Les Tueurs de mes rêves
Note de l'auteure : Toutes mes excuses pour le retard pris pour la publication de ce chapitre. J'ai dû le réécrire intégralement pour enfin être satisfaite de mon travail et retrouver l'inspiration. Un immense merci à Reimusha pour ses conseils et encouragements !
1
Stanley
5 septembre 2013
Il y a du nouveau. La fille dont je vous ai parlé, vous savez, celle qui m'a tant fait peur il y a un mois, je l'ai vue aujourd'hui, en chair et en os, au lycée. Je ne sais pas ce que ça prouve exactement, juste que je ne suis pas complètement barré. Elle s'appelle Kanra Gallagher, elle doit avoir dans les 17 ans, peut-être 18. La seule différence avec mon rêve, c'est que cette fois, elle a le bras brûlé, et pas seulement le visage. A part ça, tout concorde.
Mon prof de bio est spécial. Je ne sais pas vraiment ce qui me fait croire ça, mais je pense sérieusement qu'il est impliqué dans cette histoire. J'ai peut-être trouvé un allié potentiel, si seulement il était un peu plus coopératif... Il a peur de Kanra, lui aussi. Il paraît qu'il était très proche de ses élèves l'année dernière.
Je me frottai la tête, perplexe. Je ne savais pas vraiment quoi noter d'autre. Après quelques secondes, j'ajoutai :
J'ai encore perdu 3 kilos depuis le mois dernier.
Je poussai un profond soupir. Pourquoi hésitais-je à écrire toute la vérité ?
Si, en fait, je sais pourquoi je trouve Oliver Yellowspring particulier. Je l'ai croisé en rêve, une fois. C'était dans la chaufferie, il cherchait quelque chose. J'avais (je gardai un instant le stylo suspendu au-dessus de mon cahier, tentant de faire remonter mes vieux souvenirs jusqu'à ma conscience) 13 ans.
Je relus mes notes. Cela suffirait. Si la Psy voulait des précisions, elle n'aurait qu'à me demander. Je ne me sentais pas prêt à écrire le reste.
Je me laissai tomber sur le lit et cherchai, à tâtons, mon paquet de cigarettes et mon briquet dans le tiroir de ma table de nuit. Je fumais rarement, seulement en cas de fatigue ou de stress intense. Je ne savais pas vraiment d'où cela me venait, peut-être était-ce que parce que ma mère avait beaucoup fumé dans ses jeunes années. J'ignorais s'il existait des prédispositions génétiques au tabagisme ; tout ce que je savais, c'est que ma mère avait cessé les cigarettes après m'avoir mis au monde. J'espérais ne pas en avoir trop souffert.
Ces derniers temps, mes parents s'engueulaient. Tout le temps, partout. Sauf pendant les repas de famille et au restaurant, parce que "ça faisait mauvais genre". J'entendais et voyais de ces conneries... A force, j'avais fini par ne plus m'en soucier. Mon salaire de l'été 2012 m'avait permis de m'acheter une petite voiture, forte de ses quelques deux cent mille kilomètres d'expérience sur autoroute, inconfortable mais increvable. Alors, dès que j'en avais assez, je m'en allais faire un tour en ville. C'est comme cela que j'avais découvert la chaufferie de Frederick Krueger.
Quand j'y repense, je me sens bête de ne pas l'avoir remarquée dans une ville aussi petite que Springwood. Une chaufferie énorme, désaffectée depuis des décennies. La voir m'avait fait un choc terrible. J'avais appuyé à fond sur l'accélérateur, atteignant allégrement les cent kilomètres à l'heure, puis je m'étais arrêté sur le bas côté un peu plus loin, les jambes en coton, me demandant comment il était possible que l'endroit qui hantait mes cauchemars depuis quatre ans existât réellement, alors que selon mes souvenirs, jamais je ne l'avais encore vu. Une partie de moi avait voulu y entrer, mais la peur - ou la prudence, plutôt - avait été la plus forte.
J'avais alors fait quelques recherches, m'enfonçant toujours plus profondément dans l'angoisse à mesure qu'elles avançaient.
Oui, ce Freddy Krueger était bien réel. Enfin, il mangeait les pissenlits par la racine depuis les années 1980, après avoir été assassiné par les parents des enfants qu'il avait lui-même tués. Marchand de glaces le jour, tueur sanguinaire la nuit. Sans doute avais-je un don de médium quelconque, m'étais-je dit. Sans doute revoyais-je dans mes rêves ce qui s'était produit autrefois à Springwood.
Et puis, j'étais tombé sur quelques articles de journaux : Un jeune homme de vingt et un ans assassiné dans son sommeil (1992), Quatorze habitants de Springwood se suicident dans la même nuit (1995), Mort du docteur Nancy Thompson - La police n'aurait aucune piste (1987)...
Je m'étais intéressé d'assez près à cet article-là. Il y était dit que le docteur Thompson faisait suivre une thérapie particulière à ses patients, des adolescents ayant fait des tentatives de suicide, sombré dans la drogue, mais surtout, refusé de dormir pendant des semaines, résistant au sommeil sans grand succès. Je n'avais pas eu beaucoup plus de précisions, mais j'avais jugé tout cela assez effrayant pour fouiller un peu plus loin. J'avais fini par comprendre quatre choses : d'une, Freddy Krueger vivait toujours dans les rêves ; de deux, les personnes qu'il tuait dans leurs cauchemars - et les miens - mouraient réellement ; de trois, je n'étais qu'un spectateur dans ces songes, une sorte de caméra si vous voulez, ce qui nous amène à la quatrième chose : je ne pouvais absolument rien faire contre Krueger. Rien. Il ne pouvait pas me tuer et ignorait jusqu'à mon existence, mais je n'avais pas d'avantage sur lui pour autant.
Et vous savez quoi ?
C'était horrible. Et pas seulement pour le sentiment d'impuissance que cela causait...
Je tirai une cigarette de mon paquet et la coinçai entre mes lèvres avant de l'allumer. Et tant pis si je mettais le feu au lit. Mes parents ne s'en rendraient même pas compte. J'aurais été étendu, les entrailles dehors, devant la porte de leur chambre qu'ils ne s'en seraient pas aperçus, trop occupés à s'engueuler.
Arrête un peu, Stanley White. Tu dis des conneries.
Je jetai un coup d'oeil à mon bureau. Mes trois livres entamés trônaient au milieu du bazar qui y régnait. Je réfléchis quelques secondes, puis attrapai Vol au-dessus d'un nid de coucou, tentant de me rappeler à quelle page je m'étais arrêté. Bah, je la retrouverais rapidement.
Je m'étalai de nouveau sur mon lit grinçant, essayant de ne pas entendre la voix de mon père - "Tu n'es qu'une vieille salope, voilà ce que tu es !" - dans la pièce d'à côté, essayant de ne pas penser à ce qu'allait lui répondre ma mère, ne tentant même plus de me convaincre que tout allait s'arranger entre eux, grimaçant pour retenir mes larmes face à la violence verbale dont ils faisaient preuve l'un envers l'autre depuis des mois, et retrouvai enfin le passage où j'avais interrompu ma lecture.
J'eus un peu de mal à me concentrer au départ. Je pensais à mon rendez-vous prochain avec la Psy, non sans une certaine excitation. J'aurais enfin des choses à lui dire ! Cela faisait tout juste trois ans que je la connaissais. Trois ans qu'elle me rendait visite pendant la nuit, tout comme je rendais visite à Krueger. Il y avait toutefois des différences notables entre les deux : mes rencontres avec la Psy se déroulaient dans une pièce fermée, d'où nous ne sortions pas avant mon réveil, tandis que dans mes autres songes, je pouvais me déplacer où je le souhaitais ; et cette femme, elle, pouvait entrer en contact avec moi, contrairement à cette espèce de croque-mitaine psychopathe de Fred.
La Psy s'appelait Donna Whitaker. Elle avait été tuée dans un accident de la route, à ce qu'elle m'avait dit. Quant à savoir si elle était réelle ou non... Mais là ne semblait pas être l'important : l'important, c'est que j'avais quelqu'un à qui parler quand personne, au stade éveillé, ne semblait m'écouter. Whitaker - étrange ressemblance avec "White", tiens ! - me recevait dans son cabinet quand je m'y attendais le moins. La première nuit, elle m'avait dit : "Je suis là pour vous si vous avez besoin de moi. Mais si j'estime que vous pouvez vous passer de mes services, je vous laisse vous débrouiller." C'était une femme un peu autoritaire et froide, du moins en apparence ; dans tous les cas, quand je lui parlais, elle m'écoutait. Et lorsque j'avais fini, elle retirait ses lunettes, les pliait, les posait devant elle sur son bureau et me demandait : "Et quelles réponses avez-vous trouvées à vos questions ? Vous en avez peut-être, en vous ?" Peu importait si je n'en avais trouvé aucune ; la Psy m'orientait toujours sur de bonnes pistes. Avant de découvrir la chaufferie, je pensais que cette femme n'était qu'un produit de mon imagination, destiné à m'aider à trouver les réponses à mes interrogations, au fond de moi-même. Que ma théorie fût erronée ou non, elle avait quelque chose de réconfortant.
Je revins à ma lecture dans un soupir.
"Dites, docteur, y a un truc que je meurs d'envie de savoir : ce que veut dire le rêve que j'ai fait cette nuit."
Mon envie de lire s'évapora d'un seul coup. Je relus le passage deux fois et claquai violemment les pages du livre les unes contre les autres en le refermant.
OK, Ken Kesey, ce sera pour plus tard, hein...
Je reposai le livre sur le bureau. Je n'aurais pas pu tomber plus mal, ce soir !
Putain, la nuit va être longue !
***
2
Oliver
Lorsque je sortis de la douche, j'étais tellement fatigué que je ne sentais plus mes jambes. Un coup d'oeil dans le miroir me confirma que j'avais une véritable tronche de déterré. Et un bon petit ventre, aussi.
"Pfffff..."
Je ramassai ma montre au bord du lavabo et fixai le cadran du regard pendant quelques secondes. Une heure et quart du matin.
Je n'avais aucune intention de dormir.
J'ouvris l'armoire à pharmacie dans l'espoir d'y trouver des pilules anti-sommeil. Bingo, il en restait ! J'en avalai deux et rangeai le flacon, me demandant ce que j'allais bien pouvoir faire de ma nuit. Préparer mes cours, regarder la télé... Peut-être sortirais-je en ville, même si à une heure pareille, cela me paraissait tout sauf prudent.
Je sortis de la salle d'eau, vêtu de mon pyjama, et allai directement allumer le poste de télévision et m'affaler sur le canapé. La fatigue me poussa à m'allonger, mais je me promis de rester bien éveillé. Et puis, ces pilules, elles étaient efficaces... non ?
Oh, ta gueule, merde !
Evidemment, à cette heure-là, il y avait une quantité phénoménale de porno sur les ondes, mais je parvins à trouver un zapping plus soft. Le défilement rapide des images m'occuperait un moment. Peut-être même que la catégorie "gamelles" me ferait sourire.
Histoire de m'assurer un éveil constant, je me mis à siffloter un air au hasard. Je songeai à regarder la télé debout plutôt qu'allongé, mais je n'en avais pas tellement la force. Je serais dans un sacré état le lendemain !
Va bien falloir que tu dormes...
Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu Krueger, mais cela faisait aussi longtemps que je raccourcissais mes nuits. Je préférais ne pas prendre de risques. Plutôt mourir de façon naturelle que tué par ce salaud.
J'eus un frisson d'horreur en reconnaissant l'air que je m'étais mis à siffler.
Un, deux, Freddy te...
"BORDEL DE MERDE, NON !"
Je me rassis brutalement, la tête entre les mains. Je m'attendis à une nouvelle crise de larmes, mais je n'en avais plus à verser. Alors je me contentai de trembler comme un couillon.
"Et puis merde, tue-moi si t'en as envie, Krueger. J'm'en fous. J'ai plus rien à perdre, de toute façon..."
Pris d'un emportement soudain, je me levai, éteignis la télé, la débranchai en arrachant la prise, allai ouvrir une fenêtre sur la tiédeur de la nuit et, lorsque le poste s'écrasa contre le carrelage de la terrasse, je m'effondrai sur la moquette et hurlai. Juste une ou deux secondes, le temps de me défouler un peu.
Juste un peu. Pas suffisamment. Alors, pour faire bonne mesure, je me frappai le crâne contre le mur. Mais je l'avais fait trop souvent pour que ça fasse de l'effet.
Je passai un quart d'heure assis par terre avant de me décider à me lever. Il fallait quand même que je ferme la fenêtre.
Je poussai un énorme soupir de lassitude une fois debout. Elle était déjà fermée. Eh bien, pour être crevé, j'étais crevé...
"Et merde, combien de dollars j'ai foutus en l'air, moi ?" grommelai-je.
Je m'approchai de la vitre pour apercevoir le cadavre de ma télévision... et reculai en quatrième vitesse jusqu'à heurter le mur de derrière, tétanisé.
Gallagher était dehors.
Non, c'est impossible. Tu as rêvé !
Le coeur battant, je me rapprochai de la fenêtre. Très lentement. Sachant que j'allais revoir sa silhouette trapue plantée au fond de mon jardin, juste à côté du portail, dans l'ombre, grossièrement découpée par la lumière lointaine des lampadaires. Ou peut-être même son visage collé contre la vitre...
Calme-toi, me dis-je. Calme-toi, mon vieux, tu vas te pisser dessus.
Je ne pus m'approcher plus près. Je fis volte-face et me précipitai vers ma chambre, une sueur collante de peur commençant à couler entre mon dos et mon pyjama.
Non, il n'y avait pas que la peur. J'avais aussi chaud. Très chaud.
"Nom de..."
Et lorsque j'ouvris la porte de ma chambre à coucher, je ne retrouvai ni mon lit, ni mon bureau avec tout le bordel dessus, ni même ma table de nuit.
Efficaces, tes pilules, hein ? pensai-je nerveusement. Si elles sont si efficaces, qu'est-ce que tu branles dans cette putain de chaufferie ?