némésis.

Chapitre 3 : Chenille

10207 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/10/2024 22:52

CHAPITRE III

 

L'air était épais et chargé d'humidité lorsque Ace pénétra dans le quartier de Senzai, un dédale de ruelles étroites et de bâtiments décrépis, érigés les uns sur les autres dans un chaos urbain déconcertant. Les murs semblaient suinter une crasse accumulée depuis des décennies, et les néons clignotants projetaient une lumière cruelle sur les visages des passants, révélant une humanité déchue, façonnée par la dureté de la vie dans ce quartier oublié des dieux. L'odeur de friture bon marché, de déchets en décomposition et de sueur imprégnait l'atmosphère, créant une symphonie olfactive presque suffocante.

Ace, vêtu de son long manteau sombre, marchait d'un pas mesuré, ses bottes usées résonnant lourdement sur le pavé inégal. Ses yeux perçaient la pénombre, capturant chaque détail, chaque ombre, chaque mouvement. Il avait l'air d'un loup solitaire traversant un territoire hostile, conscient que le moindre faux pas pourrait lui coûter cher. Son visage dur, marqué par les épreuves, trahissait une détermination inébranlable, mais aussi une méfiance qui semblait instinctive dans un endroit tel que Senzai.

Les ruelles étaient peuplées de silhouettes floues, fantomatiques, des hommes et des femmes qui semblaient se fondre dans les murs, évitant soigneusement le regard d'Ace. Ici, l'anonymat était une règle de survie, et chaque visage cachait une histoire, souvent sordide, que personne n'osait raconter. Un groupe de gamins des rues, sales et débraillés, jouait avec une balle crevée près d'un tas de détritus. Leurs rires avaient quelque chose de nerveux, de désespéré, comme s'ils savaient que leur insouciance était un luxe éphémère.

En s'engageant dans une rue plus large, Ace tomba sur un petit marché nocturne, où les stands étaient alignés de manière anarchique, débordant de marchandises douteuses. Des fruits pourris côtoyaient des bibelots en plastique, tandis que des vendeurs à la voix rauque haranguaient les passants, essayant de leur soutirer quelques berrys en échange de produits de contrebande ou de faux médicaments. Le marché était le cœur battant de Senzai, un lieu où les âmes égarées venaient chercher leur salut, ou simplement de quoi survivre une nuit de plus.

Ace s'arrêta devant un stand de nourriture, attiré par l'odeur enivrante de la viande grillée. Le vendeur, un homme corpulent avec un visage marqué par l'acné et des dents jaunes, lui adressa un sourire forcé. "T'en veux un morceau, mon gars ? Ce n’est pas de la première fraîcheur, mais ça cale l'estomac."

Ace hocha la tête, sortant une poignée de berrys de sa poche. "Fais voir ce que t'as."

Le vendeur déposa un morceau de viande grillée dans un papier graisseux et le tendit à Ace. "C'est du bon, ne t’inquiète pas. Tu ne verras pas mieux dans ce coin-là."

Ace prit une bouchée, mâchant lentement. La viande était sèche, à peine assaisonnée, mais elle avait le mérite de calmer la faim qui lui tordait l'estomac. Il observa le vendeur, qui continuait à scruter les passants avec une avidité malsaine, prêt à bondir sur la moindre occasion de faire affaire

"Le quartier est toujours aussi animé ?" demanda Ace, cherchant à en savoir plus sur l'endroit.

Le vendeur haussa les épaules. "Ça dépend des nuits. Y'a des moments où c'est calme, et d'autres où ça pète de partout.

"Je te remercie… " Ace s’apprêta à lui tourner le dos, lorsqu’il manqua de se faire écraser par une voiture qui fila à toute allure.

Il ne craignait rien étant donné son fruit du démon mais il feignit le danger de sorte à ne pas éveiller les soupçons. Il reprit la marche désireuse de ne pas attirer de l’attention.

 

Ace venait de finir son repas, encore hanté par le goût étrange de la viande qu'il avait ingurgitée, lorsqu'il aperçut une scène inattendue au loin. À travers la brume épaisse qui enveloppait les rues étroites de Senzai, une ruelle éclairée par une faible lumière vacillante lui dévoila un groupe d’enfants. Des chérubins, par leur apparence, pourtant étrangement déplacés dans ce quartier sombre et corrompu.

Les enfants étaient quatre, tous vêtus de haillons colorés qui contrastaient avec la grisaille environnante. Ils riaient, s’amusant à un jeu étrange qui mêlait une innocence apparente à une violence latente. Leurs visages, sales mais lumineux, affichaient des sourires aussi éclatants qu’effrayants dans un endroit comme Senzai. L'un d'entre eux portait un vieux chapeau de feutre, bien trop grand pour lui, qui lui tombait presque sur les yeux. Un autre tenait fermement une cravate, la faisant tournoyer autour de lui comme s’il dansait avec un serpent invisible. Les deux autres se disputaient un revolver, chacun essayant de l'arracher des mains de l'autre, tout en riant aux éclats.

Ace, bien qu'intrigué par cette scène incongrue, ressentit une pointe d’inquiétude. Il savait que les apparences étaient souvent trompeuses, surtout ici. Comment de tels enfants pouvaient-ils survivre dans un endroit aussi impitoyable ? Et d'où venaient-ils ? Il se rapprocha discrètement, se fondant dans les ombres projetées par les bâtiments délabrés. Son instinct le poussa à en savoir plus sur cette bande de gamins et surtout, à comprendre ce qui se passait réellement.

Les enfants continuaient de jouer, inconscients de sa présence. Ace les suivit à distance, se faufilant dans les ruelles sombres, son cœur battant plus vite. Ils ne semblaient pas avoir de destination précise, se contentant de vagabonder dans la ruelle, tout en se lançant de temps à autre des regards complices, comme s'ils partageaient un secret.

Soudain, l'un des enfants, celui avec le chapeau de feutre, s'arrêta brusquement. Les autres firent de même. Leurs rires s’éteignirent subitement, laissant place à un silence lourd et oppressant. Ace plissa les yeux, tentant de voir ce qui avait attiré leur attention.

C'est alors qu'il remarqua un corps étendu au sol, dissimulé à moitié sous un tas de détritus. Un homme, vêtu d'un costume déchiré, gisait là, inanimé. Son visage était pâle, presque cireux, figé dans une expression de terreur. Le cœur d'Ace se serra. Cet homme n’avait pas eu de chance.

Les enfants, cependant, semblaient peu troublés par la scène. Au contraire, ils continuaient de jouer, utilisant les accessoires du défunt comme des jouets. Le revolver passait de main en main, chacun mimant des scènes de bravoure ou de violence, tandis que la cravate était maintenant portée en écharpe par une petite fille au regard espiègle. Le chapeau, lui, reposait toujours sur la tête du garçon qui, malgré son jeune âge, affichait un air d’autorité presque dérangeant.

Ace sortit de l'ombre et se dirigea vers eux, ses pas lourds résonnant sur les pavés mouillés. Les enfants levèrent les yeux vers lui, leurs sourires disparaissant instantanément. Le garçon au chapeau le fixa avec une intensité étrange, mais aucun d’eux ne bougea.

"Salut les enfants," dit Ace d'une voix calme, bien qu'une tension palpable se faufilât dans ses mots. "Je m'appelle Ace. Qu’est-ce que vous faites ici, si tard ?"

