Remonte des profondeurs de ton subconscient
Voilà une semain qu'Isla avait été désactivée. Mes collègues s'étaient pliés en quatre pour me permettre de prendre du repos - en particulier Michiru - pour me permettre de me remettre de mes émotions, et aussi qu'on m'assigne un nouveau Giftia.
Pendant cette semaine se succédèrent pleurs, nostalgie et remords. Je lisais et relisais encore son journal intime, un sourire triste accroché à mes lèvres. Je collais ma tête contre le bar, les bras toujours tendus qui tenaient le journal de ma moitié maintenant disparue.
"Si seulement elle pouvait revenir..."
On toquait à ma porte. Je me levais et cachais le journal dans un tiroir de la cuisine et me précipitais à la porte pour ouvrir. Derrière, je trouvais Kazuki, abordant un sourire compatissant, elle me dit avec une lenteur relative :
"Demain faudra que tu passes au service, on va t'assigner ta nouvelle Giftia"
J'acquiessais. Je devais faire le deuil d'Isla... en faire le deuil ne signifiait pas l'oublier, après tout. Étant donné qu'il était suffisament tard pour se coucher, je montais dans mon lit. Il me fallut trois bonnes heures avant de trouver le sommeil : les souvenirs d'Isla me hantaient et me rendaient profondément nostalgique. Je souhaitais que le matin, je sois réveillé par une magnifique fille aux cheveux blancs - et ma colocataire -. Bien évidemment c'était impossible, j'avais assisté à sa désactivation. Je n'avais pas particulièrement de remords à avoir, je savais que c'était la seule solution, si je m'étais enfui avec elle ça aurait mal fini. Le lendemain, bien évidemment l'appartement était vide. Je me levais de mon mit non sans difficulté. Je descendis de la mezzanine pour me faire mon petit déjeuner. Une simple tartine avec le thé qu'avait l'habitude de faire Isla. Je sortis des habits propres et les mis. Je sortis ensuite de mon appartement mais plus pour longtemps. Je passais dans les vestiaires pour mettre mon uniforme, j'y croisais Michiru qui me demanda :
"Ça va mieux ?"
Je ne répondis pas. Elle continua :
"Pas que je m'inquiète pour toi, hein, crois pas ça !"
Après une courte pause elle finit par dire :
"Bon... si en fait..."
Je lui fis un signe d'un pouce en l'air, signifiant que tout allait bien. Sauf que ça n'allait pas. Je ne voulais pas d'une nouvelle Giftia, pas du tout. Je veux retrouver Isla, la serrer dans mes bras, l'embrasser et reprendre ma vie avec elle... seulement ça n'arrivera jamais... Une fois l'uniforme mis, j'allais dans la petite salle du service où se trouvaient tout les ordinateurs. Je retournais devant le mien et m'y assis. Tout était identique à avant, hormis le bureau de Isla qui était vide. J'avais envie de fuir la réalité, voire même de fuir le monde tout court. La vie sans Isla était presque dénuée de sens. Mais je ne faisais rien de ça parce que je savais une chose : que si je faisais ça, si elle m'observait, elle serait profondément déçue.
Kazuki entra quelques minutes après mon arrivée. Elle s'approcha de moi et me demanda de me lever. Dans le fond de la salle je reconnus une silhouette.
"Isl...a"
Au début ma voix était animée d'une énergie nouvelle et en l'observant plus en détail je découvris une différence dans la lueur de ses yeux, alors ma voix perdit toute émotion. Kazuki lui fit signe d'avancer. Elle était la même qu'avant : mêmes cheveux blancs, mêmes yeux rouges, même uniforme, même apparence... Je tendis ma main pour serrer la sienne. Elle en fit de même et le contact avec sa peau était identique. C'en était trop, je sentis une larme chaude rouler le long de ma joue, suivi dans la foulée par d'autres. Elle était identique physiquement, mais ce n'était pas celle que j'avais connu jusqu'ici... Kazuki commença alors à parler :
"Isla, je te présente Tsukasa
-Dites Kazuki, pourquoi il pleure ?, dit-elle comme si j'étais absent
-Il te le dira s'il le souhaite"
J'allais devoir faire équipe avec une fille ayant le corps de celle que j'aimais mais un caractère bien différent. Je me rassis alors qu'on me donnait ma mission du jour. Je reprenais en douceur : pour aujourd'hui il était prévu une récupération. D'après le dossier la famille accepterai de nous remettre leur Giftia sans trop de soucis. Je glissais à la nouvelle Isla que nous partions maintenant. Je fis signe à mes amis et collègues que tout irait bien.
Dans la voiture, celle qui occupait le corps de ma moitié se tourna vers moi et me demanda simplement :
"Pourquoi tu pleurais ?
-Pour rien, oublie ça."
J'avais répondu avec plus d'amertume que je l'aurais voulu. Si je voulais faire une bonne équipe avec cette Isla je devais ne plus penser à celle que j'aimais. Nous arrivions à la maison de la famille. Je laissais Isla toquer, comme nous le faisions avant. Une femme ayant une quarantaine d'années ouvrit. Ma nouvelle coéquipière expliqua la raison de notre présence en montrant son badge. La dame nous laissa entrer. Pendant qu'Isla expliquait ce qu'il allait se passer pour elle, je montrais le contrat à sa mère en lui expliquant les possibilités qui s'offraient maintenant à elle. Lorsque vint la possibilité du changement de l'intelligence artificielle, j'insistais bien sur le fait que sa fille ne serait la même que physiquement.
"Tu parlerais en connaissance de cause ?"
Je ne répondis pas et jetais inconsciemment un coup d'oeil furtif à Isla
"Tu l'as déjà vécu, n'est-ce pas ?
-Oui... avec elle, je pointais discrètement du doigt Isla avant de continuer : Je l'aimais... et elle a été désactivée..."
La dame me regardait avec tristesse, elle compatissait pleinement, elle aussi allait vivre ce que j'avais vécu il y a si peu de temps. Malheureusement la technologie n'est capable de faire durer les Giftias que 9 années... La femme signa le document sans se poser trop de question. Isla fit sa partie du travail, désactivant la jeune fille de onze ans. Je savais maintenant ce qu'éprouvaient les proches des Giftias quand nous les désactivions. Ce n'était pas un travail gratifiant...
Une fois la fillette devenue inactive nous repartions. Durant le trajet aucun de nous deux ne parla. Pour ma part, parce que j'avais du mal à me faire à cette fille ayant pris le corps de l'Isla que je connaissais. De son côté, je ne le devinais pas, depuis que nous nous sommes rencontrés elle arbore une expression neutre.
Nous étions enfin rentrés au service, tout le monde était déjà là, surement une semaine sans trop de récupération. Je regardais sur les bureaux, il n'y avait pas de thé. Je réprimais la larme qui menaçait de couler. Je vis revenir Constance, un verre de thé à la main. Je regardais autour et ne vis pas la nouvelle Isla, une lueur d'espoir s'alluma au fond de moi, probablement vaine
"Dis, c'est qui qui t'a fait ton thé ?
-Moi, pourquoi ?
-Rien..."
Je soupirais avant de me remettre au travail. Je pianotais sur mon clavier jusqu'à ce que le soleil descende en dessous de l'horizon