Les Chroniques d'un shinobi
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y
****
Convaincu que leur entraînement allait débuter dès le premier jour, Tokri se retrouvait finalement à tuer le temps dans sa chambre. La cible accrochée à la porte était criblée de poignards plantés avec rage depuis son retour au domicile. Allongé sur son lit, faisant tourner un kunai d’un doigt, l’adolescent ruminait les pensées se bousculant dans son esprit.
L'Utak était ravi d’avoir Gomaki comme sensei et s'entendait bien avec Nika, lui étant infiniment reconnaissant de son aide face à Hika. Au fil des missions qu'ils livreraient ensemble, l'occasion se présenterait bien vite de lui rendre la pareille. Quant à Izul, le jeune homme se doutait qu'il aurait de nombreuses choses à apprendre de la meilleure élève de leur promotion. Restait le dernier membre de l'équipe. En repensant à son ancien meilleur ami, un mélange confus de nostalgie et de rancune l'envahissait. A quel point sa mère lui avait-il mis la pression pour les éloigner ? Quoiqu'il en soit, l'Utak n'avait aucune envie de faire le premier pas vers celui qui avait choisis de sacrifier leur amitié par commodité familiale. Et en vue des premiers échanges de regards entre les deux, il était presque certain que le rouquin partageait ce sentiment.
Une pensée ne pouvait quitter l'esprit de Tokri : Okioto était derrière tout cela. Le Juunin avait bonne réputation et il lui était certainement possible d'influencer les affectations, comme l'avait autrefois fait Bril pour lui-même. Son frère avait toujours apprécié Mutika et insistait bien trop fréquemment au goût de Tokri sur l’efficacité de leur duo. La composition strategique de l’unité ne faisait que confirmer ses soupçons, dont le mentor était un ami de la famille. De plus, Okioto s'était grandement intéressé aux détails techniques du combat contre Hika, suffisamment pour avoir l'idée de greffer Nika à ses côtés. Enfin, que la major de leur promotion soit mystérieusement affectée à l'équipe de deux cancres n'était qu'une pièce de plus dans sa théorie.
Allongé sur son lit et maugréant sa mauvaise humeur, Tokri stoppa le kunai face à son visage et fit glisser son doigt le long de la ligne avec lequel il jouait depuis quelques minutes, réfrénant un frisson en sentant le tranchant de la feuille de lame, munis au pommeau d'un anneau afin d'attacher une corde ou un parchemin. Lorsque la poignée s'enclencha, le Genin envoya sa lame vers le loup hantant actuellement ses pensées, saisit naturellement par le Juunin, juste devant son visage.
— Tu as gagné en précision, le complimenta le gradé en faisant à son tour tournoyer le projectile.
— Si tu le dis, répondit froidement Tokri.
Nullement inquiet par le ton cinglant de son cadet, Okioto prit tranquillement place au pied du lit.
— Quelque chose te tracasse ? demanda-t-il en un sourire chaleureux.
— Mon affectation, répliqua sèchement Tokri.
— Tu apprécies Gomaki et cette Hynomori, non ? s’étonna Okioto, feintant de ne pas comprendre le soucis.
— Mutika, grinça Tokri, le reproche nullement voilé dans la voix.
Bras croisés, Okioto leva les yeux au ciel.
— Ne fais pas l’enfant, soupira Okioto. Tu ne voulais pas te trimballer des bras cassés, te voilà servis.
— Je me serais bien passé du traître, rétorqua Tokri, un rictus sarcastique au coin des lèvres.
— Nous savons tous deux ce qu’est une véritable traîtrise, lui rappela t-il fermement, arrachant un pincement de lèvre à son cadet au souvenir de Uril.
Considérant le stérile débat clos, Okioto lui tendit un livre intitulé « Le vrac des arts ninjas mortellement délaissé». Abîmé et rapiécé par endroit en témoignage de son vécu, Tokri en feuilleta quelques pages.
— C’est un manuel qui m’a été fort utile à mes débuts, lui expliqua Okioto. Occupe efficacement ton temps au lieu de ruminer tes rancœurs.
Le Juunin quitta la pièce, laissant son cadet découvrir l’ouvrage présentant diverses astuces et artifices remontant à un temps antérieur à la découverte du Chakra. Un tour retint particulièrement son attention, un procédé permettant de manipuler ses poignées pour se défaire de ses liens. Enseigné à l'Académie durant ses années de perdition, Tokri n'avait pas eu le temps de s'y exercer lors de son année de rattrapage.