Le garçon au chapeau répondit le premier, sa voix douce et innocente contrastant avec l’absurdité de la situation. "On s’amuse, monsieur. On joue au voleur et au policier. C’est moi le chef des voleurs, et eux, ce sont mes compagnons." Il désigna les autres d’un geste de la main, son visage toujours impassible.

Ace esquissa un sourire forcé. "Et ce monsieur par terre, il faisait partie de votre jeu ?"

Le garçon haussa les épaules, indifférent. "Il était déjà là quand on est arrivés. On l’a trouvé comme ça. On s’est dit qu’il n’avait plus besoin de ses affaires."

Un frisson glacé parcourut Ace. Il regarda de plus près le corps de l’homme. Pas de traces de sang visibles, mais son visage portait des marques de violence, comme si quelqu'un l'avait frappé plusieurs fois avant de l'abandonner ici. L'homme était mort, c'était certain. Son corps commençait déjà à refroidir.

Ace s’agenouilla près du cadavre, passant une main experte sur les poches du costume. Il chercha des indices, quelque chose qui pourrait lui dire qui était cet homme et pourquoi il avait fini ici, dans cette ruelle sordide. Il fouilla rapidement et trouva un portefeuille vide, quelques billets froissés, et enfin, un petit bout de papier soigneusement plié.

Il déplia le papier et découvrit un reçu. Le type d'endroit où ce genre de reçu aurait pu être trouvé le surprit : "Vidéoshop Éros, Senzai." Ace fronça les sourcils. Un vidéoshop érotique ? Que venait faire ce type d'endroit dans toute cette affaire ? Le mystère s'épaississait.

Ace se redressa, rangeant le reçu dans sa poche. Il regarda les enfants, toujours silencieux, attendant quelque chose, comme si cette scène était une routine pour eux. "Vous savez d’où venait cet homme ?" demanda-t-il, espérant tirer plus d’informations de ces petits témoins.

Le garçon au chapeau secoua la tête. "Non, monsieur. On l’a juste trouvé ici. Mais vous savez quoi ?" Il se pencha légèrement vers Ace, comme s’il s’apprêtait à lui confier un secret. "On dit que les gens qui viennent ici, ils ont tous quelque chose à cacher. Peut-être que lui aussi."

Ace ne put s'empêcher de frissonner à nouveau. Il regarda le garçon dans les yeux, cherchant à déceler une quelconque malice ou malveillance, mais tout ce qu’il vit, c’était une étrange sagesse, une sorte de résignation prématurée au destin.

"Vous devriez rentrer chez vous, les enfants," dit Ace, sa voix plus douce cette fois. "Cet endroit n’est pas fait pour vous."

Les enfants se regardèrent, hésitants, puis acquiescèrent en silence. Ils commencèrent à s’éloigner, leurs petites silhouettes se fondant dans les ténèbres de la ruelle, disparaissant aussi soudainement qu’elles étaient apparues.

Ace resta seul avec le corps, l’esprit tourmenté par les nouvelles questions qui s’entassaient dans son esprit. Ce quartier était décidément plein de surprises, mais aucune d’elles n’était bonne. Senzai semblait avoir un talent particulier pour rendre l'ordinaire macabre et l'innocence corrompue.

Il sortit le reçu de sa poche, le contemplant sous la lumière faiblissante du réverbère. " Éros," murmura-t-il pour lui-même. "C'est là que je trouverai peut-être des réponses."

Il glissa le papier dans sa poche et se détourna du corps, se préparant à plonger encore plus profondément dans les ténèbres de Senzai. Mais cette fois, il savait que ce qu’il découvrirait serait peut-être pire que tout ce qu’il avait imaginé jusqu’à présent.

 

Ace poussa la porte du vidéoshop, un grincement métallique perçant le silence épais de la rue déserte. Une cloche au-dessus de l’entrée émit un tintement faible, presque inaudible, comme si elle ne voulait pas attirer l’attention. L’intérieur du magasin était plongé dans une pénombre oppressante, où les ombres semblaient s'étirer et se déformer sous la lumière pâle d'ampoules vacillantes. Les murs étaient recouverts d’étagères pleines de cassettes et de DVD, certains rangés avec soin, d'autres empilés de manière chaotique. Une odeur de poussière, mélangée à une humidité stagnante, imprégnait l'air, rendant chaque respiration lourde et difficile.

Ace s’avança, ses pas résonnant sourdement sur le sol en béton. L'atmosphère du lieu était singulièrement froide, comme si la chaleur y avait été délibérément chassée. Les rares affiches au mur, toutes aux couleurs délavées et aux images floues, représentaient des scènes explicites, mais d'une manière presque abstraite, ajoutant à l’étrangeté de l’endroit.

Un comptoir en bois usé se dressait au fond de la boutique, séparant la pièce principale d’un couloir sombre qui menait sans doute aux salles de visionnage. Derrière le comptoir se tenait un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un costume noir parfaitement ajusté, mais usé par le temps. Son visage était émacié, presque cadavérique, et ses yeux enfoncés dans leurs orbites observaient Ace avec une intensité dérangeante. Il ne dit pas un mot, se contentant de le fixer d’un regard qui semblait sonder les tréfonds de son âme.

Ace, habitué à ce genre d’individus dans les coins les plus sombres du monde, s’approcha sans hésitation. Un formulaire jauni par le temps, à peine lisible, se trouvait sur le comptoir, accompagné d’un vieux stylo à bille dont l’encre semblait prête à rendre l'âme. Le principe était simple, trop simple : remplir le formulaire, indiquer ses préférences, remettre le tout à l’homme muet, et attendre que la machine se mette en marche.

Ace prit le stylo et jeta un coup d’œil au formulaire. Les questions étaient succinctes, presque froides :

  • Genre préféré ?
  • Préférences spécifiques ?
  • Sélection aléatoire ou dirigée ?
  • Durée de visionnage souhaitée ?

Il remplit le document d’une main ferme, indiquant des réponses anodines. Le formulaire rempli, il le tendit à l’homme derrière le comptoir, qui s’en empara sans un mot, le lisant attentivement, ses yeux se plissant légèrement comme s'il cherchait à déceler quelque chose d’invisible entre les lignes.

Après un moment qui parut interminable, l’homme se tourna et disparut dans le couloir sombre, revenant quelques secondes plus tard avec un reçu qu'il tendit à Ace, toujours sans prononcer le moindre mot. L’homme fit un geste de la main, invitant Ace à le suivre dans le couloir. La marche vers la salle de visionnage fut silencieuse, uniquement troublée par le bourdonnement des néons qui clignotaient faiblement au plafond.

La salle de visionnage où Ace fut conduit était étrangement petite, presque claustrophobe. Les murs étaient recouverts d’un tissu noir lourd qui absorbait la lumière, et le sol était moquetté d’un velours rouge foncé, usé jusqu’à la trame. Au centre de la pièce se trouvait un fauteuil en cuir noir, épais et visiblement confortable, mais étrangement inhospitalier. L’écran de télévision en face de lui était ancien, un modèle à tube cathodique, légèrement déformé sur les bords, et émettant un léger crépitement lorsqu'il fut allumé.

Ace s’assit, la lourdeur du fauteuil semblant l’envelopper comme un piège. Le silence de la pièce, seulement perturbé par le léger bourdonnement de l’écran, devint presque insupportable. Puis, sans avertissement, le film commença.

