"Je t'attendrai"

Chapitre 13 : Chapitre treizième

6605 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:20

Chapitre treizième,

 

« Nami ! Nami ! »

La jeune femme se pencha et secoua la jolie rouquine de plus belle, sans y mettre trop de violence. L'affolement transparaissait clairement dans sa voix aiguë, ses grand yeux noirs ouverts. Elle se pencha, vérifia que la concernée respirait encore, et lui tapota légèrement la joue.

« Réveille-toi ! Nami ! »

Voyant que ses efforts étaient vains, elle prit une décision. Avec hésitation, elle finit finalement par pincer le nez de la navigatrice, empêchant l'air de pénétrer ses narines. Ce geste eut de l'effet, car une seconde après, la pirate se redressait brusquement, haletant, essoufflée.

« E-Estel ? Fit-elle avec surprise, consternée. Mais qu'est-ce qu- »

Mais la servante aux longs cheveux bleus frôlant le blanc ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase et se rapprocha sensiblement d'elle, la prenant par les mains, son magnifique visage soudainement devenu grave.

- Nous devons faire vite, fit-elle. Alors laisse-moi rapidement te résumer ce que je sais. Je suis au courant pour tes escapades nocturnes. Je sais que chaque nuit, à la même heure, tu pars explorer, pour faire des cartes, des croquis et des plans. Je sais aussi que tu reviens toujours à la même heure, et que tu te rendors aussitôt, comme plus sereine. Mais ce matin, tu n'es pas revenue. Je me suis inquiétée. C'était plus fort que moi. Mais je ne savais pas où te chercher. Alors, j'ai poiroté devant la porte, attendant de t'apercevoir au fond du couloir. Puis, quand j'ai vu Elena passer, avec toi dans les bras, poursuivie de près par une ombre floue bien trop rapide pour que je puisse la reconnaître, j'ai totalement paniqué. Je me suis mis à courir, et j'ai mis un temps fou pour vous rattraper.

Elle fit une courte pause, pour reprendre aussitôt :

- C'est là que je l'ai vu, Shado, en train de la frapper avec force. Et elle ne se débattait pas, comme si elle cherchait à... Gagner du temps. Heureusement, ce monstre ne m'a pas vu, mais Elena, si. C'est elle qui m'a discrètement suppliée de te prendre avec moi, m'indiquant que tu avais valsé un peu plus loin. Alors j'ai réussi à faire le tour par un autre chemin, je t'ai trouvée, blessée, inconsciente et je t'ai portée. J'était terrifiée à l'idée de la laisser, seule, avec lui, mais que pouvais-je faire ? Sur le moment, je t'ai cru morte, j'ai vraiment eu peur. Je t'ai traînée comme j'ai pu, jusqu'ici, et t'ai soignée. Tu saignais beaucoup de la tête, j'ai eu la frayeur de ma vie. Tout ce sang... Je...

- Estel, calme-toi, fit Nami, compatissante devant l'état de son amie, qui sanglotait à moitié. Tout va bien.

- Non, non, tout ne va pas bien. Tout va très mal. Je n'y comprends plus rien. Ou plutôt si, j'ai l'impression de commencer à comprendre. Mais c'est si flou... Lorsque je t'eus donné tous les soins que je croyais possible, je t'ai laissée ici, et suis partie à la recherche d'Elena. J'étais vraiment terrifiée à l'idée de ce qu'il pourrait lui faire. Elena est vraiment très forte, je le sais pour l'avoir côtoyée durant de longues années, peut-être même plus que lui, mais là... Elle n'était pas dans son état normal. A chaque personne qu'elle ramène ici, elle se tasse un peu plus. Mais lorsqu'elle t'a ramenée ici, toi, le changement a été radical. C'est comme si on lui avait asséné un coup de massue, comme si elle avait perdu toute combativité. Elle est différente. Vraiment différente. Donc, j'ai couru, j'ai fouillé tout le premier étage, mais elle avait disparue, il ne restait plus que son sang sur le sol. Je devenais folle. Je suis allée à sa chambre, à celle de Shado, j'ai réveillé un grand nombres de mercenaires, dans toutes les pièces publiques, mais aucune trace d'Elena. Et, j'eus ensuite l'idée de me rendre aux prisons. Cependant, je n'en ai pas les clés, je n'ai donc pas pu rentrer. Mais j'ai vu Shado en sortir, accompagné de trois soldats, qui discutaient à propos d'elle, justement. Je parvins à capter quelques brides de phrases. A mon plus grand soulagement, elle va bien. Elle a l'air d'être dans un état... déplorable, certes, mais au moins, il ne l'a pas tuée.

A ces mots, les cœurs des deux jeunes femmes se serrèrent comme celui d'un seul homme et la sublime bleutée aux longs cheveux raides baissa la tête, rongée par une vague d'émotions négatives.

- Est-ce qu'elle va bien ? S'enquit Nami, inquiète.

- Je ne sais pas vraiment... Mais je sais qu'elle vit, répondit Estel, ravagée par la tristesse et la culpabilité. Ce maudit Shado... Il la tient, depuis le début...

- Tu le savais ?

- J'avais déjà eu ce sentiment, à plusieurs reprises. Mais là, j'en suis convaincue. On vient de m'annoncer que Monsieur allait faire une annonce à tous les soldats. Je n'en sais pas plus, mais ça aura un rapport avec Elena. Nous devons y aller.

- Quand est-elle, cette annonce ?

- Maintenant. C'est pour ça que je t'ai réveillée.

Aussitôt, Nami repoussa ses draps et se releva d'une traite. Mais elle chancela et manqua de s'écraser au sol. Estel la rattrapa.

- Doucement, doucement, ne te lève pas aussi vite.

Nami la regarda de ses grands yeux bruns et lui adressa un sourire gratifiant.

- Merci pour tout, Estel. Tu es vraiment une bonne personne.

A cela, la concernée répondit par un petit sourire assez triste.

- Nami... Fit-t-elle d'une petite voix.

- Oui ?

- Penses-tu... Qu'on puisse faire quelque chose pour aider Elena ? Je... Elle a été la seule présente pour moi, ici, durant toutes ces années. Elle est quelqu'un de bien, elle aussi. Je le sais.

La rouquine marqua un temps d'arrêt et considéra la jolie femme aux cheveux extrêmement clairs qui fixait le sol tristement, se triturant les doigt avec inquiétude.

- A nous deux, nous ne sommes pas assez fortes, répondit-elle. Tu ferais mieux de ne pas te mêler de ça, Estel. Tu es ici depuis bien longtemps, ne gâche pas tous tes efforts fournis pour un projet qui ne tient pas la route. Alors que moi, je me dois d'essayer.

- Mais, s'insurgea la concernée. Je-

- Allons-y, la coupa Nami en lui tendant la main, un sourire étirant ses lèvres. L'annonce va bientôt commencer, non ?

Son amie la regarda, puis hocha la tête et posa la main dans la sienne.

 

Estel toqua aux immenses portes de dure constitution que ni elle ni Nami n'était en mesure d'ouvrir. Quelques secondes après, on leur ouvrait, et elles s'avançaient dans la grande salle, déjà bien remplie. Il y avait des centaines de soldats, disposés en cercle, comme la première fois où la navigatrice avait pénétré cette pièce. Mais ils étaient beaucoup plus nombreux et cette dernière fut d'ailleurs surprise de constater que contrairement à cette première fois, il y avait un grand nombre de femmes avec eux. Elles passèrent donc inaperçues. Un brouhaha incroyable résonnait, mais celui-ci fut vite coupé lorsqu'une forte voix couvrit l'assemblée et leur intima le silence d'un ton sans appel.

La rouquine frissonna en reconnaissant le timbre de Shado, se tenant debout sur la plate-forme surélevée, aux côtés du Chef sur son trône, les mains derrière son dos, son visage trop parfait implacablement figé. Il y avait à leurs côtés cette effrayante femme aux immenses cheveux couleur lavande que Nami avait identifié comme étant celle qu'on nommait Snaky. Elle avait un serpent autour du cou, se reposant sur sa poitrine effroyablement grosse et arborait toujours cette inquiétante expression perverse. Sur sa droite, Logan, le colosse aux courts cheveux blonds dépourvu de toute émotion et Elliot, l'adolescent aux cheveux argentés, réputé pour son incroyable vitesse et pour son pouvoir du fruit du démon, capable de modifier le poids de sa victime.

Mais alors que la rouquine s'apprêtait à se frayer un chemin dans la foule à majorité masculine, Estel l'en empêcha. Le visage grave, elle lui souffla :

« Si Shado te remarque, c'en est fini de toi. Restons discrètes et loin de lui, surtout. »

La pirate n'eut d'autres choix que d'obtempérer. Elles n'eurent pas beaucoup de temps à attendre, car bientôt, la voix du sabreur s'éleva et il commença :

« Nous vous avons réuni, aujourd'hui, pour vous faire part d'un événement... Qui me semble, pour moi, alléchant. Faites-là entrer », ordonna-t-il ensuite à un soldat non loin de lui.

Celui-ci s'inclina avant de faire un signe à son compère, droit comme un piquet près de la porte principale. Cette dernière, constituée d'un matériau encore plus lourd et imposant que les autres, était haute d'une dizaine de mètres, épaisse d'une cinquantaine de centimètres et nécessitait donc une main d’œuvre importante pour pouvoir la manœuvrer.

Bientôt, celle-ci s'ouvrit dans un grincement insupportable, attirant l'attention de toute l'assemblée, sans exception. Une escorte composée de cinq hommes armés jusqu'aux dents s'avança, avec en leur centre, une splendide femme aux longs cheveux ébènes. Estel écarquilla ses grands yeux et attrapa la main de Nami, comme pour se supporter l'une l'autre dans ce dur moment.

Le visage d'Elena était masqué par sa longue chevelure bouclée tombant sur son visage. Seules la fin de son nez et ses lèvres étaient visibles, lèvres desquelles dégoulinait un large filet de sang. Elle était toujours vêtue de cette sombre armure s'arrêtant mi-nombril, ensuite remplacée par ces fameux bandages noirs aujourd'hui tâchés de sang qui recouvraient son ventre. Elle avait toujours ces mêmes jambières noires, ces mêmes protections sur les avant bras, les tibias, les mains, et cette même jupe noire fendue des deux côtés. Mais ses mains étaient menottées, ses sabres avaient disparus, et ses jambières, auparavant gorgées de lames et d'armes, étaient maintenant vides.

Nami grimaça quand le Chef ordonna à un soldat de la faire s'agenouiller devant lui ; elle serra les poings de colère. Un murmure d'excitation secoua l'assemblée et la rouquine les regarda, consternée et horrifiée par cette réaction. Estel se pencha de son côté et lui murmura :

« Elena n'a jamais été aimée. Elle est comme une louve solitaire, ici, une louve bien trop puissante et effrayante pour plaire aux autres. Trop froide et inaccessible pour les hommes, spécialement ceux qui ont tenté quelque chose avec elle ; trop belle pour les femmes qui la jalousent de son influence sur Shado, qu'elles voient comme parfait. »

Nami eut un sourire moqueur en interceptant tous ces regards de jalousie, sourire qui s'effaça bien vite quand ledit Shado commença son discours.

« Nous avons une nouvelle mission, pour tous ceux présents ici. Elena, ici présente, a rompu sa promesse en désobéissant à mes ordres et en tentant de... me tuer », fit-il, son sourire se transformant en une grimace amère.

Les murmures reprirent de plus belle, et cette fois-ci, ce fut la surprise qui secoua les membres du groupe.

- Que ceci serve d'exemple pour chacun d'entre vous, rajouta Charles, le Chef, avant de laisser de nouveau la parole à Shado.

- En effet, Monsieur Charles. Les traîtres n'ont pas leur place, ici. Nous allons donc prendre des mesures radicales contre ceci. Et c'est pourquoi, aujourd'hui, je vous annonce que...

Il marqua un temps d'arrêt, comme pour créer du suspens et être bien sûr que tout le monde suivait. Il balaya l'assemblée du regard, puis s'arrêta sur Elena, la dévorant des yeux comme un rapace au-dessus de sa proie. Et là, il lâcha :

« Nous allons détruire l'entier village de cette traîtresse, Elena. »

Un silence de plomb s'installa dans la pièce. Mais au plus grand dépit de Shado, la concernée ne cilla même pas, le visage dissimulé, le corps immobile, la respiration calme. Alors, il continua d'un ton moins contrôlé :

- Le réduire en cendres, brûler les maisons, s'emparer des richesses. Et concernant les habitants, l'heure est encore à la discussion.

- Êtes-vous bien sûr, Shado-sama ? S'enquit l'adolescent aux cheveux argentés qui siégeait à ses côtés, d'une petite voix. Attaquer un village entier, comme ça...

- Aurais-tu quelque chose à redire, Elliot ? Rétorqua-t-il, associant son ton sans appel à un regard menaçant.

- Euh... N-Non, je- Excusez-moi, Shado-sama.

- Bien.

A ces mots, il descendit calmement les marches de l'estrade et vint se poster aux devants d'Elena, qui n'avait pas bougé. Un sourire satisfait sur le visage, il lui caressa les cheveux, s'amusa à frôler chaque partie de sa tête avant de lui relever le menton pour mieux voir son expression. Mais alors qu'il s'attendait à admirer un visage rongé par la douleur, la haine et le désespoir, il ne découvrit qu'une face complètement lisse : la métisse arborait le visage le plus fermé et impassible qu'il eut jamais vu. Ce choc lui fit une telle violence qu'il manqua de tomber à la renverse, ébranlé par tant de sang froid, mais il se reprit bien vite et sa stupeur se métamorphosa en une colère folle. Il empoigna sa joue et la compressa avec force, dans l'espoir de la faire bouger, mais non, elle ne cilla pas, ne bougea pas le moindre petit doigt.

« Jetez-là en prison », cracha-t-il avec une frustration mal dissimulée.

A cet instant précis, une furie rousse se précipita, bousculant les hommes et femmes sur son passage, suivie de près par une deuxième tignasse blanchâtre. Ce fut donc essoufflée et le visage déformé par la colère que Nami fit irruption de l'amas de soldats. Elle se mit à courir vers Elena et Shado – qui ne l'avait pas encore vu – mais n'eut pas le temps de faire un pas de plus, car une montagne de muscles s'interposa, lui barrant la route.

La rouquine chercha à le contourner, mais il fut plus rapide et l'attrapa à la gorge, la soulevant à plus d'un mètre du sol. Celle-ci se mit à devenir d'un rouge cramoisi par le manque d'air. Elle abattait ses poings sur le bras du monstre aux cheveux blonds qui l'étranglait, et cognait ses pieds contre buste, sans le moindre effet. Mais, contre toute attente, une autre femme surgie de nulle part vint se placer derrière Logan et la seconde d'après, ce dernier tombait à la renverse.

Le blond chancela et s'écroula, et faisant tomber Nami au passage. Celle-ci considéra la femme aux longs cheveux bleus qui venait de lui sauver la vie, les yeux écarquillés.

- Estel... Qu... Qu'est-ce que c'était que ça ? Souffla-t-elle avec difficultés, en manque d'air.

La concernée se tenait juste devant elle, en position défensive, ses deux poings devant elle. D'où lui provenait une telle façon de faire ? Une telle habilité ? La rouquine hallucinait. Mais alors que son amie se retournait, prête à lui répondre, avec ce sourire si particulier dont elle seule avait le secret, une ombre se mit à planer au-dessus d'elle. Estel, sentant la menace, s'immobilisa et se retourna lentement. Nami ouvrit la bouche et tendit la main, terrorisée. Mais Logan fut plus rapide, et d'un coup de pied dans les côtes, il l'envoya valser avec une telle violence qu'elle alla s'écraser contre le mur opposé, fissurant la façade. Le blond ne perdit pas une seconde et l'instant d'après, il giflait à son tour Nami, l'envoyant rejoindre sa camarade.

 

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Logan la poussa sans le moindre tact et elle tomba par terre, sur une moquette pourpre. Au même instant, elle fit volte-face et se précipita contre la porte, mais le battant fut violemment claqué avant qu'elle n'eut le temps de l'atteindre. Sans le moindre effet, elle se mit à cogner ses petits poings contre la porte, hurlant dans le vide qu'elle voulait sortir d'ici. Mais après une bonne dizaine de minutes à s'esquinter les mains et la voix, elle s'avoua vaincue.

Elle se retourna et considéra l'endroit où elle se trouvait. Elle venait d'être jetée dans une pièce qu'elle n'avait jamais pénétrée, entièrement tapissée avec d'anciens modèles, seulement meublée d'un lit, d'une commode, d'une armoire et d'un bureau. Exténuée, la femme s'avança et alla s'asseoir sur le rebord du matelas.

Elle poussa un long soupir, et se laissa aller sur son immense lit. Nami se sentait extrêmement mal. Tous ces événements, elle ne pouvait les supporter, seule. Elle se sentait incroyablement triste et la culpabilité envahissait petit à petit son être. Elle ne souhaitait qu'une chose : retourner en arrière. Elle voulait retourner à l'époque où tout allait pour le mieux, où les Mugiwara étaient unis et ne formaient qu'un, où Elena faisait encore partie de leur famille. Mais non, le destin en avait décidé autrement.

A la pensée de la métisse, la rouquine émit un gémissement de douleur, et la seconde d'après, les larmes affluaient dans ses beaux yeux bruns, sans toutefois couler. Elena... Elle avait compris, maintenant. Elle avait tout compris, ou du moins, l'essentiel. A partir de là, tout s'expliquait. Y compris sa réaction dans le bain, lorsque Nami lui avait révélé son histoire ; ou encore son comportement du lendemain, juste avant l'attaque ennemie.

Nami comprenait tout, et elle s'en voulait extrêmement. Elena avait du être si mal. Elle avait tant du souffrir. La rouquine se prit la tête dans ses mains et se mordit la lèvre. Elle aurait du voir que quelque chose de sérieux se passait, elle aurait du faire quelque chose. Étant elle-même passée par là, elle aurait du comprendre. Elle aurait du l'aider...

Et les larmes se mirent à rouler sur ses joues, comme une large rivière découlant de ses yeux teintés de tristesse. Les remords se mirent à envahir la rouquine qui sanglotait avec peine. Son ancienne situation se superposait parfaitement avec celle d'Elena et pourtant, elle n'avait rien vu. Elle avait remarqué, certes, que son amie n'était pas dans son assiette, mais jamais elle n'aurait cru...

Dévastée, Nami se mit à tirer sur ses longs cheveux roux. Tous ses souvenirs remontaient à la surface. Toute cette douleur qu'elle avait ressentie durant des années, toute cette rancœur qui l'avait habitée pendant tout ce temps, toute ce désespoir qui l'avait rongée jusqu'à la moelle ; Elena les ressentait, elle aussi. Elena souffrait exactement comme elle avait souffert à l'époque. Jusqu'à Luffy, personne n'avait été capable d'aider Nami et aujourd'hui, Elena était complètement seule, portant sur ses épaules la destinée de centaines, de milliers de personnes. La pirate glissa du rebord du lit et s'effondra sur la moquette. Si seulement elle avait su... Si seulement elle avait agi...

Si seulement...

Mais à cet instant, un bruit de fracas sortit Nami de ses pensées et elle releva vivement sa tête, affolée. Sa porte venait d'être défoncée. Littéralement. Enfin, explosée, c'était plus juste. Son regard se posa sur les deux silhouettes qui prenaient forme dans la poussière. Et lorsqu'elle les reconnut, ses yeux s'écarquillèrent et ses larmes roulèrent de plus belle. Elle mit une main sur sa bouche, et s'affaissa, comme soudainement soulagée d'un poids.

Et les seuls mots qu'elle parvint à souffler furent : « Elena... Elena... Elle... »

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L'escorte évoluait dans les sombres couloirs de la bâtisse, à un rythme plutôt lent. Quatre hommes armés jusqu'aux dents, menés par un sabreur et une femme aux cheveux couleur lavande, avec, en leur centre, une impassible femme aux yeux sombrement dorés. Le silence était pesant, uniquement rythmé par le bruit irrégulier de leurs pas sur le sol.

Au bout d'un certain temps, l'escorte s'arrêta devant une large porte grise, nécessitant l'usage d'une clé bien spéciale pour être actionnée. Shado sortit la clé en question de sa poche et déverrouilla le battant qui s'ouvrit dans un atroce grincement, dévoilant un escalier descendant dans les profondeurs du bâtiment. Puis, lentement, le bretteur s'approcha de la captive, menottée et se pencha vers son oreille : 

« Voilà ce qui arrive aux jeunes filles capricieuses incapables de faire le bon choix, susurra-t-il avec un sourire satisfait. La loyauté, la fierté, l'honneur, regarde jusqu'où toutes ces futiles notions t'ont menée. Je ne voulais pas en arriver là, crois-moi. Mais tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Toutes les cartes étaient en ta possession. Alors, que cela te serve de leçon pour avoir choisi la pire issue possible, ma chère Elena. »

Cette dernière resta de marbre, complètement fermée, ses longs cheveux bouclés tombant sur son visage. Il lui jeta un dernier visage avant de s'éloigner, laissant pour seule instruction : « Snaky, charge-toi du reste. »

La concernée se lécha les lèvres avant de se placer derrière Elena, obtempérant aux ordres de son supérieur qu'elle admirait tant. Elle la poussa pour s'engager dans le colimaçon muré de gros blocs de pierres, stéréotype même de l'escalier menant aux cachots d'un grand château. Elles descendirent un bon nombre de marches dans l'étroite cage, suivies de près par les quatre soldats absolument pas rassurés. Et bientôt, un long corridor de cellules s'offrit à eux, simplement illuminé par de vieilles bougies accrochées au mur. Original, non ?

« Tu as de la chance, dis donc, fit Snaky avec un enthousiasme hypocrite. Tous les détenus ont fini par mourir, toutes les cellules sont donc vides. Tu as l'embarras du choix ! C'est super, non ? »

Elle accompagna ces derniers mots d'une caresse sur la cuisse de la détenue qui ne cilla pas. S'emparant d'une deuxième clé, la femme à la poitrine horriblement proéminente et dotée d'immenses cheveux violets frôlant ses genoux – oui, tout était en grandes proportions, chez elle – ouvrit la grille d'une cellule au hasard et y poussa Elena.

Lorsqu'elle celle-ci y fut enfermée, le soulagement qui s'empara de ses cinq geôliers ne lui échappa pas. Elle resta face à la grille, debout, les mains prisonnières dans son dos. A cet instant, Snaky s'approcha et passa sa main à travers.

« Je me demande ce que tu ressens, chuchota-t-elle. De la tristesse, sûrement ? Ou peut-être de la peur pour ton cher village... Ton cher village qui n'existera bientôt plus. »

A ces mots, son bras s'allongea et prit une teinte violette pour ensuite se transformer en un gros serpent couleur lavande, extension de son membre. Ce reptile vint aussitôt parcourir le corps de la métisse, explorant ses formes généreuses, tournoyant autour de ses bras et jambes.

« J'aimerais tant être là pour voir ton visage, ton expression, continua-t-elle. Mais je serais trop occupée à m'occuper de ces villageois, de toutes ces femmes, de tous ces enfants, de ta soit-disant famille... »

D'une pensée, elle resserra l'étreinte de l'ovipare autour de sa poitrine, sans qu'Elena n'esquisse le moindre geste. Les yeux de Snaky s'écarquillèrent de bonheur, sa bouche s'entrouvrit, signe d'excitation et bientôt, elle se dandinait sur elle-même, sous les yeux des quatre autres soldats, mal à l'aise. Mais l'un d'eux l'interrompit dans sa pratique étrange :

- Snaky-sama.

- Quoi ? hurla-t-elle en tournant brusquement un visage horrifiant dans sa direction.

- Nous devrions y aller...

- Bordel, s'écria-t-elle. Toujours un pour me gâcher le plaisir !

- Je...-

- C'est bon, on y va !

Et sur ce, elle tourna les talons, et les cinq disparurent dans l'ombre de l'escalier, après qu'elle lui ait jeté un dernier regard prometteur d'un retour certain.

Elena fit tout son possible pour attendre qu'ils soient complètement partis. Elle mit toutes ses forces à repousser l'inévitable. Mais lorsqu'elle entendit avec certitude la première porte se refermer, son corps craqua littéralement, sans même lui en demander la permission. En une fraction de seconde, ses genoux flanchèrent, et elle s'écroula sur le sol gelé, fébrile et tremblante.

Comme si elle avait retenu ses émotions pendant un temps trop important, son souffle se fit moins régulier, son cœur s'affola, et son masque d'impassibilité fondit pour laisser place à un visage déformé par le désespoir et la colère. Elena s'affaissa sur elle-même et prit son visage dans ses paumes sales et tâchées de sang.

Qu'avait-elle fait ?

Non. La vraie question était : Qu'aurait-elle pu faire ? Laisser Nami se faire tuer ? Cela lui était totalement impossible, c'était impensable pour elle, elle le savait.

Mais maintenant, leur décision était prise. Ils allaient se rendre sur son village natal, et tout détruire. Absolument tout. A la pensée de ce village-ci, le cœur de la métisse se serra avec plus d'intensité et une perle d'eau roula sur sa joue droite. Ce village qui l'avait rejetée, mais pour qui elle s'était sacrifiée. Ces habitants, responsables de la mort de ses deux parents, qu'elle avait pourtant choisi de protéger.

Pourquoi ?

Et à cet instant précis, elle craqua complètement. Les cicatrices se rouvrirent, laissant s'échapper des années de souffrance, de ressentiment et de rancœur refoulées.

Tant de questions, tant de souvenirs revenaient hanter sa mémoire. Pourquoi ne l'avaient-ils jamais aimé ? Pourquoi l'avaient-ils frappée ? Rejetée ? Humiliée ? Reniée ? Juste parce qu'elle était métisse, était-ce une raison pour lui prendre sa seule famille, en volant la vie de ses deux parents ? Avait-elle demandé ça ? Avait-elle mérité ça ? Quelle était l'erreur qu'elle avait commise ?

Pourquoi n'avait-elle pas pu avoir une enfance normale ? Pourquoi n'avait-elle pas pu avoir des gens qui la soutenaient et l'aimaient ? Pourquoi ne pouvait-elle pas mener une vie ordinaire, avoir des amis, un petit ami et partir à l'aventure ? Pourquoi était-elle dans l'obligation de tromper tous ceux à qui elle s'attachait ? Était-elle vouée à être seule jusqu'à la fin de sa vie ? Était-elle destinée à faire le mal, à mentir ? Était-elle réellement maudite ?

Un flot de larmes coulait maintenant sur ses joues, ruinant son beau visage bronzé. Jamais elle n'avait pleuré ainsi. Toujours à contrôler ses émotions, toujours à fermer son cœur pour ne rien laisser paraître, pour ne pas souffrir. Mais les choses avaient bien changé depuis quelques temps. Il avait fait changer les choses. Il l'avait faite changer. En bien ? En mal ? Libre à chacun de juger. Mais Elena ne pouvait le nier : il avait réussi à pénétrer son cœur, pourtant barricadé.

Elle était totalement dévastée. Des années d'efforts, des années de tromperie, des trahisons à gogo, pour un village qui ne l'avait jamais reconnue, et qui au final, allait être détruit. Des centaines et des centaines de vies allaient être ruinées par son impuissance et elle ne pouvait absolument rien y faire. Elle était là, envahie par la souffrance et la culpabilité, à déverser toute ces larmes qu'elle n'avait jamais réussi à accepter auparavant.

Ils allaient tout perdre, par sa faute, et cela, jamais elle ne le supporterait. Ils avaient beau avoir fait de sa vie un Enfer, elle avait un cœur, et le fait qu'un tel cauchemar se réalise par sa faute la rendait folle.

C'était comme si elle ouvrait les yeux après des années d'aveuglement. Elena voyait enfin tout le paradoxe dont elle était faite. Et c'était dur. Elle n'avait fait que des erreurs, et aujourd'hui, tout cela la rattrapait. C'était son karma.

Pensant pouvoir sauver des milliers de villageois, la jeune femme avait trahi des dizaines de personnes. Elle avait cherché à faire le bien, en faisant le mal.

Qu'avait-elle fait ?

Elena avait trompé les Mugiwara. Elle avait trompé Luffy, ce Capitaine un peu fou capable de la faire pleurer de rire à n'importe quel moment de la journée. Elle avait trompé Nami, sa première amie depuis son existence toute entière, et l'avait transformée en une vulgaire soubrette obligée de toiletter son enfoiré de chef. Elle avait trompé Sanji. Elle avait trompé Chopper. Elle avait trompé Robin, Brook, Usopp et Franky. Et, elle avait trompé Zoro. Elle ne s'en était pas remise. Et elle ne s'en remettrait jamais.

« Zoro... » Murmura-t-elle dans un gémissement, dévastée rien qu'à la mention de ce prénom.

Shado avait raison. Elle était bien trop complexe. Elle n'avait jamais fait les bons choix. Quelque chose clochait chez elle.

Mais au fond, qu'aurait-elle du faire ? Qu'aurait-elle pu faire ?

Elena cogna son crâne contre le sol, comme pour s'infliger sa propre punition. Mais la douleur n'était rien comparée à celle qui rongeait son cœur. Cette douleur physique n'était rien comparée au mal qu'elle avait répandu tout autour d'elle. Alors elle pleurait de tristesse, de colère, de désolation. Elle pleurait toutes ses personnes qui allaient souffrir en son nom, elle pleurait tous ces honnêtes gens qu'elle avait trahi afin d'arriver à ses fins, elle pleurait son éternelle solitude, et elle pleurait l'équipage au chapeau de paille, qui s'était avéré être son seul foyer depuis des années.

Mais alors qu'elle était là, à se blesser elle-même, les yeux injectés de sang, déversant des litres et des litres de larmes et de sentiments, elle s'arrêta brusquement de respirer. Elle s'immobilisa, le front contre le sol, son cœur résonnant dans sa poitrine. Cette présence... Ce... Non, elle devait se tromper.

Soudainement agitée, elle se concentra sur la signature de cette énergie, se concentra le plus possible. Et après de longues minutes d'immobilité et d'appréhension, elle en fut certaine : elle ne se trompait pas. Elle reconnaîtrait cette aura entre mille.

Alors, lorsqu'Elena entendit l'air se trancher, puis l'éclat des barreaux de sa grille de prison qui tombèrent sur le sol, son cœur cessa de battre, son sang se bloqua dans ses veines, son corps se figea. Quelques secondes seulement s'écoulèrent dans le silence le plus total, mais elles lui parurent durer des heures et des heures.

« Et bien, et bien. Je n'aurais jamais cru assister à un tel spectacle. »

Au son de cette voix, le pouls de la métisse s'affola avec une frénésie sans pareille et son cœur manqua de s'échapper de sa cage thoracique. Son souffle se fit moins régulier, ses pensées s'emmêlèrent, elle se mordit les lèvres. Hésitante, elle se redressa avec lenteur, faisant de terribles efforts pour se forcer à respirer calmement et ne pas craquer de plus belle.

Elle se fichait de dévoiler au grand jour sa faiblesse. Elle se fichait de montrer ses larmes, représentatives de sa tristesse. Elle se fichait de paraître ridicule. Elle se fichait de tout cela. Tout ce qui l'intéressait, c'était la personne debout sur le pas de sa cellule. Cette personne dont elle avait rêvé chaque nuit depuis qu'elle l'avait trahie. Cette personne qu'elle avait regrettée à chaque seconde passées loin d'elle. Cette personne qui venait de briser les barreaux de sa prison, au sens propre comme au sens figuré.

Et lorsqu'elle croisa son regard, tout le brouillard de son esprit s'évapora comme par miracle. Elle ne put résister : ses larmes – bien que différentes – se remirent à couler, avec encore plus d'intensité.

Il était là.

Roronoa Zoro.

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