Les Train Twins
Chapitre 4
Trainers & Twins
« Un maid café ?!? C’est ça ta solution ?!? »
Les deux jeunes filles étaient plantées devant la façade de l’un des bars le plus populaire de l’île d’Hamlin, il s’appelait le "Oh que si !" et avait pour enseigne un méga-nanméouïe. Ce qui déplaisait le plus à Jessy dans cette façade de bâtiment, ce n’était ni le rose choisi pour peindre la porte et la fenêtre, ni les néons flashy ou les paillettes éparpillées sur l’enseigne, non c’était l’œil outrageusement maquillé et les courbes opulentes et trop arrondies pour être réalistes du nanméouïe gravé sur la devanture. C’était un peu glauque, presque monstrueux : on ne savait pas trop si cette figure représentait une femme enrobée, aguicheuse mais mal fringuée, ou un pokémon malformé et peu gâté par la nature.
« Un usager de la bibliothèque m’en a parlé. Le vendredi c’est karaoké, mais les autres soirs ils cherchent des artistes pour mettre l’ambiance.
- T’es pas sérieuse ? Dis-moi que t’es pas sérieuse ?
- On a besoin d’argent, s’agaça Jenny. Et il y aura sans doute des dresseurs de passage qui voudront nous affronter si on leur propose.
- J’suis pas convaincue là…
- Ne fais pas ta coincée ! En plus ce sera une première expérience de la scène, toi qui n’a jamais voulu faire de spectacle pokémon ! Aller viens ! »
Elle attrapa le poignet de sa sœur et la tira de force à l’intérieur du maid café. Jessy frissonna en voyant que sur la carte des boissons dans l’entrée était encore inscrit l’ancien nom du bar : "Au Poissirène affriolant". Les deux gros hariyama de la patronne qui s’occupaient de la sécurité n’avaient rien d’affriolant eux, ce qui rassura Jessy l’espace de quelques secondes avant qu’elle n’aperçoive la tenue des serveuses. Leurs jupes étaient suréquipées en jupons rose et blanc pourtant elles ne couvraient même pas les serveuses à mi-cuisse. Les corsets quant à eux dévoilaient une trop grande partie de leur poitrine au gout de Jessy.
« Je veux sortir… Maman dirait que c’est un lieu de perdition… Couina Jessy, rouge comme une pivoine.
- Depuis quand tu te soucie de ce que maman dirait ? Rigola Jenny. En plus, elle n’emploierait certainement pas ces mots là.
- Bonjour et bienvenue au Oh que si ! Leur dit chaleureusement une serveuse. Puis-je vous guider jusqu’à une table ?
- Bonjour ! En fait on aimerait bien parler à la patronne, s’il vous plaît.
- Kyah, des futures collègues ! S’écria joyeusement la jolie serveuse, à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche c’était comme si des centaines de pétales de fleurs virevoltaient autour d’elle, une vraie rafflesia. Suivez-moi mesdemoiselles ! »
La patronne d’une cinquantaine d’années, Grace Marlyn, avait conservé toute sa beauté. Sa robe, bien que dans le respect des tons de la boutique, lui donnait l’allure d’une femme d’affaire. Elle souriait avec élégance, mais ses yeux ressemblaient à ceux d’une vaututrice prête à dévorer une charogne. Malgré tout, elle les accueillit avec beaucoup d’enthousiasme.
« Mais que vous êtes jolies ! De vrais petits bonbons ! »
Jessy plissa les yeux et pensa très fort : "Il va t’étouffer le bonbon tu vas voir…". Elle fit un énorme effort de self control et laissa sa sœur présenter leur situation et vendre leurs talents. Attentive comme un guériaigle, la patronne leur proposa d’animer la soirée du prochain jeudi. Si l’essai était concluant, elle était prête à les recruter pour deux soirs toutes les semaines, dont le samedi son meilleur jour, ses clients adoraient la nouveauté et les deux rouquines s’accordaient bien avec le décor, même la plus grande qui faisait à moitié la gueule pensait la patronne.
Une fois l’accord passé, les jumelles se mirent à bucher sur une idée de spectacle. Jessy jouait encore régulièrement de la guitare, mais seule et sans chanter. Jenny quant à elle était un peu rouillée côté musique. Pour leur première représentation, il fallait jouer la facilité. Jenny eut l’idée de recycler un spectacle de fin d’année que Jessy et Jenny avaient donné à l’école primaire, mais pour le rendre suffisamment attractif, il fallait l’adapter à de grandes filles. Jenny estimait qu’il n’y avait qu’un seul talent qui ne leur ferait jamais défaut, peu importe le manque d’entrainement : leur beauté naturelle. Pour le charme, de jolies tenues et un chant bien travaillé et répété rigoureusement créeraient la magie. Jenny présenta son projet à la patronne et s’assura qu’elle avait les équipements nécessaires.
Le jeudi soir arriva à toute vitesse et dans le vestiaire près du local technique du Oh, que si ! les filles préparaient leurs costumes. Jenny, satisfaite du résultat, s’admirait dans le miroir en jouant avec ses fausses oreilles mauves.
« Jess, c’est l’heure d’y aller.
- Je refuse de sortir dans cette tenue ! Hurla Jessy cachée derrière un paravent.
- Arrête de faire l’enfant et sors de là ! Rouspéta Jenny en ajustant son bustier.
- Jamais ! Plutôt mourir ! »
On frappa à la porte.
