Natsu
Depuis cet incident, il n’est pas revenu à l’école. Une semaine s’était écoulée et les jours paraissaient mornes et ternes sans lui. Toute l’ambiance en classe était à zéro. Surtout moi, j’avais du mal à me comporter « comme d’habitude ». Les coudes sur la table et la tête tournée vers la fenêtre, je regardais dehors. Les nuages recouvraient le ciel et une fine pluie tombait. Soudain quelqu’un me donna un coup sur l’épaule. C’était Maki. Apeurée de me voir ainsi, elle s'offusqua :
- Allez Saori ! Tu ne vas pas faire cette tête de mort jusqu’à ce qu’il revienne, si ? Ca fait longtemps que je ne t’ai plus vue aussi abattue. Dis-moi…pendant notre rendez-vous avec les garçons du lycée Kurosa, n’as-tu trouvé personne de bien ? Ils me semblaient pourtant tous sympas. A moins que… tu aies déjà quelqu’un dans l’esprit... ?!
- Maki…ne crie pas comme ça. Tu me donnes mal à la tête.
- Ça va pas ? Tu es malade ? Attends.
Elle posa la paume de sa main sur mon front et leva son autre main à son propre front. Finalement, elle s’exclama :
- Eh, tu es vraiment malade ! Tu dois avoir de la fièvre, ma pauvre. En plus elle est très forte. Tu ne t’en es pas aperçue toi-même ?
- Hein… je ne sais plus…rien…
Sur ces mots, je couchai lentement ma tête entre mes bras. Maki m'ordonna :
- Viens avec moi. Je t’emmène immédiatement à l’infirmerie. Tu as besoin de repos et ce n’est pas en classe qu’on te laissera dormir.
- Mmh…
Sans vraiment remarquer ce qui se déroulait autour de moi, les yeux à moitié fermés, je me laissais entraîner par ces mains bienveillantes. Maki avait des mains si chaudes, alors que les miennes avaient tendance à être très froides. C’était agréable…
Je fis un long rêve. J’avais rêvé du temps où nous étions encore tous ensemble. Papa faisait souvent des blagues à table, pendant que Maman préparait le petit-déjeuner. Tous les deux affichaient des sourires sur leur face. Et moi, et moi…je semblais si heureuse à leurs côtés… Pas une seule fois depuis cette nuit-là, je n’ai dit qu’ils me manquaient. Je ne me suis jamais plainte, mais maintenant seulement, je ressentais une telle mélancolie, j'avais une telle envie de les revoir que ça en était insupportable. Je voulais les voir, mes parents. Papa, Maman…où êtes-vous ? Me regardez-vous toujours de là-haut ? Veillez-vous sur moi ? Je regrette vraiment ce qui s’est passé. Si j’avais su à ce moment que c’était la dernière fois que je pouvais vous voir, peut-être aurais-je chéri cet instant un peu plus ? Peut-être aurais-je chéri un peu plus ces précieux souvenirs que j’ai de vous… Depuis votre départ dans cet autre monde que je ne peux pas atteindre, je n’ai cessé de lever la main au ciel, espérant peut-être pouvoir attraper la vôtre. Pendant deux ou trois mois, je n’ai cessé de culpabiliser. J’ai appris quelque chose d’important de la vie depuis ce drame. Je dois chérir ces instants que je passe aux côtés des êtres qui me sont chers. C’est pourquoi je ne peux pas me permettre de perdre Takimura, lui aussi. Pas avant de lui avoir bien confessé mes sentiments. Je veux qu’il sache. Il doit savoir. Je ne veux plus avoir de regrets, parce que depuis que mes parents m’ont laissée, mon quotidien est si triste. J’ai tellement peur d’être seule. Maki et sa famille m’ont énormément soutenue, mais je ne pouvais pas oublier cette solitude. Même aujourd’hui, de temps en temps, j’y repense. Je me demande ce qu’éprouve Takimura en ce moment. Il doit lui aussi se sentir très seul. Il doit souffrir, car personne ne se doute de rien, personne ne se rend compte de sa solitude. Si j’avais pu dire une dernière chose à mes parents, c’auraient été ces trois mots : « Je vous aime. »Oui, je les aime tellement. Ils étaient si importants à mes yeux. Malgré les quelques disputes que nous avions, je n’ai jamais eu le courage, ni la force de leur avouer mes vrais sentiments. Je voulais toujours qu’ils le sachent. Peut-être le savaient-ils déjà, mais je voulais vraiment le leur dire. Je voulais qu’ils puissent entendre ces mots prononcés de ma propre bouche. Ils m’ont couverte de baisers et de tendresse et pourtant, j’ai lâché leur main. A cause de moi….si je n’avais pas été là, peut-être seraient-ils encore…si je n’étais pas partie en courant à ce moment-là, peut-être serions-nous tous les trois encore…réunis…
Lentement, mes yeux s’ouvrirent. Mes joues étaient humides. Toutes ces émotions affluaient en moi. Je le sentais. J’étais vraiment fatiguée. Après plusieurs minutes, je me relevai et mis mes chaussures avant de sortir. L’infirmière ne dit pas un mot. Dans le couloir, l’envie de faire un détour avant d’aller en classe me gagna. Finalement mes pieds m’avaient amenée jusqu’au toit du lycée. Normalement les élèves n’avaient pas le droit d’y accéder, mais de toute façon, il n’y avait jamais personne là-haut. Une fois la porte poussée, je crus avoir ouvert la porte du Paradis. J’entendis la voix d’un ange. Il chantait. C’était si beau. Je me laissais emporter dans ce chant. J’avais l’impression d’être aussi légère qu’une plume. Si ce n’était pas le paradis, je me demandais bien où je m’étais envolée. Tout d’un coup, le chant s’arrêta. Je regardai au-dessus de moi où j’avais entendu remuer. C’était lui. Takimura était là. Je pensais encore rêver. Je levai mon bras vers lui, il prit ma main et me hissa en haut. Je ne rêvais pas. Sa main était aussi chaude que celle de Maki. Je la portais à ma joue et me sentis soudain envahie par une paix indéfinissable. J’étais si heureuse. Heureuse qu’il soit encore là. Mes yeux se refermèrent un instant, le temps que je comprenne que ce n'était pas un rêve. Puis je les ouvris doucement, car sa main caressa tendrement ma joue gauche. Ses prunelles noires plongèrent profondément dans les miennes. Mon cœur commença à battre fort. Tellement fort que je pouvais l’entendre. Lui aussi, certainement. Ça m’était égal. J’étais juste soulagée qu’il soit là, près de moi. Doucement, son visage s’approcha du mien. Je ne sais pas si j’anticipais quelque chose, mais mes yeux se fermèrent aussitôt. Je sentis son front contre le mien. Après un moment, il fit :
- Je me le disais bien. Tu as l’air terrible. Ça ne va pas ? Qu’est-ce que t’as fait pendant mon absence ? Haha, je ne te pardonnerai pas si t’es malade. Tu sais, tu as beau te faire du souci pour moi, ce n’est pas juste si tu ne fais même pas attention à ta propre santé.
A nouveau, une larme coula le long de ma joue. C’était bien lui. Je reconnaissais sa voix. Il sourit comme toujours. Je séchai cette larme d’un revers et lançai :
- Natsu…idiot !
- Huh ?
- Idiot ! Idiot ! Idiot !
- Qu’est-ce que je t’ai encore fait pour que tu me traites d’idiot ?
- Menteur ! Tu m’as menti ! Tu avais promis…que plus jamais…et pourtant… Ce jour-là, j’avais tellement peur… ! Tu as souri, puis je me suis retournée…et…et…tout à coup, tu…. !, sanglotai-je.
- Ah ça…
- Menteur ! Tu as dit…que tu allais bien… !
- Désolé… excuse-moi…Saori…, murmura-t-il doucement dans mon oreille tout en séchant mes larmes.
A cet instant, mon cœur battit à plus de cent à l'heure. C’était la première fois. C’était la première fois qu’il m’avait appelée…par mon prénom. C'était aussi la première fois que j'osais l'appeler par le sien. Je regardais encore ses yeux. Il le regrettait vraiment. Soudain, son visage s’approcha encore de moi, puis ses lèvres se posèrent sur les miennes. Je n’eus même pas le temps de cligner des yeux. Était-ce parce que j’étais bouleversée ? Ou parce que je ne me rendais plus compte de rien ? Sa main caressa ma joue et il posa des baisers un peu partout sur ma peau, dans mes cheveux avant de m’embrasser à nouveau sur la bouche. Cette fois, ce baiser dura plus longtemps. Ensuite, sa tête se posa sur mes cuisses et il dit :
- Ah…c’est fini maintenant. Je ne peux plus me contrôler. Tu as gagné.
- Hein… ?
- Saori…tu ne peux pas savoir combien je te voulais…tout ce temps…
- Qu…quoi… ?, demandai-je rougissante, pensant avoir peut-être mal compris.
- Je te voulais tant, je me languissais de toi. Depuis mon premier jour ici, je t’ai remarquée. J’aimais te taquiner et faisais semblant de traiter tout le monde de la même manière pour cacher mes sentiments, mais tout ce temps, tu es la seule que je voulais toucher, prendre dans mes bras, que je voulais embrasser.
Après un long instant couché par terre, il tourna sa tête vers moi, prit le bout d’une de mes mèches sur lequel il posa un nouveau baiser et reprit :
- Je ne voulais pas faire ça, mais tu m’as tellement manquée. Sais-tu ce qui s’est passé pendant mon absence ? J’étais à l’hôpital, dans ma ville natale. Mes parents étaient très inquiets pour moi, mais la seule chose à laquelle je pensais, c’était à vous, les élèves de la classe, cette nouvelle famille que j’avais…et surtout à toi. Ce jour-là, quand la balle de foot m’est tombée dessus, je pensais que c’était peut-être un signe de Dieu. Il voulait me donner une chance de revivre, donc je voulais tout donner pour me libérer de ce destin, de ce sort qui avait été jeté sur moi. Je voulais me libérer des lourdes chaînes, de ce fardeau que je porte. Je me suis mis à courir. J’étais vraiment heureux. C’était la première fois que j’avais couru aussi vite, que j’ai donné le meilleur de moi-même. J’ai vu que tu étais dans les tribunes. Je voulais que tu m’observes, que tu m’admires, que tu ne vois que moi. Je voulais avoir l’air cool pour toi, mais finalement je n’ai pas pu tenir ma promesse. Excuse-moi. A cet instant, la joie était tout ce qui traversait mon esprit. La joie d’avoir eu l’impression d’enfin accomplir quelque chose. Mais ne t’en fais pas. Je ne ferais plus rien qui puisse t’inquiéter. Je vais bien maintenant, alors…cesse de pleurer. A chaque fois que nous sommes ensembles, tu pleures ou tu affiches un visage avec une expression peinée… c’est pourquoi je n’avais pas l’intention de m’approcher plus de toi. Sèche ces larmes. Je pensais que nous arriverions peut-être à garder ce lien qui s’appelle « amitié », mais je n’ai pu m’en empêcher. Tu as été la première personne à me soutenir et à m’aimer pour la personne que je suis. Dis-moi, es-tu vraiment sûre de ton choix ? Veux-tu vraiment de quelqu’un d’aussi minable que moi, qui ne sais rien faire ? Je ne peux même pas protéger la fille que j’aime. Ce sentiment laisse un goût amer dans ma bouche. Mon corps ne peut pas endurer d’épreuve physique trop violente. Seras-tu quand même heureuse avec un garçon comme moi ?
- Mmh…, affirmai-je en hochant de la tête. Natsu...Natsu…Natsu…
- Oui…Saori ?
- Je….je t’aime… ! Alors…ne dis pas…ce genre de…
Tout à coup, sa main prit ma tête et l’approcha de son visage. Ce baiser était langoureux et si passionné. Il reflétait l’amour ardent qui était né entre nous et dont nous ne pouvions plus fuir. Natsu m’enlaça gentiment. C’était si agréable. Je ne rêvais pas, n’est-ce pas ? Si c’était un rêve, je voulais qu’il soit éternel et que je ne me réveille jamais. Avant de nous recoucher ainsi, l’un dans les bras de l’autre, il susurra tendrement au creux de mon oreille : « Moi aussi, je t’aime Saori. »