Comprenant qu'il n'avait plus qu'à se conformer à la situation, le jeune Utak demanda son aide à Okioto, déjà plongé dans ses dossiers, pour entraver fermement ses poignets. De retour dans sa chambre, il effectua une série de brefs mouvements afin de desserrer progressivement ses entraves, mais fut surpris de la difficulté de l’exercice. Son frère avait-il volontairement augmenté la difficulté de l'exercice ?
Lorsque la nuit enveloppa le Village du Désert, Tokri n'était toujours pas parvenu à se libérer. De sa chambre, il entendit son frère lui annoncer qu’il serait privé de dîner tant qu’il n’aurait pas achevé son entraînement. Pestant contre le sadisme de son aîné, le Genin persista une heure de plus, jusqu’à atteindre enfin son objectif. La faim éclipsant sa rancune, l'adolescent rejoignit son frère et s’installa face à lui, qui affichait une mine étonnamment soucieuse. Perdu dans ses pensées, il ne réagit pas à l’approche de Tokri, qui reconnut le symbole en forme de sablier sur une enveloppe décachetée posée non loin de l’assiette du Juunin.
— Quelque chose ne va pas ? demanda le Genin, soudainement anxieux.
— Demain dès l'aube, je pars pour Mahou, l’informa abruptement Okioto en désignant la missive d'un signe de tête.
Quelques secondes de silence s’écoulèrent, permettant à Tokri d’assimiler l’information. Le Genin fixa longuement son aîné, cherchant des mots qui ne vinrent pas. Las, il haussa les épaules, un sourire triste étirant ses lèvres. Que pouvait-il dire, de toute façon ?
Trop de décisions au goût de Tokri ne leur appartenaient pas.
— J’y ai un intérêt personnel, ajouta doucement Okioto. L’un de mes contacts devait m'aider de longue date à apprendre un jutsu particulièrement complexe. Autant joindre le devoir à l'utile.
— Tu n’as jamais eu besoin de partir pour parfaire tes techniques, lui fit remarquer Tokri, haussant un sourcil de surprise.
— C’est différent cette fois-ci, lui assura Okioto en un sourire amusé par la naïveté de son frère. Le climat de Mahou est parfait pour l’apprentissage du Hyoton. J'ai obtenu une autorisation pour y prolonger mon séjour comme agent de liaison, une fois cette mission bouclée.
Okioto était l'une des rares personnes possédant les gènes offrant la manipulation de la glace, d’autant plus parmi les Chikarates. Le climat aride du Village n’était guère propice à l’apprentissage de cette affinité. Talentueux, le Juunin était toutefois parvenu à perfectionner son art, envers et contre tous. Tokri aurait aimé en savoir plus sur la technique visée par son frère, mais le regard fatigué d’Okioto lui faisait comprendre que cela devra attendre.
— Combien de temps durera ce séjour ? demanda Tokri, qui n'avait pas envisagé de se retrouver seul si peu de temps après son emménagement.
— Six ou sept mois, répondit Okioto.
Tokri esquissa une moue inquiète. Mahou était l’un des trois grands Villages ninja du Yuukan. Là où Chikara était reconnu pour sa culture du taijutsu, la Forêt l'était pour son ninjutsu, la pure manipulation du Chakra en des sorts bien souvent liés aux éléments. Situé au sein de la plus importante surface boisée du Yuukan, l’Histoire entre les deux cités ninjas était ponctuée de conflits et une forte animosité était encore palpable entre leurs ressortissants. Afin de tourner la page à des siècles de tension, les deux Villages ne perdaient jamais une occasion pour renforcer leurs liens afin de maintenir la paix entre les Trois, signée au terme de la Seconde Grande Guerre. Un effort que s'apprêtait à fournir Okioto.
Devant l’air préoccupé de son frère, il posa une main fraternelle sur son épaule en un réflexe de compassion instinctif.
— Ne t’en fais pas, tu seras tellement pris dans ton entraînement que tu ne remarqueras même pas mon absence, le rassura-t-il avec sollicitude, tout en lui adressant un clin d'œil.
Tokri resta silencieux, emplis de doute. Depuis le meurtre de sa mère, jamais il ne s’était retrouvé seul aussi longtemps, toujours auprès d’au moins un membre de sa famille. L’idée de se retrouver en totale autonomie l'effrayait bien plus que la perspective de n'importe quelle dangereuse mission.
Un court instant, l’adolescent ferma les yeux et prit une grande inspiration. Minuit étant passée, Okioto l’invita délicatement à se coucher, afin de regagner des forces pour son premier jour d’entraînement sous la houlette de Gomaki.
Tokri eut peine à trouver le sommeil, l’esprit torturé. Alors qu'il pensait s'être enfin endormi, il se réveilla en sursaut, tremblotant et en sueur, réveillé par le cauchemar de cette nuit maudite, une main crispée contre son cœur tambourinant sa poitrine de rage et de peine, sans parvenir à chasser l'image de sa mère gisante entre ses petites mains.
****
Sa nuit entrecoupée de cauchemars eut raison de la bonne volonté du Genin aux cheveux de jais. Lorsqu’il arriva au point de rendez-vous, Tokri constata que ses équipiers l’attendaient. De mauvaise humeur, l’Utak s’excusa à demi-mot et remarqua que Mutika, Nika et Izul semblaient déjà épuisés. L'entraînement avait-il commencé sans lui ? Il n'avait pourtant qu'une vingtaine de minutes de retard.
— Je viens d'évaluer le niveau de tes partenaires, l'informa posément Gomaki face au regard interrogatif de Tokri.
— Quel genre de test ?
— On se bat, répondit froidement le Myô.
Étonné par le ton employé par son sensei, ordinairement bien plus jovial, Tokri suivit le Juunin jusqu’au centre du terrain.
— Ne devriez-vous pas éteindre cela ? suggéra Tokri en désignant la cigarette en bouche du Myô.
— Pourquoi donc ? répliqua Gomaki en expirant un trait de fumée.
Décidé à ne pas se laisser décontenancer, Tokri saisit trois shurikens dans chaque main et les projeta vers Gomaki. Sans lui laisser le luxe de percevoir son mouvement, le Juunin se saisit d’un kunai et para sans effort. L’Utak se précipita vers lui et effectua une glissade au dernier moment pour passer sous les jambes de son mentor. Tokri s'apprêta à frapper mais fut paré du genou, après que le gradé se soit retourné avec vivacité. Lâchant son kunai, Gomali l’envoya mordre la poussière d’un solide coup en plein visage. Sonné, le jeune homme se releva avec peine, un mince filet de sang coulant de sa lèvre inférieure.
— Pas de traitement de faveur avec moi, Utak, le prévint froidement le Myô.
L’avertissement lui fit le même effet qu’un nouveau coup de poing, comprenant soudainement la raison de la soudaine sévérité du Juunin. Contrairement à ce qu'il s'était figuré, Gomaki avait remarqué la réaction pleine de dédain de l'Utak suite à la présentation de Mutika. Jetant un œil à son rival qui détourna les yeux de gêne, le Genin aux cheveux de jais repéra que son dernier avait subi le même traitement peu avant son arrivée, marqué d'un bleu au visage.
— A compter de ce jour, je suis à la fois ton sensei et ton supérieur hiérarchique, asséna Gomaki, sans une once de pitié dans la voix. Et je ne tolère en aucun cas l'irrespect de mes subordonnés.
Il inspira une nouvelle bouffée de sa cigarette, puis dit un signe de la main, l’invitant à retenter sa chance.
— Encore.
Tentant vainement de garder en tête qu’il ne s’agissait que d’une évaluation, Tokri prit le parti de ne pas user du Chikara Sen'puu. Sa sortie de l’hôpital ne datait que de deux jours et il n’avait aucune envie de s’offrir un second séjour. L'Utak tenta de multiples feintes, mais ses assauts furent tous déjoués par l'expérience de Gomaki.
— Trop prévisible, constata Gomaki en inspirant une dernière bouffée face à un Utak à bout de souffle. Tes frappes sont puissantes et rapides, mais tu les gaspilles en des mouvement parasites, inutilement fatiguants.
Comme pour clôturer la fin du test, Gomaki expira un trait de fumée et écrasa sa cigarette du talon, avant de l'envoyer dans une poubelle d’une brise de vent produite d'un mouvement de main.
— Commençons votre première leçon. De ce que j'en ai vu, vous maitrisez le malaxage. Mais concernant les garçons, les dosages laissent à désirer.
Le Myô se plaça au milieu du terrain et effectua quelques musras avant d’apposer ses mains au sol. Le sol trembla brièvement sous leurs pieds, avant qu’un mur de plusieurs mètres ne s’érige devant eux.
— Application de base aujourd'hui, annonça t-il. Vous allez monter le long de ce mur, sans vous aider de vos mains. Quelqu'un peut-il la méthode à suivre ?
Sans surprise, Izul leva la main et attendit que Gomaki lui donne la parole :
— En plaçant notre Chakra vers la plante des pieds, exposa la Leïl, scolaire. Pour faciliter les choses, il vaut mieux se faire une image mentale lors de l'exécution, en imaginant une adhésion par exemple.
— Je n'aurai pas dit mieux, déclara Gomaki en gratifiant Izul d'un grand sourire. Cet exercice vous aidera à mieux contrôler vos énergies, tout en perfectionnant une compétence fondamentale pour vos missions.
Gomaki se décala sur le côté pour leur offrir le champ libre. Les filles furent les premières à s'élancer le long du mur, tandis que Tokri et Mutika se jetèrent un regard de défi.
— Traîne pas trop derrière nous, plaisanta maladroitement Mutika, taquin, avant de s’élancer.
Ne goûtant toujours pas à son humour, l’Utak grogna et dirigea son Chakra comme indiqué par Izul avant de se livrer à son tour à l’exercice, l’adrénaline l’aidant à ignorer la sensation de froideur se répandant du bout de ses orteils jusqu'à ses chevilles. En pleine descente, Izul et Nika croisèrent les garçons à qui elles adressèrent un sourire d’encouragement. Bien que partis un peu plus tard que Tokri, Mutika parvint à marquer quelques mètres de plus sur son rival. Ce dernier atterrit avec souplesse, pestant contre son manque de sérieux des dernières années. L'Oroshi avait toujours été le plus doué de leur duo en ninjutsu et n'avait pas attendu la fin de leurs études pour maîtriser son premier Doton. A l'inverse, Tokri avait toujours eu un cran d'avance sur son ami en matière de taijutsu. L'écart entre leurs niveaux respectifs ne semblait pas avoir changé durant l'année qui venait de s'écouler.
Les Genins s'entraînèrent à monter au mur toute cette première journée d'entraînement, exception faite de la pause déjeuner. Izul et Nika parvinrent en milieu d'après-midi à atteindre le sommet et se vouèrent ensuite à une session de méditation en attendant que les garçons réussissent à leur tour. Mutika fut le premier à les rejoindre, suivi de peu par Tokri.
— Nous commencerons nos journées par cet exercice, suivi d'une séance de méditation, les informa Gomaki en guise de conclusion. Lorsque vous parviendrez à gravir ce mur d'un trait, nous enchainerons par un programme de renforcement des bases acquises à l'Académie.
Le programme posé, le Myô prit congé de ses élèves, les laissant seuls décisionnaires de leur soirée. Un léger flottement règna au sein du groupe suite au départ de leur sensei, bien vite alourdis par les regards fuyants entre Tokri et Mutika. Ce fut Izul qui prit l'initiative de briser le malaisant silence, au moment où Tokri s'apprêtait à partir :
— Ça vous dit d'aller boire une limonade en terrasse pour renforcer la cohésion de l'équipe ? Je connais une brasserie sympa près d'ici.
— C'est une bonne idée, approuva timidement Nika.
Ignorant les demoiselles, l'Utak et l’Oroshi leur tournèrent le dos d’un même mouvement.
— Truc de prévu, marmonna Tokri dans sa barbe.
— Pareil, ajouta Mutika sur le même ton.
Sans ajouter le moindre commentaire, tous deux quittèrent le groupe en prenant un chemin opposé à l'autre.
— Autant pour la cohésion, soupira Izul, dépité.
Redressant une mèche rebelle, elle se saisit du bras de Nika en un petit sourire solaire. Déterminée à dissiper le malaise laissé par Tokri et Mutika, elle guida sa nouvelle collègue d'un pas joyeux vers sa brasserie favorite.
— Tant pis pour eux ! conclut-elle en un rire cristallin.
****
Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU