tes conseils Robin mais t’inquiète pas, je sais me débrouiller. Va à l’école maintenant, tu vas être en retard.
- C’est toi qui viens me chercher ce soir hein dit ?
- Euh, j’en sais rien. » Répondit Fry en jetant un coup d’œil en biais à l’arcanin, en l’absence de Robin la course à dos de pokémon serait-elle moins violente ? Robin lui fit de grands signes de main en guise d’au-revoir alors qu’il passait les grilles de l’école primaire de Jadielle.
« Puisqu’on est là, autant faire un petit détour par l’arène. La boutique de musique n’est pas encore ouverte de toute façon. » Dit Fry pour lui-même et pour Arcanin.
L’arène de Jadielle était un bâtiment à l’architecture néoclassique. Sa façade était élégante, ornée de gravures et précédée de deux rangées de colonnades encadrant l’allée menant à une large porte à double battants. Fry trouvait qu’elle ressemblait à un musée, bien plus que l’arène du Bourg Palette qui pour le coup était un musée. La porte était entrouverte, Fry pénétra à l’intérieur. Malgré la verrière du plafond, l’arène était très sombre et les lumières latérales étaient éteintes.
« Il y a quelqu’un ? » Appela Fry dans l’arène mal éclairée.
Le décor lui rappelait celle d’une basilique, mais avec des murs blindés. Sa voix lui répondit en écho. L’arcanin marchait sagement dans ses pas alors que le jeune homme s’avançait au centre de l’arène. Côté champion, un escalier de métal menait à une balustrade ostentatoire au milieu de laquelle se trouvait une large porte, métallique également. Le mur de l’étage était couvert de vitres et il y avait de la lumière derrière les carreaux. Malgré son excellente vue, Fry ne voyait pas bien le décor d’en bas, mais il avait l’impression d’apercevoir des sculptures préhistoriques et des fossiles de pokémon disparus accrochés aux murs pourpres. Une silhouette humaine apparut assez brusquement à la fenêtre, comme si une personne assise venait de se lever. L’homme marcha jusqu’à la porte et l’ouvrit.
Dans la pénombre, Fry ne distinguait pas bien les traits de celui qui devait vraisemblablement être le champion de l’arène de Jadielle. L’homme aperçut Fry et l’arcanin au milieu du terrain, il en conclut que c’était un dresseur venu pour le badge et il tendit le bras d’un geste assez brusque pour actionner l’interrupteur à sa droite. Dans un "clong" sonore, toutes les lanternes des parois s’allumèrent, il y avait aussi des spots au sol et dans les angles. L’éclairage était puissant et Fry eut mal aux yeux quelques instants. Il ne pouvait pas regarder le champion, mais il l’entendit descendre les marches de l’escalier en acier. Brusquement, l’arcanin se mit à aboyer et Fry sursauta. Il regarda le grand canidé avec perplexité et le champion d’arène s’adressa à lui de sa voix nasillarde et désagréable.
« Tiens Hades, ça faisait longtemps. Je peux savoir ce que tu fais avec l’arcanin de Al ? »
Fry se tourna vers le champion et il put enfin voir son visage. L’homme devait avoir à peu près l’âge du professeur Jacky Léon et de sa femme, il portait un pantalon de chantier marron usé et une chemise noire à manches courtes. Il était mal rasé, mal coiffé et son regard dégageait une certaine intelligence, mais surtout beaucoup d’arrogance. Bizarrement, Fry ressentit un peu d’appréhension au moment de répondre, c’était un sentiment étrange qu’il ne comprenait pas vraiment, mais peut-être était-ce simplement lié à l’identité du champion, il savait très bien de qui il s’agissait.
« Euh… Elle me l’a prêté pour que je vienne jusqu’ici rapidement.
Le regard du champion s’adoucit quelque peu.
- Désolé, je ne connais pas tous ses petits-enfants par cœur. Tu es le fils de qui ? Félix ?
- De personne ! Fry secoua la tête en réalisant la stupidité de sa réponse. Je veux dire : je ne suis pas de la famille de Maître Al, je suis un ami des jumelles Ketchum.
Cette fois, le visage du champion s’éclaira d’une lueur d’intérêt intense et un sourire lui fendit le visage. Il avait l’air encore plus sûr de lui et arrogant avec cette expression.
- Alors comme ça les petites-filles de Sacha sont revenues au bercail. Ça doit être Armageddon au laboratoire de papi !
- Papi ? Répéta Fry en réprimant une grimace, l’image de Jacky Léon lui vint à l’esprit.
- Tu n’as pas l’air très futé. » Lâcha le champion comme un coup de fouet, cette fois Fry réagit. Ses sourcils se froncèrent légèrement et il reprit une attitude posée et confiante. Célébrité ou pas, il ne se laisserait pas insulter de la sorte sans représailles.
« Vous êtes Régis Chen, le petit-fils du professeur Chen.
- En fait tu n’es pas si idiot que ça. Tu as peut-être un nom aussi ?
- Je suis Fry Morgan, le champion de l’Archipel Orange. »
Le sourire de Régis s’élargit encore et s’ouvrit sur une rangée de dents blanches acérées.
« Un champion de ligue, intéressant… Et je peux savoir ce que tu fais là ?
- On dirait que c’est vous qui n’êtes pas très malin : je viens pour le badge. »
Fry regretta aussitôt ses paroles, elles étaient sorties toutes seules. Il se dit que trop côtoyer Jessy n’était pas bon pour sa diplomatie. Les sourcils de Régis se froncèrent un bref instant, il avait été surpris par la réplique, mais cette provocation le motiva d’autant plus.
« Etonnant, mais je ne vais pas cracher sur un peu de challenge. Accepterais-tu que je déroge à la règle de l’arène ?
- Ça dépend, quelle règle ?
- Normalement c’est une arène spécialisée dans les pokémon sol, alors je combats les minables qui défilent à ma porte avec Nidoking, Nidoqueen et Grolem. Mais comme tu es un champion de ligue, je préfèrerais sortir mes meilleurs pokémon, ils le méritent. Qu’en penses-tu ? Tu te sens de taille à affronter le maître pokémon Régis Chen ? »
Régis avait dégoupillé une pokéball et la faisait rebondir dans sa main avec une certaine impatience.
"Mais merde ! Ils vont tous me sortir l’artillerie lourde ma parole ! Faut que j’arrête de raconter partout que je suis le champion de l’Archipel Orange…" Pesta intérieurement Fry.
« Ça marche ! Lança finalement le jeune homme en cachant à merveille sa contrariété.
- Parfait ! Se réjouit Régis en resserrant sa main sur sa pokéball au vol. Trois pokémon contre trois, à la chaîne, celui dont tous les pokémon sont à terre a perdu. »
"Je sens que celui-là va être encore plus chaud à vaincre que Violine… Il en veut le bougre." Songea Fry en s’installant sur le terrain.
« Ok, à toi d’ouvrir le bal Riha !
- Ah ah ! Ricana Régis. Un pashmilla, tu n’as rien de mieux en stock "champion" ? Je suis déçu. Elekable : boule élek ! »
A peine sortie de sa pokéball, Riha fut obligée de se jeter à plat ventre sur le côté pour échapper à la sphère d’énergie. La boule élek alla s’exploser contre la solide paroi de l’arène, le bruit se répéta en un écho assourdissant, Pashmilla arrivait à peine à entendre la voix de Fry, mais elle connaissait ses stratégies par cœur.
« Attraction ! »
La mignonne petite pokémon se roula sur le sol, enveloppée dans sa voluptueuse queue blanche, et se dévoila telle la reine Cléopâtre aux pieds du césar élekable. Le pokémon de Régis ne s’y attendait pas, l’attraction lui fit de l’effet, bien plus que Fry ne l’aurait espéré.
« Poing éclair ! »
L’ordre de Régis se perdit dans les limbes du cerveau amoureux d’Elekable, il était totalement sous le charme, Fry saisit sa chance :
« Boule roc ! »
Pashmilla se roula en boule et chargea son adversaire. Un bref instant, Régis vit la silhouette de son grolem à travers ce petit pokémon blanc duveteux. Riha frappa Elekable, le géant jaune ne réagit pas et Fry enchaina :
« Souplesse ! »
Dans un saut athlétique, la jolie souris donna un coup de queue triplé par deux coups de pieds au pokémon de Régis. Le champion de Jadielle fulminait. Ce petit rongeur ne payait pas de mine, mais Fry l'avait surentrainé dès qu'il avait eu entre les mains la pokéball de la douce chinchidou.
« Elekable ! Tu vas sérieusement rester sans réagir ? Aller du nerf ! Reprends tes esprits ! »
La voix rêche et agacée de son dresseur ramena Elekable les pieds sur terre. L’attraction faisait toujours effet, mais il commençait à réaliser qu’il allait perdre ce match s’il continuait de se laisser malmener par la femelle sans broncher. Il lança un éclair sans grande conviction. Riha encaissa l'attaque en grimaçant, il en faudrait beaucoup plus pour l'abattre. Régis, agacé, prit les choses en mains.
« Déluge plasmique ! »
La capacité était non-offensive, donc élekable réussit à l'utiliser contre sa bien-aimée du jour, mais elle était sournoise. En chargeant le pelage de pashmilla en électricité, elle rendait élekable quasiment insensible aux techniques de type normal, car à chaque fois que Riha le touchait, elle lui redonnait de l'énergie grâce à l'électricité statique de son corps. Fry avait beau se creuser les méninges, pashmilla n'avait plus aucun moyen de blesser son adversaire en dehors de sa balle graine et du mégaphone. Le champion de la Ligue Orange grinça des dents, il savait que Riha et lui étaient foutus. En voyant son air déconfis, Régis jubila et décida de donner le coup de grâce.
« Onde de choc ! »
La vague électrique foudroya Riha. Elle tomba à genoux, elle était encore consciente mais elle ne pouvait plus rien faire, Fry n'avait pas envie de la voir s'épuiser inutilement, il la renvoya dans sa pokéball.
« Ta petite pashmilla était finalement plus résistante que je ne l’aurais cru… » Dit Régis en tordant sa bouche dans un sourire arrogant.
Fry savait qu’il n’avait qu’un seul pokémon dans son équipe capable de vaincre Elekable.
« Katy ! »
Sa luxray faisait face à son adversaire du même type qu’elle, elle savait qu’il était inutile d’utiliser ses attaques électriques. Régis ricanait à moitié de ce choix, Fry se disait qu’il n’allait pas ricaner longtemps.
« Vantardise !
- Poing de feu !
- Hâte ! »
Luxray fonça comme une flèche pour éviter le poing de feu, en utilisant sa vantardise, elle déconcentrait l’elekable, en boostant sa vitesse elle pouvait éviter toutes ses attaques ce qui le frustrait affreusement. Elle savait ce que son dresseur avait derrière la tête en lui demandant cet enchainement. Elle devinait aussi la suite, contrairement à Régis.
« Essaye encore Elekable, tu vas finir par l’avoir, vive attaque ! »
C’est précisément l’attaque que Fry attendait.
« Retour ! » Cria t-il.
Alors qu’Elekable fonçait vers elle, Riha bondit par-dessus les épaules d’elekable pour esquiver l’attaque et le gros pokémon s’emplafonna dans le mur épais de l’arène doublé de plomb juste derrière elle. Il s’assomma tout seul. Katy retourna auprès de son dresseur, tandis que Régis, mécontent, renvoyait élekable dans sa pokéball.
« D’accord, j’ai affaire à un petit malin… » Marmonna Régis pour lui-même.
Régis hésitait à envoyer un pokémon sol, il aurait ainsi pu abattre luxray en une attaque, mais ça aurait été trop facile. En plus, il avait déclaré qu’il n’utiliserait pas ses pokémon sol. Il se voyait mal revenir sur sa parole et passer, non seulement pour un menteur, mais aussi pour un lâche. Qu’importe, il n’avait pas besoin de cela pour gagner.
« Noctali !
- Champ électrifié !
- Onde folie !
- Noctaaa ! »
L’onde folie enveloppa Katy et elle entra dans un état de confusion. Heureusement, elle avait réussi à placer son champ électrifié avant.
« Coup d’jus ! »
Katy ne contrôlait pas ses mouvements, mais le coup d’jus était une attaque de grande amplitude, alors elle toucha noctali malgré tout. Régis et Fry manquèrent de se faire électrocuter eux aussi, les deux champions avaient de la chance d’être dans une arène de type sol couverte de matériaux isolants.
« Feinte ! »
Noctali traversa le terrain avec la furtivité d’un farfuret et frappa la luxray. A son contact, sans vraiment comprendre ce qu’elle faisait, elle relâcha une nouvelle décharge. Le noctali de Régis était très fort mais surtout ultra-résistant. Amplifiées par le champ électrifié, les attaques de luxray étaient surpuissantes, pourtant Noctali encaissait et résistait admirablement.
« Bélier ! »
Le choc fut rude pour Katy, elle peinait à reprendre ses esprits. Dans son état, impossible de recourir à ses petites ruses habituelles, alors Fry misa sur la force brute.
« Eclair fou ! »
Noctali avait beau être costaud, l’éclair fou le blessa grièvement. Régis voulut utiliser son rayon lune, même s’il redoutait que ce ne soit pas suffisant, sauf que Fry et Katy ne lui laissèrent pas le temps de réagir.
« Coup d’jus ! »
La dernière attaque électrique eut raison du noctali et l’évolition s’effondra sur le sol. Katy était à bout de souffle, mais elle pouvait encore lancer une décharge s’il le fallait, c’était suffisant pour que Fry puisse découvrir le dernier pokémon de Régis et choisir le combattant adapté pour le dernier round. Régis fusilla le jeune homme des yeux, il se doutait qu’il laissait luxray sur le terrain uniquement pour avoir l’identité de son prochain adversaire et conserver l’avantage. Décidément, ce gamin aux allures de playboy des bacs à sable était vraiment très malin… C’était irritant, mais au moins Régis avait enfin retrouvé un adversaire à sa mesure, ce n’était pas arrivé depuis des mois.
« Vas-y Alakazam !
- Kaza… »
Fry observa le grand pokémon psy un bref instant pour le jauger. Régis sentait la frustration s’intensifier en lui, il voulait reprendre la main sur ce match, alors il ne laissa pas le loisir à Fry d’analyser longuement la situation.
« Rafale psy ! »
Le rayon psychique frappa Katy et la luxray s’écroula. Fry ressentit une pointe d’inquiétude et de remords en la voyant s’affaler, il l’avait laissée en première ligne juste pour évaluer le niveau d’Alakazam, ce n’était vraiment pas sympa de sa part, mais il n’avait pas le choix s’il voulait gagner ce match. Il dégoupilla sa dernière pokéball, bien décidé à remporter la victoire et à se faire pardonner par sa Katy.
« Marvy ! »
En découvrant le scarhino, Régis eut un rictus, il savait qu’il pouvait se débarrasser de lui en une attaque, deux maximum.
« Psyko !
- Ténacité ! »
A peine sorti de sa pokéball, Scarhino fut obligé de se protéger, mais Fry gardait confiance. Son ami avait tenu tête à lucario, ce n’était pas cet alakazam qui allait l’impressionner.
« Mégacorne ! »
Scarhino déploya ses ailes d’insecte et traversa la puissante vague psychique d’Alakazam, il souffrait, mais la ténacité le sauvait. Il mit toutes ses forces dans cette seule et unique attaque. Il empala alakazam avec sa mégacorne, le pokémon de Régis en eut le souffle coupé. Il fut projeté avec violence dans les airs et se claqua contre la paroi blindée comme élekable avant lui.
« A… Alaka… » Gémit le pokémon. Régis ne semblait pas accepter sa défaite. Il ouvrit la bouche pour donner un nouvel ordre, ses lèvres remuèrent mais rien ne sortit. Il relâcha un peu ses épaules, il était clair qu’Alakazam ne pouvait plus rien faire. Grâce à ses petites ailes vibrantes, Scarhino voltigea jusqu’à son dresseur et se posa près de lui.
« C’était absolument géant Marvy, bravo… »
Scarhino dressa la patte en l’air et Fry tapa dedans. Le pokémon était épuisé, mais il semblait vraiment content de sa prouesse.
Son match contre Régis avait été bref mais intense. Les champions de Kanto avaient un niveau bien plus élevé que ceux de l'Archipel Orange. Fry se surprenait lui-même, après deux années sabbatiques, il retrouvait ses réflexes de champion et il arrivait à tenir tête à un maître pokémon tel que Régis Chen, il sentait son égo se gonfler comme un baudrive. Cette sensation lui fit penser à Jessy, il devait admettre que c’était difficile de rester humble quand on avait ce sentiment de triomphe et de plénitude qui vous envahissait tout le haut du corps.
Régis était prétentieux et provocateur, mais il savait reconnaître un adversaire de valeur. Le sexagénaire s’approcha de Fry pour lui donner le badge terre. Il en profita pour lui serrer la main avant de caresser le cou de l’arcanin.
« Quand tu rentreras au Bourg Palette, tu salueras ta maîtresse de ma part. » Dit Régis avec affection au pokémon feu. Arcanin aboya positivement. Fry avait du mal à reconnaître le champion, on aurait dit un homme différent, doux et généreux. Comme si Régis avait senti quelque chose dans le regard interrogateur du jeune homme, il lui adressa un sourire fier.
« Al et moi c’est une vieille histoire. On a grandi ensemble. Elle aurait dû faire carrière dans l’archéologie comme moi si elle n’avait pas épousé Jacky Léon. »
Fry hésita à répondre, son "comme moi" sonnait comme un "avec moi". Or, Fry n’avait pas envie de passer trois heures à écouter les souvenirs du vieux champion comme il avait écouté ceux de Seb, même si c’était le fameux Régis Chen, il avait plus urgent à faire.
« Et tu diras à ta copine que j’attends toujours ma revanche. » Ajouta finalement Régis avec son arrogance naturelle.
« Ma cop… » Fry s’arrêta, il avait percuté. Il rendit son sourire carnassier à Régis.
« Ok, je lui dirai. »
Régis fit volte-face, en soignant bien sa démarche pour avoir l’air badass et, de dos, il salua d’un discret signe des doigts le jeune champion de la Ligue Orange avant qu'il ne file faire sa course spéciale en ville pour sa "copine" justement.
Le dos d’arcanin était large mais Fry n’avait pas prévu quoi que ce soit pour stabiliser son gros paquet. Il supplia Hadès de trotter doucement pour ne pas tomber avec son matériel. Il rentra au Bourg Palette bien après l’heure du déjeuner, il avait l’estomac dans les talons. Heureusement, Seb, dans son immense gentillesse, avait mis quelques restes de côté pour lui. Après son brunch, Fry s’approcha timidement de la chambre des jumelles.
« Jessy ? » Appela-t-il. Il n’obtint pas de réponse, mais la porte était entrouverte et il entendait du bruit. Il prit le risque de pousser la porte et de se présenter sur le seuil, le plancher en bois clair craquait sous ses pas. La chambre oblongue aux murs rose pâle était mansardée. A chaque extrémité de la pièce, deux lits individuels étaient installés en vis-à-vis le long du mur côté versant, il avait été doublé sur toute la longueur de meubles de rangements bas couverts de peluches de pokémon. Contre la cloison du couloir, il y avait une bibliothèque et deux petits bureaux étroits avec des tabourets. Jessy était en train de ranger son linge propre dans les tiroirs de long du mur. En voyant la guitare de Jessy posée au sol près d’une tête de lit, Fry se dit que le lit du fond devait être celui de Jessy et que celui devant la porte appartenait à Jenny.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Fit Jessy d’une voix morne, sans réaliser qu'elle avait à la main une petite culotte en coton rouge avec une broderie coquette et un feunard imprimé sur les fesses.
- J’ai un truc à te montrer, répondit Fry en souriant. Tu peux prendre ta guitare steu’plaît ? »
Jessy haussa un sourcil mais s’exécuta sans un mot. Elle le suivit jusqu’au jardin. Fièrement, Fry lui montra d’un geste théâtral sa nouvelle acquisition : un cajón en bois noir.
« Je me suis dit que ça nous permettrait de nous entrainer avec ramboum en attendant de trouver une vraie batterie.
- T’as payé ça comment ? Demanda Jessy dubitative.
- Cinquante pokédollars c’est tout ce qu’il me restait dans mon portefeuille. J’ai juste pas eu le choix du modèle. »
Jessy restait placide, mais elle frôla des doigts le bois vernis du gros cube. Avec un semblant de vivacité retrouvée, elle leva ses yeux bleus vers Fry.
« Tu l’as déjà essayé ?
- Je t’attendais. » Répondit-il avec son sourire de séducteur à la Reese Morgan. Il s’assit sur son cajon et fixa Jessy de son regard bienveillant jusqu’à ce qu’elle s’installe sur le petit tronc d’arbre couché faisant office de banc pour les pokémon en face de lui. Fry réfléchit à ce qu’il pourrait jouer avec ce nouvel instrument. Le cajon offrait moins de possibilité qu’une vraie batterie. Il se rappela d’une chanson assez simple que les Irish Japanese leur avaient apprise.
"Celle-là ça devrait le faire !" Songea Fry.
Il commença la percussion pour retrouver le bon rythme, il misait sur le fait que Jessy reconnaitrait la chanson et il remporta son pari. Avec une petite moue qui tranchait avec son dynamisme habituel, Jessy l’accompagna à la guitare. Comme elle n’avait pas l’air décidée à chanter, Fry s’en chargea, en essayant de ne pas trop jouer les casseroles.
« Je te lance des fleurs,
Tu fais la gueule.
Je fais mon charmeur,
Tu restes de marbre comme un draïeul…
Je fais des blagues,
Elles tombent à plat.
Je fais des vagues,
Mais toi tu ne mouftes pas…
Tu me fais tourner la tête à chaque instant.
Je suis comme à la fête et pourtant…
Tu es la plus jolie chose que j’ai vue de ma vie !
Je coure derrière toi à moitié transi !
Juste un mot de toi et je deviens tout gentil !
J’ai capturé un joliflo-o-or,
Juste pour te voir sourire encore ! »
Fry regardait Jessy en lui souriant gentiment avec son charme légendaire. Elle finit par lui adresser un léger rictus un peu affligé, elle commençait à connaître ses petites combines pour l’amadouer. Malgré tout, elle retrouvait un peu son entrain sur la deuxième partie du refrain et Fry continuait de chanter.
« Douce bergère avec ton troupeau de lainergies,
Tu es ma muse, mon Euterpe et ma nymphali,
Tu m’inspires tellement de rêves et de poésies,
Et je crois… Je crois…
Que je ne peux pas te le dire encore !
Et je crois…
Que je veux te voir sourire encore ! »
Fry aimait bien le contact de ses mains sur le cajon. De multiples pokémon curieux s’étaient rassemblés autour du duo, ils n’avaient pas l’habitude d’entendre de la musique, surtout jouée en live. Ceux qui ne s’approchaient pas paraissaient tout aussi intrigués, la plupart s’immobilisèrent pour les écouter. Les multiples museaux velus et colorés perplexes de la pâture étaient tous tournés vers les deux musiciens. Même lucario, sous la bonne garde de ses geôliers Spyke, Misdy et Wal, les fixait de loin en se demandant ce qu’ils fichaient avec leur tintamarre.
Fry reprit avec bonne humeur :
« T’as pas cédé,
T’as résisté.
J’ai beau te plaire,
Ton visage reste un désert…
J'suis à tes pieds,
Je suis piétiné.
J’en fais des tonnes,
Mais tu restes aphone…
Je suis à sec, je n’ai plus la moindre idée,
Pour te séduire, j’en suis désespéré…
Tu es la plus belle chose que j’ai vue de ma vie !
Je coure derrière toi à moitié transi !
Juste un mot de toi et je deviens tout petit !
J’ai capturé un ceriflo-o-or,
Juste pour te voir sourire encore !
Jolie bergère avec ton troupeau de lainergies,
Tu es ma muse, ma kirlia et mon Uranie,
Tu m’inspires tellement de poèmes et de rêveries,
Et je crois… Je crois…
Que je ne peux pas te le dire encore !
Et je crois…
Que je veux te voir sourire encore ! »
Fry s’arrêta de taper le rythme pour que Jessy fasse le solo de guitare, il essaya de prendre une voix suave et elle l’était, sans nul doute, néanmoins il continuait de chanter faux.
« Les mots se bousculent dans ma tête mais ne sortent pas…
J’ai le cœur en vrac et l’âme dans le même état…
Je veux te voir sourire encore, oh juste une fois…
Et je crois… Je crois… »
Il se défoula sur son cajon avec une certaine allégresse en chantant à tue-tête :
« Que tu es la plus jolie chose que j’ai vue de ma vie !
Je coure derrière toi à moitié transi !
Juste un mot de toi et je deviens tout gentil !
J’ai capturé un joliflo-o-or,
Juste pour te voir sourire encore !
Douce bergère avec ton troupeau de lainergies,
Tu es ma muse, ma Vénus et ma delcatty,
Tu m’inspires tellement de rêves et de fantaisies,
Et je crois… Je crois…
Que je t’aime un peu plus fort !
Et je crois…
Que je peux te le dire encore !
Et je crois…
Que je t’ai vu sourire encore ! »
Et en effet, la chanson fut prémonitoire puisque Jessy finit par décrocher un sourire. Un sourire triste et fatigué, mais un sourire quand même.
"Mission accompli" songea Fry.
Quelques pokémon jappèrent joyeusement derrière eux, comme des applaudissements animaliers. Fry étouffa un petit rire et Jessy agrandit timidement son sourire.
« Tu vas pouvoir composer à nouveau comme ça ! Lança Fry avec optimisme, mais Jessy semblait beaucoup moins emballée que lui.
- Mouais… Juste avec ces deux machins là, ça ne va pas être simple.
- Comment tu parles de ta guitare… Mais j’y pense, ta sœur n’avait pas dit qu’il vous restait des instruments ici ? »
En entendant ces mots, la lueur électrique se raviva dans les yeux de Jessy. Elle se leva brusquement de son tabouret-tronc d’arbre, posa sa guitare et prit la direction du laboratoire.
« Eh attends-moi ! » S’exclama Fry avant de la suivre.
« Maman, ils sont où nos vieux instruments ? Lança Jessy, à peine entrée dans le labo.
- Chez mes parents, répondit Florine de manière lapidaire avant de se détourner de son ordinateur et d’ajouter de sa voix sèche : vous n’avez pas mieux à faire de vos journées que jouer de la musique ? T’as pas des badges à remporter toi par hasard ? »
Elle hocha la tête en direction de Fry, puis s’adressa spécifiquement à Jessy.
« Tu ferais mieux de l’aider à s’entrainer pour la ligue de Kanto, à défaut de préparer ton bac… »
Jessy se contenta de grogner en faisant volte-face pour se rendre à la maison d’Al et Jacky. Fry se dépêcha de la suivre, la professeure Léon était pire que ses propres parents en matière de mise sous pression face à ses responsabilités de champion de la Ligue Orange. Il la maudissait aussi intérieurement, car elle se débrouillait vraiment bien pour ruiner tous ses efforts d’amélioration de l’humeur de Jessy. Jouer quelques notes l’avait un peu reboosté, au moins pour la journée.
« Mamie ! » Appela Jessy avec une certaine rudesse en l’apercevant sur sa terrasse avec quelques jeunes évolis.
« C’est toi qui a nos vieux instruments ?
- Oui, tu veux les récupérer ?
- Oui steu’plaît ! »
La rouquine était plutôt rustre par nature mais dans l’intonation de sa voix, il y avait un côté infantile lorsqu’elle s’adressait à sa grand-mère, c’était assez amusant, presque attendrissant, aux yeux de Fry. Le jeune homme entra pour la première fois dans la maison de Maître Al. Elle était grande, surtout en comparaison avec la modeste partie résidentielle du laboratoire des professeurs Léon, mais en s’imaginant qu’ils avaient vécu jusqu’à huit dedans, sans compter les pokémon, elle était finalement juste à la bonne taille pour ne pas se sentir trop à l’étroit.
Fry suivait à la trace Jessy, elle-même suivait sa grand-mère à l’étage. Ils pénétrèrent tous dans la plus grande chambre, côté est, où se trouvaient encore deux lits jumeaux avec des draps mauves et roses. C’était la chambre d’enfant de Florine, qu’elle partageait autrefois avec Violine. Deux guitares électriques dont une basse, modèles junior, étaient entreposées contre le mur près de la fenêtre. Jessy prit la sienne et la caressa doucement de haut en bas comme pour l’examiner. C’était un petit modèle adapté pour les enfants entre sept et douze ans, avec son mètre soixante-dix, ce n’était clairement pas ce qu’il y avait de plus pratique désormais. Jessy ne prononça pas un mot, mais elle finit par pousser un profond soupir, Fry aurait été bien en peine de deviner à quoi elle pensait.
Al s’absenta un instant pour aller fouiller dans le placard de sa propre chambre à l’autre bout du couloir et revint voir Jessy et Fry un vieil étui à guitare en motif à carreaux à la main. Avec un sourire un peu triste et ému, elle leur dit :
« C’était la guitare de mon papa. Je ne sais pas en jouer et aucun de mes enfants n’a appris, mais je n’ai jamais eu le cœur de m’en débarrasser… La musique était son seul loisir ou presque. Il serait heureux qu’elle serve à ses arrière-petits-enfants. »
Jessy eut un sourire reconnaissant pour sa grand-mère, elle ouvrit l’étui et révéla une guitare acoustique très ordinaire avec des cordes de différentes couleurs, il faudrait probablement les changer pour remettre un seul matériau. A vue de nez, elle avait presque cent ans mais elle restait en très bon état.
« Merci mamie.
- On en prendra soin, promis. » Renchérit Fry en remarquant la larme dans l’œil de Maître Al.
Avec un matériel très réduit et uniquement en binôme, ou trio si l’on comptait ramboum, fin heureux de retrouver la musique, Fry et Jessy ne pouvait pas répéter sérieusement. En revanche, c’était suffisant pour que Jessy arrive à composer un petit peu. Et surtout, jouer de la musique avait radouci son humeur.
Les résidents du laboratoire, humains comme pokémon, n’avaient pas l’habitude d’avoir des musiciens à leur porte. En dehors de Florine, bougonne et toujours très absorbée par son travail, tous les autres étaient irrésistiblement attirés par ces mélodies qui virevoltaient dans la brise automnale. Malheureusement, Jessy était mal à l’aise lorsque Robin et Seb venaient les voir jouer, à tel point qu’elle finit par renoncer à prendre sa guitare certains jours. Le mercredi suivant, alors que la rouquine était partie à l’arène pour s’entrainer au combat pokémon avec sa tante, Robin s’en alla chercher Fry. Il s’était planqué dans la chambre des jumelles pour faire sa sieste pénard dans le lit de Jenny. Sur la mezzanine, il aurait été réveillé en fanfare par Florine, la professeure détestait l'oisiveté.
« Fry ! Tu veux bien m’apprendre à jouer de la guitare dis ? » Quémanda Robin en s’appuyant sur le bras du champion somnolant.
« Humm… Arf… » Fry émergea lentement. Il avait l’impression qu’ils ne dormaient jamais dans cette famille. Les adultes travaillaient tout le temps, mais les enfants n’étaient pas vraiment moins actifs. D’un geste à demi-réveillé, il ébouriffa la chevelure blonde de Robin et se leva en trainant les pieds. Les deux garçons s’installèrent dans le jardin avec les deux guitares, celle de Jessy et celle de son arrière-grand-père.
« T’es droitier ?
- Voui.
- Ok, alors déjà tu prends la guitare comme ça et tu poses ton bras sur la caisse comme ça.
- C’est la guitare de Jessy, elle ne va pas s’énerver ? Couina Robin en jetant un regard un peu anxieux à Fry, il osait à peine poser ses mains sur la guitare au vernis cuivré de sa sœur.
- Elle est plus petite que l’autre, tu y arriveras mieux sur celle-là. Et bon c’est Jessy, elle s’énerve tout le temps, j’ai l’habitude… Maintenant tu poses ton pied là, ça évitera que tu te fasses mal au dos.
- Après tu m’apprendras à jouer sur ta caisse en bois ?
- Si tu veux, mais une chose après l’autre… Dit posément Fry. Je vais te montrer un accord, regarde bien mes doigts. Surtout pince bien la corde ici. »
A travers la fenêtre de la bibliothèque, Jenny regardait d’un air absent Fry et Robin assis l’un à côté de l’autre en train de s’exercer sur les guitares. Florine était bien trop absorbée par ses recherches pour lui prêter la moindre attention, mais Seb la rejoignit et ils contemplèrent ensemble, en silence, les deux garçons dans la prairie aux couleurs chaudes de l’arrière-saison. Au bout de quelques minutes, Seb rompit cet intervalle serein avec un grand sourire paternel.
« Il est vraiment chouette ce garçon.
- Oui… Répondit simplement Jenny en souriant également.
- Et tu ne lui as toujours pas mis le grappin dessus ?
- Qu… Mais ça va pas de me poser des questions comme ça ? Rouspéta Jenny en frappant avec force le bras de Seb. Ça ne te regarde pas ! »
Seb s’éloigna en riant, heureux de savoir son fils et ses belles-filles en bonne compagnie.
Quand Jessy rentra chez elle, elle vit Robin avec sa guitare à la main et son sang ne fit qu’un tour. Jenny était sortie récupérer les bébés pokémon pour la nuit à ce moment-là, elle se précipita vers sa sœur pour souffler avec fermeté dans son oreille :
« Laisse-le Jess, par pitié ! »
Jane retenait sa sœur par les deux bras. Le léviator rouge toisa Robin et Fry, dos à elle, ils ne l’avaient pas encore aperçu. Les garçons étaient rayonnants, Jessy n’arrivait pas à comprendre ce qu’elle ressentait en les voyant ensemble en train de jouer de la musique. Déjà, elle était en colère parce que Robin touchait à ses affaires sans sa permission. Elle avait envie d’attraper Fry et de lui crier dessus, parce qu'il l'avait laissé faire et surtout parce qu’il était son batteur à elle, pas celui de Robin. Son subconscient avait surtout envie de jouer avec eux…
« Tiens, t’es là Jess. » Constata Fry en se retournant.
Robin sursauta. Il eut une sueur froide, sa sœur l’avait vu avec sa guitare dans les mains. Elle le fixa de son regard bleu électrique foudroyant pendant des secondes interminables pour le petit garçon. Finalement, elle passa son chemin en tirant une mine sévère, mais au moins elle ne le disputa pas. Robin soupira de soulagement et Fry lui tapota le dos dans un geste rassurant. Selon son interprétation, cela signifiait que Jessy donnait l’autorisation tacite à Robin d’utiliser sa guitare.
Les jours s’écoulaient tranquillement au Bourg Palette en ce début d'octobre. Fry devait jongler entre les sollicitations de Robin et celles de Jessy. Robin était clairement plus envahissant, mais fort heureusement plus sympathique et uniquement présent les mercredis et les week-ends. Quand Robin était là, Jessy et lui s’évitaient ou s’ignoraient délibérément, ce que Fry trouvait dommage. Robin avait vraiment envie d’apprendre à jouer de la musique et il aurait aimé que Jessy l’aide sur ce point, après tout c’était son frère à elle, il pensait que c’était plus son rôle que le sien. Quant à Jenny, enfermée dans le laboratoire avec son grand-père et sa mère, elle ne venait presque jamais les voir. Fry se disait que c'était comme quand elle était avec Scott, sauf qu’en compagnie de Scott, Jenny était gaie et épanouie, au laboratoire elle se montrait beaucoup plus taciturne.
Florine n’aimait pas que Jessy et Fry jouent de la musique, encore moins qu'ils encouragent Robin à faire la même chose, mais Seb l’avait supplié à genoux de les laisser en paix. Ce qui avait fini par la convaincre, en dehors du gros câlin magique dont Robin avait parlé, c’était que Fry canalisait assez bien les énergies débordantes de Robin et Jessy, et ça, dans l’esprit de Florine, ça forçait le respect.
Pour ne pas provoquer la matriarche tyrannique dans sa haine des fainéants, et parce que ses deux combats contre Violine et Régis l’avaient remotivé, Fry continuait de faire le tour des arènes de Kanto quand il le pouvait. Pour ça, il avait besoin d’un pokémon vol et il devait bien souvent s’absenter la journée. Jessy lui avait prêté Etna et quand Robin était dans les parages, Jessy s’empressait de l’accompagner à l’autre bout de la région. Plus il y avait de kilomètres entre elle et le Bourg Palette, et mieux elle se sentait.
Jessy hésitait à emmener Lucario avec elle, il ne lui était d’aucune utilité vu qu’il refusait de lui obéir, mais elle prenait un risque en le laissant au Bourg Palette, loin de sa surveillance. Lucario semblait plus calme avec les pokémon de Seb et de Justine qu’avec les siens, alors Jessy avait finalement déposé son hyperball au labo pour la journée et était partie avec Fry pour l’arène de Safrania.
Seul, au milieu des pokémon dans le jardin du laboratoire, Robin avait récupéré la guitare de Jessy et il s’entrainait comme Fry le lui avait montré. Le blondinet avait bien vu que, de temps en temps, Lucario les observaient du coin de l’œil lui et Fry pendant les leçons, mais il n’y avait pas vraiment prêté attention puisque la plupart des pokémon du labo faisaient la même chose. Nombre d’entre eux avaient finalement une âme mélomane. Ce samedi, Lucario regardait à nouveau le petit garçon. Cette fois Robin était isolé et lucario n’avait pas les pokémon de Jessy sur le dos, en dehors de Galop. Pour la première fois, le lucario s’était un peu approché du petit musicien pour avoir une meilleure vue. Il sentait que cet humain était jeune et encore chétif, insignifiant en somme, il ne risquait pas de lui causer du tort, il était inutile de s'en méfier.
Au départ, Robin était mal à l’aise. Ce pokémon l’impressionnait beaucoup et il avait entendu ses sœurs et ses parents dire qu’il était agressif et dangereux. C’est vrai qu’il avait une lueur inquiétante dans le regard, mais à chaque fois qu’il venait écouter Robin ou Fry avec leurs guitares il paraissait très calme. Robin rassembla son courage et timidement il se rapprocha à son tour de quelques mètres de Lucario. Le pokémon lui grogna dessus pour le tenir à distance.
« Euh, tout doux lucario. Tu veux m’écouter jouer ? Tu sais je ne joue pas très bien encore.
- Luc, grrr…
- Attends, je reste là tu vois ? »
Robin renonça à s’approcher davantage et s’assit sur un rondin de bois qui trainait à proximité de Lucario, précisément parce que le pokémon s’était énervé après un arbre et l’avait scié en plusieurs morceaux, au grand désespoir des professeurs Léon père et fille. Robin se réinstalla avec la guitare que Jessy lui avait plus ou moins prêtée et il recommença à jouer.
« Regarde, c’est ce que Fry m’a appris hier soir. »
Le petit garçon faisait vibrer les cordes et répétait les quelques accords qu’il connaissait à peine. Il y avait pas mal de fausses notes et le rythme n’était vraiment pas régulier, mais un air de guitare est toujours agréable, les novices ne lacèrent pas les oreilles de leurs auditeurs comme avec un violon ou un piano.
Lucario avait toujours apprécié le silence, il se surprenait lui-même à écouter les sons que produisaient ces drôles d’engins de bois fabriqués par les humains, cela l’intriguait beaucoup… Plongé dans ses réflexions, le regard du pokémon s’adoucissait. Il retrouvait un peu de cet air ingénu qu’il avait au stade de riolu.
« A table ! » Cria Seb par la fenêtre.
L’estomac de Robin gargouillait et il oublia en une demi-seconde la musique. Il posa, ou plutôt jeta, la guitare par terre et fonça vers la cuisine.
« A toute à l’heure Lucario ! » Lança-t-il précipitamment, guidé par l’appel du ventre.
Lucario le regarda s’en aller, il trouvait ce gamin humain aussi versatile et foufou qu’un bébé fouinette ou zigzaton. Lorsque Robin eut disparu à l’angle du bâtiment, Lucario reposa son attention sur la guitare posée à ses pieds. Si Jessy avait su que Robin avait abandonné sa guitare au milieu de la pelouse humide devant le lucario qui a ravagé le festival des forêts, elle aurait piqué la crise du siècle. Lucario tendit la patte et toucha les cordes du bout des griffes.
« Boing ! »
Il eut un mouvement de recul, accroupi sur ses quatre pattes, dans une position méfiante, il se mit à tourner autour de la guitare dans une attitude quasi reptilienne. Il fit une deuxième tentative.
« Boing ! »
Puis une troisième.
« Boing-boing ! »
Intrigué, il s’approcha et renifla la guitare par tous les côtés. Il finit par l’attraper, il ne savait pas trop dans quel sens la tenir, pourtant il voyait faire les humains depuis plusieurs jours. Avec maladresse, il essaya d’imiter la position de Fry quand il joue. Il s’assit sur un rondin de bois et faillit tomber à la renverse en arrière. Il lâcha la guitare.
Contrarié, il descendit de sa souche et s’assit en tailleur devant la chose qu’il fixa pendant une heure. De temps en temps, il frôlait à nouveau les cordes pour entendre le "boing". Galopa, installé dans l’herbe de la pâture continuait de le surveiller du coin de l'œil, l’attitude du lucario l’amusait beaucoup.
Après le déjeuner, Robin revint tout guilleret auprès du lucario avec une assiette pleine de gros gâteaux ovales à l’aspect brioché. Le pokémon lui jeta un regard suspicieux, l’aura du petit garçon était on ne peut plus pacifique, mais il restait un humain…
« Tiens Lucario ! Je t’ai amené des poffins ! Je suis sûr que t’en as jamais mangé ! »
Lucario baissa les yeux sur ce que Robin avait dans les mains. Il avait déjà vu des trucs comme ça, il y a très longtemps : les petits chapardeurs de la Tour Perdue de Sinnoh en avaient entre leurs pattes en sortant du cimetière. Le gamin voulut s’approcher mais lucario grogna à nouveau.
« Lugrrr… »
Robin resta prudent, il posa l’assiette sur le sol et recula de quelques pas. Il était suivi par ses trois pokémon, ils bavaient d’envie devant les poffins. Lucario leur lançait des regards obliques. L'évoli et le salamèche étaient très jeunes, enjoués et inconscients du danger que pouvait représenter le carnivore. Ils se ruèrent sur l’assiette sans redouter la réaction du lucario. Ce dernier n’avait jamais vu des pokémon de ces deux espèces, en revanche il reconnut facilement la silhouette gazeuse du fantominus. Le pokémon spectre sentait le regard insistant de lucario et il s’approcha sans appréhension, comme beaucoup de ses semblables il était de nature curieuse et sociable.
« Fanfan !
- Lu…
- Vivi ! Red ! Laissez-en à Lucario ! » Râla le jeune Lavandson.
Convaincu par le fantominus, Lucario se pencha vers l’assiette et plongea la patte entre les truffes de l’évoli et du salamèche affamés. Il se saisit d’un poffin moelleux et doré. Il le renifla et reconnut immédiatement l’odeur des baies pêcha. Il y avait aussi de la baie mago, mais il en mangeait rarement. En voyant les deux autres se régaler, lucario croqua dedans. Il écarquilla les yeux : ce parfum, cette texture… Il trouvait cet aliment délicieux, même s’il manquait de baie oran à son goût. Lucario engouffra le poffin et en vola un deuxième avant que les deux petits goinfres ne dévorent tout. Il finit par lever des yeux sceptiques vers le visage jovial de Robin.
« T’as vu ? C’est trop bon hein ?
- Lu… Finit par marmonner le lucario.
