Natsu
De retour à l’école, tout rentra dans l’ordre, quoique...j'étais incapable de rester la même autour de Takimura. Reprenant notre quotidien, nous agissions toujours de la même façon, du moins, je voulais y croire. A vouloir faire semblant, je ne me rendais pas compte que je blessais quelqu’un. Quelqu’un de très important pour moi. Je ne m’en aperçue que trop tardivement. Les jours s’écoulaient sans que personne ne le remarque.
Un matin, alors que la pluie tombait à grosses gouttes, les gens entrèrent précipitamment en classe. Certains trempés, d’autres, vantant le fait d’avoir brillamment pensé à amener un parapluie avec eux. Tous étaient là. Tous sauf un. Je m’empressai de demander à droite, à gauche si personne ne l’avait aperçu. Alors que je courais le long des couloirs près de l’entrée, je le vis accroupis près du garage à vélos. Je m’enfonçai alors dans cette pluie rageuse et fus complètement imbibée d'eau avant même de pouvoir m’abriter sous le toit du garage à vélos. Son dos était tourné. Tout en levant ma main vers lui, je bredouillai :
- Ça…ça va ?
- … ?!
D’un mouvement brusque, il recula et me lança :
- Qu’est-ce que tu fais ici ?! Tu devrais déjà être en classe, non ?!
- Quo…qu’est-ce que…tu… ?
J’eus besoin d’un moment pour me calmer. Il était devenu si rude tout d'un coup. A croire qu’il avait une dent contre moi. Je ne compris pas, c’est pourquoi je repris :
- C’est plutôt toi qui devrais se dépêcher de retourner en classe. Je te signale que tu es le dernier !
- Fiche-moi la paix !, cria-t-il.
- Hein ?! Dis, tu pourrais être un peu plus… !
- Vas-t’en ! Laisse-moi seul ! Ne t’approche pas, idiote !, coupa-t-il.
- Qu’est-ce qui ne va pas avec t…
- Qu’est-ce que t’attends ?! Allez, pars ! Laisse-moi tranquille !
- Que…
Ayant eu assez de poser des questions sans obtenir de vrai réponse, je m’avançai vers lui, pris ses joues dans les deux paumes de ma main et essayai de déceler la moindre anomalie au fond de ses yeux. Puis, je cognai nos deux fronts l'un contre l'autre. Il se leva brusquement, enragé tel un lion, et demanda :
- Ça va pas ou quoi de faire ça ?!
- C’est ta faute ! Idiot, débile, crétin ! Tu n’es pas toi-même Takimura. Tu es biza…
- … !
- Na…Natsu… ?!
Soudain, il tomba sur ses genoux, la main droite serrée sur son cœur. Je ne compris pas. A ce moment, je ne compris rien de ce qui allait m’attendre, mais je savais seulement que je devais l’aider. Je devais le sauver. Comment ? J’étais aussi perdue et décontenancée qu’une taupe, mais j’avais le sentiment qu’il fallait que j’agisse, que je fasse quelque chose. Complètement déboussolée, je fis de mon mieux pour porter Natsu sur mon épaule et le traîner vers l’infirmerie. Lorsque l’infirmière ouvrit la porte, elle fut surprise un instant en nous voyant ainsi. Natsu n’arrêta pas de pousser des sanglots de douleur. Amamiya-sensei n’eut besoin que d’une seconde pour comprendre la situation lorsque ses yeux se posèrent sur mon ami. Elle m’ordonna de le poser sur un des lits et de prévenir le professeur principal qu’il ne viendrait pas en cours aujourd’hui ; elle s’occuperait de lui. J’obéis sans réfléchir à ce que je faisais, mais au lieu de rester en classe, je prétextais un mal et revenais aussi vite que j’étais partie. Amamiya-sensei remarqua que je tremblais. Comme j'étais encore sous le choc, elle me fit asseoir près de son bureau et prépara une tasse de lait chaud pour moi. Puis elle me donna des serviettes pour que je puisse sécher mes cheveux. J’allai chercher mes affaires de sport dans mon casier et me changeai puisque mon uniforme était complètement trempé. Pendant que je déboutonnais ma chemise, les quelques clichés que mon cerveau avait pu prendre dans ces quelques minutes me revinrent en mémoire. Natsu avait peine à respirer, moi, j’étais affolée. J’avais peur. Tellement peur. Je priais simplement que rien de grave n’allait lui arriver.De retour à l’infirmerie, Amamiya-sensei me dit qu'il s’était déjà endormi paisiblement. Elle me fit asseoir sur sa chaise et tout en buvant mon lait chaud, je l’écoutais me raconter son histoire.
« – Il te l’a déjà dit ?
- Dit quoi ?
- Ce garçon t’a-t-il déjà parlée de sa condition physique ?
Un silence tomba dans la pièce avant que je ne réponde prudemment :
- …non…
- Tôt ou tard, les personnes autour de lui finiront bien par le découvrir, donc je vais tout te raconter. En fait Takimura Natsu est… malade.
- Ma…malade ?
- Il a des problèmes de cœur.
- Hein ?!
A voir mon étonnement, elle reprit aussitôt :
- Ce n’est rien de grave pour l’instant. En tout cas il ne peut effectuer aucune activité physique intense. Ce serait mauvais pour son cœur.
- Co…comment ça, « mauvais » ?, osai-je demander.
- Il lui arrive d’avoir des attaques. J’ai déjà vu son dossier médical et rien d’important n’y a été cité, mais son médecin m’a appelée pour me faire part de la situation. Lorsque ce genre de maladie frappe une jeune personne, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle dépasse l’âge adulte. Si jamais il avait des attaques trop souvent…sa vie pourrait être en danger…
- Sa…vie… ?
Tout en faisant l’idiote, je lançai d’un ton dubitatif :
- Vous…vous ne voulez quand même pas dire qu’il…il va…il va…
Le dernier mot resta en suspens sur le bout de mes lèvres. Je n’eus pas la force de le prononcer. Tout d’un coup, mon cœur pesa si lourd. Le silence de l’infirmière fut comme une révélation pour moi. Elle se retourna sur sa chaise et fit face à sa pile de dossiers. La pluie battait toujours son plein dehors, s’écrasant sur les fenêtres. Quant à mon monde, j’eus l’impression qu’il s’écroulait petit à petit comme les dés d’un jeu de lego. Mes larmes coulèrent le long de mes joues et se mélangèrent au lait qui s’était refroidit. Lentement, mes mains tombèrent et lâchèrent la tasse. Mes yeux se fermèrent sur un monde froid et noir. Un arrière-goût salé resta collé sur ma langue.