Les premières images étaient d'une banalité déconcertante : des scènes floues, mal éclairées, où des silhouettes indistinctes se mouvaient dans un décor banal, presque cliché. Mais au fur et à mesure que les secondes s’égrenaient, l’ambiance changea subtilement. Les images devinrent plus claires, plus nettes, mais aussi plus dérangeantes. Les couleurs semblaient se distordre, créant une atmosphère surréaliste, où le réel et l’irréel se confondaient.

C’est alors qu’il la vit. Une femme, dont l'apparence avait été soigneusement modifiée, apparut à l'écran. Elle portait une perruque blonde, bouclée, et un maquillage prononcé qui accentuait ses traits, les rendant presque méconnaissables. Pourtant, Ace ne pouvait se tromper : c'était elle, la femme assassinée dans le penthouse de Takahashi. Son cœur se serra, une sensation de vertige le submergeant. La scène qui se déroulait devant lui prenait une tournure macabre, chaque geste de la femme, chaque regard, devenait une danse de la mort.

Ace tenta de se concentrer, de comprendre ce qu'il voyait, mais ses pensées se brouillaient, se perdaient dans un tourbillon de confusion. Soudain, un flash lumineux éclata sur l’écran, aveuglant Ace un court instant, avant que la pièce entière ne soit plongée dans une obscurité totale. Le silence devint absolu, seulement troublé par le bruit sourd du sang battant dans ses tempes.

Pendant ce qui lui parut être une éternité, Ace resta immobile, chaque muscle tendu, attendant quelque chose, sans savoir quoi. Puis, l’écran se ralluma, émettant une lumière grise et crue, inondant la pièce d’une lueur spectrale. Le bruit blanc de la télévision devint de plus en plus fort, un sifflement strident qui résonnait dans ses oreilles, lui vrillant le crâne. L’image à l’écran n'était plus qu'une neige grise, un chaos de pixels qui formait un maelström oppressant.

Et puis, il apparut.

D’abord à peine visible, une petite silhouette émergea de la neige à l’écran, se dessinant peu à peu, comme un fantôme sortant des limbes. Un nain, à l’allure dérangeante, portant un costume noir parfaitement ajusté, se tenait là, au milieu de la tempête d’images. Son visage était figé dans un sourire cryptique, ses yeux noirs étincelant d'une malice incompréhensible.

Ace sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine, tandis que le nain s’approchait lentement, chaque pas amplifiant le malaise ambiant. Lorsqu’il fut assez proche, son sourire s'élargit encore, ses dents blanches scintillant dans la pénombre.

Le nain le fixa intensément, et de sa voix rauque, il prononça des paroles énigmatiques, chacune pesant lourdement sur l'esprit d'Ace : "Les ombres cachent des vérités, mais parfois, il faut descendre dans l'obscurité pour les voir. Au bout de la route, là où la lumière s'éteint, tu trouveras les réponses. Cherche là où les âmes se perdent, où les masques tombent, dans un lieu où l’œil ne voit qu'une partie de la vérité... Tu devras y aller, si tu veux voir l'autre."

Le nain éclata d’un rire sinistre, un son qui résonna dans la pièce comme un écho d’un cauchemar lointain. Puis, il s’évanouit, se fondant dans le bruit blanc de l’écran, laissant Ace seul, plongé dans une terreur sourde.

Le silence retomba brutalement, aussi lourd et implacable que l’atmosphère du vidéoshop. L’écran s'éteignit, plongeant la pièce dans une obscurité totale. Ace resta figé, son esprit tourmenté par ce qu’il venait de voir et d’entendre, une partie de lui-même encore perdue dans le maelström de cette étrange vision.

Lorsqu'il parvint enfin à se lever, ses jambes étaient tremblantes, son corps engourdi par la peur. Il devait se ressaisir, comprendre ce que tout cela signifiait.

En quittant la salle de visionnage, Ace ne pouvait chasser la sensation que cette nuit ne faisait que commencer, et que le pire restait à venir.

a pluie battante crépitait sur le capot de la voiture d’Ace alors qu’il garait son véhicule près d’un vieux bâtiment décrépit à l’angle d’une rue déserte de Senzai. Les néons des enseignes clignotants projetaient des ombres dansantes sur les murs suintants, leur lumière rougeâtre se reflétant dans les flaques d’eau qui parsemaient le sol crasseux. La nuit était épaisse, presque palpable, et l’air portait une odeur de moisissure et de désespoir, typique de ce quartier où le vice et la violence étaient monnaie courante.

Ace coupa le moteur, mais resta un moment dans la voiture, les mains agrippant le volant. Ses yeux, sombres et perçants, scrutaient les alentours. Ce quartier, cette ville, avaient un effet pervers sur lui. Chaque ruelle lui rappelait que le mal ici était omniprésent, tapi dans l’ombre, prêt à surgir au moindre faux pas. Mais il n’était pas du genre à se laisser intimider. Son visage, marqué par la fatigue et la détermination, était celui d’un homme qui avait vu trop de choses pour encore s’en effrayer.

Il sortit de la voiture, ajusta le col de son manteau pour se protéger de la pluie et avança d’un pas lourd mais sûr vers l’entrée du bâtiment. L’endroit semblait abandonné, mais Ace savait qu’il était tout sauf désert. Il avait reçu un appel plus tôt dans la soirée, une voix féminine, tremblante, l’implorant de venir. "Elle est ici," avait-elle dit avant que la ligne ne se coupe brusquement. Ace ne savait pas qui elle était, mais son instinct lui disait de suivre cette piste.

En montant les escaliers métalliques rouillés qui menaient à la porte du deuxième étage, Ace perçut un mouvement dans son dos. Son corps se tendit, chaque muscle prêt à réagir. Il se retourna lentement, une main sur le manche de son couteau dissimulé sous son manteau. Là, dans l’ombre d’une ruelle adjacente, une silhouette se dessinait, grande et élancée, le visage masqué par l’obscurité.

"Je me demandais combien de temps tu allais me faire poireauter ici, Ace," murmura une voix douce, presque mélodique, mais teintée d’une gravité indéniable.

Ace plissa les yeux, scrutant la silhouette qui sortit de l’ombre pour se dévoiler à la lueur vacillante des néons. Corazon, un homme aux traits étrangement angéliques, mais avec une expression indéchiffrable, s’avança. Ses vêtements, une veste ample et un pantalon usé, trahissaient une tentative délibérée de se fondre dans le décor sordide de Senzai. Mais ce n’était pas un homme ordinaire, Ace le sentait. Une aura de mystère et de danger l’entourait, quelque chose dans son regard trahissait une douleur profonde, un secret enfoui.

"Corazon," souffla Ace, ses yeux perçants ceux de l’homme qui se tenait devant lui. Il n’avait jamais rencontré l’agent infiltré de la Marine, mais son nom résonnait comme un murmure dans les bas-fonds du crime organisé. "Qu’est-ce que tu fous ici ?"

Corazon haussa les épaules, une lueur d’amusement passant fugitivement dans ses yeux. "On dirait que nos chemins se croisent au pire endroit possible, n’est-ce pas ?" Sa voix, bien que douce, portait une gravité qui contrastait avec son apparence presque désinvolte. "Je cherche des réponses, tout comme toi."

Ace resta silencieux un instant, ses pensées tourbillonnantes. Il n’aimait pas l’idée de croiser un agent de la Marine ici, dans ce lieu où les règles étaient élastiques, où les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des circonstances. Mais Corazon, il le comprenait instinctivement, n’était pas un simple flic. C’était un homme qui avait fait des choix difficiles, des sacrifices dont les cicatrices étaient encore visibles dans la profondeur de ses yeux.

"Si tu es ici, c’est que tu cherches quelque chose ou quelqu’un," dit Ace, son ton plus dur qu’il ne l’aurait voulu. "Ne me dis pas que c’est juste le hasard qui t’a conduit jusqu’à moi."

Corazon s’approcha, ses mouvements presque silencieux malgré le gravier sous ses bottes. Il plongea ses mains dans les poches de sa veste, un sourire énigmatique se dessinant sur ses lèvres. "Une femme," dit-il simplement, ses yeux fixant Ace avec une intensité troublante. "Une femme que je dois retrouver. Une femme qui pourrait bien être la clé de tout ce merdier."

Ace resta impassible, mais son esprit s’agitait. Une femme… Les coïncidences étaient trop nombreuses. La voix au téléphone, l’urgence dans les mots. Il n’aimait pas se sentir manipulé, mais il savait aussi que la vérité avait cette manière tordue de se révéler, pièce par pièce, dans les endroits les plus inattendus.

"Je crois qu’on cherche la même personne," répondit Ace, son regard se faisant plus perçant. "Mais je ne travaille pas pour la Marine, et encore moins pour quelqu’un qui se cache derrière des mensonges."

Corazon éclata d’un rire bref, presque désabusé. "Je ne te demande pas de m’aider par loyauté, Ace. Je te demande de m’aider parce que nous avons un intérêt commun. Et crois-moi, dans un endroit comme Senzai, c’est rare de trouver quelqu’un qui a les mêmes objectifs."

Ace croisa les bras sur sa poitrine, réfléchissant. La pluie continuait de marteler le sol, et il pouvait sentir le froid s’insinuer sous ses vêtements. "Je ne suis pas un héros, Corazon," finit-il par dire. "Je ne suis pas là pour sauver qui que ce soit. Mais si cette femme peut me conduire à ce que je cherche, alors oui, je suis prêt à écouter ce que tu as à dire."

Corazon hocha la tête, son expression devenant plus sérieuse. "Cette femme n’est pas n’importe qui. Elle connaît des choses, des choses qui pourraient détruire des hommes puissants. Des choses qu’ils tueraient pour garder cachées."

Ace se rapprocha, son regard brûlant de curiosité et de suspicion. "Et pourquoi la Marine s’intéresse-t-elle à elle ?"

Un silence tendu s’installa entre eux, les bruits de la ville devenant soudainement lointains, étouffés par l’intensité du moment. Corazon sembla peser ses mots avant de répondre, ses doigts jouant nerveusement avec l’ourlet de sa veste. "Ce n’est pas juste la Marine, Ace. C’est bien plus grand que ça. Il y a des forces en jeu ici que même moi, je ne comprends pas entièrement."

"Des forces ?" Ace haussa un sourcil, son ton sceptique. "Tu parles comme si on était dans un putain de conte de fées."

Corazon se contenta de sourire, un sourire qui ne monta pas jusqu’à ses yeux. "Parfois, la réalité dépasse la fiction, mon ami. Et dans ce quartier, rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y paraît."

Ace le fixa, tentant de lire au-delà des mots, de comprendre l’homme qui se tenait devant lui. Il savait qu’il s’aventurait sur un terrain glissant, mais quelque chose dans les yeux de Corazon, une lueur de désespoir, d’urgence, lui disait que cet homme était aussi en quête de réponses, peut-être plus qu’il ne voulait l’admettre.

"Très bien," murmura Ace enfin, son ton trahissant une décision prise avec réticence. "On collabore, mais à ma manière. Je ne te fais pas confiance, Corazon, pas encore. Mais si cette femme peut nous conduire à ce qu’on cherche tous les deux, alors je suis prêt à jouer le jeu."

Un terrain d’entente fragile, mais suffisant pour le moment. Corazon sourit, un sourire triste, comme s’il avait perdu quelque chose d’important il y a longtemps. "Tu découvriras bientôt qu’il n’y a pas de règles ici, Ace. Juste des chemins sombres, et ceux qui sont assez fous pour les suivre."

Ace hocha la tête, son regard se tournant vers la porte délabrée qui menait à l’intérieur du bâtiment. Un chemin sombre, en effet, mais il avait l’habitude de naviguer dans les ombres. Le jeu était lancé, et il n’avait jamais été du genre à reculer devant un défi.

 

L’appartement, situé au cœur d’un immeuble décrépit, exhalait une odeur de moisissure et de cigarettes froides. L’air y était lourd, saturé de ce parfum mêlé à celui d’un désespoir latent, celui des âmes qui se terraient dans ces murs.

Ace se tenait au centre de la pièce, sa silhouette massive se découpant dans l’obscurité. Ses narines palpitaient légèrement, captant les moindres effluves, cherchant à décomposer l’atmosphère saturée de secrets. Il était comme un loup, son sens de l’odorat affûté, capable de discerner l’invisible. L’air contenait des histoires, des fragments de vies éclatées qu’il savait analyser avec une précision presque surnaturelle. Il inspira profondément, ferma les yeux, laissant les odeurs se déployer dans son esprit.

Cigarettes mentholées. Un parfum distinct, peut-être même une marque particulière. Une note florale, chère et désuète, incongrue dans un tel lieu. Café froid. Vieux de plusieurs heures. Encre. Un bureau. Peut-être des papiers.

À ses côtés, Corazon observait l’appartement avec un calme apparent. Sa méthode était différente, méthodique, presque clinique. Là où Ace se fiait à son instinct primal, Corazon préférait l’approche rationnelle, se focalisant sur les détails visibles, sur ce que les autres négligeaient. Ses yeux parcouraient la pièce, notant chaque anomalie, chaque indice potentiel. Un tableau mal accroché, un tiroir légèrement entrouvert, des traces de poussière perturbées.

"Tu comptes renifler cet endroit jusqu’à ce qu’il te livre ses secrets, ou on commence à fouiller sérieusement ?" lança Corazon, son ton empreint d’un mélange de sarcasme et de défi.

Ace ouvrit les yeux, son regard se tournant lentement vers l’agent infiltré. "On fouille à ma manière, Corazon. Je ne suis pas ici pour faire du ménage. Chaque détail compte, même l’odeur de ce lieu." Sa voix était rauque, tendue. Il avait l’air d’un homme toujours à la limite de l’explosion, mais qui se contenait par une force de volonté presque surnaturelle.

"Chacun ses méthodes," répliqua Corazon en haussant les épaules, un sourire en coin. Il commença à examiner les objets sur le bureau. "Je préfère m’en tenir à ce que je peux voir et toucher."

Ace grogna légèrement en réponse, mais il se remit à sa propre investigation. Ses doigts glissèrent sur les meubles, testant leur texture, leur usure. Il s’arrêta devant une commode, ouvrit un tiroir. À l’intérieur, des vêtements soigneusement pliés. Il les sortit, analysant la qualité du tissu, cherchant une anomalie. Au fond du tiroir, un carnet en cuir usé, fermé par une petite sangle.

Il le sortit, le feuilleta. Des pages griffonnées, des notes illisibles, des dessins étranges. Ace fronça les sourcils, s’efforçant de comprendre les symboles esquissés, des motifs qui semblaient représenter une forme de code, ou de langage secret. Ses doigts glissèrent sur l’encre sèche, ressentant l’angoisse de celui ou celle qui avait écrit ces lignes.

"Qu’est-ce que t’as là ?" demanda Corazon, curieux.

Ace ne répondit pas immédiatement, concentré sur le carnet. "Quelque chose de personnel. Un journal, peut-être. Des pensées cryptées." Il leva les yeux vers Corazon, cherchant dans ses traits une réponse. "Tu crois qu’elle planifiait quelque chose ?"

Corazon s’approcha, jetant un coup d’œil au carnet, mais sans montrer beaucoup d’intérêt. "Peut-être. Ou peut-être que c’est juste un foutoir d’idées qui ne mènent à rien." Il se redressa, retournant à sa fouille minutieuse du bureau.

Ace referma le carnet, le rangeant dans sa poche intérieure. Il ne pouvait pas se permettre de négliger ce genre de détail. Il sentait que ce carnet contenait quelque chose d’important, un indice, une piste, mais il lui fallait plus de temps pour le décrypter.

Soudain, une lueur attira son attention. Sous le lit, un éclat métallique. Ace s’agenouilla, tendit la main, et en sortit un petit boîtier en fer. Il l’ouvrit prudemment, révélant une série de photos en noir et blanc. Des clichés d’une femme, toujours la même, dans différents lieux de Senzai. Une brune élégante, le visage à moitié masqué par des voiles ou des ombres, impossible à identifier clairement.

"Ça te dit quelque chose ?" demanda Ace en montrant les photos à Corazon.

Ce dernier les prit, les observa avec soin, son visage restant impassible. "Peut-être. Peut-être pas. On a tous nos mystères, pas vrai, Ace ?" Il lui rendit les photos sans donner plus de détails.

Ace sentit une frustration monter en lui. Corazon jouait à un jeu dangereux, gardant des informations pour lui, et Ace détestait ça. "Je ne suis pas là pour jouer à cache-cache, Corazon. Si tu sais quelque chose, tu ferais mieux de parler."

Corazon se contenta de sourire légèrement, mais il y avait une froideur dans ses yeux. "Et si je te disais que tout n’est pas aussi simple que tu le penses, que certains secrets doivent rester enfouis ?"

Ace se rapprocha, son visage dur se tordant dans un rictus menaçant. "Je n’ai pas de temps pour tes conneries philosophiques. Si cette femme est en danger, je veux savoir où elle est et pourquoi. Et si tu sais quelque chose, tu as intérêt à me le dire."

Le silence se fit pesant. Les deux hommes se faisaient face, une tension palpable dans l’air, comme si une étincelle pouvait déclencher un brasier à tout instant. Corazon ne recula pas, il soutint le regard perçant d’Ace, mais il savait que ce dernier ne plaisantait pas. Cependant, il n’avait pas l’intention de tout dévoiler.

"Je ne suis pas ton ennemi, Ace," murmura finalement Corazon, son ton plus doux, presque apaisant. "Mais parfois, les choses doivent être gérées avec finesse. Cette femme, elle est plus connectée à ce monde que tu ne peux l’imaginer. Elle n’est pas qu’une simple victime. Elle détient des clés, des secrets qui pourraient faire tomber des empires. Si je te dis tout maintenant, tu risquerais de tout foutre en l’air."

Ace gronda, sa mâchoire se crispant sous la tension. "Je suis fatigué de tes énigmes, Corazon. Mais je vais te laisser ça… pour l’instant. Tu crois avoir un plan ? Très bien. Mais si tu joues encore avec moi, je te promets que tu finiras par regretter de ne pas m’avoir dit la vérité."

Corazon ne répondit pas, mais un sourire discret se dessina sur ses lèvres, un sourire qui n’était ni de défi, ni de triomphe, mais plutôt celui d’un homme qui sait que le chemin est encore long et semé d’embûches.

Leur alliance fragile était encore intacte, mais la méfiance entre eux ne faisait que croître. Pourtant, ils savaient tous les deux qu’ils n’avaient pas le luxe de se retourner l’un contre l’autre. Leurs méthodes étaient différentes, leurs motivations aussi, mais ils avaient besoin l’un de l’autre pour naviguer dans les eaux troubles de Senzai.

Ils se remirent à fouiller l’appartement, chacun à sa manière, chacun avec ses doutes et ses certitudes. Leurs esprits, affûtés et obsédés, cherchaient des indices, décryptaient des signes, reconstituaient les pièces d’un puzzle complexe. La pluie continuait de marteler les fenêtres, accompagnant leur enquête d’une symphonie de gouttes d’eau, une musique lugubre et hypnotique qui semblait dire que la vérité n’était jamais simple, et encore moins ici, dans l’ombre de Senzai.

Ace observait chaque détail, ses yeux perçants débusquant les indices dans les coins sombres et poussiéreux. Il s'approchait d'une pile de journaux abandonnés sur une table basse, les examinant un à un, tandis que Corazon se laissait aller à sa manière désinvolte, explorant l'appartement avec une nonchalance apparente qui masquait une profonde attention.

"Tu trouves quelque chose ?" demanda Ace, ses mains feuilletant un journal écorné. Sa voix était grave, empreinte d’une fatigue latente, celle d’un homme habitué à plonger dans les recoins les plus sombres de l’humanité.

"Peut-être," répondit Corazon, un sourire en coin. "Ou peut-être pas. C’est toujours difficile de dire ce qui est important ici. Parfois, ce sont les petits détails qui comptent, et parfois… c’est juste du bruit."

Ace haussa un sourcil, sceptique. "C’est ta façon de dire que tu ne sais pas où chercher ?"

Corazon éclata de rire, un rire léger, presque musical, qui contrastait avec la gravité du lieu. "Oh, je sais où chercher, Ace. Mais la vraie question, c’est : sommes-nous prêts à accepter ce que nous trouverons ?"

Ace se redressa, son regard se fixant sur Corazon avec intensité. "Je ne suis pas là pour philosopher, Corazon. Si tu as quelque chose, dis-le."

Corazon haussa les épaules, laissant retomber un vieux livre qu’il tenait entre ses mains. "D’accord, d’accord. Écoute, il y a un club en ville… disons que j’ai quelques contacts là-bas. Ivankov, le propriétaire, est un type qui en sait beaucoup plus qu’il ne devrait. Si quelqu’un peut nous mettre sur la piste de cette femme, c’est lui. Mais…"

"Mais ?" Ace croisa les bras, méfiant.

"Mais cela va nous coûter. Ivankov n’est pas du genre à donner des informations gratuitement. Il veut toujours quelque chose en retour, et ce n’est jamais bon marché."

Ace renifla, son expression se durcissant. "Tu veux dire qu’on va devoir faire des compromis."

"Exactement," acquiesça Corazon. "Mais crois-moi, ça en vaudra la peine. Si tu veux vraiment savoir ce qui se passe ici, c’est le seul moyen."

Ace réfléchit un moment, ses pensées tourbillonnant comme la fumée de sa cigarette qu'il alluma en silence. "Très bien," dit-il finalement. "Mais je garde un œil sur toi, Corazon. Je ne te fais pas totalement confiance."

Corazon sourit, un sourire mystérieux, presque amusé. "Ce n’est pas nécessaire, Ace. Garde juste les yeux ouverts. Le monde est plein de surprises, après tout."

Ils quittèrent l’appartement, la nuit noire les engloutissant à nouveau. Les rues de Senzai étaient plongées dans une obscurité brisée seulement par la lueur des réverbères et les enseignes clignotantes des bars miteux. Ace démarra le moteur de la voiture, le ronronnement du moteur résonnant dans la nuit.

Durant le trajet, le silence s'installa brièvement, seulement troublé par le bruit des roues glissant sur le bitume mouillé.

"Qu’est-ce que tu cherches vraiment, Ace ?" demanda finalement Corazon, sa voix prenant une note plus sérieuse.

"Je cherche la vérité," répondit Ace, sans détourner le regard de la route. "Peu importe à quel point elle est laide."

"Et tu es prêt à tout pour ça ? À traverser les flammes de l’enfer si nécessaire ?" Corazon posait la question d’un ton nonchalant, mais son regard était perçant.

"Et toi, Corazon ? Pourquoi t’embêter avec tout ça ? Tu sembles plus intéressé par les jeux de l’esprit que par la vérité." Ace répondit par une question, essayant de comprendre les motivations de son compagnon.

Corazon sourit, un sourire empreint de tristesse. "Peut-être parce que, comme toi, je cherche quelque chose que je ne pourrai jamais vraiment atteindre. Mais ça ne veut pas dire que je vais arrêter de chercher. Chacun sa manière de naviguer dans ce monde."

"Le monde…" Ace murmura, les mots lourds de signification. "Le monde est une prison pour ceux qui cherchent. Une prison dont les murs sont faits de mensonges, de tromperies, de trahisons. Ceux qui osent s’aventurer au-delà de ces murs finissent souvent brisés."

Corazon hocha la tête, pensif. "Peut-être. Mais il y a quelque chose de noble dans cette quête. Le fait de ne jamais abandonner, de continuer à chercher même quand tout semble perdu. Ça, c’est ce qui fait de nous ce que nous sommes."

Ils roulèrent en silence jusqu’à ce qu’ils arrivent à l'avenue de Senzai, la seule artère de la ville qui avait encore un semblant de vie. Les immeubles qui l'entouraient étaient en meilleur état, les enseignes lumineuses des boutiques et des clubs projetaient des éclats multicolores sur le trottoir humide. Au bout de l’avenue, « La Cage d’Ivankov » se distinguait par sa façade extravagante, ornée de néons violets et de motifs baroques.

"Voilà le palais d’Ivankov," dit Corazon en sortant de la voiture, un sourire en coin.

L’intérieur du club était à la fois luxueux et oppressant, une juxtaposition de dorures et de velours pourpres, éclairée par des lustres criards. L’atmosphère était saturée de parfum bon marché et de promesses susurrées à demi-mot.

Ivankov les attendait, assis dans un coin du club, entouré de deux hommes de main à l’air patibulaire. Sa présence était imposante, non pas par sa taille, mais par l’aura de puissance et de mystère qu’il dégageait. Une perruque massive, d’un rouge flamboyant, reposait sur sa tête, contrastant avec ses lèvres peintes d’un violet profond.

"Corazon, mon cher, quel plaisir de te revoir," dit Ivankov avec un sourire trop large pour être sincère. "Et qui est ce bel homme à tes côtés ?"

Ace se contenta d’un hochement de tête, ses yeux parcourant la salle, jaugeant chaque recoin. "Ace," se présenta-t-il sobrement.

"Ivankov," dit Corazon en se penchant légèrement en avant, un sourire taquin aux lèvres. "Je vois que le club est toujours aussi… accueillant."

"Oh, tu sais comment c’est, chéri," répondit Ivankov en ricanant. "Les affaires sont les affaires. Mais parlons de toi. Comment vont les choses depuis ta dernière visite ? J’ai entendu dire que tu as fait quelques vagues…"

Corazon éclata de rire, un rire qui se perdit dans le bruit ambiant du club. "Oh, juste un peu d’agitation, rien de bien méchant."

Ivankov acquiesça, satisfait. "Alors, qu’est-ce qui t’amène ici ce soir ? Ce n’est pas pour mes jolis yeux, je présume."

"Nous avons besoin d’informations," dit Ace, direct comme à son habitude.

Ivankov haussa un sourcil, amusé. "Toujours aussi direct, n’est-ce pas ? Mais ici, rien n’est gratuit. Que cherchez-vous exactement ?"

"Une femme," dit Corazon en sortant de sa poche une photo de la défunte femme du penthouse. "Et peut-être une autre," ajouta-t-il en montrant une image voilée de la femme mystérieuse liée à leur enquête.

Ivankov prit les photos, les regardant attentivement, ses yeux pétillant d’un intérêt froid. "Oh, ces visages ne me sont pas totalement inconnus… Mais je devrais vérifier auprès de mes filles. Peut-être que certaines d’entre elles les ont déjà croisées."

Il se leva avec une grâce surprenante pour un homme de sa stature, et les conduisit dans une pièce privée, où attendaient trois femmes. Chacune d’elles était un chef-d’œuvre de sensualité, leur apparence soigneusement étudiée pour séduire les clients les plus exigeants du club.

La première, une brune élancée avec des yeux de chat, s’appelait Lena. Sa peau était aussi douce que du velours, et ses mouvements étaient lents, calculés. Elle avait une voix douce, presque hypnotique, lorsqu'elle parla à Ace. "Je ne la connais pas," dit-elle en désignant la photo. "Mais je crois l’avoir déjà vue. Un visage comme ça… difficile à oublier." Elle fixa Ace un moment avant de conclure, "Mais mes lèvres sont closes."

La deuxième femme, Naomi, une blonde aux cheveux bouclés et aux courbes généreuses, jeta un coup d’œil à la photo et fronça les sourcils. "Elle est venue ici une fois, il y a quelques semaines. Je ne lui ai pas parlé, mais je me souviens de son regard… il y avait quelque chose de troublant chez elle." Son sourire s’évanouit, remplacé par une expression de malaise. "Mais mes lèvres sont closes."

La troisième, une rousse flamboyante nommée Claire, avec des yeux verts perçants, fit semblant de ne pas reconnaître la photo au début. Elle joua avec une mèche de cheveux, son sourire enjôleur dissimulant une certaine nervosité. "Je ne la connais pas personnellement, mais des rumeurs circulent. Des rumeurs que vous ne voudriez pas entendre." Ses yeux rencontrèrent ceux d’Ace, un défi silencieux. "Mais, mes lèvres sont closes."

Ivankov observait la scène avec amusement, savourant chaque moment. "Comme vous le voyez, messieurs, mes filles sont discrètes. Ce que vous cherchez est peut-être ici, peut-être pas. Mais dans ce monde, tout a un prix."

Ace serra les poings, la frustration bouillonnant sous la surface. "On ne joue pas à des jeux, Ivankov. Tu sais quelque chose, et tu vas nous le dire."

Ivankov sourit, un sourire cruel et mystérieux. "Oh, mais mon cher Ace, ce n’est pas moi qui joue. C’est ce monde. Et dans ce monde, il n’y a pas de vérité absolue, seulement des versions de la réalité, des histoires que l’on se raconte pour survivre. La vérité que tu cherches, elle est là, quelque part. Mais es-tu prêt à payer le prix pour la trouver ?"