- Tu veux que je joue encore de la musique ? Demanda le petit garçon en attrapant la guitare qui trainait au sol. Si tu aimes ça, il faut que tu demandes à Fry ! Lui il te jouera un vrai morceau ! »
Et sur ces mots Robin s’installa en face de Lucario pour torturer les cordes de la guitare avec ses fausses notes. Lucario regardait les doigts du petit garçon avec attention et dressait ses oreilles en pointes. Ce "truc" en bois l’intriguait vraiment beaucoup.
Le pokémon et l’enfant n’étaient plus qu’à un mètre l’un de l’autre, le doute et la méfiance s'étaient progressivement évaporés. De retour de Safrania, Fry et Jessy survolaient le laboratoire. Lorsque les ados virent Robin aussi proche de lucario, ils eurent le même haut-le-cœur de panique. Jessy ordonna à Etna d’atterrir près d’eux. La dracaufeu n’avait même pas encore posé la patte à terre que Jessy avait bondit de son dos, manquant de faire tomber Fry, toujours accroché à ses hanches.
« Qu’est-ce que tu fous ?!? Brailla Jessy en courant vers Robin. Ne t’approche pas de ce pokémon ! »
Elle attrapa Robin par le col du pull et le força à reculer derrière elle, sa guitare à la main. Lucario se redressa d’un bond et se mit en position de combat face à sa dresseuse. Il grogna contre elle avec un air menaçant. Galop fut obliger de se relever précipitamment lui aussi.
« Il m’écoutait jouer ! Ça lui plaisait ! Protesta Robin avec véhémence.
- Je m’en fous, il est dangereux ! S’il te fait du mal, maman ne me le pardonnera jamais !
- N’importe quoi ! Si t’étais pas aussi méchante avec lui il ne serait pas méchant avec toi !
- Répète un peu sale rapion ?!? »
Robin s’enfuit, contrarié, en abandonnant la guitare de Jessy dans la pelouse. Elle la ramassa en grommelant, puis elle jeta un regard hostile à lucario.
« Louc… Lui lança le pokémon.
- Ouais je sais, j’en ai autant à ton égard. » Cracha Jessy.
Le soir venu, sur la mezzanine, Robin raconta sa journée à Fry en insistant sur l’épisode avec Lucario. Il ne lâcha pas le batteur jusqu’à ce qu’il lui promette de venir jouer un morceau devant le pokémon de Jessy. Fry n’était pas très rassuré, mais il devait vérifier si Robin disait vrai.
C’était dimanche, Jessy savait que Robin allait s’accaparer sa guitare acoustique et son batteur, alors en ronchonnant elle se rendit chez sa grand-mère pour jouer sur sa guitare électrique de petite fille, seule. Ce n'était pas pratique, mais c’était mieux que rien. Contrairement à Florine, Al appréciait de voir Jessy jouer de la musique, ça lui rappelait son enfance avec son père, lorsqu’il s’installait sur son piano synthétiseur dans le grenier le soir.
De leur côté, Robin et Fry s’en allèrent, instruments à la main, voir Lucario. En voyant le champion de la Ligue Orange arriver, Lucario se mit à grogner avec hostilité. Il n’avait pas oublié son odeur, ni son aura, il savait que c’était lui dans la forêt de Verchamps qui avait aidé Jessy à le capturer en envoyant un scarhino. Toutefois, lucario le sentait : lui, au moins, il était intimidé quand il montrait les crocs, contrairement à l’autre folle avec ses cheveux couleur goupix. Cela rassurait un peu Lucario en réconfortant son égo de prédateur.
« J’suis vraiment pas sûr que ce soit une bonne idée Robin…
- Mais si ! Insista le gamin. Eh lucario ! Je t’ai ramené un poffin ! »
Le pokémon sursauta de surprise quand Robin lui lança la brioche entre les pattes. Le petit garçon s’assit sur sa buche et attendit avec un grand sourire que Fry fasse la même chose. Contraint et forcé, Fry se mit à jouer la même chanson qu’avec Jessy. Cette fois il n’osait pas chanter, lucario l'effrayait beaucoup plus que Jessy, mais sans doute un peu moins que Florine Léon-Lavandson. A la grande surprise de Fry, il constata que le pokémon fixait attentivement ses doigts qui balayaient les cordes, tout en mâchouillant son poffin. Robin n'avait pas exagéré, il avait vraiment l’air hypnotisé.
En voyant le lucario fasciné, un souvenir lui revint en mémoire. Il se revit assis sur le cajon qu’il avait emprunté à son pote Thibaut, ils étaient en train de jouer ensemble sur la plage de Pomelo, au milieu d’une assemblée de jolies filles. Fry avait ses pokémon à ses côtés, histoire d’impressionner encore un peu plus la gente féminine. Ramboum était comme envoûté, pour la première fois, Fry avait capté dans le regard de son pokémon une lueur passionnelle pour ces sons si mélodieux. Et puis, brusquement, John s’était mis à brailler, il essayait d’imiter le cajon. Ça avait fait rire toute l’assistance. Suite à cet épisode, Fry avait commencé à s'entrainer avec John pour leur petit numéro de batteur tricheur. Lucario devant lui avait ce regard-là, exactement le même que son ramboum…
Fry s’arrêta de jouer.
« Bah qu’est-ce qu’il y a ? Demanda Robin en clignant des yeux perplexes.
- On va essayer quelque chose, souffla Fry à Robin. Donne-moi la guitare de Jess. »
Docile, Robin lui tendit la guitare. Fry la déposa délicatement par terre avant de se lever. Il recula et força Robin à faire de même en le tirant par le col de son pull. Robin lui jeta un regard en biais et chuchota :
« S’il bousille la guitare de Jessy, elle va te tuer.
- Je prends le risque. »
Robin fixa longuement Fry, il le trouvait sacrément audacieux par moment, il s’était bien planté en le traitant de trouillard. Fry, lui, ne détournait pas les yeux de Lucario, il attendait, avec un certain frisson d’excitation, il avait écouté son instinct de dresseur-musicien.
Lucario haussa un sourcil invisible. Qu’est-ce qu’il espérait exactement cet humain ? Il baissa les yeux sur l’instrument de bois. Les humains le regardaient fixement, était-ce un piège ? Il n’y avait pas de raison et ça n’en avait pas l’air.
La guitare l’attirait. S’il arrivait à faire comme eux… Ils n’étaient que des humains après tout, toujours à recourir à leur technologie pour compenser la faiblesse de leur être. Lucario tira doucement la guitare jusqu’à lui dans un geste animal. Il la plaça entre ses pattes. Il y arriverait cette fois, il était persuadé d’avoir compris. Du bout du doigt, il tira sur une corde.
« Boing ! »
Il écouta le son résonner à ses oreilles, puis il recommença. Robin, les yeux écarquillés, prit une grande inspiration. Il allait crier de joie. Dans un geste vif, Fry le bâillonna avec sa main libre, lui-même retenait son souffle. Robin essaya de se libérer de cette emprise. Fry finit par le relâcher quand il fut certain qu’il ne dérangerait pas le lucario. Aucun des deux garçons ne quittait le pokémon des yeux.
Après plusieurs mouvements indiquant son inconfort, Lucario était enfin assis convenablement. Il reprit la guitare comme il put entre ses bras. Il pinça le haut du manche en recourbant sa patte gauche dessus et il tenta de faire vibrer les cordes de sa patte droite. Il n’avait que trois doigts épais, il rapprocha sa patte de son visage pour mieux regarder ses pattes velues de pokémon. Elle était si différente de celle d’un humain, comment faisaient-ils pour sortir un son de ce bidule avec leurs cinq doigts longs et maigres ? Obstiné, il reposa sa patte sur les cordes et il fit de son mieux avec ce que la nature lui avait donné.
Au bout d’un moment, Fry se rapprocha prudemment avec la guitare de l’arrière-grand-père des jumelles. Lucario lui jeta un bref coup d’œil mais ne lui fit pas l’honneur ou l’offense de réagir davantage, il continua de jouer faux avec les cordes de la guitare de Jessy. Le champion s’assit en face de Lucario sur un autre rondin de bois. Il s’installa et se mit à jouer le morceau simple qu’il essayait d’apprendre à Robin. Il répétait doucement le même couplet en boucle, les mêmes accords pour que Lucario s’en imprègne. Perturbé, le pokémon s’arrêta de jouer et redressa la tête pour regarder Fry. Il détachait les notes de manière exagérée pour que lucario les voient. Le pokémon tenta à nouveau de l’imiter, il faisait de son mieux, il observait les moindres détails des mouvements de Fry et il tenta de copier la chanson. Robin était émerveillé, il n’avait jamais vu ça de toute sa vie. Il trouvait ça incroyable, il ne tenait plus en place.
« Faut que papa voit ça !!! »
Le gamin fonça jusqu’au laboratoire pour aller chercher Seb. Le cri du petit garçon ne réussit pas à déconcentrer Lucario. Au bout d’un moment, Fry se risqua à lever les yeux vers le pokémon et sa guitare. Il regarda les doigts bleus potelés se coincer sur les cordes. Il sourit, d’un sourire immense et extatique, sous ses yeux, le miracle s’était produit…
Robin hurlait comme un hystérique dans tout le laboratoire, si bien qu’il rameuta non seulement son père, mais aussi Jacky, Florine et Jenny. Tous se tenaient assez éloignés de lucario, la bête restait farouche, mais ils la contemplaient béats, complètement subjugués par ce spectacle. Même Florine ne trouvait rien à dire ou redire pour une fois. Sur le plan scientifique, ce qu’elle voyait était tout bonnement palpitant.
Jessy arriva parmi eux. Elle contourna sa sœur, sa mère et son grand-père immobiles et elle se planta à quelques mètres des deux musiciens. Un très bref instant, elle ressentit un pic de colère en réalisant que le pokémon tenait sa guitare personnelle entre les pattes, mais il fut vite balayé par l’éblouissement.
Jessy sentit son ventre se tendre d’exaltation, elle n’en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles, jamais elle n’avait ressenti une telle sensation, un tel enchantement… Elle eut toutes les peines du monde à détourner les yeux de Lucario pour les poser sur Fry. Les secondes s’écoulèrent comme des heures dans cet instant magique, quand le jeune homme croisa par hasard le regard de Jessy...
Fry se figea, oubliant même la musique. Dans les grands yeux bleu électrique de la rouquine posés sur lui, il vit toute l’admiration et la fascination qu’elle lui portait, ça réussit à le troubler. Il n’avait pas le moindre doute, là, il savait qu’il l’avait impressionnée. Pour la toute première fois de sa vie, Jessy était sincèrement impressionnée par quelqu’un.
Lucario mit un certain temps à se rendre compte que Fry avait arrêté de jouer. Il se crispa en réalisant qu’une demi-douzaine d’humains était en train de le regarder. Il lâcha brutalement la guitare et bondit trois mètres en arrière en se plaçant en position d’attaque.
« Mélo mélo ! Cria alors la mélodelfe de Justine.
- Mélo… » Renchérit le mélodelfe mâle de Seb.
Stressé, lucario se retourna vivement vers eux. Les deux pokémon fée tentaient de le rassurer.
« Mélo… »
Lucario respirait profondément pour se calmer. Il regarda à nouveau en direction des humains. Il capta leurs auras, il n’y avait pas un atome d’agressivité ou d’anxiété, pas même chez Jessy. Tous étaient là, à l’admirer, bluffés par ce qu’ils venaient de voir. Il ne savait plus que faire. Après un bref instant de réflexion, il fit deux bonds supplémentaires et s’en alla s’asseoir derrière les mélodelfes, près d’un buisson feuillu et tourna ostensiblement le dos au groupe d’humains. Fry finit par avoir un rire nerveux : Lucario était gêné.
Jessy n’adressa pas la parole à Fry du reste de la journée. Le jeune champion était un peu perturbé au début, il se demanda un moment si elle lui en voulait, mais ce n’était pas le cas, elle serait venue l’engueuler sinon. Non, elle ne savait simplement pas quoi lui dire, ni comment réagir. L’orgueilleuse Jessy n’était pas du genre à faire des compliments, elle n’avait jamais eu ni rival, ni idole en dehors de son grand-père Sacha, alors cette sensation d’adoration et de respect était bien trop nouvelle pour qu’elle sache l’appréhender. Elle cogita pourtant énormément…
Le soir venu, elle attendit que Robin file à la salle de bain et que Fry se fasse réquisitionner par Jenny pour aller récupérer les deux guitares. Elle se dirigea d’un pas lent mais décidé vers le lucario solitaire. Il plissa les yeux en la voyant s’approcher.
« Alors comme ça, il parait que t’aime la musique ? »
Jessy s’assit devant Lucario. Elle posa sa guitare au sol et se mit à jouer sur celle de son arrière-grand-père. Elle choisit délibérément un morceau doux pour ne pas trop le brusquer. Le lucario la regardait avec une hostilité très affichée, mais il ne comprenait pas trop pourquoi elle venait lui jouer la sérénade tout d’un coup. Avec ses oreilles de pokémon curieux et néophyte, il sentit malgré tout que la technique de Jessy était sans commune mesure avec celle du petit Robin. Elle était même meilleure que celle de Fry. Il n’y avait pas de fausse note, le rythme était maitrisé, elle connaissait la chanson par cœur. Lucario fixa son attention sur les doigts de la jeune femme.
Lorsqu’elle fut certaine qu’il était calme, elle poussa du pied sa guitare jusqu’à lui tout en restant concentrée sur son morceau. Elle gardait les yeux baissés sur son instrument. Elle savait que si elle croisait le regard de Lucario, les deux entêtés risquaient de se braquer mutuellement. L’aura de Jessy était sereine, c’était la première fois qu’il la sentait comme ça, il n’avait même pas envisagé la chose possible. Pour lui, un humain agressif était forcément agressif tout le temps. Lucario n’avait pourtant pas envie de lui faire plaisir, mais elle n’avait pas l’air d’avoir spécialement envie qu’il touche à sa guitare. S’il pouvait un jour maitriser cet engin du son et devenir meilleur qu’un humain… Lucario attrapa la guitare.
Fry et Jenny venaient de terminer de renvoyer les pokémon dans leurs balls pour la nuit. Dans la lumière du crépuscule, ils vinrent s’accouder côte à côte à la barrière. Ils regardaient d’un même sourire paisible Jessy, assise à côté de Lucario, en train de jouer de la guitare en binôme.
« Tu es vraiment doué pour apprivoiser les bêtes sauvages… Dit doucement Jenny. D’abord Jessy, maintenant Lucario…
- Avoue que tu es jalouse. En matière de manipulation, je te surpasse et de loin, répondit Fry sur le ton de la plaisanterie.
- Je peux t’embrasser ?
- Non.
- Pfff… Tu exagères. » Fit Jenny, plus amusée que vexée.
A suivre…