Clair-Obscur
Cendre
« Tu es allé voir Sasuke. »
Sakura se tenait dans l’encadrement de sa fenêtre, les poings sur les hanches et une expression ensommeillée très peu satisfaite sur le visage. « Et vous vous êtes encore battus. »
Naruto prit l’expression la plus innocente qu’il pu et redirigea un peu de chakra dans la semelle de ses sandales pour maintenir son équilibre sur le mur. Il n’entrait jamais chez Sakura par la porte.
Ce n’est pas que les parents de la jeune femme soient exactement ouvertement hostiles, mais ils n’étaient visiblement pas à l’aise en sa présence, c’était évident comme le nez au milieu de la figure dans la ligne un peu rigide de leurs épaules, leur silence crispé.
Malgré l’insistance de sa coéquipière Naruto préférait simplement les éviter autant qu’il le pouvait. Aujourd’hui plus que jamais il n’avait pas besoin des regards vaguement méfiants et des silences embrassés, et il n’avait certainement pas envie d’avoir à jouer l’énergie et l’enthousiasme qui le caractérisaient habituellement.
Sakura croisa les bras sous sa poitrine et le toisa avec irritation.
« Alors ? »
« Hum… Oui. T’es fortes Sakura-chan. » Bon sang, comment avait-elle su ? Il était rentré directement chez lui après… enfin après, quoi, et avait passé près d’une heure sous une douche brûlante à essayer de ne pas penser et éventuellement de se noyer ou de s’ébouillanter –ou bien les deux.
Lorsqu’il était ressortit les traces que Sasuke avait fait sur son corps avaient presque totalement disparues, et il aurait tout aussi bien avoir fantasmé tout ce qui s’était produit. Sauf que non, et la confusion en lui était toujours aussi présente, peut-être même plus dense à présent que son esprit ne pédalait plus dans une bienheureuse semoule post-orgasmique.
Il avait tourné en rond dans son minuscule appartement, avait prit une demi-heure de plus pour enfiler un nouveau pantalon et un T-shirt à peu près propre, le tout dans un état second de semi égarement... Il n’était pas certain de ce qui méritait le plus de panique : le fait qu’il ait sauté sur Sasuke, le fait que ce dernier se soit plus ou moins laissé faire, celui qu’il ait à moitié laissé le renard remonter à la surface, ou le fait que Sasuke l’ai mit dehors après avec une impassibilité qui ne pouvait qu’être malsaine et la possibilité que tout soit définitivement brisé entre eux. La possibilité qu’il ai brisé Sasuke plus que ce dernier ne l’était déjà…
A ce point là il avait commencé à se sentir vraiment mal, avait envisagé la possibilité de retourner chez l’Uchiha pour… -pour quoi ? Pour s’expliquer alors que lui même aurait été bien en peine d’éclaircir ce qui se passait dans son propre cerveau ?-,et avait immédiatement renoncé à l’idée face à la perspective d’avoir à se tenir face à Sasuke.
Il était finalement sortit par la fenêtre sans prendre la peine de verrouiller la porte, et après avoir erré pendant une durée indéterminée sur les toits de Konoha ses pas l’avaient menés jusqu’à la fenêtre de Sakura. Qui du premier regard avait été capable de dire qu’il s’était battu avec le crétin.
Une vague de panique l’envahit, et il se demanda si elle était capable de deviner le reste.
Avec un soupire accablé Sakura fit un pas en arrière, ce qui était clairement une invitation à entrer, et Naruto obtempéra en silence.
« Naruto… Ton nez est cassé. N’importe qui devinerait que tu t’es battu. »
Avec une pointe de gène et un glapissement horrifié Naruto passa sa main sur son visage. Le Kyuubi avait ressoudé la blessure presque immédiatement, et dans… le feu de l’action il avait complètement oublié. Et évidemment ce connard de Sasuke avait omis de l’informer que son nez ne s’était pas été ressoudé droit. Et puis d’abord, comment Sakura savait-elle que c’était Sasuke ???
« Dis-moi que tu peux faire quelque chose Sakura… Je t’en supplie… Mon nez !!! »
Sakura lui jeta un regard en coin avant d’aller passer un pull par dessus son débardeur qui ne laissait que très peu de place à l’imagination.