Ace se tourna vers Corazon, cherchant du soutien dans le regard de son partenaire. Corazon, fidèle à lui-même, se contenta de hausser les épaules, un sourire en coin. "C’est toujours comme ça avec Ivankov, Ace. Il te donne juste assez pour te garder accroché. La question est de savoir si tu veux continuer à creuser, ou si tu veux couper court."

Ace prit une profonde inspiration, son regard durcissant. "Nous allons continuer," dit-il, sa voix basse mais déterminée. "Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n'aurons pas les réponses."

Ivankov applaudit doucement, un geste à la fois moqueur et approbateur. "Très bien. Alors, messieurs, bienvenue dans ma cage. J’espère que vous avez l’endurance pour le voyage."

Ace, assis à une table en retrait, observait la scène avec son regard perçant, dissimulant ses pensées sous une façade impassible. Il sentait chaque mouvement dans la pièce, captait chaque détail avec une acuité presque surnaturelle. Pourtant, il n’était pas seulement un détective aguerri, il était aussi un homme capable de percevoir les nuances, les silences lourds de sens, les vérités non dites.

Corazon, quant à lui, affichait toujours ce sourire énigmatique, un brin moqueur, tout en sirotant un verre. Son allure décontractée tranchait avec l’intensité d’Ace, mais sous cette apparente nonchalance se cachait un esprit acéré, prêt à bondir sur la moindre opportunité.

"C’est un vrai cirque ici," murmura Ace, sa voix grave se fondant dans l’ambiance feutrée du club. "Tous ces visages, ces faux-semblants…"

"Bienvenue dans le théâtre de la décadence," répondit Corazon avec une pointe d’ironie. "Mais tu sais aussi bien que moi qu’on trouve toujours quelque chose de vrai sous ces masques, si on sait où chercher."

Leurs regards se croisèrent brièvement, un échange silencieux où se mêlaient complicité et méfiance. Ace n’avait jamais totalement fait confiance à Corazon, mais il savait que l’homme avait un flair pour les situations complexes. Ils étaient différents dans leurs approches, mais cette dualité faisait leur force.

Alors qu’ils s’apprêtaient à poursuivre leur échange, une jeune femme s’approcha de la table. Elle était grande, élancée, avec des cheveux noirs comme la nuit qui cascadaient sur ses épaules. Ses yeux, deux perles sombres, fixaient Ace avec une intensité qui ne laissait pas de place au doute. Elle portait une robe rouge moulante, scintillante sous les lumières tamisées du club, et son sourire était à la fois invitant et mystérieux.

"Bonsoir, messieurs," dit-elle d’une voix douce, presque murmurante. "Puis-je vous proposer une danse ?"

Ace secoua légèrement la tête, déjà sur ses gardes. "Non, merci," répondit-il, sa voix calme mais ferme.

La jeune femme ne se laissa pas décourager. Elle fit un pas en avant, posant sa main délicatement sur le bras d’Ace. "Je vous assure, ce sera agréable," insista-t-elle, son sourire se faisant plus pressant, mais quelque chose dans ses yeux trahissait une certaine nervosité, une tension sous-jacente.

Ace fronça les sourcils, perplexe. Il pouvait sentir que quelque chose clochait, une subtile dissonance dans l’attitude de la femme. Ses instincts de détective prirent le dessus, et il comprit rapidement que cette invitation cachait autre chose. Quelque chose qu’elle ne pouvait pas exprimer ouvertement.

"Très bien," finit-il par dire, se levant lentement de sa chaise. "Une danse, alors."

La femme lui prit la main avec une douceur qui contrastait avec la détermination dans ses yeux, et le conduisit vers une petite pièce à l’arrière du club, à l’écart des regards indiscrets. Les murs étaient recouverts de rideaux de velours, et l’atmosphère était oppressante, saturée de l’odeur entêtante du parfum bon marché et du tabac.

Pendant ce temps, à l’autre bout de la salle, Corazon et Ivankov échangeaient des propos animés, leur discussion oscillant entre la plaisanterie et la menace voilée.

"Tu me dois toujours ces crédits, Ivankov," lança Corazon, feignant la légèreté. "Ne pense pas que je t’ai oublié."

Ivankov, accoudé nonchalamment au bar, ricana. "Tu ne changeras jamais, Corazon. Toujours à parier sur des causes perdues. Mais dis-moi, pourquoi cette obsession pour ce qui se passe dans mon club ? La Marine n’a jamais été si intéressée par mes affaires."

Corazon plissa les yeux, son sourire s’effaçant légèrement. "Parce que cette fois, ça dépasse tes petites combines habituelles. Il y a des gens plus haut placés qui s’intéressent à cette affaire. Des gens que même toi ne veux pas avoir sur le dos."

Ivankov resta silencieux un moment, son regard se durcissant. "Tu sais que je ne parle pas facilement, Corazon. Peu importe qui me menace. J’ai survécu dans ce monde en gardant ma bouche fermée et mes oreilles ouvertes."

"Peut-être," rétorqua Corazon, sa voix se faisant plus grave. "Mais tu dois comprendre que les règles du jeu ont changé. Et si tu continues à jouer les durs, je ne pourrai plus te protéger. Ces gens… ils n’hésiteront pas à tout brûler pour obtenir ce qu’ils veulent."

Ivankov fixa Corazon avec une intensité glaciale. "Si tu veux des informations, tu devras payer le prix fort. Et même dans ce cas, je ne garantis rien."

Pendant ce temps, dans la pièce isolée, la jeune femme avait commencé sa danse pour Ace. Ses mouvements étaient lents, calculés, empreints d'une sensualité qui aurait pu faire perdre ses moyens à n'importe quel autre homme. Mais Ace n'était pas n'importe qui. Ses yeux suivaient chacun de ses gestes avec une concentration froide, cherchant la moindre faille, le moindre signe révélateur.

Elle s’approcha de lui, ses doigts effleurant doucement sa poitrine, et lui murmura à l’oreille : "Je sais ce que tu cherches."

Ace resta impassible, mais son regard devint plus perçant. "Et que suis-je censé chercher exactement ?"

La femme recula légèrement, continuant à se mouvoir au rythme lent de la musique, mais cette fois, ses mouvements semblaient plus contraints, plus nerveux. "Je ne peux pas en parler ici. Trop de risques…"

Ace saisit son poignet avec une douceur surprenante, mais il n’y avait aucune ambiguïté dans son regard. "Parle," dit-il calmement, "ou nous perdrons tous les deux plus que tu ne peux l’imaginer."

Elle le fixa un moment, ses yeux reflétant un mélange de peur et de détermination. "La fille du penthouse… elle est morte parce qu’elle a vu quelque chose qu’elle n’aurait jamais dû voir. Quelque chose de trop dangereux. Quant à l’autre femme, celle des clichés…"

Ace attendait, patient mais tendu.

"Elle est plus dangereuse que tu ne peux l’imaginer," chuchota la femme. "Elle n’est pas ce qu’elle semble être. Mais si tu veux des réponses, il te faudra de l’argent. Beaucoup d’argent. Je peux te donner une adresse, un endroit où tu pourras la trouver, mais ce sera coûteux."

Ace la lâcha, laissant ses paroles résonner dans la petite pièce. "Pourquoi m’aider ?" demanda-t-il, sa voix toujours aussi calme.

La femme détourna le regard, un voile de tristesse traversant son visage. "Parce que j’en ai marre d’avoir peur. Mais… mes lèvres sont closes."

Ace hocha la tête, comprenant que c’était tout ce qu’il obtiendrait d’elle pour l’instant. "Donne-moi l’adresse," dit-il finalement.

Elle s'approcha encore, et murmura l'adresse dans son oreille. Avant de partir, elle ajouta une dernière mise en garde : "Fais attention, Ace. Tout ça… ce n’est qu’un jeu, un jeu mortel. Et ceux qui y jouent ne reculent devant rien pour gagner."

Ace resta silencieux, la tension dans la pièce devenant presque insupportable. Il pouvait sentir la lourdeur des secrets non dits, des vérités cachées derrière des sourires et des danses. La femme sortit de la pièce, laissant Ace seul dans l’obscurité.

Lorsqu’il rejoignit Corazon et Ivankov, la tension entre eux était palpable. Ivankov jeta un regard en biais à Ace, sentant que quelque chose avait changé. Mais Ace ne montra rien, se contentant de fixer Ivankov avec une intensité qui laissait peu de place à la réplique.

"On a ce qu’il nous faut," dit-il simplement à Corazon. "Mais ça ne va pas être facile."

Corazon hocha la tête, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. "Rien ne l’est jamais, Ace. Rien ne l’est jamais."

Ils quittèrent le club sous les yeux méfiants d’Ivankov, la nuit de Senzai se refermant sur eux comme un piège, un labyrinthe de mensonges et de trahisons.

Ace se tenait sur le balcon délabré d’un immeuble, l’air salin de la mer venant lui caresser le visage, apportant avec lui une odeur familière, celle de la moisissure et du sel. Ses yeux fixaient l’écran de son téléphone, où la géolocalisation indiquait une destination qu’il n’aurait pas imaginée : un casino luxueux situé sur la bordure de la Ruche, une partie de la ville où le vice et la richesse s’entrelaçaient dans une danse macabre.

Corazon, adossé à la rambarde en métal rouillé, observait Ace avec une curiosité mêlée d’inquiétude. Ses traits, habituellement marqués par une nonchalance presque insolente, étaient maintenant tendus. La légèreté habituelle avait disparu, remplacée par quelque chose de plus sombre, de plus profond.

"C’est donc là que ça mène," murmura Ace, plus pour lui-même que pour Corazon, son ton reflétant un mélange de surprise et de méfiance.

Corazon hocha la tête, un rictus étirant ses lèvres alors qu’il passait une main nerveuse dans ses cheveux. "Un casino en bord de mer… Je savais que ça sentait le poisson pourri, mais à ce point…" Il laissa sa phrase en suspens, son regard se perdant dans l’horizon nocturne.

Ace leva les yeux de son écran pour fixer Corazon. "Tu sembles plus nerveux que d’habitude. Y a quelque chose que tu ne me dis pas ?"

Corazon évita son regard, une rare hésitation se lisant dans ses gestes, comme s’il cherchait les mots justes. "Disons simplement que ce casino… c’est pas un endroit où on entre sans réfléchir. Et encore moins quand on sait qui peut s’y trouver."

Ace fronça les sourcils. Il était rare de voir Corazon perdre son sang-froid, ce qui rendait la situation d’autant plus préoccupante. "Qui est cette femme, Corazon ? Et pourquoi as-tu l’air de craindre de la croiser ?"

Corazon soupira, comme s’il portait un poids invisible sur ses épaules. "Je n’ai pas peur, Ace. Je suis juste… prudent. Si c’est bien elle… disons que ça pourrait compliquer les choses."

"Qui ?" La voix d’Ace se fit plus insistante, ses yeux perçant le masque de Corazon, cherchant à déceler la vérité cachée derrière les mots.

"Désolé partenaire, je ne peux rien dire… "

Le silence s'installa entre eux, lourd de non-dits. Ace savait que Corazon en savait plus qu’il ne voulait bien le montrer, mais il choisit de ne pas pousser davantage, pour l’instant.

"Qu’est-ce qu’on attend ?" dit-il en rangeant son téléphone, sa voix redevenue ferme. "On n’a pas de temps à perdre."

Corazon leva les yeux vers Ace, et un sourire fatigué, presque résigné, s’étira sur ses lèvres. "T’as toujours été un peu suicidaire, hein ? Mais tu as raison. On ne peut pas reculer maintenant."

Ace sentit une tension nouvelle monter en lui. Ce casino, ce lieu de luxe décadent, représentait plus qu’un simple repaire de criminels ; il était le cœur d’un mystère plus grand, un puzzle dont les pièces commençaient seulement à se mettre en place.

"On va devoir entrer là-dedans en jouant le jeu," déclara Ace, ses pensées déjà en train de se structurer, sa voix laissant entrevoir une confiance froide. "Tu vas devoir te faire passer pour un homme d’affaires, tout comme moi. On va devoir infiltrer cet endroit, et pour ça, on doit paraître crédibles."

Corazon finit par briser le silence, sa voix redevenue taquine mais avec une note plus sombre. "Je me demande comment tu vas gérer ça, Ace. T’es pas vraiment du genre à jouer les riches arrogants."

Ace sourit, mais c’était un sourire teinté d’une dureté inhabituelle. "Ne sous-estime jamais un loup déguisé en mouton, Corazon. On verra bien qui est le plus convaincant."

Le trajet vers le casino se fit dans une voiture noire, discrète, qui glissait sur les routes déserte comme un prédateur nocturne. La mer était tout près, son rugissement sourd se mêlant aux pensées tumultueuses d’Ace. La ville défilait sous leurs yeux, un enchevêtrement de béton, de verre et de rêves brisés.

"Tu sais," commença Corazon, brisant le silence lourd. "Senzai… cette ville a toujours été un aimant pour les âmes perdues. C’est comme si elle attirait tout ce qui est cassé, tout ce qui cherche à se perdre. Tu ne trouves pas ça étrange ?"

Ace, les mains sur le volant, réfléchit un instant avant de répondre. "C’est la nature humaine. Les gens viennent ici pour oublier. Pour fuir. Mais ils finissent par être avalés, absorbés par l’obscurité qu’ils voulaient fuir."

"Et toi, Ace ?" demanda Corazon, son ton plus sérieux cette fois. "Qu’est-ce que tu cherches vraiment ici ?"

Ace sourit, mais c’était un sourire triste, presque mélancolique. "Je ne cherche rien. Je poursuis simplement ce que je suis. Cette ville, elle n’a rien à m’offrir, mais je dois la comprendre. Parce que si je ne la comprends pas, elle finira par me dévorer aussi."

Corazon hocha lentement la tête, comme s’il approuvait sans totalement comprendre. "Tu as toujours été du genre à creuser sous la surface. Moi, je préfère rester à la surface, où l’air est encore respirable."

Ace ne répondit pas tout de suite. Il se contenta de fixer la route devant lui, chaque virage les rapprochant du casino, chaque seconde les entraînant plus profondément dans l’inconnu. "C’est peut-être pour ça qu’on forme une bonne équipe," finit-il par dire. "Tu restes en haut pour surveiller, pendant que je plonge."

Corazon sourit, mais il y avait une ombre dans ses yeux. "Juste… ne te noie pas, d’accord ?"

 Tu es prêt à tout sacrifier ?" demanda Corazon, son ton se faisant plus sérieux, presque inquiet.

Ace haussa les épaules, un geste qui trahissait une résignation profonde. "Je ne sais pas encore. Mais si c'est ce qu'il faut pour arriver au bout, alors oui, je le suis."

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