Tombés du ciel

Chapitre 4 : Rencontres du 3ème type

3181 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/05/2017 12:23

Lorsque tu ouvres les yeux, tu mets quelques secondes à réaliser où tu te trouves. Pendant un instant, ton inconscient t'a fait croire que tu te trouvais dans ton lit mais non, tu es toujours sur le bateau de ces gens. D’ailleurs, en y repensant, tu t’es endormie sans problème alors qu’habituellement, le roulis des vagues te donne la nausée. Pour avoir pris le ferry maintes fois, tu en sais quelque chose. Tu te redresses péniblement en te disant que ce doit être l’émotion et que, dès que tu vas pointer ton nez sur le pont, tu vas vomir tes tripes aux pieds du premier malheureux à croiser ton chemin. Embarrassant.

Pendant ton sommeil, quelqu’un a déposé sur la table de nuit un verre de lait et ce qui ressemble à un club sandwich. C’est vrai que tu mourrais de faim. Ton estomac ne te le fera pas dire deux fois : tu t’en empares et l’engloutis presque entier. Après avoir bu le contenu de ton verre, tu mets pied à terre et regardes par l’unique fenêtre de la chambre ; il fait encore nuit, tu n’as pas dû dormir longtemps. Ou sinon, c’est tout l’inverse… rien ne saurait plus te surprendre à présent.

Personne n’est encore venu te chercher alors tu décides d’aller te hasarder dans les couloirs à la recherche d’une sortie et d’un peu d’air frais. Ton abdomen te fait mal, mais précautionneusement tu t’avances vers une porte avec un hublot et jette un œil au travers. De l’autre côté, un homme blond fait sauter de la nourriture dans une casserole. L’odeur te parvient et tu te souviens de ce que Nami t’a raconté à propos du cuistot, c’est vrai que ça sent bon ! Ton estomac grommelle encore mais pour l’heure, l’air du soir te ferait le plus grand bien et mieux vaut ne pas le déranger dans l’immédiat. Cette porte étant la seule sortie, tu traverses la salle commune à pas de loups pour ne pas troubler l’individu qui s’y trouve puis pousse la première porte que tu trouves. Liberté !

Te voilà sur le pont où des visages familiers et d’autres beaucoup moins se tournent vers toi. Gênée, tu fais mine de retourner à l’intérieur mais une présence dans ton dos te fait frissonner. Lentement, tu te retournes sur ce qui te semblait être un mur mais est en réalité un être humain, un homme, très musclé et qui te surplombe bien d’une tête ou deux. Le cuisinier a disparu de ton champ de vision et ne t’a même pas remarquée, sûrement parti quérir des ingrédients pour sa recette.

« Salut, fait le mec en baissant les yeux sur toi. »

Tu te décales pour le laisser passer en bafouillant un bonsoir à peine audible. Il t’observe quelques secondes sans rien ajouter, puis finalement :

« Tu peux sortir, personne va te manger ! Enfin, fais quand même attention pour Luffy, on sait jamais… te lance-t-il en ricanant, moi c’est Zoro. 

- Moi c’est ___... »

Puis, dans un hochement de tête, le susnommé Zoro disparait derrière la porte. Le détachement incarné ! Dans ta tête, tu énumères tous les personnages de cet étrange scénario. Combien de personnes attendent encore dehors que la belle aux bois dormants se réveille ? En tout cas, la plupart sont humains, du moins en apparences. Tu aurais sûrement été moins à ton aise s’ils avaient tous été… différents, comme les deux autres, quels étaient leurs noms déjà ? Chopper et Franky. Oui, c’est clair, comme disait Jean-Paul Sartre : l’enfer, c’est les autres. Perdue dans tes pensées, tu n’as même pas entendu la porte se rouvrir pour laisser entrevoir le joli minois de Nami, qui t’extirpe de tes songes.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? Viens avec nous ! »

Puis, sans trop te laisser le choix, elle t’entraîne dehors par le poignet. Tu te retrouves donc là, plantée au milieu de tous ces visages inconnus, à te sentir un peu comme une bête de foire. Tout le monde te salue en chœur et tu leur rends la pareille. Bien qu’intimidants, ils ont tous l’air chaleureux et tu te détends un peu. Alors que tu allais te présenter, le capitaine Luffy te coupe l’herbe sous le pied.

« Oh, ___ ! Tu es réveillée ?! Les gars, je vous présente ___ ! Elle va rester un peu avec nous, le temps qu’on trouve d’où elle vient ! 

- C’est très gentil à vous, Luffy, mais…

- Vous ?! Mais j’suis pas un vieux !

- D’accord, désolée… c’est très gentil à toi, Luffy, mais…

- Ok, alors c’est réglé ! ___ reste avec nous ! annonce-t-il le doigt pointé vers le ciel et un immense sourire accroché aux lèvres. »

D'accord, il ne t’écoute pas du tout. Mais bon, s’il dit qu’il va trouver où tu habites et t’y ramener, ça ne va pas te tuer. De toute façon, tu serais bien incapable de te débrouiller seule en ces contrées nouvelles. Tu soupires et va pour parler, mais déjà un flot de questions t’assaille :

« Hé, ___ ! D’où viens-tu ? demande un jeune homme au grand nez. Au fait, je m’appelle Usopp !

- Je viens d—

- Hé, ___, tu veux boire un verre ?! te lance Zoro depuis la base du mat.

- Non, merc—

- Je m’appelle Brook, pour vous servir, charmante créature, te dit un squelette sur ta droite. Quel âge avez-vous ? Oh, où sont passées mes manières, on ne demande pas son âge à une lady ! Puis-je voir votre petite culotte ?

- Ce n’est rien, j’ai— attendez, quoi ?! »

PAUSE. L’homme qui vient de parler est… un squelette. Un squelette ?! Non, là c’en est trop pour tes neurones, ce qui se passe ici est contraire aux lois de la nature ! Dans un cri de détresse qui provoque le rire de l’équipage entier, tes jambes se dérobent et tu tournes de l’œil. Au loin, tu entends un homme crier…

« Est-ce l’appel d’une femme en détresse que j’entends ?! »

Des bruits de pas qui se rapprochent, quelqu’un qui se jette à terre et… tu termines ta décadence sur une surface molle. Tu viens de tomber au sol mais tu ne t’es pas blessée… pas plus que tu ne l’étais déjà. Reprenant tes esprits, tu jettes un œil à ce qui a amorti ta chute et… surprise ! C’est le cuistot, Sanji, qui s’est littéralement jeté sous toi. Embarrassée, tu te décales et lui présentes tes excuses. Ça ne pouvait pas être pire que ça.

« Oh, je suis tellement désolée, Sanji c’est ça ? Je ne vous ai pas fait mal ?!

- Non non, pas de ça entre nous, te répond-t-il en se relevant presqu’aussi vite qu’il était tombé, comment ne pas voler au secours d’une si belle plante que vous, … ?

- ___, je m’appelle ___. Enchantée et… toujours autant désolée ! 

- Vraiment, il n’y a pas de mal, ___. Votre prénom n’a d’égal que votre beauté ! »

Petit flatteur. Soudain, la vision du squelette te revient en mémoire et lentement mais sûrement, tu te retournes pour voir… la mort en face. Littéralement. La Faucheuse porte une coupe afro surmontée d’un haut-de-forme ainsi qu’un costume aux couleurs criardes. Tu te demandes d’ailleurs comment ces vêtements tiennent en place sur ce corps décharné. Malgré tous ses apparats, il reste un squelette. Les yeux écarquillés, tu distingues cet étrange personnage non sans cacher ton dégoût. Ses orbites vides tournées vers toi, il arbore sur son visage osseux ce qui s’apparente à un sourire. Quelles surprises te réserve encore cet équipage ? Le cyborg, ça va ; un renne qui parle, passe encore… et maintenant, tu fais la connaissance d’un mort-vivant. C’est beaucoup moins sanglant que dans les séries télévisées, mais tout aussi intimidant. Quelle journée… et voilà qu’il s’adresse à toi.

« Je suis navré si je vous ai fait peur.

- C-ce n’est rien, vraiment… je n’ai juste pas l’habitude de parler avec les morts… les gens qui font ça, chez nous, on appelle ça des charlatans, ou des fous…

- Oh ! Je ne suis pas un cadavre, je suis Soul King, le plus grand musicien des mers ! J’ai donné beaucoup de concerts, vous savez.

- Ah… eh bien… je suis enchantée, Soul King… enfin, Brook, lui réponds-tu d’une voix tremblante. »

Il va falloir un temps d’adaptation, c’est certain. Malgré le malaise qui t’envahit, tu te forces à dessiner une vague courbe sur tes lèvres et lui tendre la main afin de ne pas paraître rustre. Il la saisit et tu ne peux empêcher un petit gémissement de s’échapper au toucher de ses os. Ses doigts sont fins, tu peux entendre le cartilage craquer à la pression des tiens. Un frisson d’aversion te secoue toute entière. Tu fais ce que tu peux pour sauver les apparences mais rien n’y fait, pour l’instant, ça te tord les boyaux !

Puis, juste à temps pour détendre l’atmosphère, l’annonce du repas se fait entendre, ainsi que des « Ah ! » et des « Enfin ! » de part et d’autre. On te dirige prestement vers la cuisine que tu as eu l’occasion de traverser plus tôt, et tout le monde prend un siège autour d’une grande table en bois. Le chef annonce :

« Carpaccio de Roi des Mers accompagné d’une poêlée de légumes de saison et… le reste ! Bon appétit ! »

Pendant que Sanji apporte les innombrables plats tous remplis à ras bord, les membres de l’équipage se mettent à parler, boire et manger jusqu’à plus faim et plus soif. La soirée est animée et entre deux questions sur tes origines et le monde dans lequel tu vis, tu prends le temps de cerner les personnalités de chacun. Brook le squelette joue du violon et chante dans un coin, entraînant Luffy, Chopper, Usopp et Franky à danser et faire les idiots, provoquant les rires de Sanji, Zoro, Robin et l’agacement de Nami. Tout ce tableau t’arrache un sourire franc. Tu n’aimes pas particulièrement faire la fête d’habitude mais il faut avouer que l’air est entraînant puis, tout le monde ici est tellement chaleureux et soucieux des autres que tu finis par te sentir plutôt à l’aise. Tu en oublies quasiment la raison pour laquelle tu es ici avec eux en train de partager ce somptueux repas mais, dans un éclat de lucidité pendant que tout ce beau monde se rassemble, tu te hasardes à demander :

« Excusez-moi… au fait… est-ce que le nom de Swan vous dit quelque chose ? »

Les esprits chauffent et les mémoires travaillent dur pendant de longues secondes, mais tous secouent la tête. Ce n’est pas de veine. Quelque part ça t’aurait étonnée : que viendrait faire ton frère ici et comment y serait-il parvenu ? Même si cela expliquerait son interminable absence, il n’y a aucune raison à sa présence en ce lieux. Tu pinces les lèvres, c’est un coup dur pour toi qui avais dans l’espoir d’en apprendre plus. Finalement tu as dû rêver, peut-être qu’en définitive il n’y avait pas de nom gravé sur cette porte, peut-être que tu es l’innocente proie d’une extrême machination aux sombres desseins… puis enfin, la question tombe :

« Swan ? Qui c’est ? interroge Luffy.

- Mon frère… avoues-tu timidement, il a disparu quand j’avais six ans et j’ai pensé que peut-être… peut-être était-il là ?

- Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est ici ? te demande Nami en posant une main rassurante sur ton épaule.

- Avant d’atterrir dans la mer, je me souviens avoir poussé cette porte rouge avec son nom gravé dans le bois… non, c’est absurde, excusez-moi.

- Il n’y a rien d’absurde là-dedans, reprend-elle, souvent les intuitions s’avèrent fondées, surtout quand il s’agit de la famille ! Concentre-toi, tu te souviens d’autre chose ?

- Eh bien… maintenant que tu le dis, j’ai vu un papillon violet sur la poignée… je l’ai aussi vu plus tôt dans la journée, mais ça ne veut sûrement rien dire.

- N’en sois pas si sûre, réplique Robin, toute chose a une signification, il suffit de trouver laquelle.

- Elle a raison, renchérit Usopp en se levant, visiblement gonflé à bloc. Et puis tu ne pars pas les mains vides, c’est un bon début !

- Vous… vous me croyez ? N’importe qui s’accorderait à dire que je suis folle à lier !

- On te croit ! Et on va t’aider à le retrouver, ton frangin, t’assure le capitaine, très confiant. Comment t’as dit qu’il s’appelle, déjà ? San ? Wan ?

- Swan… le corriges-tu dans un souffle, c’est très gentil à vous mais j'ai moi-même l'espoir qui flanche après tout ce temps.

- Rien n’est jamais perdu, ___. Et si jamais on ne le retrouve pas, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour savoir s’il est un jour passé par ici, conclut finalement Nami dans un sourire. »

Tu passes les minutes suivantes à leur raconter un peu votre jeunesse, tu parles de l’orphelinat où tu es retournée, retraces la matinée qui a précédé ton arrivée dans leur monde pour tenter de trouver des indices, une piste quelconque qui se serait glissée dans le décor. Mais rien ne vient. La conversation prend rapidement une autre tournure, plus légère, et tes sombres pensées s’envolent. Tes nouveaux camarades ont l’art et la manière de te changer les idées, ce que tu apprécies en silence, un sourire timide aux lèvres.

Le repas se termine tout de même sur une bonne note tant et si bien que tu as pu discuter un peu avec tout le monde, y compris le squelette musicos et ce malgré son apparence. En fait, sous ses os poussiéreux se cache une âme charmante et courtoise. Sans mauvaise blague.

Discrètement, alors que tout le monde continue à festoyer, tu t’échappes par la porte en bois qui donne sur le pont pour aller scruter les abords du bateau et respirer un peu d’air frais. Toutes ces émotions t’ont donné mal au crâne. En marchant vers la proue, tu remarques que tes blessures ne te font plus si mal… tu ne sais pas réellement quels médicaments Chopper t’a administré mais ce qui est sûr, c’est que ça fonctionne à merveille ! Tu jettes un œil autour de toi. Tu n’avais pas vraiment pu apprécier l’œuvre de Franky la première fois que tu es sortie et maintenant que tu t’y attardes, tu as de moins en moins l’impression de te trouver à bord d’un vaisseau de guerre. Il y a de l’herbe sous tes pieds, derrière toi des orangers et tout est décoré de couleurs flamboyantes, du jaune et du rouge majoritairement. On dirait une gracieuse maison ambulante affublée d’un jardin. Sous un arbre, tu aperçois même une balançoire et plus loin, un toboggan qui descend de l’étage supérieur.

En t’avançant encore, tu peux apercevoir la figure de proue, immense et fière, se dressant devant toi. De là où tu te trouves, on dirait un peu un soleil, ou un tournesol, ce qui expliquerait le nom du bateau.

« Le Thousand Sunny… répètes-tu, pensive. »

Tu finis par t’accouder à la rambarde et lever les yeux au ciel. Une myriade d’étoiles s’offre à ton regard subjugué. Jamais tu n’avais vu un tel spectacle. Il faut dire que, de là d’où tu viens, avec l’industrie et les grandes villes, on n’a pas partout le loisir d’admirer la voie lactée. Ou en tout cas, pas chez toi, avec les zones portuaires, les lampadaires et les rejets de CO². Au loin, les lumières de la ville éclairent les montagnes et donnent l’illusion d’un volcan en éruption. La lueur qui émane de la vallée enveloppe la flore de flamboyants tons rouge orangé. Tu souris, tu aimes les paysages sauvages de ce décor nouveau. À vrai dire, personne ne t’attend et tu commences à te demander si la vie ne t’aurait pas donné la chance inédite de saisir une opportunité en or de faire quelque chose de… spécial. À ton avis, ce n’est pas tous les 5 du mois que des gens normaux tombent dans des portes sorties de nulle part, chutent dans la mer d’une hauteur indénombrable, survivent et atterrissent dans un monde parallèle. Appelons un chat un chat.

Balayant le paysage des yeux, tu ne peux t’empêcher de discerner dans l’ombre du Sunny que, bien qu’il soit amarré loin de la berge, un sous-marin stationne tout près, tous feux éteints. Néanmoins, en regardant bien, une faible lumière émane de l’une des fenêtres, attirant ton attention. Tu plisses les yeux pour tenter d’apercevoir quelque chose mais rien ne moufte. Bon, tu demanderas plus tard ce qu’il en est. Tes yeux commencent à piquer et tes membres frissonnants réclament la chaleur rassurante d’une couette en plumes. Après un rapide check-up dans la cuisine pour dire bonne nuit, tu rejoins la chambre vers laquelle Nami te dirige et ne tarde pas à tomber dans un sommeil agité…


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