« Parfois je me demande comment tu as bien pu passer anbu Naruto… Tu mériterais que je te laisse comme ça. » Quoi ??? « Vous êtes vraiment irrécupérable tout les deux. Quel mot de “convalescence” as-tu du mal à comprendre Naruto ? Et tu penses qu’avec ce que Sasuke est en train de vivre vous bagarrer comme des chiffonniers est une idée intelligente ? Assied-toi. »
Avec une pointe de culpabilité Naruto obéit en silence et se laissa tomber sur le bord du lit de la jeune femme.
- Tu aurais pu faire un effort Naruto. Je sais qu’il te provoque, mais au moins pour cette fois tu aurais pu…»
Naruto fixa ses mains avec gène. Il ne pouvait pas vraiment protester, parce que c’était à peu de chose près ce que son esprit se plaisait à lui répéter depuis qu’il avait mis le pied hors de l’appartement de Sasuke, entre autres considérations.
« J’espère au moins que tu ne l’as pas trop abîmé... Tout le monde n’a pas des capacités de régénérations hors norme… »
Elle alla et vint en silence quelques minutes, rangeant des trucs de fille qui traînaient tandis que Naruto s’enfonçait de plus en plus contre le mur avec l’espoir incertain que celui ci allait l’avaler et le soustraire à son désarroi grandissant.
« Enfin si tu l’as fait réagir c’est toujours ça… » Elle s’assied à ses côté et ouvrit son kit médical d’urgence en étouffant un bâillement. « Je te préviens Naruto la prochaine fois je ne m’occupe pas de toi, je m’apprêtait à me mettre au lit, je viens tout juste de finir ma garde à l’hôpital. »
« Ah… Je suis désolé Sakura-chan, je n’avais pas réalisé. »
Elle agita vaguement la main et se pencha pour examiner son nez. « Ce n’est rien- Tu réalise que je vais être obligé de le recasser si tu veux que je le remette droit, Naruto ? »
Le jeune homme haussa les épaules avec indifférence.
« Fais le. De toute façon ça va se ressouder quasi immédiatement. »
« Il vaudrait quand même mieux faire ça à l’hôpital Naruto… »
Il secoua la tête.
« Je suis capable d’endurer un peu de douleur Sakura, et je préfère que ce soit toi qui le fasse. S’il te plait. »
Elle soupira et hocha la tête.
« Bien… Prend ça, » elle lui mit entre les mains une serviette qu’elle avait tiré d’un tiroir, « avale ça », lui fourra d’autorité un cachet d’anti-coagulant sous la langue, « penche toi un peu en avant –comme ça, oui. » et enfila une paire de gants jetables.
Avant qu’il ait eu le temps de se préparer, elle plaça trois doigts le long de son nez et pinça l’arrête entre deux doigts supplémentaires. Et d’un geste rapide et parfaitement maîtrisé elle tira, provocant un claquement sec. Naruto ne tressaillit même pas.
Immédiatement le sang se remit à couler, et il plaqua la serviette contre sa bouche pour éviter d’en mettre plein le lit de Sakura. Les mains de cette dernière se pressaient doucement contre son visage, manipulant avec délicatesse les cartilages cassés pour les remettre en place. La pointe de douleur était une distraction bienvenue de ses pensées qui tournaient en rond comme des animaux jetés dans une cage et se pressaient contre les barreaux.
Il s’amusa à loucher sur les doigts de Sakura, et quand elle retira l’un de ses gants et qu’une lueur verte illumina le bout de ses doigts il sentit son chakra entrer en contact avec le sien dans un picotement qui le fit s’agiter malgré lui.
« Naruto ne bouge pas. »
« Ha… mais Chakura, cha chatouille, » gargouilla t’il en arrondissant les épaules.
Elle eut un sourire mi-exaspéré mi-amusé.
« Et c’est anbu… On croit rêver. Bon, ok penche ta tête en arrière maintenant. Non, plus comme ça… - bon attend, » elle recula un peu plus sur le lit, « pose ta tête sur mes jambes et respire doucement par le nez, il faut que je m’assure que les cloisons nasales sont bien en place –je ne voudrait pas que tu ronfles plus que tu ne le fais déjà, tu attirerais tout les ennemis et les bêtes sauvages en bivouaque… »
Naruto obtempéra tout en protestant vaguement quelque chose qui ressemblait à « difamachion, chai pas frai, che -heu ronfle -ême pas… », et ferma les yeux tandis que Sakura passait les mains sur son visage.
Elle se concentra d’abord sur les ailes du nez, appuyant selon un schéma qui n’avait sens que pour elle, et les petites décharges de douleurs gardèrent l’esprit de Naruto alerte. Mais lorsque ses doigts commencèrent à se promener sur son visage il rouvrit un œil.
« Je vérifie que tout est bien en place et je rétablis les flux d’énergie interrompus, » répondit-elle à la question muette. « C’est une part importante de la guérison, alors puisqu’on a le temps autant faire les choses bien. »
Dit comme ça…
Il referma les yeux et la laissa faire, mais malgré le contact léger et décontractant sur son visage, il ne pouvait empêcher son esprit de revenir s’attarder en boucles frustrées et confusément coupables sur Sasuke, tout seul à son appartement et probablement couvert de bleus qu’il n’avait personne pour soigner.
Pour la première fois depuis près de onze ans Naruto regrettait presque d’avoir frappé (ou griffé ou mordu) cet imbécile. Mais Sasuke ne regrettait probablement pas une seconde de lui avoir cassé le nez, et s’il n’avait pas voulu se retrouver seul hé bien il n’avait qu’a pas le foutre à la porte pour commencer.
« Naruto, ça va ? »
« Hum, évidemment que ça va… Tu fais les plus merveilleux massages Sakura-chan. »
« Tu es bien silencieux. Et tu n’as pas essayé une seule fois de me draguer. C’est Sasuke qui t’inquiète ? »
La respiration de Naruto vacilla. Sakura-chan était démoniaque.
Les filles étaient démoniaques. Comment faisait-elle pour mettre si près du but ? Etait-il si transparent ?? Si c’était réellement le cas elle avait raison, il faisait un bien piètre anbu… La pensée s’imposa, provoquant une nouvelle crispation de l’estomac, et Naruto se concentra sur sa respiration pour ne rien laisser échapper, et sourit de toutes ses dents.
« Ca veut dire que tu accepterais de sortir avec moi si je te le demandais ? Je suis désolé de te décevoir, mais si je ne t’ai pas dragué, c’est parce que je sais à quel point tu es professionnelle Sakura-chan, je n’oserais pas insulter ton sérieux… Et puis je tiens à mon nez… »
Les mains de Sakura s’interrompirent, et elle assena une taloche sans force sur le haut du crâne du jeune homme.
« Ne joue pas les imbéciles avec moi Naruto, ça ne prend pas. Je te connais trop bien pour me laisser avoir par tes grimaces. »
« Mais, Sakura-chan… »
« Naruto… »
Les mains avaient totalement abandonné son visage à présent, et il se redressa pour faire face à la jeune femme.
« C’est fini ? »
« Ho, heu oui, tout à l’air en ordre. Ton nez est comme neuf- et n’essais pas de détourner la conversation s’il te plait… Moi aussi je m’inquiète pour Sasuke, alors tu peux me dire quel est le problème. »
Il soutint son regard et gronda.
« Il n’y a pas de problème, c’est juste qu’il m’énerve avec sa putain d’arrogance et son insensibilité. Je ne sais pas ce qui me retient de retourner lui en mettre une ! »
Ce n’était pas totalement faux, et la chanson était suffisamment habituelle pour que Sakura se laisse prendre et que lui-même soit totalement dans son rôle.
Tout en quittant le confort du lit et des jambes de Sakura il continu à pester à mi-voix contre la stupidité de Sasuke et la manière dont il allait lui faire payer la prochaine fois.
Sakura resta ou elle était, assise sur son lit, ses mains gantées refermées sur la serviette tâchée de sang, et il pouvait sentir son regard sur son dos.
« Merci pour mon nez Sakura. Je vais te laisser dormir maintenant. On se voit demain ? »
Sans vraiment entendre la réponse il quitta la chambre, et s’élança sur les toits.
-
En silence il atterrit dans la poussière du terrain d’entraînement.
Il avait choisit le plus reculé auquel il ait pensé, et la clairière parsemée de poteaux d’exercice était déserte. Le seul mouvement était celui des arbres frissonnant au vent, et de l’ombre projetée par leurs ramures qui arrêtaient le soleil de la fin d’après-midi.
Bien.
Posément il se plaça au centre de la trouée, et expirant doucement prit la position de départ du cinquième kata du Vent –La Tempête Par dessus Le Lac Un Soir De Printemps ou quelque chose comme ça. Il n’était jamais parvenu à retenir le nom.
Respire. Inspire. Expire.
Maintenant.
Il n’aurait pas dû venir.
Sakura avait raison, elle le connaissait bien trop pour se laisser avoir par le masque. Et face à elle il avait du mal à maintenir la feinte. Face à elle, baisser les armes de temps en temps était presque… acceptable, sauf que là ça ne pouvait pas l’être. Elle l’avait vu dans des états bien pire après tout. Elle l’avait vu faible et misérable au fond d’un lit d’hôpital. Elle avait combattu avec lui pour ramener Sasuke, elle l’avait vu debout sur des piles de corps, entouré de chakra rouge.
Fouette l’air d’un coup de pied tournant. Esquive. Frappe. Reviens. Bloque.
Elle l’avait maintenu à terre de toute sa considérable force lors de ses pires cauchemars alors qu’il se débattait aveuglément.
Inspire. Expire. Deuxième forme.
Mais il ne voulait pas qu’elle voit ça.
Qu’elle voit cette faiblesse et cette confusion qui l’habitaient, qui le submergeaient soudain. Il devait être fort face aux autres s’il devait accomplir son rêve, il ne devait pas vaciller.
Ce n’était pas de la gène, ce n’était même pas de l’embarras. C’était de la peur, tout simplement.
Saute, le pied au niveau de la tête de l’ennemi invisible. Tourne. Fente avant, esquive. Coup de coude. Bloque. Revers à la nuque.
Une peur aigue et mordante. Peur de la réaction de Sakura, peur de celle de Sasuke s’il apprenait qu’il avait laissé échapper un seul mot sur ce qui s’était passé entre eux.
Frappe. Ramène. Bloque. Coup de poing.
Mais surtout c’était la peur de sa propre réaction. Parce que dire à voix haute “J’ai laissé Sasuke m’enculer”, “Ha, au fait, Sakura, j’ai plaqué Sasuke par terre et on a comme qui dirait échangé nos fluides corporels, il avait l’air de plutôt apprécier même si au début ça ressemblait plus à un viol qu’autre chose” cela rendrait les choses bien plus concrètes, inévitables.
Coup de poing. Bloque. Coup de poing. Saute. Esquive. Tourne. Ramène ton bras. Fouette l’air derrière toi. Pivote. Frappes. Esquive sur la droite.
Tant que ce n’était que des fragments de souvenirs épars dans son esprit ça allait, sa main plaquant à terre d’une poigne d’acier les mains de Sasuke, son érection contre sa cuisse, un bout de peau pâle maculé de sang, la douleur violente et totalement étrangère de la pénétration… Mais s’il le disait, s’il laisser les mots se former et passer ses lèvres il n’aurait plus le choix, il serait obligé de regarder les faits dans les yeux, de les admettre.
Bloque. Amorti d’un pas de côté. Frappe.
Des faits, des actions qui n’étaient pas vraiment cohérents avec Sasuke, qui n’étaient même pas cohérents avec lui-même, avec le tourbillon de sentiments qui l’habitaient. Que signifiait ce mélange presque indescriptible de colère, de peur, de culpabilité, de désir et d’excitation, de détermination- mais à quoi ? Comment frustration et irritation et inquiétude, honte et rivalité et amitié hésitante et fraternité et haine et très nette envie de mettre son poing dans la tête de Sasuke pouvaient t’ils s’agencer pour former quoi que ce soit de cohérent, qui ai le moindre sens ?
Pivote. Frappe. Coup de pied. Coup de pied. Suffisamment fort pour briser des os. Un genou en terre. Bloque.
Il avait peur de tout perdre, et il était en colère contre lui-même de ressentir cette peur, il était aussi prodigieusement irrité contre Sasuke, ce salaud avait il la moindre idée de la tempête qu’il provoquait par sa seule putain de présence ?
Frappe. Bloque. Reviens. Inspire. Expire. Troisième forme.
Du point de vue purement martial, Naruto était un jounin tout a fait exceptionnel, et un anbu qui l’était tout autant. Il possédait après tout la puissance du Kyuubi, et la maturité et les années d’entraînement avaient ciselé ce qui n’avait été que potentiel brute en un dangereuse machine de combat. Et pourtant malgré les années et ces expériences il n’avait pas perdu ce qui le rendait si spécial. Tout ceux qui servaient avec lui le savaient : il y avait quelque chose en lui, dans sa détermination, dans son entêtement parfois totalement excessif. Quelque chose qui pouvait vous toucher et vous brûler. Quelque chose qui pouvait vous changer du tout au tout.
Saute. Frappe, une fois, deux fois. Coup de pied. Réception. Bloque.
Les années avaient un peu atténué sa propension à exprimer tout ce qui lui passait par la tête de but en blanc, et les poings de Tsunade ainsi que les taloches de Jiraya et la fréquentation assidue de Sasuke avaient réussit à incruster plus de subtilité qu’il ne s’en rendait lui-même compte dans son crâne il faut le dire fort dur.
Mais certaines choses n’avaient pas changées. Il n’avait jamais appris à atténuer la violence et l’intensité féroce de ses émotions, juste à mieux les dissimuler. Il ne savait pas baisser la tête et laisser les choses lui échapper.
Esquive. Pas en arrière. Bloque. Coup de coude à la gorge, un ennemi invisible en moins.
L’introspection, le doute et les mots n’étaient pas son fort. L’action l’était, pousser ses capacités toujours plus loin malgré le manque de reconnaissance des habitants du village, se battre, les mouvements sauvages et à la fois maîtrisés, l’excitation que faisait naître une opposition à leur niveau. L'ardeur et la flamme qui se ravivaient à chaque fois qu’il se battait contre Sasuke, et la féroce détermination à ne pas se laisser vaincre.
Fouette l’air devant toi. Ramène, frappe, ramène, frappe. Bloque.
C’était cela son nindo. Suivre sa voie toujours plus loin, ou qu’elle le mène, aux côté des personnes qui lui était précieuses. Comme un ninja, toujours en équilibre sur le fil de la lame, mais toujours plus près de son but, sans compromettre ce à quoi il tenait.
Esquive. Frappe. Ramène ta jambe, tourne de quatre-vingt dix degrés. Frappe.
C’était cela son point d’équilibre, son but. S’il se concentrait là dessus tout redevenait clair. Les doutes et la confusion passaient en arrière plan. Devenir Hokage. Protéger ceux auxquels il tient. Ne jamais renoncer quelque soit l’adversaire ou l’obstacle.
Reviens au centre. Inspire. Expire. Quatrième forme.
Mais non. Ca n’arrangeait pas vraiment les choses en fait.
Devenir Hokage. D’accord.
Protéger ceux auxquels il tient… Il tient à Sakura-chan, à Iruka-sensei. Il tient à ce vieux pervers d’Ermite, à Tsunade-sama, à Kakashi-sensei. Il tient à Gaara, à Konohamaru, à tous ses équipiers.
Mais il tient aussi à Sasuke. Enormément. Même si la plupart du temps ça se manifeste par des insultes et des combats, par cette tension méfiante entre eux deux. Sasuke son rival et son frère. Sasuke avec lequel le pacte vient de prendre fin. Sasuke dont la présence est un mise à l’épreuve permanente, qui le défit et l’entraîne toujours plus loin dans son nindo, Sasuke dont la simple existence le pousse à se surpasser. Et c’est réciproque. Peut-être. Sûrement.
Il tient à Sasuke, et ce dernier n’a pas vraiment besoin de sa protection. Ou bien si ? Non.
Sasuke n’a besoin de la protection de personne, et quand bien même ce serait le cas il ne l’accepterait pas. Parce que c’est Sasuke et qu’il est fort et orgueilleux, et que de toute façon ils sont ex-aequo une fois sur deux.
Plus vite. Frappe, ramène, frappe, tourne, coup de pied, coup de poing. Reviens.
Non. Ce n’est pas cela non plus. Le vrai problème c’est qu’il ne sait pas ce dont Sasuke à besoin, et il ne sais pas non plus ce dont lui-même à besoin, ce qu’il veut.
Il est censé protéger ceux qui lui sont cher, mais il n’a probablement fait qu’empirer les choses.
Mais au moins ils les a fait changer non ? Il ne pouvait pas non plus rester sans rien faire, laisser ce connard se briser sous ses yeux...
Frappe, tourbillonne, esquive. Ramène ta jambe. Bloque. Reviens.
Les poteaux d’entraînement sont dispersés sur le terrain, sentinelles immobiles. Le bois est usé par les coups répétitifs. Les troncs massifs ont été lissés et creusés manuellement au fil des échauffements.
Quelqu’un qui n’avait probablement que ça à faire a grossièrement taillé une demi douzaine de troncs à hauteur de tête. Les piliers ressembles à de grotesques ersatz de silhouette humaine.
La violence et la maîtrise que demandent les katas ne sont pas suffisants pour évacuer la colère sans objet.
Inspire. Expire. Cinquième forme.
Frappe. Esquive, bloque. Dégage tes mains. Frappe. Le tronc laisse entendre un craquement tandis que le bois absorbe l’énergie du coup. Pivote. Coup de pied, coup de poing. Coup de pied haut. Le contact avec le second poteau produit un tump des plus satisfaisants. Reviens. Balayage, manchette haute.
Penser être capable de changer vraiment les choses pour Sasuke est probablement non seulement orgueilleux, mais aussi totalement insensible. Sasuke vient de tuer son frère. Il n’a que faire de leur lien pour l’instant.
Il a agit comme un imbécile, c’est ça la vérité. Tu parles d’un ninja… Il s’est laissé guider par son désir et son inquiétude, sa colère, sans réfléchir aux conséquences. Si Ero-Sennin était là, il aurait droit a une sacrée dérouillée pour sa peine… L’ermite le lui a dit et répété pourtant… Ne laisse pas ta frustration sexuelle décider pour toi gamin, un ninja qui pense avec sa queue est un ninja mort…-ce à quoi il répondait invariablement à l’écrivain pervers qu’il était bien mal placé pour dire quoi que ce soit.
Mais il faut dire pour sa défense qu’il n’aurait jamais cru avoir à utiliser ce précepte pour Sasuke…
Le cinquième poteau craque dangereusement. Frappe, esquive, un genou en terre, blocage haut. Prise d’élan. Frappe, coup de pied, coup de pied. Coup à la nuque, pivote. Coup de poing. Les fibres de bois se rompent sous ses doigts. Le sixième poteau grince et tangue.
Mais il n’arrive pas à regretter, pas vraiment. Pas lorsque dès qu’il ferme les yeux il voit le corps de Sasuke onduler sous lui. Pas lorsqu’il sait que c’est lui qui a provoqué ces réactions chez l’Uchiha.
Et le fait que cela l’emplisse d’un orgueil instinctif ne joue probablement pas en sa faveur.
Impossible de savoir ce que pense Sasuke de tout ça, et il n’a pas l’intention d’aller le lui demander –plutôt se livrer pieds et poings liés à l’Akatsuki-, et lui-même ne sais pas trop-… Non.
Non, s’il est tout à fait honnête avec lui même, son corps est tout à fait enthousiasmé par la possibilité de répéter ce genre d’activité dans le futur -l’alarmante insistance qu’ont des flash pornographiques à se superposer à ses cibles virtuelles est une preuve plutôt incontestable. Même la violence maladroite et désordonnée, insatisfaisante, de leur étreinte vaut mieux que sa main droite et une chambre vide. Il ne peut pas s’empêcher d‘en vouloir vaguement à propre son corps qui le trahit de cette façon.
A supposer que Sasuke accepte de rester dans la même pièce que lui après ça –mais Sasuke n’avait pas l’air totalement opposé non plus… -mais Sasuke peut difficilement être considéré comme dans son état normal… RHHHAA ! Fait chier !!!! C’est Sasuke, il ne devrait même pas avoir à examiner la possibilité de coucher avec ce connard. C’est Sasuke bordel ! Il devrait avoir envie de le frapper, pas de l’enculer et de le faire crier !
Malgré l’effort, malgré le jeu précis de ses muscles tendus, le nœud dans son ventre est toujours aussi présent, serré. Il se sent vaguement nauséeux.
Frappe, frappe, coup de pied, bloque, coup de pied, pivote coup de poing, appel. Coup de pied tournant.
Le choc est violent, et la tête du huitième poteau soudain décapité vole au loin. Emporté par son élan il se réceptionne et dérape sur la terre labourée avant de retrouver son équilibre. Pivote, frappe latéralement. Ses avant-bras connectent avec le bois dans un déluge d’échardes. Les fibres de bois se disjoignent, se tordent et rompent finalement.
Inconsciemment il a mis du chakra dans le coup, et le poteau explose littéralement sous l’assaut.
La musculature parfaitement découpée de Sasuke pourrait servir de modèle à une planche d’anatomiste, et son corps blanc sous le sien, son visage aux yeux trop noirs encadré des mèches désordonnées serait suffisant pour provoquer des rêves définitivement impliquant chez n’importe qui.
Admettre à soi-même que ce genre de contact avec un mec est tout à fait susceptible de déclancher des réactions physiques est une chose.
Réaliser soudain au bout de onze ans ce que les filles voient en Sasuke en est une tout autre. Etre soudain cruellement conscient de l’attraction physique qu’il peut provoquer est tout à fait différent.
Très irritant aussi, et le neuvième poteau d’entraînement en subit les conséquences avant de s’abattre dans un concert de grincements et de gémissements de bois déchiré.
Frappe. Bloque.
Il ne voit plus vraiment les poteaux, la clairière. Il a beau essayer il n’arrive pas à trouver son centre, son équilibre au cœur des pensées à demi formées qui vont et viennent, il ne parvient pas à concilier son incertitude et sa peur. S’il n’y a plus le pacte alors rien n’est sûr, et ça ne devrait vraiment pas de déstabiliser à ce point.
Sauf que ça le fait, parce que la seconde où le pacte à prit fin les choses ont commencé à changer.
Son chakra fuit librement, il le sent, mais la perte n’est pas assez importante pour le pousser à reprendre contrôle de lui-même. La fuite est presque un soulagement, comme une soupape de sécurité lorsque la pression à l’intérieur devient trop élevée…
Il rayonne probablement comme une balise pour tout les ninjas suffisamment proches.
Coup de pied, coup de poing.
Sa résolution légendaire ne lui sert à rien ici. Il ne sait pas quoi vouloir.
Il ne sait pas ce qu’il a le droit de vouloir.
Bloque, fouette l’air devant toi.
Et le voilà en train de pourfendre des ombres. Parce-…
Réception, coup de pied.
-qu’il a trop peur des ses propres actes. Comment-
Frappe, blocage haut.
-peut-il prétendre devenir Hokage alors qu’il est pétrifié à la perspective de faire face à Sasuke ?
Tellement plongé dans son combat interne, il ne doit son salut qu’à ce sixième sens que possède tout ninja qui se respecte. Le mouvement est déjà engagé, mais à la dernière seconde il parvient à infléchir sa lancée, et au lieu de pulvériser le poteau il prend appuie dessus, pousse.
Le shuriken s’enfonce dans le bois à quelques centimètres de sa poitrine.
Avec un juron et une contorsion brusque il se dégage, échappe aux deux shurikens suivants et reprend pied au sommet du dernier poteau, kunaï en main. Il est prêt à bondir et à se battre.
En face de lui, debout sur le pilier situé du côté opposé de la clairière, Sasuke le regarde impassiblement.
Puis il sourit du sourire froid qu’il réserve au sang et à la douleur, et dégaine son katana.