« C’est à vous les jumelles, vous êtes prêtes ? »
La patronne cligna des yeux en ne voyant qu’une seule rouquine dans la pièce.
« Tu es Jenny c’est ça ? Où est ta sœur ? Elle n’a pas encore fini de se changer ?
- Si si, mais elle est un peu timide, répondit Jenny avec un beau sourire. Elle a le trac…
- Mais non c’est pas ça ! » S’offusqua le paravent à fleurs.
La patronne sourit à son tour.
« Ah j’ai connu ça moi aussi ! Ne t’en fais pas ça ira Jessy. Jenny, je compte sur toi pour rassurer ta sœur, vous entrez en scène dans cinq minutes, hop hop hop. »
Elle referma la porte et Jenny prit le tauros par les cornes en contournant le paravent.
« Mais si ça te va super bien !
- Tu te fous de ma gueule en plus ?!?
- Jess, pense aux centaines de pokédollars qui vont atterrir dans nos poches… Et pense à Illumis ! »
Quelques minutes plus tard, les filles entrèrent sur scène avec leurs costumes dignes des meilleures cosplayeuses du pays. Ils représentaient mentali et noctali, mais dans une version danseuses orientales. Sur leurs têtes, de grandes oreilles en tissu brodé et rembourré représentaient celles d’un mentali pour Jenny et d’un noctali pour Jessy. Elles étaient maquillées de façon à dessiner un museau, des moustaches et de grands yeux ronds de pokémon, c’était très réussi et elles portaient également deux perruques pour couvrir le roux de leurs cheveux. Pour le corps en revanche, la zoologie n’avait plus vraiment d’influence, hormis pour les deux fausses queues légères accrochées à leurs ceintures. Elles avaient le nombril à l’air, deux petits bustiers couvrant à peine leur seins, et celui de Jessy, pourtant doublé d’une voilure qui lui couvrait aussi les épaules, était en plus un peu transparent, on devinait très facilement la forme de ses seins et seules les pointes de ses tétons étaient bien cachées. Leurs pantalons aux couleurs de mentali et noctali disparaissaient sous plusieurs volants transparents et brodés de légères dorures. La taille de leurs pantalons orientaux était très basse et se superposaient à leurs petites culottes. Jessy, anxieuse, était persuadée que son pantalon ne tiendrait pas jusqu’à la fin du spectacle et qu’elle allait se retrouvé en slip devant tout le monde, voire pire. Elle tortillait nerveusement ses doigts de pieds dans ses petites babouches noires. Jenny tapota sur l’épaule de sa sœur avec compassion avant de se mettre en place pour le début du spectacle. La musique commença, Jessy n’arrêtait pas de trembler mais elle prit son courage à deux mains pour entamer la chorégraphie, elle ne pouvait pas planter sa sœur comme ça. Heureusement que c’était à Jenny de commencer le chant.
« Je dis à droite, tu iras toujours à gauche.
Qui peut dire pourquoi on ne se ressemble pas ?
Est-ce à ce point étrange qu’on soit si différents ?
Peut-être que oui, ce serait vraiment dément ! »
Jenny regarda sa sœur avec une lueur de panique dans le regard, c’était à Jessy de terminer le couplet. D’une voix hésitante, pas assez audible elle dit :
« Peut-être que non car c’est vraiment comme ça… »
Jenny saisit la main de sa sœur, c’était prévu dans la chorégraphie, mais elle resserra assez forts ses doigts pour tenter de la rassurer. Le prochain couplet était un duo. Toujours mal à l’aise, Jessy réussit malgré tout à prendre le même rythme que sa sœur.
« Le jour la nuit, le blanc le noir,
Le yin le yang, la lumière l’obscurité,
La pluie, le soleil, toujours les deux opposés,
Dont l’union fait le pouvoir. »
A la fin du couplet elles étaient enfin synchro, mais le plus dur restait à venir, car il fallait s’alterner pour les dernières répliques avant le refrain… Jenny encouragea sa sœur du regard tout en chantonnant :
« Je suis trop calme.
- Je ne le suis pas assez… »
Jenny sourit avec confiance à sa sœur, mais pas trop pour ne pas gâcher la chorégraphie, elle devait jouer le rôle du mentali peu sûr de lui.
« Tu es génial mais tu ne le vois pas !
- Ta confiance en moi te perdra...
- Je prends sur moi : courageux et combatif.
- Réfléchi et très sérieux, inexpressif. »
Elles entamèrent alors le refrain ensemble, mais Jenny chantait plus fort que Jessy, toujours stressée. C’était un peu ridicule vu que la chanson prévoyait que Jenny soit timide et Jessy audacieuse… Intérieurement, Jenny se disait qu’au prochain numéro, il faudrait inverser les rôles. Le refrain arriva enfin et leur chorégraphie de l’école primaire leur revint automatiquement en mémoire :
« Comme dans un miroir,
On aurait pu être le reflet l’un de l’autre,
Et pourtant, il n’en est pas ainsi.
Pareil que Posipi et Négapi,
Différents sous toutes les coutures.
Lequel est fait pour l’aventure ?
Peu importe cette vie est la nôtre,
Tu évolues le matin, j’ai choisi le soir. »
D’une voix encore mal assurée, Jessy enchaina :
« Comme les pokémon de type psy et de ténèbres,
Je cache ma force, ne t’en fais pas pour moi.
Tu es mon alter ego j’ai besoin de toi.
Je m’enflamme comme le feu alors que tu restes de glace… »
Jenny lui répondit en chantant :
« Si j’étais comme toi, je me briserais les vertèbres,
Les combats ne sont pas faits pour moi.
Même si je suis seul, je ne vis que pour toi,
Mais ne m’en veux pas si je t’ai laissé sur place…
- Je dis toujours ce que je pense,
- Je pense mais ne dis jamais rien.
- Je coure aussi vite que je ris,
- Je ris peu et coure encore moins. »
Concentrées, les jumelles reprirent ensemble le refrain et le dernier couplet, Jessy avait quasiment surmonté ses angoisses :
« Comme dans un miroir,
On aurait pu être le reflet l’un de l’autre,
Et pourtant, il n’en est pas ainsi.
Pareil que Posipi et Négapi,
Différents sous toutes les coutures,
Lequel est fait pour l’aventure ?
Peu importe, cette vie est la nôtre,
J’évolue le matin, tu as choisi le soir.
Comme quand on se regarde dans l’eau,
On aurait pu s’y voir l’un l’autre,
Et pourtant il n’en est pas ainsi…
Comme Noctali et Mentali,
Semblables pour au moins une chose
Chanter soit en vers soit en prose !
Mais si quand on vous dit qu’on est sœurs… »
Le couplet prévoyait un "frères", mais comme six ans plus tôt, elles avaient décidé de le changer en "sœurs", faute de pouvoir adapter toute la chanson au féminin.
« …Vous ne nous croyez pas,
Alors regardez comment on combat ! »
Après une brève pause pour laisser la musique s’écouler, Jessy balbutia :
« Je donnerais mon âme pour sauver la tienne,
- Pour secourir ton âme je vendrais la mienne.
- Qui pourrait prétendre pouvoir nous défaire…
- Toi et moi ? » Termina Jenny avec un sourire de soulagement pour sa sœur.
Elles saluèrent le public qui les applaudit avec beaucoup d’enthousiasme, sans doute plus à cause de leur joli minois que pour la qualité de leur prestation, elles étaient rouillées et Jessy affreusement mal à l’aise. Elle fut soulagée de voir la chanson se terminer…
Les vidéos et les photos étaient interdites dans le bar, car des images de jolies filles mineures en train de chanter et de danser peuvent vite être utilisées à mauvais escient. Seules les membres du staff prenaient des petites vidéos et quelques clichés pour faire de la pub sur leurs réseaux sociaux et leurs affiches en ville. Jenny jeta un coup d’œil à la patronne, son sourire disait qu’elle était contente du spectacle, ce fut au tour de Jenny d’être soulagée, Jessy avait déjà filée en coulisses comme un rattata apeuré va se cacher dans son trou.
Il était une heure du matin, les filles changées et démaquillées rentraient au centre pokémon sous le clair de lune, escortées par leurs raichu baillant de fatigue. Jessy tenait sa tête enfouie dans ses mains.
« Je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie !
- En tout cas, ça fait du bien d’avoir autant d’argent en poche. » Chantonnait Jenny en comptant la liasse de billets dans sa main, on les avait payé en liquide.
« Oh… J’ai honte, j’ai honte, j’ai honte…
- Aller ! Lança joyeusement Jenny en lui donnant un coup d’épaule. On travaille là-bas quelques mois et après à nous Kalos ! Youpi ! »
Jenny rêvait éveillée, elle avançait les yeux fermés, un sourire béat étalé sur la bouche.
« On ira pique-niquer devant la tour d’Illumis, faire le tour des boutiques à la mode, visiter le palais Chaydoeuvre, boire des cafés avec des Kalosiens trop sexy ! Et on découvrira enfin une nouvelle ligue… Jess ? »
Jenny s’était arrêtée de marcher, sa sœur écarta timidement les doigts et la regarda à travers les interstices. Elle avait l’air très sérieuse tout d’un coup.
« Il est absolument hors de question que je m’exhibe comme ça une deuxième fois.
- Mais arrête Jess ! C’est de l’argent facile ! »
Elle agita sous son nez les pokédollars.
« J’ai dit NON. Trouve autre chose.
- Trouver autre chose ? Qu’est-ce que tu veux que je trouve d’autre ?
- Je ne sais pas moi ! C’est toi le cerveau ! S’emporta Jessy.
- Bah voyons… Souffla Jenny. C’est toi qui ne veux pas demander de l’aide à maman et c’est moi qui dois me débrouiller. C’est un peu facile…
- Exactement. Mais j’ai confiance : tu vas trouver, tu trouves toujours des solutions à tout. »
Jessy tapa dans le bras de sa sœur comme un copain de taverne et prit la tête de la marche. Jenny soupira, fatiguée, et suivit sa sœur en rangeant tristement dans son soutien-gorge la liasse de billets qu’elle tenait à la main.
Le soleil se levait à peine et Jessy aussi, mais du mauvais pied. Elle ressassait sa soirée de la veille, elle aimait la musique mais pas ça. Ça ce n’était pas de la musique, c’était du mannequinat. Elle avait envie de se défouler, mais elle devinait aisément qu’elle ne trouverait encore aucun adversaire. Sur la table du petit déjeuner, elle ne mangeait rien mais tenait sa cuillère avec une telle force qu’elle était en train de la tordre. Jenny lui jeta plusieurs regards furtifs, elle connaissait sa sœur par cœur, alors dès le réveil elle s’était mise à cogiter sur un plan B. Elle épluchait les magazines et les journaux trouvés dans le centre pokémon et la bibliothèque locale. Les autres dresseurs du centre la regardait bizarrement, certes elle était très mignonne et attirait facilement l’œil, mais surtout c’était étrange de voir une adolescente lire exclusivement du papier comme les pépés et les mémés nés au vingtième siècle.
« J’ai trouvé ! » S’écria Jenny alors que Jessy assassinait sa tranche de pain à coup de cuillère. Jenny tendit une page de journal à sa sœur. C’était un extrait d’un dossier beaucoup plus long sur un festival de musique qui devait se dérouler le mois suivant sur l’île Gélatine. L’encart titrait : "Concours des jeunes talents".
« Avec ce qu’on a déjà mis de côté, le premier prix devrait nous permettre de mettre les voiles.
- Il faut faire quoi ? Demanda Jessy.
- Juste envoyer le bulletin d’inscription par internet, il n’y a visiblement pas de présélection, ce qui veut dire qu’il y aura beaucoup de concurrence et qu’il faudra envisager un jet de baies tomato si on déplait au public…
- Ça ne nous est jamais arrivé, ronchonna Jessy.
- C’est vrai, mais ça fait des années qu’on n’a pas donné de vrai concert, pas depuis qu’on a quitté Bourg Palette, et en plus on jouait avec les autres enfants de l’école de musique. Je pense que nos concurrents joueront mieux que des fillettes de dix ans… »
Jessy lui rendit le papier.
« Alors on va s’entrainer, jour et nuit, jusqu’à se mettre à niveau.
- Jour et nuit c’est peut-être un peu trop non ? Grimaça Jenny.
- Personne ne veut nous affronter de toute façon, se résigna Jessy. Moi je n’ai rien de mieux à faire. »
Jenny fit la moue, elle, elle avait mieux à faire. Elle aurait aimé consacrer plus de temps à ses lectures et retourner chanter au Oh que si ! C’était plus long mais plus simple pour gagner un peu d’argent et ça lui laissait le plus gros de ses journées libres pour bouquiner et étudier.
Ainsi, sur ordre de Jessy, les jumelles délaissèrent leurs pokéballs quelques semaines pour se concentrer sur leurs guitares. Au début, leurs pokémon les regardaient répéter avec perplexité, alignés sur le sable de la plage ou dans une clairière du centre de l’île d’Hamlin, loin des regards curieux. Les pokémon profitaient de ces vacances bien méritées, même si certains avaient déjà l’air en mal de combat comme Jessy. Les filles reprenaient les vieux morceaux qu’elles avaient appris avant de quitter le Bourg Palette et ceux qu’elles avaient massacrés par la suite. Sur une idée de Jessy, Jenny entreprit de mettre à contribution les pokémon en leur faisant apprendre une chorégraphie. Pit et Chu se prêtaient plus facilement au jeu, car cela leur rappelait leur jeunesse de pichu aux spectacles des filles. A vrai dire, ils étaient aussi beaucoup plus mignons que les autres et ils le savaient, à l’exception de Givrali et Aquali, mais les deux évolitions n’y mettaient pas du tout le même entrain. Jessy s’imagina aussi créer des effets spéciaux sur scène à l’aide de ses pokémon, un peu de neige grâce à Givrali, des feuilles volantes avec Tengalice… Pour tester leurs compétences en situation réelle, Jessy et Jenny étaient retournées au Oh que si ! Mais Jessy avait catégoriquement refusé de porter une tenue contraire à sa pudeur. Jenny et la patronne se creusaient les méninges pour trouver des tenues adaptées aux exigences de Jessy, mais qui égayaient tout de même le spectacle musical.
Les filles n’avaient ni les mêmes forces, ni les mêmes faiblesses. Jessy avait plus d’entrainement musical et sa voix était plus agréable que celle de sa sœur lorsqu’elle chantait. Jessy était énergique, Jenny était gracieuse. Jessy avait du mal à gérer son stress sur scène, c’était assez paradoxal d’ailleurs, puisqu’elle avait passé la majeure partie de son adolescence à faire sa m’as-tu-vu dans les arènes pokémon aux quatre coins du pays. Alors les deux jumelles avaient beaucoup travaillé là-dessus. Jenny était persuadée qu’elles ne pouvaient gagner que grâce à leurs atouts physiques : leur beauté, leur charme et leur grande assurance, il fallait donc que Jessy dépasse son appréhension. Mais Jessy, elle, était convaincue que leur talent résidait dans l’utilisation des pokémon et dans sa maîtrise de la guitare. Comme elle était persuadée d’être la meilleure dresseuse de la terre, ce qui était potentiellement vrai selon Jenny, elle se persuadait qu’elle pouvait devenir la meilleure guitariste du monde, or ça ce n’était pas clairement très crédible. Mais pour ce qui était de la mise en scène avec des pokémon, Jenny trouvait l’idée formidable, cela améliorerait leur visuel et donc renforcerait leur point fort, c’est à dire l’apparence.
Le grand jour approchait et les filles préparèrent leurs sacs de voyage, elles comptaient rester sur l’île Gélatine pour toute la durée du festival. L’infirmière Joëlle d’Hamlin avait appelé personnellement sa cousine de l’île Gélatine pour qu’elle trouve de la place pour les filles dans son centre. Grace Marlyn, la patronne du Nanméouïe, avait pris les jumelles en affection, elle leur offrit deux tenues de son immense garde-robe. Elle croyait avoir bien cerné les filles, alors elle leur donna une paire de tops hauts et courts à manches longues en coton stretch ainsi que deux shorts cyclistes assortis. L’un était rouge, l’autre noir. Elle leur offrit en supplément deux robes fourreaux assez simples, encore une fois l’une était rouge, la seconde était noire. Jessy était sceptique au départ, mais Jenny se dit qu’il y avait moyen d’en faire quelque chose et elles remercièrent la patronne.
L’île Gélatine était surtout connue pour son Pokémon Park, une vaste réserve naturelle de pokémon sauvages occupant les trois quarts de l’île. Une petite partie de cette réserve pouvait se visiter en minibus ou en jeep et attirait les amateurs de safari photo. Les observateurs et les scientifiques étaient également acceptés pour étudier les pokémon dans leur habitat naturel. Un musée et un centre d’étude se trouvaient en annexe du parc. La ville de cette île était plutôt petite mais agréable à vivre et très dynamique sur le plan culturel, plusieurs théâtres et salles de cinéma à l’ancienne y étaient installés. Et surtout, la ville accueillait tous les ans ou presque un festival de musique, convivial et éclectique, très apprécié des habitants de l’archipel. Le festival attirait les foules, pour les filles ça ne tenait pas la comparaison avec la marée humaine qui déferlait au Plateau Indigo ou à Eternara au moment de la Ligue Pokémon, mais pour les habitants de l’île Gélatine le festival de la Coupe Six Boules (en référence au nombre de scènes installées pour l’occasion) était l’évènement le plus marquant de l’année.
Les filles débarquèrent sur l’île avec leurs guitares le jeudi, la veille du concours de talent. Il se déroulait l’après-midi du premier jour du festival pour qu’un maximum de spectateurs vienne assister au tournoi, les têtes d’affiches étant programmées samedi et dimanche. L’agent d’accueil du festival avec son capumain sur l’épaule indiqua aux filles la direction de la scène d’improvisation où se déroulait le concours. Son pokémon utilisa sa queue pour pointer l’endroit dans un geste imitant le bras de son dresseur. Un petit stand en bois était installé près de la scène et servait de check-point. D’autres artistes, la plupart aussi jeunes que les jumelles, voire plus encore pour certains, étaient déjà là en train de faire la queue. Comme de coutume, la plupart des regards revenaient sans cesse vers le joli binôme, et même si elles y étaient habituées, elles attiraient d’autant plus l’intention qu’elles avaient enfilé les tenues bicolores rouges et noires de la patronne du NanméouÏe, elles accentuaient davantage leur ressemblance de sœurs jumelles. Jenny offrit un sourire poli et charmant au jeune homme chargé des inscriptions.
« Bonjour, nous sommes Jessy et Jenny Ketchum, nous sommes inscrites au concours de talent.
- Ok les filles… Répondit le bonhomme en regardant sur sa tablette. Jessy et Jenny, vous êtes là. Z’avez pas renseigné de pseudo. C’est quoi votre nom de scène ?
- Notre nom de scène ? Euh… » Répéta Jenny.
Elle se sentait idiote de ne pas y avoir réfléchi plus tôt. Elle échangea un regard avec sa sœur et Jessy finit par répondre :
« Les Train Twins.
- Ça marche ! Vous avez le numéro dix. Vous pouvez rejoindre les autres concurrents derrière la scène. »
Jessy et Jenny suivirent le mouvement. Il y avait une vingtaine d’inscriptions au concours, quelques personnes seules mais surtout beaucoup de groupes de trois, quatre ou cinq personnes, de fait la petite foule de candidats amassée derrière la scène était déjà assez dense. Lorsque tous les candidats furent réunis avant l’heure butoir, l’un des organisateurs du festival et du concours vint les briefer.
« V’là le topo : il y a trois jurés et l’un d’eux possède un sonomètre pour mesurer l’intensité des applaudissements. Les jurés sont là pour choisir le grand gagnant du concours sur les aspects techniques on va dire, mais c’est le public qui dit si vous êtes bons ou pas ! Faites les vibrer et vous serez sur le podium j’vous le garantis ! Vous passez dans l’ordre de vos numéros et vous vous ramenez sur scène dès qu’on vous appelle, début du show dans vingt minutes ! C’est ok pour vous mes p’tits chevroum ? Et merde à tous les baby-rockeurs ! »
Quelques secondes plus tard, c’était l’effervescence : les membres des trois premiers groupes sur la liste s’agitaient dans tous les sens, tandis qu’on sentait la pression monter chez les autres, demeurés immobiles. Les jumelles se mirent à l’écart. Depuis les coulisses de plein air, il y avait une vue plus ou moins dégagée sur l’arrière de la scène. Le devant de la scène lui était bloqué par des barrières. Ainsi inaccessible, zéro pogo autorisé pendant le concours, à la place on y avait installé trois chaises sur lesquelles étaient assis deux hommes et une femme, de toute évidence le jury du concours. Jenny se dit qu’avec deux hommes dans le lot la répartition leur était plutôt favorable, avec un peu de chance la seule jurée femme était homosexuelle et il serait possible de les amadouer juste en secouant leurs popotins. La stratégie de Jenny était triviale, mais elle n’était pas du genre à renoncer à un avantage pour des raisons éthiques ou morales.
Le concours débuta devant une foule hétéroclite de curieux très agités, ils étaient prêts à siffler et à huer autant qu’à danser et applaudir. On les sentait trop impatients en ce début de festival, la plupart étaient venus se défouler malgré la présence de familles avec enfants et de quelques personnes âgées. Ils voulaient passer du bon temps avec les oreilles explosées par du gros son. Jenny regardait avec appréhension les autres candidats défiler. Certains avaient vraiment beaucoup de talent. Jessy observait elle aussi attentivement les autres groupes qui passaient sur scène, silencieuse et le visage impassible. Elle ne semblait pas inquiète, mais Jenny était bien en peine de dire ce qu’elle avait en tête. Ce qui rassurait un peu les jumelles, c’était la rareté des chansons inédites, la plupart des candidats reprenaient des chansons déjà existantes à quelques exceptions près, elles ne feraient donc pas tâche avec leur reprise d’un slow de J-Pop.
« Ça va être à nous Jess ! S’exclama Jenny. Tu te sens prête ? »
Jenny regarda sa sœur, pour la première fois de sa vie la belle rousse avait le trac, Jessy, elle, au contraire, avait surmonté son appréhension qui l’avait accompagné les premiers jours au maid café. Elle affichait un sourire plein d’assurance digne des plus grands moments de gloire de son grand-père Sacha.
« Carrément ! » Répondit Jessy, une pokéball à la main et sa guitare dans l’autre.
Jenny pinça les lèvres et croisa les doigts : "Pourvu que ça marche !" Pensait-elle très fort, Illumis lui tendait les bras. L’homme brun en t-shirt violet aux couleurs de "Smogo et les Toxiques" venu leur faire le briefing au début du concours faisait l’animateur. Cramponné à son micro, il criait dedans :
« Nos prochains candidats sont un duo de candidates ! Mesdames et messieurs, je vous demande d’accueillir chaleureusement les Train Twins qui vont nous interpréter : "Quatre Saisons" d’Akane Taneda ! A vous les jumelles ! »
Avant de sortir des coulisses, Jessy et Jenny dégoupillèrent leurs pokéballs et libérèrent trois de leurs pokémon. Elles leur firent de petits signes de mains pour bien leur rappeler de rester discrets pour l’instant, derrière les grands rideaux sombres de chaque côté de l’armature en métal de la scène. Les pokémon acquiescèrent et les jumelles purent entrer sur scène avec leurs guitares en saluant le public. Pour une fois, Jessy fit ce que sa sœur lui avait appris : elle sourit à la foule en veillant à ne pas avoir l’air arrogante, il fallait qu’elle soit aussi mignonne que sa sœur, même si elle doutait que cela soit possible. Jenny scruta rapidement la foule, pas de doute tout le monde était déjà en train de les dévorer des yeux, c’était au moins ça de gagner… Elle ne put s’empêcher de repenser à la patronne du "Oh que si !", quand elle les avait qualifiées de petits bonbons. Jessy jeta un coup d’œil aux trois jurés, pour elle l’adversaire c’était eux. Elle avait confiance en elles, elles avaient répété comme des dingues jusqu’à ce que tout soit parfait et elles avaient trois atouts bien planqués sur scène… Le présentateur leur fit signe que si elles étaient prêtes elles pouvaient y aller, les jurés aussi semblaient tout ouïe. Les jumelles commencèrent à chanter en duo avec douceur, leurs guitares entre les mains.
« Hiver, temps d’une rencontre imprévisible.
Printemps d’une tendresse commençante.
Eté de nos rires et de nos pleurs.
Automne des révélations pesantes.
Hiver, temps des tristesses invisibles.
Printemps d’un espoir revenu.
Eté du courage et de nos peurs.
Automne d’un départ attendu... »
Puis Jessy commença à chanter seule d’une voix lente mais plus forte :
« Au fil des mois une seule chose n’a pas changé,
Je vais essayer de t’expliquer, de te raconter.
Après un automne morose de nouveautés,
Te souviens-tu d’un hiver débuté,
Au bord d’une étendue glacée,
Où nos chemins se sont croisés ? »
Puis ce fut au tour de Jenny :
« Un sourire, une voix, une musique, une danse,
Une étoile et un mélofée passent devant nous,
Ça a suffi pour débuter une sorte de transe,
Un murmure, une caresse, un mot doux,
Une histoire qui n’avait pas encore de sens,
Traitez-nous de fous… »
Les filles entamèrent le refrain ensemble. Lentement, Givrali avança sur le côté de la scène et lança une discrète attaque vent glace qui fit tomber quelques flocons sur les jumelles. Les gens s’émerveillaient déjà. Quelques secondes plus tard, Tengalice lança une pseudo attaque tranch’herbe, délibérément loupée pour faire voler des feuilles au-dessus de la scène.
« Au cœur des neiges éternelles,
Du parfum des fleurs naissantes,
De la pluie qui tombe sur les ombrelles,
Du vent, des feuilles dansantes,
Mon sentiment est différent,
Aujourd’hui je le sais,
Qu’il n’y a qu’un être qui compte pour moi,
Quatre saisons n’y changeront rien,
Quoi qu’il arrive je t’attends. »
Jenny reprit :
« En un printemps et un été,
Jour après jour s’apprivoiser,
Se connaître, s’apprécier, se remercier.
Je ne peux prétendre que tout fut parfait,
Juste que cet univers me plaît tel qu’il est. »
Elle se tut et laissa sa sœur continuer :
« Ce qu’on appelle le temps passe,
Des mots oubliés reviennent comme des souvenirs,
C’est ainsi que nos sentiers se tracent.
Va, fais ce que tu veux, crois en l’avenir,
Je ne te demanderai que cela,
Reste avec moi... »
Et le duo reprit pour le refrain. Cette fois, l’aquali de Jessy utilisa sa danse pluie pour que des gouttes d’eau tombent sur scène.
« Au cœur des neiges éternelles,
Du parfum des fleurs naissantes,
De la pluie qui tombe sur les ombrelles,
Du vent, des feuilles dansantes,
Mon sentiment est différent,
Aujourd’hui je le sais,
Qu’il n’y a qu’un être qui compte pour moi,
Quatre saisons n’y changeront rien,
Quoi qu’il arrive je t’attends… »
Givrali sortit de l’ombre des coulisses et reprit son attaque, tengalice vint aussi sur scène en lançant sa propre technique et les filles enchainèrent avec la deuxième partie du refrain.
« Au cœur des pétales qui s’envolent,
Du givre collé aux arbres nus,
De la brise qui souffle dans les herbes folles,
Du ciel, des couleurs de toutes ses étendues,
Mon sentiment a évolué,
Aujourd’hui je le sais,
Qu’il n’y a qu’une personne faite pour moi,
Quatre saisons n’y changeront rien,
Quoi qu’il arrive je t’attends. »
Médie fut la dernière à apparaître sur scène et cette fois l’aquali cracha quelques bulles d’écume qui s’envolèrent au-dessus de la foule. Aussi simple que soit ce petit effet, Aquali avait eu beaucoup de mal à le mettre au point car les attaques écumes et bulle d’ô n’étaient pas dans son répertoire de techniques. Elle avait donc dû énormément travailler avec sa dresseuse pour y arriver, mais leurs efforts payèrent : le public était comblé.
« Hiver temps d’une rencontre imprévisible.
Printemps d’une tendresse commençante.
Eté de nos rires et de nos pleurs.
Automne des révélations pesantes.
Reste avec moi…
Hiver, temps des tristesses invisibles.
Printemps d’un espoir revenu.
Eté du courage et de nos peurs.
Automne d’un départ attendu.
Reste près de moi…
Hiver, temps des pensées terribles.
Printemps d’un esprit hésitant.
Eté de nos joies et de nos idées.
Automne d’un cycle qui reprend.
Reste pour moi…
Hiver, temps des émotions lisibles.
Printemps d’une longue réflexion.
Eté de l’amour et de l’amitié.
Automne d’une peine sans nom.
Reste auprès de moi. »
Les jumelles terminèrent leur chanson en écartant leurs guitares et en se tenant par la main. Elles s’inclinèrent ainsi main dans la main pour saluer le public. Intérieurement, Jessy pestait de l’absence de percussion dans ce morceau, il aurait été parfait avec un instrument en plus… Malgré cela, un tonnerre d’applaudissements récompensa leur prestation, même les trois membres du jury applaudissaient. Certes les filles étaient jolies, ce qui n’était pas négligeable mais l’intervention des pokémon et leur apparition à la fin du spectacle avait fait son effet sur le public, les spectateurs avaient le cœur conquis. Elles retournèrent en coulisse avec leurs trois pokémon le sourire aux lèvres, soulagées et rassurées par les réactions. Jessy était fière de sa prestation et Jenny se sentait enfin confiante. Les autres candidats dévisagèrent les Train Twins lorsqu’elles revinrent parmi eux. N’étant pas dresseurs pour la plupart, ils étaient plus subjugués par tengalice et les deux évolitions que par les rouquines. Après les jumelles, dix autres groupes passèrent sur scène, cela leur parut une éternité. Les deux rouquines avaient du mal à rester concentrer, elles avaient trop hâte de connaître le verdict, elles entendirent à peine certains groupes tellement elles étaient excitées. Après le passage du dernier groupe, le jury se mit à s’agiter, le trio était en grande discussion visiblement. Le présentateur au t-shirt violet s’approcha du jury sans pour autant leur adresser la parole, lui aussi était impatient de connaître leurs impressions. Il remonta sur scène dans un saut digne du braségali de Jenny.
« Eh bien eh bien ! C’était une après-midi riche en nouveaux talents ! Je crois que nos jurés ont rendu leur verdict ! »
Le présentateur tendit le bras pour récupérer le petit papier que les trois jurés lui avaient préparé. En coulisse, la tension était à son comble.
« A la troisième place : nos amis les Zigzatoons ! Ah ah ! Ouais je le savais que vous les aviez kiffé ceux-là ! »
La foule applaudissait avec beaucoup d’enthousiasme tandis que le jeune groupe punk-rock aux dégaines de geeks prépubères revenait sur scène dans une cavalcade surexcitée. L’un des membres bouscula Jessy en se précipitant sur scène et la rouquine plissa des yeux menaçants, mais l’ado était trop heureux pour y prêter attention.
« Ah ah ! Bravo les gars ! A la deuxième place… Elles vous ont subjugué par leur beauté, leur voix et leurs fabuleux pokémon : les charmantes Train Twins ! »
Jenny souffla bruyamment de soulagement et donna un coup de coude à sa sœur qui planait à moitié. Les jumelles montèrent à nouveau sur scène avec givrali, aquali et l’imposante tengalice. Jessy ne manqua pas l’occasion de donner un coup d’épaule au garçon qui l’avait bousculé une minute plus tôt. La foule acclamait les jumelles, de nombreux cris et des sifflements laissaient entendre qu’on les trouvait en effet très belles. Jessy souriait au public, mais ses dents se resserraient peu à peu en grinçant tandis qu’elle assimilait le fait que si elles étaient à la seconde place, elles ne pouvaient pas être à la première…
« Et enfin, les grands gagnants de ce concours de nouveaux talents : Mate le jukebox ! On applaudit bien fort ces messieurs qui iront loin j’le sens ! »
Le duo masculin guitare-vocal monta sur scène à son tour et ses deux membres, Matthieu et Artus, saluèrent le public. Ils avaient l’air un peu émus malgré une certaine réserve toute à leur honneur. Les jumelles se rappelaient à peine leur prestation, Jenny se souvenait juste que c’était une chanson originale et qu’il s’agissait du seul autre duo parmi tous les candidats, sinon il n’y avait que des solistes ou des groupes d’au moins trois personnes. Jessy quant à elle avait noté dans un coin de sa tête qu’Artus avait une très belle voix, un peu dans le style d’un chanteur lyrique. Balayée à l’arrière-plan, pendant que le présentateur discutait avec Matt, l’initiateur du groupe ayant fait un jeu de mot avec son nom, Jenny eut un petit sourire blasé. Elle se pencha vers sa sœur et lâcha à son oreille avec un petit air taquin :
« Maintenant tu sais l’effet que ça fait d’être deuxième… »
Jessy cligna des yeux. La phrase raisonna en écho dans sa tête. Elle ? Deuxième ? C’était vrai… Elle peinait à le croire. Elle avait des fermites dans les membres, elle voulait sauter, crier, hurler, exprimer sa rage, sa déception, sa frustration et en même temps son excitation, son désir, sa soif de gagner… Electrisée comme Fulguris, elle s’avança brutalement et arracha des mains le micro de l’animateur. Ce dernier la regarda hébété, Matthieu, coupé en pleine interview, aussi.
« S’cuse j’ai une annonce à faire, lança Jessy avec le savoir-vivre d’un granbull.
- Ah, euh, ok, mais, on n’avait pas f…
- Salut à tous ! Ma sœur et moi on monte un groupe et on recrute ! En priorité un batteur mais si vous jouez d’un autre instrument : piano, saxo, trompette, violon, même de la flûte qu’importe, on est preneuses ! Rendez-vous demain matin ici même ! Merci à tous ! Bonne soirée ! »
Elle lança le micro dans les mains de l’animateur qui le rattrapa maladroitement, décontenancé. Matt regarda la rouquine s’éloigner avec un sourire amusé, son camarade Artus semblait plus circonspect. Jessy quitta la scène en faisant un dernier signe de main à la foule, les autres musiciens présents sur scène s’écartèrent pour la laisser passer, en quelques secondes ils avaient cerné le personnage. Sa sœur se précipita derrière elle et dévala les marches de l’estrade dans tous ses états, leurs trois pokémon dociles en file indienne sur ses pas pressés.
« Ça ne va pas ?!? Qu’est-ce qui t’a pris de dire qu’on aller monter un groupe ?!?
- T’avais raison : j’aime pas être deuxième.
- Comment ça t’aime pas être deuxième ? C’est quoi le rapport ? »
Jessy se tourna vers sa sœur, elle souriait avec détermination, ses yeux bleus lançaient des éclairs, Jenny connaissait ce regard-là par cœur.
"Oh non… Non non non…" songea Jenny.
« Je veux gagner ce concours de musique. »
Elle agrandit son sourire et reprit sa marche dynamique en direction du centre pokémon.
« Mais enfin Jessy, il est terminé…
- L’an prochain ! Et puis je suis sûre qu’il va y en avoir d’autres ici ou là ! Juste toi et moi on n’y arrivera pas. Il manque des instruments, ça s’entend au son, ça me plait pas, il faut un truc plus complet avec des percu et pt’être un clavier.
- Bon stop, stop, stop ! »
Elle prit le bras de sa sœur pour la forcer à s’arrêter et à la regarder.
« C’est vraiment ce que tu veux ?
- Uh ?
- Monter un groupe de musique ? Avec des gens qu’on n’a jamais vus ?
- On ne va pas prendre n’importe qui, si c’est c’qui t’inquiète, on va faire un casting.
- Jessy réfléchit posément deux minutes s’il te plaît. On n’est pas des musiciennes professionnelles, il va falloir qu’on bosse dur, on n’aura plus temps pour combattre. Il ne nous manque pas grand-chose pour partir, peut-être pas à Kalos, mais à Alola ce serait faisable.
- T’aime pas mon idée ? »
Le ton de Jessy n’était pas agressif, un poil déçu peut-être. Elle se souciait vraiment de ce que voulait sa sœur. Jenny hésita avant de répondre.
« Non c’est pas ça… Au contraire je pense que ça pourrait être marrant mais… C’est un virage radical et inattendu... Tu es sûre de toi ? Ce n’est pas encore juste un coup de tête ? »
Jessy se mit à réfléchir, ses sens n’étaient plus en ébullition et elle avait retrouvé suffisamment de lucidité pour répondre sérieusement à sa sœur.
« J’avais pas ressenti ça depuis notre match contre le Conseil des Quatre : c’est un méga gros défi à relever ! J’adore ! J’pensais pas que je pourrais ressentir un truc comme ça pour autre chose qu’une ligue pokémon… Je veux le faire Jane ! Tu me suis ? »
Cette fois Jenny sourit à sa sœur, après tout, si elles gagnaient ne serait-ce qu’un seul premier prix, elles pourraient enfin mettre les voiles.
« Je te suis. »
A suivre…