Les Dragons et les Veilleurs

*Il y a 24 ans*

Hanzo bloqua le poing qui filait dans sa direction. Il le détourna et projeta sa paume vers l’avant, effectuant le mouvement de contre-attaque.

- Très bien, le félicita son professeur.

Ce dernier fit ensuite signe à son élève de s’écarter. Hanzo s’exécuta.

- A ton tour, Genji.

Ils étaient tous trois dans le dojo de leur domaine, habillés de kimono. Hanzo avait la même coupe de cheveux qu’avant son exil. Genji lui, n’avait pas encore teint ses mèches en vert mais avait déjà sa fantasque coupe en épis.

Le plus jeune frère prit la place de l’aîné, face au professeur. Ce dernier attaqua. Genji tenta d’effectuer la parade mais échoua et se prit le coup au torse.

- Aie !

- Concentre-toi, dit le professeur. Tu as mal effectué le mouvement.

- Maître, puis-je ? intervint Hanzo.

Il hocha la tête. L’aîné s’approcha alors de Genji en disant :

- Tu as bien exécuté la parade mais ta garde est trop haute.

Il repositionna doucement les bras de son frère de sorte à lui permettre de prendre la bonne position. Genji se laissa faire, attentif aux paroles de son aîné.

Le maître repassa à l’attaque. Mais cette fois, son coup fut paré.

- Merci grand-frère, dit Genji en souriant.

- Je suis content d’avoir pu t’aider, répondit aimablement Hanzo.

Assister son cadet était le devoir du frère aîné. Et il respectait scrupuleusement ses devoirs.

- Les enfants, votre leçon est terminée, s’exclama alors un nouvel arrivant.

Il était suivi d’une autre personne qui était resté silencieuse. Les deux étaient des hommes d’une quarantaine d’années. Celui qui avait parlé portait ses cheveux noirs mi-longs tandis que le second était chauve. Mais à part cela, ils se ressemblaient beaucoup : mêmes yeux noirs, même forme de visage, qui était aussi très proche de celle des deux frères. Il était clair que les quatre étaient tous des Shimadas.

- Père, oncle Masaru, dit Hanzo en s’inclinant.

Son frère fut moins réactif mais il salua de manière similaire.

- Hanzo, tu vas venir avec moi pour une leçon de stratégie, déclara calmement Sojiro. Genji, tu as du temps libre.

- Ouais ! s’exclama le plus jeune. Il est temps que je batte ce record à la salle d’arcade !

Et il partit en courant, sans même prendre le temps de se changer.

Hanzo sentit un pincement au cœur. Il aimait son frère. C’était quelqu’un de gentil, bien qu’insouciant et superficiel. Mais le voir constamment favorisé commençait à lui peser. Toutefois il ne se plaignit pas. Cela aurait été irrespectueux envers son père et son oncle.

Il se rendit silencieusement dans le vestiaire pour mettre une tenue de vie courante. Tandis qu’il faisait ceci, il entendit les adultes parler :

- Tu le gâtes trop, disait Masaru d’un ton de reproche. Il devrait suivre les mêmes cours qu’Hanzo. C’est plus sûr pour le clan.

- Je ne reviendrai pas sur ma décision, répliqua calmement Sojiro. Genji aura la vie qu’il choisira. Pas celle que le clan lui imposerait.

Les deux adultes avaient parlé à voix basse, mais pas assez pour l’ouïe fine d’Hanzo. Ce dernier était assez surpris de cette conversation. Qu’il y ait un différend entre son père et son oncle était déjà une nouveauté pour lui. Mais la plus grande surprisse était qu’on puisse remettre en question les choix du chef.

Hanzo finit de se changer et alla retrouver son père. Ils se rendirent dans une salle d’étude, prirent du matériel d’écriture ainsi que divers livres et s’assirent.

- Père, dit soudainement Hanzo. Pourquoi Genji a-t-il moins de leçon que moi à son âge ? Pourquoi le favorisez-vous donc ainsi ?

Les mots étaient sortis d’eux même, spontanément. Hanzo se demandait d’où lui venait une telle audace. Peut-être qu’avoir entendu les reproches de son oncle lui avait donné du courage ?

A sa grande surprise, son père sourit.

- Je savais qu’un jour tu me poserais cette question. Et que lorsque ce moment viendrait, tu serais assez grand pour entendre la réponse.

- Je vous en prie père, expliquez-moi. S’il vous plaît.

- Sache, Hanzo, que quand j’avais ton âge, il n’y avait en moi nul désir de devenir le chef du clan. Je voulais partir explorer le monde, combattre les omnics, vivre des aventures…

Sojiro eut un petit sourire amusé devant la naïveté de ses rêves d’adolescence. Hanzo lui, était surpris. Il regardait son père avec un œil neuf.

- Mais ces désirs étaient contradictoires avec ma destinée telle qu’édictée par ma naissance et les besoins du clan. J’étais l’aîné de la lignée des chefs, je devais devenir chef. Il n’y avait pas d’alternative.

Le regard du père d’Hanzo devient plus triste.

- Ces différents ont été la source de conflits avec entre moi et le reste de la famille. Cela m’a causé une grande souffrance. Mais à la fin, j’ai accepté mon rôle.

Son sourire revint. Un sourire simple et heureux.

- Je me suis accoutumé à cette vie. Il y a un certain plaisir dans le frisson du pouvoir, à nul autre pareil. Mais ma plus grande joie est d’avoir deux aussi brillants enfants.

- Vous nous flattez, père.

- Je ne pense pas. Toi et Genji êtes vraiment talentueux.

Il marque une courte pause avant d’ajouter :

- Mais le fait est, Hanzo, que je te laisserais volontiers profiter de ton enfance comme je le fais pour Genji. Mais je ne le peux pas. Les traditions exigent que tu suives un entraînement rigoureux, pour te préparer à tes futures responsabilités.

Il soupira doucement.

- Nous ne pouvons pas nous opposer aux traditions. J’ai essayé et cela ne m’a apporté que de la peine. Je ne peux rien faire pour alléger le fardeau que tu portes.

Ses yeux se portèrent sur son fils. Dedans, on pouvait lire une infinie tendresse.

- Heureusement, tu es bien plus sage que je ne l’étais à l’époque. Ta droiture et ta force ne cessent de susciter mon admiration. Tu as l’étoffe d’un grand chef.

Hanzo rougit légèrement et détourna le regard. Il n’était pas habitué à tant de compliments.

- Quand à Genji, poursuivit Sojiro. J’ai le pouvoir de lui laisser sa liberté. Et je préfère qu’il en soit ainsi. Qu’il puisse profiter de l’enfance que je n’ai pu avoir.

Son regard devint nostalgique. Mais cela ne dura qu’une poignée de secondes. Puis il reprit la parole :

- Est-ce que tu comprends mieux Hanzo, pourquoi tu es traité si différemment de Genji ?

- Oui, père.

- Et est-ce que tu acceptes cette situation ?

Hanzo hésita une poignée de secondes avant de répondre :

- Oui, père.

Malgré ses paroles, Hanzo ne pouvait s’empêcher de penser que son père avait tort d’être aussi laxiste avec Genji. Et de toujours en vouloir à ce dernier d’être favorisé.

C’était des pensées déshonorantes et méprisables. Il le savait et décida de les écarter. Hanzo espérait juste qu’il arriverait également à les ignorer dans le futur.

*Aujourd’hui*

- Talon pourrait reconstruire l’empire de ta famille.

- Mais quel en serait le prix ? demanda Hanzo.

Il se trouvait dans une ruelle sombre d’un des quartiers les plus chics de Tokyo. L’arrière d’un restaurant de luxe très exactement. Le genre d’endroit où seuls passent livreurs et domestiques, personnes que les riches ne voulaient surtout pas voir. Ce qui expliquait sans doute pourquoi les lieux étaient si mal éclairés.

De ce fait, Hanzo ne voyait de son interlocutrice que sept globes d’un rouge menaçant. Le reste était caché dans l’obscurité de la nuit.

- Votre loyauté, répondit la glaciale voix de femme. Que vous tuiez les ennemis de Talon et nous aidiez à récupérer certains objets précieux.

- Depuis plusieurs centaines d’années, les Shimada n’ont eu aucuns autres maîtres qu’eux même.

- Il y a un début à tout.

- Pas aujourd’hui.

Hanzo commença à se détourner.

- Cet accord pourrait te permettre de te venger dès maintenant d’Overwatch.

Par politesse, le ninja s’arrêta et se retourna pour répondre :

- Mon besoin de vengeance n’est pas si pressant que j’y sacrifierais la liberté des miens.

Il y eut un petit moment de silence.

- Je pense pouvoir apporter de nouveaux éléments qui changeront ce point de vu, dit la femme.

Hanzo fronça les sourcils.

- J’attends de les voir, dit-il.

- Tu les verras. Je te recontacterai quand cela sera possible.

Les globes rouges disparurent alors dans le noir de la nuit.

Hanzo quitta la ruelle à pied. Il prenait des chemins détournés pour éviter d’attirer l’attention. Les vigiles n’aimeraient pas voir un homme armé approcher de leur poste de garde. Mais malgré tout, il ne pouvait manquer les devantures des restaurants, magasins et hôtels de luxe. Un triste rappel que tout ceci lui était désormais inaccessible.

Non pas qu’il soit attaché au luxe en lui-même. Hanzo avait toujours été quelqu’un de modéré dans ses besoins. Mais au luxe était attaché statut et prestige. Et perdre ces deux choses affectait Hanzo. Encore plus maintenant que son exil était terminé.

Il quitta les quartiers luxueux pour d’autres plus pauvres. Puis Hanzo atteignit sa destination : un immeuble de logements banal et grisâtre, telle que la ville en comptait des milliers. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver le bon appartement.

- Bonsoir cousin, lui dit la femme qui l’accueillit en effectuant un salut traditionnel.

- Bonsoir cousine, répondit-il en faisant le même salut.

Sayuri Shimada, la fille de son oncle Masaru, était une grande et forte femme d’à peu près son âge. Comme tout membre du clan, elle avait suivi un entraînement de ninja. Ses yeux étaient les mêmes que ceux d’Hanzo mais contrairement à lui, elle avait choisi de se raser totalement les cheveux. Les vêtements qu’elle portait était une tenue de ville tout ce qu’il y a de plus banal.

Une fois les salutations faites, Hanzo avança dans l’appartement. Ce dernier était spartiate, ne contenant que les meubles strictement nécessaires pour la vie quotidienne. Une douzaine d’autres personnes étaient présentes. D’âges variés, leur ressemblance avec les deux Shimadas indiquait qu’ils appartenaient à la même famille.

- Voici tous ceux à qui j’ai pu transmettre ton message et qui ont accepté de venir, expliqua Sayuri à Hanzo.

- Bien, dit ce dernier, visiblement satisfait du nombre de présents.

Ils se rendirent tous dans une pièce vide, à l’exception d’un long tapis sur lequel ils s’assirent en tailleur. Hanzo se positionna face à tous les autres.

- J’ai décidé de mettre fin à mon exil et reprendre ma place auprès du clan, déclara le ninja.

La majorité des présents affichèrent un visage surpris. Quelque uns semblaient ravis. Mais d’autres prirent des mines sévères, comme Sayuri :

- Tu nous as abandonnés au moment où nous avions le plus besoin de toi et tu es resté absent pendant treize ans. Et maintenant tu voudrais redevenir notre chef comme si rien ne s’était passé ?

- Oui. Le commandement du clan Shimada me revient par droit de naissance.

La colère de sa cousine lui était incompréhensible. Il n’avait fait qu’agir selon les traditions en s’exilant. On ne pouvait le lui reprocher.

- Il te faudra plus que cela pour regagner notre confiance.

Hanzo fronça les sourcils, mécontent.

- Je n’ai pas à faire mes preuves. Vous savez de quoi je suis capable. Je maîtrise les dragons. Peux-tu en dire autant, Sayuri ?

Son interlocutrice baissa la tête.

- Non, dut-t-elle admettre.

Le visage d’Hanzo redevint plus neutre.

- J’ai passé ces nombreuses années d’exil à perfectionner mes talents d’assassin et à établir des contacts à travers le monde. Vous verrez rapidement que, sous mon commandement, nous prospérerons de nouveau.

- Je ne remettrai pas davantage en cause ton autorité. Mais peux-tu au moins nous expliquer ce qui motive ton retour ?

Même si cela le mettait mal à l’aise, Hanzo devait la vérité aux siens. Camouflant ses sentiments, il expliqua d’une voix neutre :

- Il s’avère que, contrairement à ce que je pensais, Genji n’est pas mort suite à notre combat. Par ce fait, les années d’exil que j’ai subi suffisent pour m’apporter rédemption. Je n’ai plus à porter le poids de mon crime.

- Genji est vivant ? réagit vivement Sayuri, surprise. Mais qu’est-il devenu ?

Cette fois Hanzo ne put retenir ses émotions. Le regret se lisait sur son visage tandis qu’il répondait :

- Il a rejoint Overwatch durant quelques temps avant d’errer à travers le monde. Tu as sans doute entendu parler de ce cyborg japonais maniant deux sabres. C’est Genji.

La femme prit une expression horrifiée et remplie de colère :

- Lui ? Il a directement participé à plusieurs des combats contre notre clan ! Et Overwatch qui paraissait toujours si bien renseigné…c’était sa faute n’est-ce-pas ?

La vérité, toujours. On ne mentait pas à sa famille.

- Oui.

- C’est un traître ! Nous devrions aller le tuer sur le champ. Nos morts réclament vengeance !

Cette fois Hanzo comprenait la colère de Sayuri. Il avait lui-même était choqué en apprenant la vérité. Mais il avait appris il y a bien longtemps que se laissait dominer par ses émotions ne menait à rien de bon. Il fallait penser au clan en priorité.

- C’est en effet un traître et un jour nous réglerons nos comptes avec lui, dit-il, apaisant. Mais les améliorations qu’il a reçues en ont fait un guerrier redoutable, bien plus que chacun d’entre vous. Je ne risquerais pas la vie des membres du clan alors que nous sommes si faibles. Cela attendra une période plus faste.

Sayuri hésita quelques secondes. La rage qui l’habitait était presque palpable.

- Il en saura fait comme le chef de clan le demande, dit-elle finalement, accompagnant ses paroles d’un salut traditionnel.

- Bien. Ce sujet est désormais clos. Nous avons maintenant beaucoup de travail à faire pour retrouver notre grandeur passée.