Les Chroniques d'un shinobi
Chapitre 18 : Echange de bons procédés
3167 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 07/02/2025 14:33
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Mains dans les poches, Sarouh se baladait rêveusement dans Nikidami. Ses blessures lui faisaient moins mal, presque revenu à son état de forme nominal. Douleurs mises à part, ses muscles répondaient parfaitement. Vu les circonstances, il ne pouvait en demander plus. Les rues pittoresques se succédaient sous ses yeux, sans que le ninja n’y prête attention.
La volonté de devenir fort au plus vite, et l'impatience de finir cette mission le rongeaient. Pourtant il rechignait à revenir à Gensou. Pour y faire quoi ? Ses parents étaient en mission et il n'avait plus de nouvelles de son ancienne équipe. Et la simple idée d'y croiser Masiku lui donnait la nausée. Finalement ce n'était pas l’Arabara, mais un Maboroshi qui l'avait remplacé au sein de son équipe d’origine, désormais tous de fiers Chuunins. Quelque part, l’affront était pire.
Au moins, Chiraku serait satisfait par le degré de prestige qu'avait désormais son petit groupe, cracha-t-il en son for intérieur. Comble de l’ironie, malgré tout ce qui s’était passé, Asori lui manquait. Une part de Sarouh aurait aimé la voir le féliciter, à sa promotion. L’amertume alourdit le corps du jeune homme à cette pensée. Déjà à l’époque, les choses auraient été différentes s’il avait été plus fort. De nombreuses personnes avaient gravité autour de lui cette dernière année. Finir seul n’en était que plus rude. Le Chuunin secoua doucement la tête. Il avait passé son temps à essayer de ne plus penser à eux, ce n'était pas pour invoquer ses vieux démons ici.
Le vacarme de ses pensées ne couvrait pas le bruit ambiant. La ville était en totale ébullition, dénotant complètement avec son calme nocturne. Les gens n'étaient que nuisance pour Sarouh et ses impressionnantes cernes. Ils braillaient et polluaient la place de leur simple existence. Encore une fois, ses pensées se dirigèrent vers la Grande Cascade dont le ronronnement régulier l'apaisait depuis toujours. Peut-être que le Village lui manquait au final.
Au détour d’une ruelle, il aperçut le maire, en pleine dispute avec son chef temporaire. Un sourire mesquin déchira son masque d’indifférence, avant de poursuivre son chemin. Le duel de réputation entre les deux Villages lui passait au-dessus de la tête.
La vocation formatrice de l'expédition avait pris un tournant beaucoup plus sanglant que prévu et le seul bénéfice retiré de toutes ces conneries avait été de se faire empaler pour sauver une Genin qu'il ne reverrait sans doute plus. La mascarade des Trois sonnait comme un sordide enfantillage aux yeux du soldat blessé. Les pensées agitées, Sarouh craignait la suite des événements.
Logiquement, ils auraient dû en rester là et laisser un noyau dur de brigands se reformer, permettant aux Villages de littéralement moissonner Nikidami chaque année, par la reconduction de cette mission de formation. Maintenant, ils allaient sûrement devoir éliminer toute menace et ramener le chef en un seul morceau, à la fois pour le bien de l’investigation mais également pour celui de la réputation des shinobis.
Son mauvais pressentiment se renforçait à chaque minute et il avait pris l'habitude de s'y fier. C'est donc un Chuunin maussade qui manqua de percuter le Juunin qu'il cherchait pourtant. Son éternelle clope à la bouche, Gomaki semblait aussi perdu dans ses pensées que lui. Ils avaient tous deux évité l’allée principale par nature et se retrouvaient au coin d'une rue relativement silencieuse et non loin du bâtiment qui leur avait servi de quartier général les deux premiers soirs. La voix chaude du trentenaire le réveilla :
— Oh, Tsumyo. Excusez-moi, j'étais perdu dans mes pensées.
Respectueux et poli, comme à son habitude, le Chikarate semblait partager son étrange état d'esprit, que le Chuunin s'efforça de dissimuler au profit d’un message plus positif :
— Je vous cherchais justement. Je tenais à vous témoigner ma plus sincère gratitude pour les soins que vous avez aidé à me prodiguer. J'ai déjà remercié Izul mais…
Il s’interrompit en détournant le regard. Dire que le message n’était pas bien passé était un euphémisme. Le Juunin sembla comprendre, puisqu’il lui répondit en le gratifiant d’un sourire chaleureux.
— Ce n'est rien. Je n'allais pas laisser mourir un camarade shinobi des mains d'un vulgaire brigand. Je n'oublie pas que vous vous êtes mis en danger pour sauver une de mes élèves. Pour cela, c'est moi qui vous suis redevable.
A la grande surprise du Tsumyo, il s'inclina bas. L'affection qu'il portait à ses Genins toucha Sarouh. Inconfortable face à cette démonstration de vulnérabilité, il enchaîna en balayant d’un revers de la main les propos de Gomaki :
— Si c'était à refaire, je le referai. Malheureusement, la suite de mon discours risque de moins vous plaire.
— Comment ça ? Vous avez des informations supplémentaires pour ce soir ?
Sarouh marqua une hésitation avant de se lancer :
— Non. Je vais vous exposer mon problème, mes conclusions et vous allez me dire ce que vous en pensez. Essayez de ne pas vous énerver avant que j'ai fini, je vous prie.
Ce fut à son tour de s'incliner. La surprise s'invita dans le regard du shinobi expert. Une autre mauvaise nouvelle ? L'inquiétude le gagnait, bien qu'il n'en montrât rien. Qu'est-ce que ses élèves pouvaient bien avoir encore fait ?
— Je t'en prie, Tsumyo. Tu permets que je te tutoie ?
— Bien sûr, ça sera plus facile pour moi aussi.
Après une courte pause, Sarouh reprit :
— Avant Nikidami, nous étions chargés de livrer un héritage à un autre village dont le nom ne revêt ici aucune importance, chose pour laquelle nous avons été grassement payés. Ne vous étant aucunement utile, nous ne vous avions pas transmis l'information jusqu’à ce que Kazuo se sente pousser des ailes afin de se rapprocher d’Izul.
Jusque là impassible, Gomaki fronça les sourcils à cette précision. En professeur protecteur, Sarouh se doutait qu'il ne tolérerait aucune forme d’irrespect, et encore moins d’harcèlement envers ses élèves.
— Ne vous en faites pas, je l'ai déjà remis à sa place pour son manque de professionnalisme et je pense savoir que Chihousou n'a pas été tendre avec lui non plus.
Le Myô garda le silence, seulement interrompu par l'expiration de sa fumée, visiblement en attente du rapport avec ses élèves.
— Cet argent dont seuls nous et vos protégés connaissions l’existence a disparu, révéla Sarouh avec gêne. Chihousou prendrait trop de risques à me le voler et Kazuo m'aurait tout révélé s'il était fautif. Il ne reste donc que vos élèves.
Le Chuunin laissa le silence s'abattre sur eux à son tour, le temps que son vis-à-vis mesure la portée de ce qu'il annonçait. Rien dans le comportement de Gomaki ne lui permettait d’avancer dans ses déductions. Face à son impassibilité, Sarouh reprit méthodiquement, se résignant par avance à l'échec de son plaidoyer :
— Izul s'en voulait bien assez pour avant-hier, je ne pense pas qu'elle soit impliquée. Mon échange avec Tokri m'a un peu appris à le jauger, je serais très surpris qu'il soit du genre voleur. Mes soupçons se portent donc, faute de mieux, sur Mutika.
Une lueur d'intérêt passa dans le regard du Juunin. L'esprit de déduction du Gensouard se mêlant à son instinct avec une certaine acuité piquait un peu la curiosité du Chikarate, qui pensait sincèrement ses élèves innocents.
— Si vol il y a bien eu, je ne suis au courant de rien. Tu dirais à ton supérieur que tu as volé un shinobi partenaire?
Encaissant personnellement la réplique, Sarouh détourna brièvement le regard.
— Si c’était dans le cadre de la mission, peut-être.
Un ange passa, le Chikarate inspirant sur sa cigarette, subterfuge évident pour gagner du temps avant de répondre :
— Ce n’est pas le cas. Ces accusations sont graves, Tsumyo. Je ne peux pas te laisser les traiter de voleur de la sorte.
— Je n'affirme rien pour le moment, précisa un Sarouh sur la défensive. Je vous demande juste la permission officieuse d’interroger Mutika Oroshi. Officiellement, cela n’apparaîtra nulle part. Nous préférerions tous nous passer de rapports avec une commission disciplinaire.
— Nous verrons après la mission, souffla le trentenaire. Pour l'instant nous avons plus urgent à gérer et la soirée risque d'être longue. Si d’autres informations me viennent, je vous les transmettrai personnellement. Sois assuré de notre totale coopération.
Cela ne souffrait aucune contestation. Le Gensouard salua avec rigidité avant de s’éloigner, frustré. Il entendit Gomaki qui l’apalgua une dernière fois :
— Repose toi bien cette nuit. Nous aurons tous encore besoin de toi.
Sarouh fut surpris de la douceur de son conseil et de la compassion qu’il y perçut. Après une dernière courbette, il prit congé.
Quand il fut hors de vue, le ninja soupira en se passant la main dans les cheveux. Les chances d’obtenir cette entrevue et de récupérer ses biens, tout en respectant ses contacts diplomatiques étaient faibles. Cette énième source d’agacement était de trop. Il lui fallait se détendre.
Sarouh n'avait pas eu un moment de sérénité depuis des mois, cela commençait à lui peser. Entre la pression constante, les humiliations répétées de l'examen, et le chaos de cette mission, rien d’étonnant à l’apparition de fissures dans sa carapace. A son retour, il serait sûrement affecté à une autre équipe. Il se surprit à espérer une nouvelle chance d’effacer son ardoise.
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En recherche de calme et de solitude, ses pas le menèrent finalement à un coin boisé, à la périphérie de la ville. Il sut que c'était raté pour cette dernière en voyant au loin un kunai s'enfoncer profondément dans le bois dans un claquement sec, manquant de couper en deux un chêne manifestement victime d'un acharnement considérable. Pantelant, Tokri Utak s'équipa d'un autre kunaï. Tout à son entraînement, il n’avait pas encore aperçu le Chuunin. Une colère froide semblait imprégner chacun de ses jets, une expression crispée placardée sur le visage.
Sarouh s'arrêta pour l'observer un temps, adossé à un arbre. Projectile après projectile, il finit par comprendre que le Genin insufflait un Chakra Fuuton à ses armes avant de les envoyer se ficher dans le bois. Après un moment, l'illusionniste cru saisir la raison de ses résultats mitigés. Il se mordilla le bout du pouce, en proie au doute. Est-ce que c'était vraiment son rôle d'aller l'aider ? Son aide serait-elle bien reçue ?
Pendant qu'il tergiversait, il prit le temps de détailler son collègue d'une mission. Moins grand que lui, des cheveux noirs et le teint basané, Tokri était exactement ce qu'on pouvait imaginer d'un ninja des Sables. Large d'épaule sans être un molosse, il était bien dessiné et sa carrure supposait une grande force. Le Tsumyo avait eu le loisir d'y goûter. Le Genin semblait prometteur. Par son travail et ses capacités, il forçait le respect. Sarouh se maudit, incapable de lutter contre l’instinct qui l’obligeait à l’aider, avant d'aller rejoindre le Chikarate en arrivant lentement dans son champ de vision.
— Salut. On se tue à l’entraînement ?
Tokri se raidit en entendant ces paroles. Probablement qu'il avait envie d'être seul. Et des personnes qui pouvaient le déranger, le Gensouard était sûrement une de celles qu'il avait le moins envie de voir.
— Je peux savoir ce que tu fous là, Tsumyo ? Le quota d'humiliations est déjà rempli.
Au moins, le ton était donné. Sarouh ignora la remarque cinglante en levant les mains en signe de paix, tout en se rapprochant :
— J'essayais d'échapper au bruit. Je crois que je préfère encore la nuit et ses brigands que le bordel qu'ils font. Et je suis tombé sur toi.
— Ne ferais-tu pas mieux de passer ton chemin alors ? Tu n’es plus en état de fanfaronner.
— J’en ai bien l’impression, concéda Sarouh avec un sourire, montrant son ventre pansé avec désinvolture. Besoin d’un coup de main ?
— Et qu'est-ce qui te fait croire que j'en ai besoin ?
— Manifestement, le contrôle du Chakra, c'est pas ta spécialité.
— Si c'est juste pour me dire ça… grogna l’Utak, laissant une forme de menace en suspens.
— Ne sois pas autant sur la défensive, j'ai dit que je pouvais t'aider.
— Et qu’y gagnes-tu ?
Sarouh se mordit l'intérieur de la joue gauche en une moue gênée. Il n'en savait rien et avait spontanément eu envie de proposer son aide. C'était dans sa nature. De plus, quelque chose chez Tokri lui rappelait Cac'. La nostalgie des entraînements avec elle le poussait-il à aider le Chikarate ? Rien n'était moins sûr. Il finit par lui répondre, yeux dans les yeux et sourire de façade bien en place :
— Disons que je suis un bon samaritain ?
— Mouais, lui répondit-il, dubitatif. C’est bien faible, comme raison. Et qu'aurais-je à apprendre d'un Chuunin qui trouve le moyen de se blesser le premier soir de la mission ?
Décidément, il ne faisait rien pour se rendre sympathique. L'espace d'une petite seconde, Sarouh considéra l'idée de s'en aller et de le planter là en difficulté avec son malaxage. Puis il expira doucement, sans réussir à réprimer totalement son agacement.
— Le prochain coup, je la laisse se faire couper en deux, promis. Les Gensouards ont pour spécialité le genjutsu. De tous les arts ninjas, c'est peut-être celui qui demande le contrôle le plus fin du Chakra. De fait, je crois comprendre ce qui te manque.
Tokri le dévisagea, sceptique. Était-il sur la défensive à cause du cadre de la mission, où ils avaient comme objectif secondaire de s'en prendre à leur réputation mutuelle, ou ne comprenait-il tout simplement pas le concept d’altruisme ? Du genre à douter de tout et de tout le monde ? Sarouh n’allait pas lui jeter la pierre. Alors qu’il allait définitivement l’abandonner, le guerrier des Sables l’interrompit :
— Bien. Et que me manque-t-il, selon toi ?
— Un bon malaxage.
Le Chikarate ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Apparemment, il avait entendu cela des tonnes de fois. Le Tsumyo précisa immédiatement sa pensée, avec le même ton professoral que lors de ses entraînements à Gensou.
— Malaxer son Chakra n'est pas un exercice si générique. Pour chaque application, tu dois avoir une image bien particulière en tête, en fonction de ton affinité et de ta personnalité. C'est ce qu'on appelle l'imagerie mentale dans les bouquins. Est-ce que tu maîtrises des exercices de contrôle de base ?
— Ne me prends pas pour un idiot simplement parce que tu m'as battu. Je sais marcher sur des surfaces verticales.
— Et marcher sur l'eau ? Ou peut-être sur des sables mouvants, étant donné d'où tu viens ?
— Jamais eu l'occasion d'essayer.
— Suis-moi.
Sans vérifier si l'Utak s'exécutait, il partit à la recherche de la rivière qui coulait non loin d'ici. Cette dernière traversait le village, au cœur de la zone de surveillance d'Izul lors de la première nuit. Une fois arrivé, il constata que le Genin le suivait effectivement, intrigué. Sa méfiance avait cédé le pas à la curiosité et au désir de devenir plus fort.
Avec un naturel écoeurant, Sarouh se plaça au milieu de la rivière.
— Essaie, comme si tu grimpais à un arbre. Tu vas vite comprendre où je voulais en venir.
Sans perdre une seconde ni s'interroger plus que ça, son élève du jour tenta et tomba dans l'eau avant même son deuxième pas.
— Pourquoi ? Je n'avais aucune stabilité ! Je suis pourtant sûr de ma technique !
— Pour marcher sur la cime d'un arbre, tu dois mentaliser une adhérence, sur l'eau c'est légèrement différent. Tu dois imaginer quelque chose de plus diffus, comme un coussin d'air que tu ferais circuler sous tes pieds et qui continuerait sous l'eau.
Sarouh fut surpris de ne pas entendre de réplique cinglante. Il ne percevait que de la concentration et de la frustration de l’Utak, désormais prêt à lui laisser le bénéfice du doute. Ne laissant pas passer sa chance, il continua :
— C’est exactement là où je voulais en venir tout à l’heure. Techniquement, c’est également plus difficile que l’arbre, normal si le second essai n’est pas concluant.
Tokri rejoignit la berge, aussi trempé qu’agacé. Il avait saisi l'idée, mais n'était pas encore convaincu. Appliqué, il refit un essai et pu faire quelques pas avant de perdre l'équilibre. Le progrès immédiat du Chikarate montrait que son homologue avait vu juste. Il fallait désormais qu'il s'approprie l'exercice et se crée ses propres ancres mentales, nécessaires à la réalisation de jutsus plus complexes. Le Genin progresserait bien plus vite désormais. Sarouh masqua un sourire satisfait.
— Maintenant que tu vois l'idée, on peut reprendre l'entraînement ? J'aimerais aussi savoir insuffler du Fuuton dans mes armes.
Il avait glissé cette phrase sur le ton de la confidence, dans l'espoir que Tokri lui fasse un peu plus confiance, faisant fi des conseils de sa mentor. Après un blanc, le Genin demanda :
— Double affinité ?
— Oui, malheureusement, je ne suis pas très doué. Maîtriser deux types de ninjutsu est beaucoup plus difficile. Je suis bien plus à l’aise avec le Suiton.
Une lueur impressionnée passa dans le regard de l’Utak, qui se montra bon joueur en se pliant à son caprice. Il lui répéta au mot près ce que lui avait enseigné Gomaki. Retournant dans les bois, ils se mirent à deux sur les pauvres arbres qui demandèrent vite grâce. Tokri progressait beaucoup plus vite, et le Chuunin se hissa rapidement à son niveau. Lorsque le ciel se mit à décliner, ils se séparèrent avec un signe de tête, sans un mot de plus. La fatigue et ses blessures se rappelèrent à lui.
— A la sieste. Vivement que je rentre, putain.
Sur cet excès de grossièreté, aussi unique qu’insuffisant, le représentant de la Cascade se dirigea vers son hôtel, l’épuisement le disputant à la satisfaction.
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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU