Pirates des temps modernes

Chapitre 3 : Chapitre 2

Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a plus de 8 ans

Delain – No compliance : http://www.youtube.com/watch?v=kT3_B3K_L6U

 

Une foule interminable de gens défilait dans ces couloirs souterrains. En occupant le poste d'observateur, on se rendait bien compte que cet afflux d'êtres vivants ne cessait pas la moindre seconde afin de laisser le sol souffler un peu. C'en était presque triste pour lui. Le stress, l'angoisse, la fatigue, l'énervement étaient maîtres de ce lieu. Les personnes se bousculaient, accentuaient leur mauvaise humeur.

Adossé contre un mur, un homme regardait ce spectacle, pensif. Ces humains blasés par ce défilé étaient focalisés sur leur seul intérêt : rentrer chez soi, en ignorant les autres, même les pauvres musiciens qui peinaient à se faire entendre dans ce vacarme dans le but de gagner quelques pièces qui leur permettraient de manger ce soir.

Si nul ne l'avait pas encore bousculé, c'était pour une raison bien précise : ils l'évitaient inconsciemment. Leur instinct de survie leur indiquait que, s'ils souhaitaient rentrer tranquillement dans leur logis, mieux valait ne pas se frotter à cet homme à l'accoutrement étrange. Il dégageait une telle aura meurtrière que même la pire des racailles fuyait la queue entre les jambes.

Les bras croisés, l'homme semblait attendre que le temps passe, tout simplement. Il n'avait nulle part en particulier où aller, ou plutôt il n'avait aucune idée d'où il se trouvait. Par hasard, il avait pris n'importe quel métro, persuadé qu'il s'agissait du bon, puis s'était endormi. Lorsqu'il s'était réveillé, des policiers l'avaient entouré et il avait dû s'éclipser s'il n'avait pas envie de se faire arrêter. Dans cette foule, il ne risquait rien.

Il soupira tout en se frottant la nuque. Il aurait cent fois préféré rester au Japon, à la recherche de cet homme. Cependant, son maître lui avait ordonné de voyager loin, car il ne s'était pas encore trouvé lui-même. Se trouver soi-même… Il s'agissait là d'une notion qui lui échappait. Néanmoins, il savait parfaitement ce qu'il devait faire : retrouver cet homme et lui faire payer pour ses crimes.

Zoro était arrivé en France, seul pays dont il connaissait la langue, un mois plus tôt. S'il savait parler français, c'était là tout ce qu'il connaissait de cet endroit. Cette culture différente de la sienne le repoussait. Il n'avait pas envie de s'adapter et d'oublier ce que ses parents ainsi que son maître lui avaient appris. Il trouvait les gens égoïstes et était sans cesse poursuivi par la police.

Jetant un coup d'œil à ses trois sabres, il soupira une nouvelle fois. Il ne faisait pourtant rien de mal. Son seul crime était de les porter à sa ceinture, ce n'était pas comme s'il avait l'intention d'attaquer des passants ou bien de braquer des banques. Mais ils ne voulaient rien entendre. Zoro refusait de leur donner ces sabres qui lui étaient chers, ou du moins l'un d'entre eux, juste parce qu'ils le lui ordonnaient. Les assommer restait toujours son seul choix puisqu'ils n'écoutaient jamais. Ce n'était pas comme si c'était de sa faute.

Des gens possédaient des pistolets, alors pourquoi n'était-il pas autorisé à avoir ses sabres ? C'étaient des armes nobles, alors que les pistolets n'étaient que des armes lâches, qui ne touchaient l'ennemi que de loin, sans sentir sa douleur. Bien sûr que c'était plus facile de se battre avec une arme à feu, il s'agissait de l'arme du faible incapable de suivre un entraînement physique afin de combattre au corps à corps.

De cette façon, un épéiste recevait une plus grande fierté qu'un tireur d'élite. Il mettait sa vie en danger alors que l'autre restait à l'écart des moindres risques. Il était sûr que tous préféraient se battre sans se salir les mains. Néanmoins, les plus valeureux osaient aller au devant du danger et regarder la mort en face sans faillir.

Zoro connaissait aussi une autre catégorie de lâches. Les pirates, ou plus précisément les utilisateurs de fruit du démon. Ceux-ci abusaient toujours de leurs pouvoirs qui leur donnaient un avantage sur leur adversaire. Souvent, ils pouvaient ôter la vie d'un individu en claquant des doigts. Aucun effort pour se battre. C'était totalement injuste. Même les plus entraînés avaient un taux élevé de défaite face à l'un de ces pirates.

Bien entendu, cela dépendait du pouvoir obtenu. Certains étaient moins avantageux, alors que d'autres ne laissaient aucune chance de réussite. À cette pensée, Zoro serra Wadô Ichimonji, le katana qu'il mettait habituellement dans sa bouche, dans sa main. Depuis plusieurs années, depuis cet incident, plus précisément, il tuait tous les pirates qu'il croisait. Ils ne méritaient pas de vivre.

Il avait développé une haine certaine envers ces utilisateurs de fruit du démon depuis un événement qui s'était produit alors qu'il n'avait que dix ans, soit neuf années plus tôt. Il avait toujours été doué pour manier les sabres ; à cet âge-là il parvenait même à vaincre des adultes qui s'entraînaient depuis des dizaines d'années. Il s'était toujours senti plus fort en compagnie de ses sabres. Leur présence le rassurait.

Néanmoins, malgré ses efforts, il y avait toujours eu cette personne qu'il n'arrivait jamais à battre. Peu importait le nombre d'heures passées à s'entraîner, il ne parvenait jamais à lui asséner le moindre un coup. C'était à peine s'il parvenait à prolonger le duel. Elle était plus âgée que lui, pourtant elle était son modèle de même que sa principale et seule rivale, ou du moins l'était-elle à l'époque.

Leur village avait été attaqué par une bande de bandits menée par un pirate. Alors que tous les samouraïs se battaient contre les subalternes, Zoro s'était chargé de l'un des seconds qui faisait des pirouettes avec une épée sur un monocycle alors que son maître s'était occupé d'un dompteur d'animaux. Ce dernier se servait d'un lion gigantesque pour ses combats, ce qui avait compliqué la tâche de celui qui dirigeait le dojo, quand bien même il y était évidemment parvenu.

Tandis que les deux hommes avaient été occupés par les seconds du chef, sa rivale s'était précipitée sur celui-ci, un véritable katana à la main, qui était transmis dans sa famille de génération en génération : Wadô Ichimonji. Zoro, alors trop occupé par son propre adversaire, n'avait pas pu lui venir en aide. Cet homme bougeait dans tous les sens mais était en réalité très faible. Il l'aurait abattu depuis bien longtemps s'il ne s'était pas trouvé sur ce monocycle.

Au moment où il avait terminé son combat, Zoro avait tourné la tête afin de la retrouver. Il l'avait aperçue quelques dizaines de mètres plus loin, complètement dominée par son adversaire. Ce dernier avait mangé un fruit maudit et ses pouvoirs rendaient les attaques d'un épéiste inutiles. En voyant à quel point elle était déstabilisée de ne pas pouvoir lui infliger la moindre blessure et ainsi l'empêcher de causer plus de dégâts dans le village, il avait couru vers elle afin de lui prêter main forte.

Néanmoins, il était arrivé trop tard. Il n'avait pu que voir que la pointe d'un poignard ressortir dans son dos tandis que les mouvements de sa rivale cessaient. Lui-même se figea devant ce spectacle, incapable de réagir. Celle qu'il n'était jamais parvenu à toucher lorsqu'il la combattait avait perdu aussi facilement ? Pourquoi n'avait-elle pas paré le poignard ? Pourquoi n'avait-elle pas fait de son mieux pour le battre ? Comment la meilleure épéiste du village n'était-elle pas parvenue à lui infliger la moindre égratignure ?

Son monde s'effondra à cet instant précis. Il n'avait jamais cru en un Dieu, or il avait cru en elle. Elle était son modèle, son objectif à atteindre et même à dépasser. Sa vie entière tournait autour de la fille de son maître qui l'avait recueilli lorsqu'il avait perdu ses parents. Il existait entre les deux rivaux une relation particulière que nul autre à part les deux concernés ne pouvait comprendre. Ils s'étaient lancé un défi un soir, après un énième combat : l'un des deux devrait devenir le meilleur épéiste du monde.

Au moment où ils avaient fait ce pari, Zoro avait été heureux : elle le reconnaissait réellement comme son rival. Même s'il n'arrivait jamais à la battre, elle avait reconnu sa force. Bien entendu, la dépasser ne serait pas chose facile, cependant il entendait bien y parvenir. Devenir le meilleur bretteur était le minimum à viser s'il comptait la surpasser.

Et elle était morte trois jours plus tard. Au moment où le poignard l'avait transpercée, il avait hurlé son nom tandis que le chef riait à gorge déployée. Avec haine, il avait tenté d'atteindre cet homme, de le blesser, même de le tuer, cependant sa lame ne lui avait apporté aucune blessure. Il était resté indemne. Ce dernier lui avait donné un coup de poing au bout de quelques minutes, lassé de voir la tête de ce gamin.

Il s'était senti si faible à ce moment-là. Il s'était détesté. Lui qui n'avait jamais pu la vaincre ne pouvait évidemment pas toucher celui qui l'avait battue. Son rire strident résonnait encore dans ses oreilles, il se détestait pour cela. Il le haïssait de tout son être. Après l'avoir envoyé au tapis, il avait appelé ses hommes, signifiant que la bataille était finie.

« On n'a pas plus rien à faire ici, les gars. »

Depuis tout ce temps, Zoro ne s'était jamais demandé ce qu'il avait voulu dire par cela. Seule sa haine l'aveuglait. Sa soif de vengeance ne l'avait jamais quitté depuis cet incident. Il avait demandé à recevoir le sabre de la défunte qu'il gardait toujours auprès de lui, depuis : Wadô Ichimonji. À l'époque, il se battait avec avec deux katanas et avait décidé après cet incident de développer une autre technique qui lui permettrait d'abattre ses ennemis à coup sûr.

Du niitoryû, il était passé au santoryû. Wadô Ichimonji était devenu son arme secrète. Il en avait surpris plus d'un en le mettant dans sa bouche, créant une technique de combat à trois sabres. Durant trois années, il s'était entraîné comme un forcené, déterminé à la venger. Wadô Ichimonji ferait couler le sang de cet ennemi mortel. Ainsi, elle se vengerait elle-même d'une certaine façon. Il devenait l'arme qui lui permettrait d'accomplir cette vengeance.

Un jour, alors qu'il s'entraînait, un villageois était venu à leur rencontre, affolé, hurlant qu'un pirate semait le trouble non loin et se rapprochait d'eux. En l'entendant, Zoro s'était précipité à l'encontre de cet homme, tandis que le village n'osait faire le moindre geste : la mort de la fille du maître du dojo les avait lourdement choqués, ils avaient pris peur des pirates. Zoro, lui, ne ressentait aucune crainte. Seule la haine triomphait parmi tous les sentiments qui l'envahissaient.

Il n'avait aucun souvenir précis de ce qui s'était passé ensuite. Il s'était jeté sur l'ennemi, rempli de haine, et ne lui avait laissé aucune occasion d'utiliser ses pouvoirs. Lorsqu'il avait repris conscience du monde qui l'entourait, il se trouvait debout, face à un cadavre impossible à reconnaître. Le sang avait éclaboussé partout : sur le sol, sur lui. Le rouge était la couleur largement dominante dans ce spectacle.

Autour de lui, les villageois effrayés s'étaient mis à murmurer le mot de démon. Mais Zoro s'en moquait bien. Il avait tué un pirate, mais il ne s'agissait pas du bon. Il n'avait toujours pas vengé sa mort. Elle ne pouvait toujours pas reposer en paix. Malgré ces trois années d'entraînement, il n'était parvenu à rien, mis à part le fait qu'il venait de tuer pour la première fois. Et certainement pas pour la dernière.

Elle aurait eu seize ans si elle avait encore vécu. Pourquoi avait-il fallu qu'elle tombât sur le seul adversaire qu'elle ne pouvait pas vaincre ? Ses pouvoirs l'empêchaient de le toucher. À présent, l'unique moyen de la surpasser était de descendre celui qui lui avait ôté la vie. Cela signifierait qu'il était plus puissant qu'elle. Il aurait alors vraisemblablement le droit de se prétendre concurrent au titre de meilleur bretteur du monde.

S'inscrire dans des compétitions ne l'intéressait pas. Il existait bien trop de règles, il sentait qu'il ne pouvait pas faire ressortir son véritable potentiel, ni celui de son concurrent. On ne l'autoriserait jamais à exploiter son santoryû. Seule la vraie bataille comptait, le reste était totalement futile. Il cherchait le véritable sens de se battre à l'épée.

Peu après son premier meurtre, les villageois étaient devenus distants, des murmures se faisaient entendre où qu'il allât, le surnom de démon résonnait dans la plupart des conversations. Le fils adoptif du maître du dojo, autrefois aimé et respecté pour sa force, était à présent craint alors qu'il n'avait que treize ans. Seul celui qui l'avait recueilli osait lui parler normalement, comme si rien ne s'était produit. Il était l'unique personne à ne pas avoir peur de lui.

Zoro était devenu très seul. Il avait commencé à s'isoler peu après la mort de sa rivale qui était en quelque sorte devenue sa sœur adoptive. Puis, à partir de la mort de ce pirate, ce fut le village qui commença à l'isoler. Il ne savait pas s'il en avait souffert, il n'en avait pas vraiment gardé de souvenirs. Dans sa tête, seule la vengeance comptait. Et cela déplaisait fortement à son maître.

Ce dernier ne l'avait pas jugé sur son premier meurtre, car cela n'aurait absolument rien arrangé. Il se serait encore plus enfoncé dans les ténèbres. D'un meurtre, il en passa à deux. Puis trois. Le nombre crût tellement qu'il en perdit le compte. Dès que le mot pirate se faisait entendre quelque part, il courait à sa rencontre pour l'abattre. Plus il tuait, plus il devenait fort et il serait ainsi en mesure d'abattre cet homme.

Le Gouvernement mondial avait eu vent de ses assassinats, or celui-ci ne réagit pas. Une personne, quelque part, tuait les pirates qu'ils traquaient. Que demander de plus ? Cette situation les arrangeait, pourvu qu'il ne touchât pas aux capitaines corsaires. Aucune mise à prix ne fut publiée contre lui, or des rumeurs commencèrent à circuler dans le Japon, surtout lorsqu'il commença parcourir le pays : un démon sous la forme d'un humain chassait le moindre pirate se trouvant près de lui.

Vers quinze ans, il se mit à voyager fréquemment, traquant des pirates de plus en plus puissants, puisque peu s'aventuraient près de son village natal. Il partait parfois des mois sans donner la moindre nouvelle puis revenait comme si de rien n'était, repartant dès qu'il en sentait le besoin. Son absence ne dérangeait absolument pas les villageois qui se sentaient soulagés. Ils avaient le sentiment de vivre avec un véritable démon.

Voyager n'adoucissait absolument pas sa haine qui s'accentuait, au contraire. Peu après ses dix-neuf ans, son maître décida d'agir. Il avait espéré que son disciple retrouverait petit à petit la raison, or il n'en fut rien. La haine était fortement nuisible à un épéiste qui devait chercher un chemin dans la sérénité. Zoro s'éloignait de sa voie qu'il traçait dans la mauvaise direction. Il ne pouvait pas se permettre de perdre un autre enfant, même s'ils ne partageait aucun lien de sang.

N'ayant aucune influence sur lui, il avait décidé de l'exiler. Il lui avait ordonné de partir le plus loin possible du Japon dans le but de trouver sa propre voie. Il ne donna aucune autre précision, souhaitant le laisser méditer sur ces paroles. S'il était un réel épéiste, il finirait par comprendre le sens de ces mots tôt ou tard. Malgré toute cette colère qu'il portait en lui, il lui faisait confiance. Il réussirait à retrouver ce chemin duquel il s'était éloigné.

Zoro avait perdu ses parents très jeune en raison d'une épidémie. Lui-même avait été bon ami avec eux, aussi avait-il récupéré leur fils qui était encore trop petit pour se souvenir du visage de ses parents. Sa fille avait été atteinte de ce mal, cependant elle y avait survécu, ce qui l'avait soulagé : il s'agissait là du seul souvenir qu'avait laissé cette femme en partant à sa naissance.

Lui aussi pleurait la mort de sa fille, il ne laisserait pas Zoro penser le contraire. Néanmoins, un épéiste ne devait pas chercher la vengeance. En dépit de son talent pour manier les épées, le garçon aux cheveux verts était encore bien jeune et immature. Il ne connaissait pas le monde. Il ne comprenait pas la véritable signification d'être un épéiste. Il avait encore bien des choses à apprendre et son enseignement ne pouvait plus rien lui apporter. Il restait fermé sur lui-même. S'éloigner pourrait soit le sauver, soit le faire sombrer définitivement dans les ténèbres.

Toutefois, il savait que Zoro réussirait. Il trouverait la bonne voie et se dirigerait vers la lumière. Il conservait néanmoins un pressentiment : son chemin serait très particulier, complètement hors du commun, et il ne serait pas exempt de surprises. Il ne laisserait aucun de ses disciples faillir et succomber aux ténèbres. Zoro était son ultime défi. Il portait en lui tout ce savoir qu'il lui avait transmis, ainsi que ce démon, comme les autres le nommaient si bien. Il s'agissait d'un pari pour voir lequel l'emporterait sur l'autre.

Le jeune homme de dix-neuf ans avait pris cette nouvelle d'un air assez choqué : son maître s'était tu durant neuf années et décidait tout d'un coup d'intervenir dans son mode de vie. Cependant, il lui portait un trop grand respect pour remettre ses ordres en question. Lors de l'un de ses voyages, il avait rencontré un jeune Français qui lui avait appris sa langue et parlé de son pays. Même s'il n'osait pas l'admettre, cela lui avait donné envie de s'y rendre, aussi choisit-il la France. Il se rendait suffisamment loin du Japon.

Il partit le lendemain, manquant presque de louper son avion. Il fallait se rendre dans trop d'endroits différents dans les aéroports. C'était de leur faute, les panneaux indiquaient mal la direction à suivre. C'était difficile aussi de trouver son siège, les emplacements ne suivaient aucun ordre logique à son goût.

Il arriva à Paris sans n'avoir rien préparé : il n'avait aucun logement, pas de travail, juste un peu d'argent pour tenir quelques temps. S'il croisait quelques pirates, il pourrait toujours profiter de leurs primes. Dormir à la belle étoile ne le dérangeait pas, sinon. Pourquoi s'embêter à chercher un appartement ainsi qu'un travail qui ne lui permettrait pas de le payer ? Ce n'était ni logique, ni le mode de vie qu'il comptait suivre.

Il vécut ainsi durant un mois : fuyant les policiers ou leur apportant la dépouille des pirates qu'il croisait en réclamant leurs primes. Ce rythme de vie ne le dérangeait pas particulièrement, cela lui permettait de continuer à se battre. Il deviendrait plus fort que tous, puis vengerait une bonne fois pour toute Kuina en tuant cet homme qui avait bouleversé sa vie neuf années auparavant. Baggy le Clown.

 

Perdu dans ses pensées, Zoro mit du temps à remarquer un autre adolescent dans la foule qui le regardait depuis un moment. Mince, comment avait-il pu baisser sa garde à ce point ? Il ne l'avait pas remarqué ! Il posa sa main sur Wadô Ichimonji d'un air menaçant. Il avait l'air frêle, il suffisait de lui faire peur, puisqu'il ne pourrait même pas lui tenir tête une seule seconde dans un combat.

Cependant, Zoro remarqua soudain que ce jeune garçon ne le regardait pas lui, mais ses sabres, les yeux brillants d'excitation. Pour une personne qui n'en avait jamais vu auparavant, cela pouvait paraître impressionnant. L'adolescent au chapeau de paille s'approcha et regarda les trois sabres de plus près en poussant des cris d'admiration. Encore un parasite. L'épéiste fit une grimace d'ennui, or celui-ci ne le regardait pas, trop obnubilé par ses armes.

Les minutes passaient, et il continuait à regarder ses katanas en poussant des cris d'admiration de plus en plus fort. Encore un simple d'esprit. S'il s'extasiait de la sorte devant ses sabres, il n'irait pas loin dans la vie. Encore quelqu'un d'ennuyeux qui passerait son existence dans un bureau derrière un ordinateur. Zoro regarda quand même sa tenue vestimentaire, et remarqua qu'il sortait du lot, dans la mesure où il portait une simple chemise avec un bermuda, en plus d'un chapeau de paille.

Celui-ci se mit subitement à rire en se relevant et le regardant enfin, une main sur le ventre et l'autre sur son chapeau. Gamin étrange. Zoro roula des yeux puis regarda ailleurs, guettant l'arrivée potentielle d'un policier. Il devait se tenir prêt pour s'enfuir à tout moment. Il avait l'impression d'être un criminel alors qu'il les chassait. Cela n'avait rien de logique.

« Eh, dis, tu veux faire partie de mon équipage ? »

Le bretteur haussa un sourcil en tournant à nouveau son regard sur l'inconnu qui souriait d'un air idiot. Faire partie de son équipage ? Était-il une sorte de navigateur ? Zoro leva les yeux au ciel, décidant de l'ignorer une fois de plus. Il avait repéré un accent dans sa voix, de plus il ne semblait pas être d'ici. Il avait dû se tromper en parlant. Une faute fréquente chez les étrangers, lui-même s'était parfois embrouillé. Il lui suffisait de faire comme s'il n'avait pas entendu et il s'en irait.

Pourtant, les minutes passèrent encore, et l'adolescent se trouvait encore devant lui, l'air imperturbable. Sa présence l'énervait considérablement : ne pouvait-il pas s'en aller ? S'il était perdu, il pouvait toujours demander à quelqu'un d'autre. S'il recrutait réellement un équipage, il n'avait qu'à aller voir ailleurs aussi. Quelle utilité y avait-il à avoir un épéiste dans son équipage ? Ce n'était pas comme si les marins avaient besoin de se battre... Et il n'avait de toute façon aucune envie d'en devenir un.

« Tu ne veux pas devenir un pirate avec moi ? »

A ces mots, Zoro se tendit, et porta son regard vers cet inconscient qui continuait de sourire alors qu'il avait commencé à sortir Wadô Ichimonji de son fourreau. Que venait-il de dire ? Un pirate ? Ce gamin était un pirate ? Comme quoi, les monstres se trouvaient là où on s'y attendait le moins. Après tout, quiconque mangeait l'un de ces fruits devenait possédé par un démon, tout le monde le savait.

Que voulait-il dire par devenir lui aussi un pirate ? Possédait-il des fruits du démon ? Sous cet air innocent se cachait donc un esprit machiavélique. Et qu'entendait-il par équipage ? Attirait-il les personnes sur son bateau pour les forcer à avaler l'un de ces fruits maudits ? Les noyait-il ensuite ? Il sentit son sang bouillonner, comme à chaque fois qu'il était sur le point d'affronter un pirate, lorsqu'il entendit tout à coup la voix d'un policier résonner dans les couloirs bruyants.

« On l'a trouvé, il est là ! »

Zoro jura en japonais, regarda l'étranger du coin de l'œil, puis rangea le sabre qu'il avait commencé à sortir. Il n'avait pas le temps de le tuer et de s'enfuir en même temps. Si la police l'attrapait, il ne reverrait jamais ses katanas. S'il en attaquait un devant tous ces témoins, il deviendrait un criminel et ne pourrait plus vivre de son « métier » de chasseur de pirates. Il se mit à courir, en soufflant au garçon qu'il lui réglerait son compte la prochaine fois. Il avait retenu son visage, il ne lui échapperait pas si leurs chemins se recroisaient.

Courant, bousculant des personnes dans cette foule, Zoro cherchait désespérément une sortie, sans remarquer que le pirate machiavélique le suivait en riant à gorge déployée, une main sur la tête, lui permettant en conséquence de garder son chapeau en place. Il s'agissait là du cadet de ses soucis. Il tenait à sa soi-disant vie paisible, et il ne comptait rien y changer ; il devait encore tuer cet homme. Il s'agissait de la raison pour laquelle il était devenu plus fort.

Zoro arriva devant des escaliers qu'il emprunta, puis sortit à l'extérieur, rencontrant à nouveau du monde qui gêna sa route. Ses pulsions meurtrières contre lesquelles il se battait depuis des années le poussaient à sortir ses katanas et se frayer un chemin, or il savait qu'il ne gagnerait absolument rien en agissant de la sorte. Il récolterait le titre de malfaiteur, ce qui ne l'arrangerait pas du tout. Surtout qu'il ne tuait que les pirates.

Du coin de l'œil, l'épéiste aperçut une ruelle plus tranquille dans laquelle il s'engouffra. Il pouvait courir à la vitesse qu'il souhaitait avec le peu de personnes lui barrant la route. Son instinct lui indiqua au bout de plusieurs minutes que plus personne ne le suivait, aussi s'arrêta-t-il afin de regarder autour de lui. Il ne connaissait pas cet endroit. Il n'était jamais venu ici. Il n'était jamais passé deux fois au même endroit depuis qu'il se trouvait dans cette ville.

« Je te tiens ! »

D'un air las, Zoro tourna la tête vers l'origine de la voix, puis aperçut un jeune policier, sans doute un débutant, qui le tenait en joue. Il tremblait, mais semblait déterminé à tirer s'il faisait le moindre geste suspect. Zoro soupira. Quand allaient-ils enfin le laisser en paix ? Il ne leur posait aucun problème, il diminuait même leur travail en leur livrant des pirates recherchés par le Gouvernement. Pourquoi étaient-ils aussi ingrats ?

À la vitesse de l'éclair, le bretteur dégaina l'une de ses armes puis fila comme le vent jusqu'au policier, tranchant son revolver au passage. Le bleu, terrorisé, tomba en arrière puis le regarda, les yeux brillants de peur, avant de détaler comme un lapin sans demander son reste. Au moins, cette affaire était réglée. Il rangea son sabre lorsqu'une voix retentit derrière lui.

« Wahou ! Je ne m'étais pas trompé, tu es fort ! C'est décidé, tu fais partie de mon équipage ! »

Le gamin pirate se tenait sur un muret et souriait à pleines dents. Zoro n'avait pas senti sa présence cette fois non plus. Quel était son pouvoir, exactement ? D'être capable de masquer son aura ? Non, il sentait qu'il ne s'agissait pas vraiment de cela.

Ne laissant pas le temps à ce pirate d'en dire plus, Zoro se jeta sur lui, deux sabres sortis. Il sentait son sang bouillonner, ses sens s'embrouiller, comme pour laisser place à ceux d'un autre. Il ne se contrôlait jamais lors d'un combat contre un utilisateur de fruit du démon. Aucun pirate ne lui avait échappé jusqu'à maintenant, ce garçon au chapeau de paille ne serait pas une exception.

Avant que Zoro pût le toucher, son adversaire bondit puis atterrit sur le sol, toujours une main sur son chapeau, comme s'il avait peur de le perdre. Sous l'effet de la surprise, il se dépêcha quand même d'attaquer de nouveau, pour subir une nouvelle esquive de la part de sa victime. Jamais personne encore n'était parvenu à échapper à ses coups. Personne, sauf Kuina. Qui était ce garçon ? N'était-il donc pas assez fort ? La puissance qu'il avait accumulée au fur et à mesure des années ne lui servait-elle donc à rien ?

« Qui es-tu ?

- Moi ? Je suis Luffy, un pirate ! »

Désabusé par le manque de précision dans sa réponse qui ne répondait pas à ses attentes, Zoro décida d'attaquer à nouveau, en misant sur sa vitesse, Wadô Ichimonji dans sa bouche. Cette fois-ci, Luffy évita l'attaque de justesse, gagnant une éraflure au niveau du bras. Néanmoins, il ne parut pas s'en soucier réellement.

« Sache, petit, que je tue les pirates. Tu peux rêver pour que j'en devienne un.

- J'ai décidé que tu ferais partie de mon équipage, alors tu fais partie de mon équipage ! J'en ai besoin d'un pour devenir le seigneur des pirates !

- Le seigneur des pirates ? »

Zoro s'arrêta dans sa course, intrigué. C'était la première fois qu'il entendait une chose pareille. Que pouvait-il bien vouloir dire par seigneur des pirates ? Parlait-il de la mafia ? S'il comptait devenir l'un des grands patrons, il devrait mettre les bouchées doubles. Un simplet tel que lui n'avait quasiment aucune chance d'y parvenir. Il n'avait pas l'air d'un escroc ni d'un assassin. Ou bien faisait-il en réalité partie d'un certain milieu favorable ?

Ce qui l'embrouilla aussi fut le fait qu'il ait besoin d'un équipage. Il ne voyait absolument pas le rapport. La mafia et la mer étaient deux choses complètement distinctes. Comptait-il créer une mafia sur la mer ? La bonne blague. Que se passait-il dans la tête de ce garçon ?

Zoro ne pouvait pas s'empêcher d'être intrigué par ce pirate à l'allure si innocente. Il avait beau l'examiner, il ne voyait aucune once de machiavélisme, ni même de mal dans ses yeux. Même le meilleur des assassins ne pouvait pas être aussi bon pour masquer ses intentions. Serait-ce possible que cet adolescent eût résisté au démon du fruit qu'il avait avalé ? C'était la première fois qu'il « discutait » réellement avec un pirate. Il n'avait jamais laissé ses précédentes victimes s'exprimer, les achevant d'un seul coup, sans leur laisser demander leur reste.

Tout le monde savait qu'une personne qui avait mangé un fruit du démon se faisait immédiatement posséder. Le Gouvernement mondial leur en avait parlé depuis des siècles, si bien que cela leur était devenu logique. Seuls les membres de la Justice y résistaient, justement parce qu'ils La servaient. Le démon perdait inévitablement face à la Justice.

Ce gamin ne faisait pas partie du Gouvernement, alors comment pouvait-il y résister ? Possédait-il un esprit supérieur ? Non, aucune chance. Ça crevait les yeux qu'il était un simple d'esprit. Zoro ne se souciait guère du Gouvernement et tout s'y rapportant, toutefois il subissait leur influence, comme tous les habitants de cette Terre. L'idée qu'ils auraient pu mentir au sujet de ces fruits ne traversait l'esprit de personne. Sauf de l'épéiste, à cet instant précis.

Il refusait de se laisser berner par un ennemi, cependant il avait beau chercher dans tous les recoins de cette âme, il ne trouvait absolument rien de mal. Ce n'était pas logique. La seule raison qui pourrait expliquer cette soi-disant résistance au démon dont il avait mangé le fruit serait alors que tout n'avait été que tissus de mensonges. Les hommes se seraient sans doute corrompus eux-mêmes, entraînés dans la folie par leurs pouvoirs qui les plaçaient au-dessus des autres ?

Zoro ne savait même pas pourquoi il pensait ainsi. Il avait l'impression que ce garçon influençait ses pensées. C'était comme s'il ne pouvait pas le détester. Quel genre de fruit possédait-il ? À cet instant précis, il se rendit compte qu'il s'en moquait bien. Comme surgi de nulle part, les paroles de son maître résonnèrent dans sa tête : « trouve-toi toi-même, Zoro ». Haussant un sourcil, l'épéiste se demanda pourquoi il y pensait soudainement.

Son maître ne lui avait jamais précisé ce qu'il entendait par là, ni comment il était censé se trouver lui-même. Mais, face à ce Luffy, Zoro se sentait comme frémissant d'excitation. Pour la première fois depuis des années, quelque chose avait retenu son attention. Il avait envie d'en savoir plus. Il voulait voir en réalité ce qu'il entendait par seigneur des pirates, et voir l'influence cela aurait sur le monde. Il se surprit lui-même à penser ainsi.

Zoro rangea ses épées en esquissant un petit sourire. Il était en train de sympathiser avec un pirate, pourtant il n'y faisait pas attention. Sa haine pour eux n'avait bien entendu pas disparu en l'espace de quelques secondes ; néanmoins c'était comme si cet adolescent était une exception, qu'il était le seul pirate qu'il ne pouvait pas tuer ni haïr comme les autres.

« Tout ça me paraît intéressant... Mais qu'est-ce que tu veux dire par seigneur des pirates ? »

Luffy, à ces paroles, sourit à nouveau à pleines dents. Elle n'aurait jamais pensé qu'elle tomberait sur la personne idéale pour devenir son second en arrivant. Son instinct ne l'avait pas trompée. Ses trois sabres l'avaient fascinée, toutefois elle avait senti son aura dans le métro. C'était celui d'un homme déterminé, prêt à tout pour atteindre son objectif. Il s'agissait là du genre de gens qu'elle recherchait.

« As-tu déjà entendu parler de Gold Roger ? »

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