Donjon Mystère - Dream Team

Chapitre 2 : Bourg-Tranquille

4046 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/07/2021 05:03

Un quart d’heure suffisait, pour sortir de la petite forêt. Le soleil finissait de se coucher, tandis que Pifeuil et Salamèche grimpèrent une petite colline, à la sortie des bois orangés.

- (Pifeuil) Bienvenue à Bourg-Tranquille !

Exclama l’adulte qui l’avait mené vers ce lieu à l’atmosphère apaisante. Il montrait de ses bras ouverts la multitude de lumières étendues au loin et qui, ensembles, formaient un village. Elles se reflétaient dans le petit lac, qui parcourait et entrecoupait le territoire. Des ponts, beaucoup de ponts reliaient les différentes maisonnettes aux toits de paille, portes de bois et architectures cylindriques. Salamèche resta silencieux, bouche bée, des étoiles pleins les yeux.

- (Pifeuil) J’ai emménagé ici il y a peu, donc je n’connais pas encore grand monde. D’ailleurs, les gens ne m’connaissent pas beaucoup non plus ! Ils risquent d’penser que j’suis ton père, si on s’dépêche pas de t’trouver un foyer !

- (Salamèche) Comment… comment s’y prend-t-on ?

- (Pifeuil) Toi, tu t’reposes ! À cette heure-là, la mairie est fermée, alors j’irai m’renseigner demain en espérant trouver un orphelinat ou un truc du genre. Si ta mémoire pouvait revenir avant, ça m’arrangerait.

- (Salamèche) Hm…

- (Pifeuil) J’rigole, ah ah ! Te mets pas la pression, p’tit gars ! Bourg-Tranquille porte bien son nom, nous ne sommes pas pressés !

L’enfant lui sourit timidement, et l’adulte lui tapota le dos.

- (Pifeuil) Allez, on continue !

Ils descendirent la colline et empruntèrent un chemin fait de grès, menant tout droit vers le centre du village.


Chapitre 2 : Bourg-Tranquille


Ils passèrent proche de quelques maisonnettes construites autour dudit chemin. Arrivant face à un petit pont en bois, Pifeuil s’arrêta.

- (Pifeuil) De l’autre côté, c’est la place du village ! Là où se réunissent quotidiennement nos voisins pour le marché, le bar ou juste sympathiser après l’boulot. Ma boulangerie est dans l’coin, j’ai hâte de leur présenter mes délices !

Salamèche hocha simplement la tête, observant la place dans un silence qui devenait habituel.

- (Pifeuil) M’enfin ! Nous, on est là !

Exclama-t-il en tournant à gauche, face à la maisonnette la plus proche du pont. Il enjamba la clôture. Le petit l’imita avec plus de difficulté. Pifeuil souleva le paillasson et y récupéra une petite clé avec laquelle il déverrouilla l’épaisse porte en bois. Salamèche la passa et Pifeuil la ferma. Le silence était total. L’adulte appuya sur un interrupteur et les deux lanternes accrochées aux murs étincelèrent toute la maison.

- (Pifeuil) Fais comme chez toi ! M’enfin, essuie-toi les panards, quand même…

C’était une habitation faite de deux pièces rondes et d’une petite salle de bain rectangulaire. La première était la plus grande. Elle faisait office de salon et de cuisine avec un porte manteau, une table et deux chaises en bois, un atelier de travail pour préparer à manger, des étagères en hauteur contenant de la verrerie, le tout aéré par une petite fenêtre. La deuxième était plus petite, avec une grande armoire, un lit, un petit bureau, miroir et tapis, une autre fenêtre puis une porte, menant dans la minuscule salle de bain, qui séparait d’un seul mètre la baignoire, des toilettes et du lavabo.

- (Pifeuil) Bon, c’est pas fait pour deux bougres, mais on s’adaptera !

- (Salamèche) Non, c’est parfait…

Rétorqua l’enfant, l’air éblouit. Pifeuil lui sourit. Il posa ses affaires et s’occupa de préparer le matelas supplémentaire.

- (Pifeuil) Heureusement que j’suis précautionneux !

Rigolait-il en dépoussiérant un oreiller.

- (Salamèche) C’est pour moi ?

- (Pifeuil) Non, pour moi ! Toi, tu roupilleras dans l’grand lit !

- (Salamèche) Quoi… ? Attendez, je ne veux pas vous déranger…

- (Pifeuil) Alors accepte ce cadeau sans rechigner !

- (Salamèche) Je… euh… d’accord, merci…

Marmonna-t-il d’un air gêné. Pifeuil termina de préparer le lit, qu’il plaça dans un coin du salon, puis reprit son souffle en pointant sa salle de bain du regard.

- (Pifeuil) Allez, c’est l’heure du bain !

- (Salamèche) Pour… vous ?

- (Pifeuil) Nan, là c’est pour toi ! Tu sais t’débrouiller tout seul où t’as besoin d’aide ?

- (Salamèche) Je… je vais le faire tout seul.

- (Pifeuil) Pas d’soucis ! J’laverai bien cette cape crasseuse, mais vu que t’as que ça à te mettre sous la dent, ça attendra. Tant pis, j’vais faire à manger en attendant ! Si t’as le moindre problème, appelle-moi !

- (Salamèche) Entendu…

Sur ces mots, Salamèche gagna la salle de bain et s’y enferma. Il enleva sa cape et se dévisagea dans le miroir. Il se sentit mal à l’aise, affreusement mal à l’aise. Alors il se dépêcha de se doucher, sans oublier d’essayer à nouveau d’éteindre cette flamme au bout de sa queue. Mais rien n’y fit, elle se rallumait à chaque fois. Une fois nettoyé, il peinait à se sécher, par peur d’enflammer la serviette. Mais sa flamme ne semblait pas s’étendre au-delà de son corps. Il renfila sa cape et soupira. Finalement, il se sentait mieux avec.

- (Pifeuil) À table !

Exclama l’adulte, dès que l’enfant sortit de la salle de bain. L’odeur alléchante l’attira sans même qu’il ne s’en aperçoive. Sur la table se trouvaient du pain chauffé, des baies et autres fruits.

- (Pifeuil) J’n’ai pas trop l’temps d’pousser la cuisine, ce soir. J’aimerai que tu t’couches de bonne heure.

- (Salamèche) Ça… ça a l’air bon…

- (Pifeuil) Eh bien prends place, mon petiot !

C’est ce qu’il fit, et bon sang qu’il se régala. Pifeuil semblait ravi de le voir dévorer sa nourriture, bien qu’il lui demandât à plusieurs reprises de manger plus lentement. Mais Salamèche agissait par instinct. La panique et l’amnésie avaient obsédés son esprit, à un point tel qu’il oublia être affamé. Il l’était, et la digestion le fatigua à vive allure. La demi-heure d’après, il était au lit. Pifeuil le borda avec tendresse.

- (Pifeuil) Ça va aller, tu ne crains pas les ténèbres ?

- (Salamèche) Les ténèbres… ? Vous voulez dire le noir ?

- (Pifeuil) Oui. Oui, pardon, le noir.

Se reprit-il en détournant le regard.

- (Salamèche) Je pense que ça ira. Merci encore, merci pour tout.

- (Pifeuil) Tu souris, c’est tout c’qui compte.

Le rassura-t-il en lui tapotant la poitrine gauche. Salamèche baissa les yeux, l’air pensif. Il lui sourit de nouveau, Pifeuil en fit de même, puis les lumières s’éteignirent.

Ce sont les rayons du soleil, qui le réveillèrent. Il faisait déjà jour, et bon sang qu’il faisait beau ! Il s’étira en repensant à sa nuit, sans grands souvenirs de ses rêves. Néanmoins, une phrase raisonna dans son esprit : « Tous en place ! ». Il n’y prêta pas trop d’attention. Il se leva et constata être seul à la maison. Il pensait attendre le retour de Pifeuil, lorsqu’une ombre l’interpella par la fenêtre. Il en sursauta, s’abaissant près de son lit, là où personne ne pouvait le voir. Il commençait à se faire des idées. Peut-être était-ce les trois créatures du jour dernier ? Soudain, quelqu’un toqua à la porte. Salamèche resta immobile. Il était seul et sans défense. La meilleure chose à faire – selon lui – était d’attendre le retour de Pifeuil pour être certain d’être à nouveau en sécurité. En attendant, jamais il n’ouvrirait la porte, jamais. Il se releva en soupirant, satisfait de sa décision.

- Alors c’est toi, l’nouveau !

Exclama une voix surexcitée. Salamèche tourna lentement le regard vers la fenêtre, comprenant que l’individu pouvait le voir, désormais. Un petit gars, fait d’un pelage jaune était collé contre la vitre, les yeux ronds écarquillés, ses grandes oreilles pointues et noires remuantes d’excitations. C’était un enfant, comme lui.

Il toqua à la fenêtre.

- Dis, tu peux ouvrir, steuplé ?

Salamèche hésita. Mais comme avec Pifeuil, il n’avait plus l’impression de se sentir en danger, à côté de lui. C’était un enfant, après tout. Et puis il a dit le mot magique. Oui, il lui en fallut peu pour céder. Il ouvrit donc la fenêtre, se retrouvant face à face avec ce surprenant garçon.

- (Salamèche) Euh… bonjour ?

- Alors c’était vrai ! Cette odeur, c’est bien la tienne !

- (Salamèche) Mon… odeur ?

- Pourquoi t’es chez m’sieur Pifeuil ? T’es son fils ? Pourquoi t’es pas comme lui ? Tu viens d’où ?

Salamèche cligna à peine des yeux.

- Bah, peu importe ! Viens, j’vais t’présenter l’village !

Il passa son bras de l’autre côté de la fenêtre, agrippa celui de Salamèche puis le tira hors de la maisonnette.

- (Salamèche) Hé, attends… !

Marmonna-t-il sans grands succès. Tant pis, il se laissa guider vers la place du village.

- Bon, par quoi j’commence ? Ah, je sais ! On est à Bourg-Tranquille ! Oh, mais c’est débile, tu dois déjà l’savoir… !

- (Salamèche) Dis, euh…

- Moi, j’habite juste à côté de chez m’sieur Pifeuil ! On est à l’Ouest du village, et ça, c’est la place de Bourg-Tranquille !

Exclama-t-il en tournant sur lui-même, les bras ouverts. Salamèche regarda tout autour de lui, il en était bouche bée. Des adultes, tous faits d’une peau, taille, corpulence et de couleurs différentes se baladaient, échangeaient et profitaient du beau temps côte à côte.

- Ça, c’est le bar et là-bas, les marchés !

De multiples brasseries ouvertes entouraient la place, toutes dirigées par des créatures de la même espèce, des sortes de caméléons verts à l’air à la fois aimable et stricte.

- Si on continue à l’Est, on tombe sur d’autres maisons. Au Nord, c’est l’école et au Sud, y a le lac ! C’est là que vit m’sieur Barbicha, un vieux qui sait énormément d’choses !

- (Salamèche) Dis, j’aimerai bien…

- Ouais, j’sais, ça fait beaucoup d’un coup, ah ah ! Oh, attends, en parlant de l’école, ça veut dire que tu vas nous rejoindre ?! Trop bien !! J’ai trop hâte de te présenter à tout le monde !

- (Salamèche) Hé !

S’imposa-t-il pour la première fois. L’autre enfant s’arrêta un instant, lui laissant enfin l’opportunité d’en placer une.

- (Salamèche) Comment… comment t’appelles-tu ?

- Mon nom ?

- PIKACHU !!!

Hurlèrent plusieurs voix en même temps, celles des adultes qui semblaient passer du bon temps, il y a quelques secondes encore. Salamèche sursauta en apercevant un tas de créatures foncer vers eux, le regard assassin en direction du dénommé Pikachu qui, de son côté, se gratta l’arrière du crâne en rigolant.

- (Pikachu) M’sieur Hippodocus ! Comment ça va ?

- (Hippodocus) Où sont mes carottes, sale mioche ?!

S’énerva un gigantesque hippopotame brun, à la mâchoire et aux dents aussi imposantes que l’étaient ses yeux rouges froncés. Du sable coulait de son dos à chaque fois qu’il ouvrait la bouche.

- (Pikachu) Quelles carottes ?

- (Hippodocus) Celles que tu as dévoré !!

- (Pikachu) C’est même pas vrai, d’abord ! Elles ont servi à nourrir des sauvages !

- (Hippodocus) PARDON ?!

- (Pikachu) Ah, euh… oups… ?

- Et moi, mon linge a disparu ! Je suis sûr que c’est encore toi !

- (Pikachu) Ça va, vous en avez plusieurs, des vêtements !

- Des trousses de soin ont été dérobées, hier à l’école ! On t’avait demandé d’arrêter !

- (Pikachu) Bah j’sais pas, moi, demandez au monde extérieur d’arrêter d’être violent !

- Et moi, alors ! Je t’ai entendu hurler jusqu’à deux heures du matin, la dernière fois, je n’en peux plus de tes gamineries !

- (Pikachu) Mes gamineries ?! Si vous saviez ce que je faisais… !

- (Hippodocus) On s’en moque !!

- (Pikachu) Ah. Bon bah tant pis, hein…

Haussant les épaules, il se tourna vers Salamèche.

- (Pikachu) On se voit plus tard, j’imagine !

Puis, il bondit en arrière et prit la fuite.

- (Hippodocus) Tu ne t’échapperas pas, sale avorton !

Et tout le monde le poursuivit, ignorant le garçon silencieux comme s’il n’existait pas. Salamèche se retrouva donc seul sur la place du village, tout du moins avant qu’une autre imposante créature sorte du bar.

- Jeune homme.

L’interpella-t-elle en le dévisageant d’un regard hautin. Elle portait un costard adapté à son plumage, dont ses grandes ailes qu’elle remuait d’une force inébranlable. Salamèche recula d’un pas, il sentait son cœur gagner en intensité, plus encore lorsqu’elle approcha son bec pointu de son petit museau orange.

- C’est donc toi, le petit nouveau. Que les choses vont vite, en ce moment. D’abord une plante puérile au langage grossier, et maintenant un lézard enflammé à l’odeur irritante. Qu’est-ce que mon village est en train de devenir ?

- (Salamèche) Votre village… ?

- Espèce d’ignorant. Mon nom est Rapasdepic, et je suis la maire de Bourg-Tranquille ! Et toi, ignare d’étranger, qui es-tu ?

- (Salamèche) Je… je m’appelle Salamèche, c’est Pifeuil qui m’héberge…

- (Rapasdepic) Sans grandes surprises. Après tout, le but d’un virus est de se propager. Que l’on soit clair, si j’entends parler en mal de toi ou du minable boulanger qui te laisse piétiner mes terres, vous déguerpissez ! Nous n’avons pas besoin de nous ouvrir au monde extérieur. Me suis-je bien fait comprendre ?

Tremblant, le jeune garçon hocha simplement la tête. Rapasdepic se redressa, puis se retourna et quitta les lieux. À nouveau, Salamèche se retrouva seul sur la place du village. Sauf que sa curiosité aussi, s’en était allée. Il traversa le pont et rentra chez Pifeuil en utilisant la clé sous le paillasson. Il pensait être seul, hélas, ce sont deux adultes qui l’attendaient bras croisés.

- (Pifeuil) Où étais-tu, bon sang ?!

L’engueula immédiatement le bonhomme vert. Salamèche recula d’un pas. Il baissa honteusement la tête.

- (Salamèche) Je… je suis désolé, j’aurai dû attendre votre retour…

Le silence s’imposa. Pifeuil soupira, puis déplia les bras.

- (Pifeuil) Non, c’est ma faute. J’aurai dû être plus clair, hier soir, c’est moi qui te demande pardon.

Salamèche était bouche bée. Le second adulte approcha alors. Une femme au pelage rose et beige, aux oreilles ailées ainsi qu’au regard bleu attendrissant. Elle était accoutrée d’une blouse blanche.

- Tu es donc le jeune Salamèche dont monsieur Pifeuil m’a parlé. Bonjour à toi, mon nom est Nanméouïe et je suis l’infirmière du village. Je suis venue t’examiner.

- (Salamèche) M’examiner… ?

- (Pifeuil) C’est nécessaire, mon p’tit gars. Qui sait c’que t’as subi, avant notre rencontre ? Qui plus est, je suppose que ta mémoire ne t’est toujours pas revenue ?

Il nia d’un mouvement de tête.

- (Pifeuil) Bon sang…

- (Nanméouïe) L’amnésie est un problème au degré très aléatoire. La mémoire peut te revenir n’importe quand, parfois au contact d’un élément du passé, parfois lors d’un choc cérébral… mais nous n’avons pas besoin d’en arriver là. Je te laisse prendre place sur ton lit, je vais analyser ton rythme cardiaque et respiratoire.

Il s’exécuta et Pifeuil ne le lâcha pas du regard, toujours avec cet air pensif troublé.

- (Pifeuil) Y a vraiment rien qu’on puisse faire ? Pas même un pouvoir psychique pourrait l’aider à s’souvenir de quoiqu’ce soit ?

Demanda-t-il pendant qu’elle travaillait.

- (Nanméouïe) Rien de médicalement reconnu. Fouiller dans l’esprit d’autrui est illégal, autant pour le respect de la vie privée que pour la délicatesse chirurgicale que cela demanderait, de ne pas blesser le cerveau de celui sur qui on opère. Il est plutôt recommandé d’apprendre à vivre avec.

- (Pifeuil) Peut-être, mais c’est un petiot sans famille ! J’ai fouillé tout l’village, c’matin, il est le seul de son espèce !

- (Nanméouïe) De son espèce, oui, mais est-il vraiment seul ?

Pifeuil ferma les yeux, l’air dépité. Il resta silencieux jusqu’à ce que l’infirmière termine d’examiner le jeune garçon, à qui elle préleva du sang qu’elle inséra dans une machine débitant un tas d’informations à la seconde.

- (Nanméouïe) Bien. Tu es un Salamèche en parfaite santé, né il y a quatre-mille-sept-cent-quarante-six jours, soit environ treize ans.

- (Salamèche) J’ai… treize ans… ?

- (Pifeuil) T’avais oublié ça aussi… ?

- (Nanméouïe) Hmmm… hélas, je n’ai aucune information sur ton arbre généalogique. Ça arrive, ces machines sont récentes et encore en phase de test. Nous réessayerons demain, pendant la pause.

- (Pifeuil) Quelle pause ?

- (Nanméouïe) La récréation, voyons. Salamèche doit être scolarisé.

- (Pifeuil) Quoi, vraiment ?!

- (Nanméouïe) Monsieur Pifeuil… c’est un enfant.

- (Pifeuil) Il n’a pas l’temps, enfin !

- (Nanméouïe) Pas le temps de quoi ? Apprendre des choses ?

Le bonhomme vert détourna le regard. Il crispait les dents.

- (Nanméouïe) Je travaille aussi à l’école. Je commence dès ce soir à remplir son dossier et je vous le ferai signer demain. Essayez d’être-là à huit heure, si possible. Les cours commenceront la demi-heure suivante.

Elle se tourna vers l’enfant, à qui elle hocha la tête.

- (Nanméouïe) À bientôt, Salamèche.

- (Salamèche) Aurevoir, madame Nanméouïe…

Sur ces mots, elle quitta la maison de Pifeuil. Les deux garçons se retrouvèrent seuls. Les deux étaient embarrassés.

- (Pifeuil) Mon gars, réponds-moi honnêtement. Sais-tu ce qu’est un Pokémon ?

Salamèche garda le silence, l’air navré. Pifeuil ferma les yeux et inspira un grand coup.

- (Pifeuil) C’était perdu d’avance, je l’ai toujours su…

- (Salamèche) De quoi parlez-vous… ?

- (Pifeuil) J’imagine que ça n’a plus d’importance. Bon, écoute-moi attentivement. Nous vivons dans un monde peuplé d’créatures nommées Pokémon. J’suis un Pokémon, madame Nanméouïe est un Pokémon et tu… tu es un Pokémon. Ce monde est aussi grand et diversifié qu’dangereux. Des types comme hier, c’n’est pas c’qui manque et je… je suis désolé pour toi. Vraiment. Être lâché, seul et amnésique, dans une nature pareille… personne ne mérite de subir ça.

- (Salamèche) Et vous, vous vous êtes retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Pifeuil, je… je comprendrais si vous voulez que je parte.

- (Pifeuil) Pour aller où, au juste ? Il n’y a pas d’orphelinat, ici.

- (Salamèche) Je me débrouillerai.

Le silence s’imposa. Pifeuil soupira une dernière fois.

- (Pifeuil) … Non.

Avant de relever la tête, l’air confiant.

- (Pifeuil) Tu n’as pas à endurer ça seul. Je vais t’adopter.

Salamèche écarquilla les yeux.

- (Salamèche) Vraiment… ?

- (Pifeuil) Ouaip, mieux vaut qu’on reste ensemble, au moins jusqu’à ce que tu pousses un peu. Je n’veux pas m’inquiéter pour toi.

- (Salamèche) … Merci…

Les deux garçons gardaient la tête baissée, mais l’atmosphère était plus calme, plus détendue. Pifeuil s’étira un coup.

- (Pifeuil) Bon…

Avant de froncer les sourcils et pointer le petit du doigt.

- (Pifeuil) Par contre, j’te préviens tout d’suite, les choses vont changer !

Cria-t-il d’un air déterminé.

- (Pifeuil) À partir de maintenant, t’es plus un invité, t’es un habitant d’cette maison ! Alors tu vas charbonner, mon gars, parce que je n’aime pas les flemmards !

- (Salamèche) O… oui… !

Répondit le petit avec le sourire. La flamme au bout de sa queue s’étincela une demi-seconde, en même temps que des étoiles envahirent ses yeux.

- (Pifeuil) Demain, c’est ton premier jour d’école ! J’hésitais à t’y inscrire, mais m’dame Nanméouïe a raison, tu dois t’instruire un peu ! On va tout préparer pour que tu sois paré, mon p’tit gars ! Il te faut un sac, une tenue… oh, une tenue ! J’ai trouvé une corde, ce matin ! Fais-en une ceinture !

Il s’exécuta et changea sa cape en deux épais vêtements, séparés par la corde autour de sa taille, certes usés, mais suffisamment épaisse pour lui donner la carrure d’un villageois que l’on ne dévisage pas.

- (Salamèche) De quoi j’ai l’air… ?

- (Pifeuil) D’un pouilleux. Mais c’est c’qu’on est, alors c’est parfait !

Il lui décrocha un rire, aussi sincère qu’adorable. Voilà comment cette journée se termina, dans une bonne ambiance qui fit oublier autant à l’enfant qu’à l’adulte leurs problèmes. Après tout, c’est une nouvelle vie qui commençait pour ces deux-là.

Lorsque la lune se leva, le lit de Salamèche débordait de matériels. Un sac à dos d’un vert usé par le temps, une trousse et des feuilles pour l’école, une gourde d’eau et un emplacement dédié au pain, que Pifeuil lui préparerait chaque matin, avant de quitter la maison. Comme le jour dernier, l’adulte cuisinait pendant que l’enfant se douchait, les deux mangeaient ensemble puis le plus jeune plongea sous ses draps, se reposant d’une journée qui ne fut qu’un avant-goût de son nouveau quotidien.

Comme le soir dernier, il espérait retrouver la mémoire, le lendemain en se réveillant. Mais si ce n’était pas le cas, continuer de s’adapter à sa nouvelle vie ne le dérangeait pas. Aux côtés de Pifeuil, il se sentait bien. Vraiment bien.

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