Les Chroniques d'un shinobi
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y
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Le Chuunin ouvrit les yeux avec la brûlante sensation de ne jamais les avoir fermés. La fébrilité le poursuivait partout où il allait. Sarouh soupira et se livra à quelques assouplissements avant de se préparer pour la nuit. Il n’était plus aussi raide et bénissait autant les facultés fulgurantes de récupération des shinobis que les soins du Juunin. Aucun civil n’aurait pu se battre dès aujourd’hui, alors qu’il ne ressentait qu’une gêne mineure.
Une fois équipé, il se dirigea d’une démarche tendue vers l’emplacement du briefing. Les ninjas allaient enfin savoir si leurs craintes se confirmaient : Chihousou avait reçu les instructions des Villages.
A l'heure dans leurs bureaux, Sarouh était pourtant le dernier à se présenter à la petite réunion. Tokri et Izul le saluèrent d'un mouvement de tête quand il arriva, tandis que Kazuo faisait tout son possible pour ne pas croiser son regard. Il s’amusa des changements dans la dynamique de groupe, laissant échapper un rictus. Cela n'échappa ni au Masaka, ni à Gomaki, qui pourtant n'en dirent rien. Ce n'était pas si important, ils allaient bientôt se quitter.
— Bien. Vous n'êtes pas sans ignorer que la mission a pris un tournant inattendu. Les Villages ont statué.
— Et ? questionna Sarouh. Gomaki nous reprend le commandement, je suppose ?
— C’était ce que je pensais aussi. Gensou, tout comme Chikara d'ailleurs, ne pense pas qu'il y a eu faute de commandement. Après analyses de nos diverses actions, compte tenu des informations à notre disposition, ils sont parvenus à la conclusion que nous ne pouvions pas nous attendre à une menace pareille. Que tu aies pris tes responsabilités a aussi allégé le débat.
Sarouh lui adressa un sourire triste, sans répondre. Inutile de lui dire que, pour son Village, sa vie pesait peu lourd dans la balance face aux enjeux diplomatiques avec Chikara. Au moins, avait-il servi les intérêts de la Cascade. A l’évidence, Chihousou s’était bien gardé de remonter les soupçons du sacrifié, lors du premier soir. Encore une fois, l’adolescent fit preuve de retenue. Le sarcasme n’améliorerait en rien leur position.
— Pour ce soir, l'ordre de mission diffère, poursuivit Chihousou. Nous aurions dû arrêter la chasse aux brigands, pour permettre une autre opération de cohésion l'année prochaine.
— Pardon ? siffla Tokri.
— C'est une mission facile qui rapporte beaucoup, précisa Chihousou, imperturbable. Elle permet de tester les capacités de commandement des Chuunins et de former les Genins. Et sous couverts de soi-disant saboter nos réputations mutuelles, les troupes s’entraînent et deviennent parfois camarades.
L'Utak se mura dans le silence, la colère embrasant ses yeux noisettes. Que tout cela soit un simulacre l'énervait au plus haut point. Comment pouvait-on jouer avec la vie de ces gens, devait-il se dire ? Sarouh n'en pensait pas moins. Le procédé n'était pas très noble. Mais les ninjas ne sont pas des samouraïs, se rappela-t-il doucement. Et l'amitié entre les Villages sauverait sûrement plus de vie que l'attaque de bandits minables ne causerait de dégâts. Il l'espérait.
— Nous avons à présent pour ordre de protéger la ville de l'assaut, et de nous assurer que ça soit le dernier. Cela implique de traquer et éliminer tous les traînards puis de capturer le chef, vivant. Obtenir un échantillon de la drogue est également une priorité. Au moindre doute, Gomaki peut prendre le commandement et intervenir. Afin d'être les plus efficaces possibles, nous gardons la même organisation pour la première partie de la nuit, Gomaki intègre les patrouilles en soutien. En fonction des forces en présence, nous adapterons la formation.
Le Masaka se tourna vers la carte placardée sur un tableau derrière son bureau. Il tapa du dos de la main sur plusieurs emplacements :
— Nous avons l'autorisation de piéger ces zones-ci, les civils sont interdits de sortie ce soir et toute blessure collatérale ne saurait être retenue contre nous. J’insiste, la consigne n’est plus d’épargner les brigands au possible, mais au contraire d'éliminer sans égards tous ceux qui remettent en cause la suprématie des Villages. Ai-je été bien clair ?
Tous acquiescèrent devant la manifestation de leurs pires pressentiments. La mission de protection avait dévié vers l'éradication. C’était un massacre et aucune couche d’hypocrisie ne suffirait à les protéger.
Pourtant, cette nouvelle série d'ordres était relativement bien accueillie, notamment côté Chikarate. Personne n'était d'accord avec l'idée de laisser sévir des brigands dans la région. L’amertume envahit le Chuunin. Tuer ce soir n’allait pas être si dur pour eux, mais avaient-ils seulement conscience des cauchemars qui les poursuivraient ?
Il secoua la tête et avança. Mieux valait ne pas y penser. L’équipe Sud prit position, alors que le jour faiblissait seulement. Ils pouvaient encore se permettre quelques préparatifs. Piéger les sombres rues de Nikidami fut un jeu d'enfant, où l’Hynomori s’illustra par son excellence.
— Pour une marionnettiste, les pièges sont un peu une seconde nature, s'excusa-t-elle presque devant le regard curieux de ses camarades.
Dans un silence efficace, tous s’affairèrent à transformer le quartier en traquenard mortel, exploitant toute la panoplie classique des ninjas. Sarouh tendit un fil d’acier à Izul, destiné à cribler de lames le pauvre bougre qui aurait le malheur de le couper. Son regard glissa vers Nika, absorbée par l’installation de fléchettes empoisonnées prêtes à jaillir au moindre faux pas. L’adolescent trouva la scène presque irréelle : les deux jeunes femmes préparaient ces pièges mortels avec la même sérénité que d’autres s’affaireraient sur un métier à tisser.
L'équipe Masaka les informa bientôt être arrivée au même résultat. Gomaki, non loin du centre ville, s’informait de l'état de l'avancement de la préparation, afin de pouvoir intervenir à tout moment.
Bien que toutes les fibres de son corps étaient révulsées par sa mission, Sarouh se détendait, entourée par les deux kunoichis. Il se voyait un peu en elles, leur manque de confiance rappelant le sien. La noblesse qu’il percevait dans leur comportement nourrissait ce sentiment. Au fond, il se sentait à sa place, juste avant le carnage. L’adolescent était dégoûté de son hypocrisie. Au moins allait-il pouvoir protéger encore un peu leur innocence.
Retenant un soupir, le Chuunin se tourna vers Kazuo, silencieux derrière eux. La leçon avait porté ses fruits. Sarouh savait que l'exubérance du Sabishii reviendrait dès leur retour à Gensou, mais pour l’instant, il appréciait son calme. Pourtant, une pointe de culpabilité le piqua : l’isoler juste avant l’épreuve à venir n’était pas idéal. Il corrigerait le tir. Peut-être commençait-il à penser comme un chef d’équipe, finalement.
Une fois tout en place, il invita les Genins à s’asseoir en cercle sur le toit d’un bâtiment surplombant les remparts sud-est. Il ne restait plus qu’à tuer le temps. D’un ton faussement détaché, il lança la conversation :
— Alors les filles, ça fait longtemps que vous êtes Genins ? Vous avez toujours été dans la même équipe?
— Pourquoi ? demanda Izul, hésitante.
— On va faire connaissance. Sauf si vous avez mieux à proposer ? J'ai oublié mon jeu de cartes.
Il montra ses poches vides, inutilement théâtral. Un début de sourire apparu sur les lèvres de son infirmière, alors que la marionnettiste persistait dans son silence impassible.
— Je croyais qu'on avait pas le droit de draguer, Tsumyo, persifla Kazuo.
—Tu n'es pas invité à la conversation parce que tu es un boulet, ça n'a rien à voir.
Les deux jeunes femmes rirent doucement de la remarque, apaisant le Sabishii qui se sentit alors intégré à la conversation en acceptant totalement son rôle de clown. De toute manière, il n'avait aucune chance avec la kunoichi aux cheveux bleus clairs. Le dragueur invétéré s’en rendait bien compte, et il effaça la pointe de tristesse qu’il en ressentit. De ses adorables mimiques à ses sarcasmes tranchants, tout chez la jeune femme le séduisait. Et ce n'était pas Sarouh qui allait le contredire, clairement pas indifférent à son charme. Ni à celui de sa plus réservée comparse, d'ailleurs.
Les deux Genins faisaient la paire. La marionnettiste contrastait tout en discrétion avec sa camarade. Là où Izul n'était que bleu clair, ses cheveux étaient d'un noir foncé intense, où se mêlaient certaines mèches teintes en violet profond, qui se dégradaient de rouge ou de nuances de bleus. Sa frange ne suffisait pas toujours à cacher ses yeux verts foncés. Aussi fines et grandes l'une que l'autre, le jeu des couleurs n'en était que plus saisissant.
Tranquillement installés, ils purent prendre un peu le temps de se calmer et de se regarder, pour de vrai cette fois. Si le Gensouard s'était relâché, on pouvait en dire autant de ses camarades. Le Chuunin inspirait une espèce de confiance joyeuse aux deux jeunes femmes. Son sacrifice du premier soir avait eu son petit effet, mais il bénéficiait surtout de la comparaison avec son glacial collègue. Elles se sentaient bien mieux avec lui que dans le groupe au Nord.
— Alors, vous tenez le coup ? s'enquit Sarouh.
— Pardon ? siffla Izul, sur la défensive.
— C’était supposé être une mission tranquille, je m’assure juste que tout va bien.
Les Chikarates se regardèrent, surprises. Définitivement, elles trouvaient ça étrange tant de sollicitude. Nika dissimula sa gêne sous ses mèches, alors qu’Izul conservait son air tendu.
— Si vraiment vous avez besoin d'une raison, vous n'avez qu'à vous dire que j'ai besoin de connaître votre état mental pour savoir si vous allez flanchez ou pas ce soir. Mais avouez quand même que c'est moins sympa.
La future médecin lui accorda un petit sourire et plongea son regard dans le sien, toujours sans répondre. Elle rendit finalement les armes d’un petit mouvement de la main, comme pour éloigner l'insecte métaphorique que représentait leur gêne.
— Ça va beaucoup mieux maintenant. Hier était rude, mais nous avons repris nos esprits. Quelque part, je suis même satisfaite que ça se soit passé comme ça. Je préfère savoir qu'on aura fait le ménage.
— Oui, ajouta timidement Nika. Je suis inquiète pour les villageois, nous devons les protéger.
— Et puis ça nous a permis de se rencontrer ! renchérit Kazuo, ponctuant le tout d'un clin d'œil envers Nika, lui faisant instantanément monter le rouge aux joues.
— Parfaitement, enchaîna Izul, fichant de nouveau son regard dans celui du Tsumyo, le vert clair rencontrant l'émeraude. Quelle providence.
Ce fut au tour du Gensouard d'être gêné, malgré l'ironie mordante perceptible. La douce ninja prouvait encore une fois qu’elle avait du caractère. Ce petit jeu cessa rapidement, au bonheur de la demoiselle aux cheveux violets, la conversation dérivant sur des sujets plus banals entre ninjas. Des anecdotes de l’Académie aux premières missions, ils échangèrent de plus en plus librement. De leur légèreté, Sarouh put confirmer que personne n’était ici passé par les mêmes épreuves que lui.
— J'aimerais bien retrouver une technique perdue par mon clan il y a longtemps et devenir plus forte que mon père ! finit par affirmer Nika, étonnamment fougueuse.
Alors que les différentes motivations des adolescents étaient au centre de la conversation, elle montrait de la passion pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Et s'il y avait une chose que le Tsumyo pouvait respecter, c'était l'amour filial. Dans sa voix résidait une force inattendue venant de la timide Hynomori, comme si elle les défiait de se moquer de son objectif, ce que personne n'avait envie de faire en réalité. Izul s’apprêtait à prendre la parole lorsque la brutale réalité se rappela à eux par plusieurs détonations.
— Ca pète de notre côté, informa Sarouh dans un soupir après avoir enclenché son micro. Du nouveau au Nord ?
— RAS pour le moment, répondit la voix grésillante de Chihousou à son oreille. Gomaki arrive de votre côté pour s'assurer que rien ne se passe. Je vais faire la chasse de mon côté, en solo, pour éviter un autre fiasco.
Le Tsumyo pouvait sans peine l'imaginer fusiller du regard le reste de son équipe en déclarant cela. Cela serait dommage de passer pour un type sympa une seule seconde.
— Entendu.
Le Juunin arriva presque immédiatement, donnant l'air de revenir d'une marche tranquille alors qu'il avait traversé la moitié de la ville en un battement de cil. Il s'alluma une cigarette en faisant un signe de tête au Tsumyo. Il n'y avait pas encore besoin qu'il prenne les choses en main, c'était au Chuunin de gérer ça comme il l'entendait. Les choses furent organisées simplement : aller-retours entre les pièges, achever à distance et sans prendre de risque les blessés. Sarouh s’occuperait lui-même de s’assurer qu’aucun insecte n’avait échappé à leur toile. Au moindre doute quant à l’efficacité d'un piège, ce serait à la marionnette de Nika de prendre les devants. Si l'idée ne l'enchantait pas, elle se rendit rapidement à son avis : mieux valait risquer du bois que leurs vies. Le Chuunin réprima ses émotions diffuses avec l’expertise de l’habitude, et le nettoyage commença. Si la stratégie du jeune homme n'avait rien d'honorable, elle ne manquait pas d'efficacité.
Il essayait tout de même de se charger des corps les plus amochés, se gardant d'exposer les deux jeunes femmes aux jambes déchiquetées des bandits, qui rampaient douloureusement en pleurant sur le sol détrempé. Ce n'était pas beau à voir. Sarouh poursuivit sa macabre besogne, implacable. Les fléchettes empoisonnées et les fils tranchants étaient un peu plus propres. Retenant son envie de vomir, il acheva un dernier homme de main d'un coup sec de katana. Ses troupes souffraient de ce moment. D’un regard, il vit les doutes, les peurs et la douleur.
Qu’importe la haine qu’ils ressentaient quelques heures plus tôt pour les brigands, les entendre supplier pour leur vie, ou pire, prétendre qu’ils faisaient tout ça pour leurs enfants, était une torture. L’âme des adolescents se tordait de la douleur qu’ils infligeaient à chaque fois que l’acier s’abattait. Malheureusement, Sarouh ne trouva rien à dire pour les apaiser, face à ses démons. Il leur fallait endurer. Le soldat raffermit sa prise sur Aura et l’abattit à nouveau d’un coup sec. Une tête roula sur le sol boueux.
Un ordre grésilla alors à ses oreilles, héraut de mauvaises nouvelles :
— J'ai trouvé le big boss, fit Chihousou, haletant. Tsumyo, on ne sera pas trop de deux équipes. Magnez- vous ou ça pourrait vite dégénérer.
— Bien reçu.
Un frisson d’inquiétude parcourut l’échine du Chuunin, le sortant de sa trance. Si cela pouvait être réglé simplement, les griffes de fer du géant blond seraient déjà plantées dans le corps du chef, prêt à envoyer le paquet direction Chikara. La fatigue perceptible de son camarade était inquiétante. Ils finirent les condamnés et d’un seul homme l'escouade Sud se jeta à leur encontre, sans s'attendre à trouver le monstre qui croisait le fer avec le Masaka…
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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU