L'ombre du renard

Chapitre 13 : Fin Tome 1 - Konoha

15267 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/06/2024 18:48

13. Konoha

 

Ce n’est que le nom d’un village oublié.

Ce n’est qu’une appellation sacrée très ancienne.

C’est le nom que je donne à notre malheur.

Konoha est synonyme de désolation.

 

 

Naruto titubait entre les arbres. Il n’était ni faible ni blessé ; il semblait épuisé par la vie. Quelque chose lui avait ôté toutes forces vitales. Il trébucha à de nombreuses reprises sans chuter pour autant. Ses bras pendaient le long de son corps ; la pointe de son sabre tenu dans sa main droite traînait contre le sol, produisant de petits bruits métalliques intermittents lorsque la lame rencontrait des pierres. Le Renard était maculé de la tête aux pieds de sang.

 « Je suis désolée, murmura la jeune Sakura, tellement désolée. » 

L’enfant-vision sentit le vent hivernal sur les parcelles de peau dénudée. Sa tenue n’était pas adaptée à l’air ambiant : un yukata blanc parsemé d’œillet couleur lavande. La jeune fille ne se souvenait pas avoir vêtu ce genre de vêtement. Ce style ne convenait pas à la farouche acolyte du Renard.

Le souffle glacial joua dans la chevelure blonde de son protecteur. De la bouche du guerrier s’échappait des nuages blancs, signe de la fraîcheur de l’air. Tous ces détails ne faisaient que rendre plus réelle la scène sous les yeux smaragdins. Sakura songea que cela se produirait bientôt si elle ne l’empêchait pas. Cette précision de sa vision n’était pas anodine.

Soudain, l’homme s’effondra. A genoux, il planta son sabre court dans la terre meuble. Face à lui, la jeune fille le suivit dans son mouvement. Elle s’agenouilla avec néanmoins plus de grâce. Elle posa ses mains sur les joues masculines, sans sembler être surprise de la solidité de cette manifestation dans ses rêves. Doucement, elle caressa son front, suivit l’arrête de son nez. Des pouces, elle massa les pommettes saillantes.

 Le jeune homme serra la poignée du sabre des deux mains et baissa son visage. La jeune fille comprit qu’il pleurait aux soubresauts qui parcoururent son dos et aux gouttes glissant entre ses doigts toujours posés sur ce visage. Elle le força à redresser la tête grâce à des légères pressions de ses doigts fins. Elle plongea son regard dans celui baigné de larmes de son compagnon de voyage.

« Je suis désolée, répéta-t-elle sans détourner les yeux. Je ferai en sorte que cela n’arrive pas. Je te le promets. Aie confiance, mon Renard.

-Mais cela arrivera. »

Sakura se retourna vers la voix mélodieuse qu’elle venait d’entendre. Derrière elle, se tenait Hinata dans un kimono de cérémonie au blanc immaculé, la couleur des spectres et des revenants. Elle était tout simplement somptueuse. Tout ce que Sakura ne serait jamais. Elle, la petite fille aux bras trop maigres et à l’absence de féminité, n’aurait jamais cette grâce naturelle et cette prestance qu’une vie au sein d’un clan prestigieux lui avait conférées.

Sakura reporta son attention vers Naruto. Ce dernier avait disparu. La forêt dans laquelle elle se tenait une minute plus tôt avait également disparu. La seule présence de la jeune femme avait suffi à dissiper cette vision.

La jeune adolescente se leva et se retourna vers son ancienne identité, lui faisant face le plus dignement possible du haut de ses douze printemps. L’enfant songea à ses prochains anniversaires, à son évolution en tant qu’adulte. Elle essaya de les imaginer et, immédiatement, le visage de son protecteur à ses côtés lui semblait indéniable.

 « J’y arriverai ! cria-t-elle comme pour défier le destin.

-Non, répondit posément son image du passé.

-J’empêcherai notre séparation.

-Non.

-Je lui ai juré de rester à ses côtés. Je ne serai pas une parjure !

-Alors quitte Konoha !

-Mais je ne suis pas à…

-Ils t’ont conduite à Konoha pendant ton sommeil. Quitte cette ville ! Maintenant !

-Ils m’ont…

-Sakura ! Réveille-toi ! Réveille-toi ou tu ne reverras plus jamais Naruto ! »

 La fleur de cerisier ferma les yeux. Elle se concentra sur sa respiration, sur le poids de son corps, sur la douleur provenant de son bras gauche et se propageant dans son être. Elle serra les dents. Elle goûta la saveur du sang sur sa langue. Elle se sentit lourde, inconfortable dans sa propre enveloppe charnelle. Elle s’efforça de soulever ses paupières. L’exercice était difficile…

 

 

D’abord, elle ne vit qu’une lumière aveuglante. La jeune fille eut du mal à s’habituer à cette luminosité. Quand elle put enfin observer son nouveau refuge, elle vit le lit de fortune en métal dans lequel elle était allongée, les murs bétonnés dépourvus de décoration. Malgré son incapacité à se redresser, son premier réflexe, comme le lui avait appris Naruto, était de vérifier les issues : deux fenêtres et une énorme porte en bois. Elle ignorait à quel étage elle était mais ces fenêtres restaient de possibles échappatoires. Ce ne fut qu’une fois la pièce inspectée qu’elle remarqua le garçon assis sur sa droite.

« Bienvenue à Konoha, Hinata-sama », dit simplement Neji.

Sakura était médusée par cette apparition. Le traître veillait son sommeil. Elle ne pouvait le croire tant cela lui parut irréel. Au lieu de réconfort, elle sentit un malaise indescriptible monter en elle. Elle scruta de nouveau désespérément la pièce à la recherche de Naruto ou d’une trace révélant sa présence à proximité. Des questions assaillirent son esprit en même temps qu’un sentiment d’abandon croissant. Était-elle vraiment à Konoha ? Était-elle seule ? L’avait-on séparée de son cher Renard ?

La panique envahissait son être. Elle chercha à se redresser au mépris de son bras endolori et de ses côtes douloureuses. Elle ne pouvait rester une minute de plus à côté de cet être.

 « Naruto ! cria-t-elle.

-Calme-toi, réprimanda doucement Neji. Tu vas aggraver tes blessures. Ton bras était bien cassé et tes côtes fêlées. Ino a réussi à ressouder tes os grâce à ses techniques médicales mais tu restes fragile. On a mis un baume pour tes bleus. Ils sont en bonne voie de guérison. Tu dois te reposer.

-Où est Naruto ? Naruto ! » hurla-t-elle plus fort.

 Sa voix se cassa à son deuxième appel. Elle se pencha en avant, rattrapée par la faiblesse de sa trop longue inactivité. Des larmes pointèrent au coin de ses yeux. La fleur n’avait tout de même pas enduré cette épreuve pour rien.

L’avait-il abandonnée ? Impossible. Jamais il ne l’aurait laissée avec l’homme qui l’avait tuée dans une autre vie. Elle ne parvenait pas à expliquer son absence ni la présence de la nouvelle incarnation d’Itachi. Cela la perturbait. 

Un vide indescriptible se creusait en elle. Pour la première fois, elle comprit l’ampleur de son attachement pour le démon aux yeux myosotis. Il lui était indispensable. Jamais plus Sakura ne pourrait imaginer sa vie sans lui. Ses mains serrèrent les draps de coton. Ce geste lui rappela douloureusement sa récente blessure qui lui arracha une grimace.

Tout à coup, la lourde porte en bois s’ouvrit avec brutalité. Naruto pénétra dans la pièce et s’approcha rapidement de sa petite protégée. Celle-ci murmura une nouvelle fois son nom. Influencée par ses sentiments, elle tendit les bras vers lui sans avoir préalablement réfléchi à sa réaction. Emu, le blond glissa un bras sous ses genoux et un autre à sa taille. Il la souleva et s’assit sur le petit lit en métal.

Naturellement, la fleur de cerisier enlaça son Renard, enroulant ses bras autour de sa nuque et se blottissant contre lui. Soulagée à sa vue, elle laissa son corps s’exprimer à sa manière : son visage caché contre le torse de son protecteur, les larmes roulèrent abondamment sur ses joues, maculant sa blouse sombre. Naruto la berça contre lui, le dos appuyé sur la tête du lit. Il lança un regard d’avertissement à l’enfant qui avait veillé sa petite protégée. Il était prêt à lui faire payer son insolence qui était sans doute la cause de l’état de la jeune fille.

Sasuke pénétra à son tour dans la pièce. Il ne fit aucun commentaire sur la porte grande ouverte ni sur l’ambiance électrique. Il fit un signe de la tête silencieux à son frère. Ce dernier inclina la sienne en guise de réponse :

« Laissons-les un peu seuls. »

Les Uchiwa sortirent en prenant bien soin de refermer la porte avec douceur, préservant l’intimité de ces deux êtres enlacés.

« Chut ! Calme-toi, Sakura, chuchota Naruto à l’oreille de son interlocutrice.

-Où étais-tu ? Pourquoi m’as-tu abandonnée avec cet homme ?

-J’ignorais qu’il était seul avec toi. J’étais allé vérifier l’état de nos provisions. Je pensais chasser.

-Tu serais parti ? demanda-t-elle en relevant son visage mouillé.

-Je… J’avais besoin de me changer les idées… Mais, cela n’est plus d’actualité vu que tu es réveillée.

-Tu restes ? dit-elle pleine d’espoir.

-Oui », souffla-t-il en posant son front contre le sien.

 Le guerrier attendit quelques minutes, le temps que les soubresauts de sa compagne se calmassent. C’était un réel plaisir de sentir ce petit corps chaud contre lui, enfin animé après ces trois jours d’inquiétude et de doute sur son état.

Son ouïe surdéveloppée lui avait permis de l’entendre dès son premier appel. Il n’avait pas hésité à bousculer les obstacles sur son chemin (panier, meuble ou personne), pressé de rejoindre sa petite fleur de cerisier. Sasuke l’avait suivi. Il avait été alerté par la réaction inhabituelle de son ancien ami. Il savait que le démon ne réagirait pas de cette façon sans raison valable.

L’Uzumaki vivait l’enfer depuis trois jours. Il maudissait la petite d’avoir saccagé son bras de cette façon. En même temps, sans son intervention, il ne savait comment aurait tourné les derniers évènements.

Malheureusement, cette petite obstinée refusait d’ouvrir les yeux. Elle était gagnée par la fièvre et divaguait dans son sommeil. Le blond avait passé les deux premières journées à son chevet, incapable de s’écarter ne serait-ce qu’un instant de la gamine. Il s’en voulait. S’il avait été plus fort, plus alerte, plus… Il était inutile de lister les actions inaccomplies ou encore ses incapacités. Ce qui était fait était fait.

Pourtant, la veille, il n’avait pu rester inactif davantage à ses côtés. Une fois de plus, elle avait gémi dans son sommeil. La petite blonde avait bien travaillé avec son bras en utilisant son chakra. Quand la guérisseuse avait soulevé le vêtement de sa compagne, l’homme avait vu fleurir des blessures violacées sur ses côtes. Cet enfoiré payerait tôt ou tard pour ce qu’il lui avait infligé. Seule sa guérison comptait dans l’immédiat.

Malheureusement, seules les potions étaient réellement efficaces contre la fièvre de la petite. Naruto avait été intransigeant : il serait le seul à lui administrer le breuvage avec des becquées. Il refusait d’imaginer qui que ce fut d’autre approcher ces lèvres.

Aussi, ayant constaté la montée de température, il avait pris le bol sur la table de chevet. Le goût était infect mais ses effets indiscutables. Il avait soulevé d’une main la tête de la jeune fille et lui avait entrouvert les lèvres. Lorsque sa bouche avait touché la sienne, sa langue s’était faufilée entre les dents de l’endormie, laissant ainsi libre champ au liquide de s’écouler dans la gorge féminine. Cette action l’avait remué à chaque fois. Il avait l’impression que c’était mal. Il détestait devoir la toucher ainsi sans son consentement et surtout dans cet état de faiblesse.

Comme la fois où ils avaient été seuls dans le hammam, quelque chose s’était éveillée en lui. Il était marqué par une sensation nouvelle qui s’imprégnait à chaque becquée. C’était doux, chaud et grisant. Mais aussi très dangereux… Que se passerait-il si elle le repoussait ? Ou bien si quelqu’un lui retirait cette sensation qui lui donnait l’impression d’être enfin en vie ?

Peu après, Sakura avait légèrement soulevé ses paupières. Naruto avait pu constater l’humeur malade de ce regard. D’abord ravi, Naruto était prêt à crier à la terre entière que son petit renardeau avait repris connaissance ; jusqu’à ce qu’il entendît ces paroles :

 « Je suis désolée, tellement désolée. Je ferai en sorte que nous ne soyons jamais séparés. Mais cela arrivera. On ne peut échapper à son destin. Vous serez séparés parce que tu es à Konoha… »

Ses paupières s’étaient rabaissées, la ramenant dans le pays des songes. Naruto avait été perturbé par cette déclaration. Sakura baisserait-elle déjà les bras ? Cependant, elle avait juré qu’elle resterait toujours à ses côtés. Était-ce une vision ? Cela signifierait-il qu’ils n’étaient pas faits pour être ensemble ? Était-il condamné à l’éternelle solitude ?

Sans un mot, il avait quitté la chambre. Il avait besoin de bouger. L’action lui avait toujours éclairci les idées. Le démon aux longues oreilles ne se manifesta pas malgré les appels de son frère humain. Depuis que la petite s’était cassé le bras, Frère Renard se voulait taiseux, tapi au fond de lui. Naruto réalisa à quel point il avait besoin de ses conseils ou de ses remarques acides capables de le détendre dans ses pires moments. Il avait l’impression que l’animal le testait et n’aimait pas cela.

A présent, sa petite protégée était éveillée et plus que désireuse d’être auprès de lui. Cette lueur dans ses yeux émeraude, ce besoin de le toucher, cette expression de soulagement à sa vue, tout cela se passait d’explication sur son état d’esprit à elle.

Comment avait-il pu douter un instant que leur union était impossible ? Un jour, il lui accorderait un droit de regard sur son cœur. Un jour, il lui donnerait le titre de renarde. Un jour (il n’en doutait plus depuis qu’il l’avait vue s’effondrer comme une poupée de chiffon au temple de la lune), il en ferait sa femme.

Pour l’heure, elle n’était qu’une enfant ayant besoin de réconfort. L’homme lui caressa doucement le dos. Il variait la pression de ses mains à sa taille ou à ses épaules. Cela permettait à Sakura ne pas s’habituer à ce toucher et à savourer à chaque fois ses diverses attentions.

Enfin, elle s’écarta légèrement, toujours prisonnière de ses bras à lui. Elle semblait revigorée, pleinement consciente de la situation. Elle pouvait prendre connaissance des nouvelles informations avec sérénité.

 « Sommes-nous réellement à Konoha ?

-Oui.

-Mais comment… ?

-Neji nous a montrés le chemin.

-Neji ? Je suis assez surprise.

-Je le suis également mais il prétendait connaître le chemin. De fait, il nous a guidés brillamment.

-Et les autres ?

-Ils sont sains et saufs. Ces gamins ont plus de ressource qu’on pourrait le croire. Je pourrais parfaitement imaginer les personnes qu’ils ont été. Ils se sont occupés de restaurer les lieux dans lesquels nous sommes. Il y a un puit correct au centre du village. Des vêtements et des couvertures étaient rangés dans les armoires. En fait, tout est vieillot mais en état de marche. On dirait que les villageois sont tout simplement partis, sans se battre, sans qu’il y ait eu une épidémie. Cela rend les lieux…

-Bizarres ?

-Ouais », répondit-il en lui faisant une grimace.

 Un silence malsain s’installa entre eux, comme si les fantômes des lieux les écoutaient. Sakura en eût froid dans le dos. Avec l’usage de la magie, il était normal de devenir superstitieux.

 « Quand partons-nous ? questionna-t-elle pour se changer les idées.

-Nous ne partons pas.

-Comment ? Nous devons partir, c’est impératif.

-Nous ne pouvons pas partir. Ils arrivent. »

 La jeune fille ouvrit la bouche sans qu’aucun son n’en sortit. Elle était sur le point de le questionner davantage avant de se rendre compte que cela était inutile. Son raisonnement se fit rapidement sur les possibilités ou les capacités de filature de leurs ennemis sans oublier leur concupiscence pour leurs pouvoirs : l’organisation noire était la seule à correspondre à toutes ces données.

Le Démon-Renard était ici ainsi que tous les enfants-visions. N’importe quel shinobi capable de repérer le chakra pourrait les dénicher dans ces lieux. Ils devaient être aussi visibles qu’un énorme feu de camp dans une prairie.

Sakura hocha la tête en signe de compréhension. Ils devront se battre. Ils devront protéger cet endroit. Elle se sentait prête. Si elle pouvait demeurer près de cet homme, elle serait prête à tout.

Des petits coups résonnèrent contre le bois massif de l’entrée avant que Sakura n’eût le loisir d’obtenir plus de détails sur les lieux où ils séjournaient. Naruto invita à entrer les perturbateurs sans pour autant se délester de son agréable fardeau. Gaara et Neji entrèrent. Gaara, bien qu’impassible, fronça les sourcils en constatant la position du couple.

 « Neji nous a informés de ton rétablissement. Nous aurions aimé te laisser plus de temps. Cela est impossible, malheureusement. Nous devons te parler, Sakura.

-Je vous écoute.

-Uniquement entre élus des dieux et pas ici. »

 Sakura se rapprocha inconsciemment de son Renard à cette précision, s’accrochant au tissu noir. Elle avait échangé un regard avec l’enfant aux yeux opalins et cela fit surgir une angoisse dans son cœur. La fleur ne lui faisait pas confiance, certes. Toutefois, cette terreur naissante prenait racine dans quelque chose de plus ancien, en relation avec sa vie antérieure sans pour autant l’expliquer.

Naruto se montra plus protecteur à la réaction de la jeune fille. Il parla avec un accent menaçant dans la voix.

 « Je ne la laisserai pas seule avec celui-là.

-Je peux comprendre le dégoût que ressent Hinata-sama à mon encontre, après ce que je lui ai fait en tant qu’Itachi... Cela ne doit pas nous empêcher d’accomplir notre destin. Viens si tu le désires, le monstre. De toute façon, tu ne comprendras pas un traître mot de nos paroles. Ton esprit n’est pas si affûté.

-Espèce de…

-Paix, Naruto, coupa Gaara en s’interposant. Vos différends attendront. Nous avons plus urgent à nous occuper. Si nous la réclamons seule, c’est que nous avons nos raisons.

-Naruto, ça ira. Je ne serai pas seule avec lui dans une pièce ; les autres me protègeront. Rassure-toi.

-Tu es sûre ?

-Ne t’inquiète plus », dit-elle en ponctuant cette certitude d’un baiser sur la joue.

 Cette marque d’affection finit par le convaincre de desserrer son étreinte. Devant sa chambre, Sakura remarqua une chaise roulante en bois. Les garçons avaient anticipé sa faiblesse et préparé un moyen de se déplacer sans qu’elle ne se fatiguât. La jeune fille apprécia. Elle s’y installa avec l’aide de Naruto. Le bois du dossier était inconfortable. Cela était préférable à une marche forcée dans son état. Elle espérait seulement qu’il n’y avait pas trop d’escaliers.

Lorsqu’ils se furent éloignés du Démon-Renard, la demoiselle demanda à ce que ce fut Neji qui la poussa. Elle avait quelque chose à lui dire avant le début de leur réunion. Quelque peu étonné, Gaara accorda néanmoins cette faveur.

Il pouvait comprendre que certaines blessures du passé avaient besoin d’être soignées avant de s’élancer dans de nouvelles batailles. Sakura n’avait pas été la seule enfant-vision à avoir été grandement contrariée en apprenant la véritable identité de Neji. Quelques-uns parmi eux rechignaient à lui faire de nouveau pleinement confiance. Gaara s’inclina et les devança d’un bon pas.

Sakura posa sa main sur celle de l’enfant aux cheveux noirs. Le garçon sursauta au contact froid de cette peau laiteuse. Il s’arrêta, cherchant à entrevoir l’expression de la demoiselle. Lorsque ses yeux rencontrèrent les siens, il fut interloqué. Au lieu du jade apaisant, les pupilles étaient devenues deux perles nacrées. La voix qui s’adressa à lui avait changé. Elle était plus grave, plus trainante que celle de la jeune fille pétillante qu’était Sakura. Plus tard, le nouveau Hyûga se dira qu’il y avait aussi des accents aristocratiques.

 « Hinata-sama…

-Itachi, ne fais plus de sous-entendus sur les raisons de mon dégoût. Cela doit rester secret. Je n’ai pas tout confié à cette chère enfant. Il y a des choses que son innocence ne pourrait admettre et encore moins comprendre.

-Tu peux te manifester dans ce corps, constata-t-il une fois la stupeur passée.

-A la base, ce corps m’était destiné. Cette enfant n’aurait jamais dû s’incarner en tant que telle. J’ai été faible, Itachi. Après notre histoire, je ne pouvais ni ne voulais vivre. Sakura est née à ma place. Je ne suis qu’un fantôme hantant ses songes. Je compte bien conserver mes secrets. Elle n’a besoin de savoir que ce qui est nécessaire. Même cette possession lui est inconnue. Si je le désirais réellement, je pourrais enfermer son âme à tout moment dans les limbes et reprendre ce qui m’a été promis. Mais je n’en ferai rien. J’aime cette enfant et je veux la protéger, même de moi-même. M’aideras-tu ? Après tout, tu as une dette envers moi.

-Et je la payerai. Sur ma vie, s’il le faut.

-Je n’en attendais pas moins de toi, mon ancien gardien. »

 En silence, les deux fiancés d’une autre vie se dirigèrent là où des anciens les attendaient. Le danger n’était pas encore écarté. Leur existence était toujours menacée. La fleur ignorait simplement à quel point…

 

 

Les enfants-visions étaient assis en cercle derrière des bureaux individuels légèrement concaves. Ils s’étaient installés dans la pièce la plus grande de l’unique tour du village. Le plafond était haut ce qui permettait une résonnance du moindre son émis. Il était indéniable que le lieu avait servi pour les réunions des anciens du village. Les infrastructures en pierre, l’esthétique architecturale ainsi que les matériaux utilisés étaient anachroniques par rapport à l’époque de leur conception.

Les divers aménagements avaient été savamment élaborés. Ils permettaient l’utilisation d’une chaise mobile sans en éprouver des difficultés. Sakura n’avait jamais vu ce genre de bâtiment même dans les parchemins que ses instructeurs de l’organisation lui faisaient étudier. Elle douta un instant qu’un endroit si complexe dans sa structure et à la fois si simple en son emploi fût sorti de l’imagination humaine. Une intervention divine serait plus acceptable comme explication.

Entre les enfants, au centre de la pièce, se tenait une maquette représentant à l’échelle un centième le village de Konoha et ses alentours. D’après ce qu’elle pouvait constater quand Neji l’en approcha, tout le village était en pierre.

C’était inhabituel pour un village perdu en pleine forêt. Il serait plus aisé d’utiliser du bois qui était la matière première à proximité. En approfondissant son observation, la fleur remarqua la haute falaise située à l’arrière des constructions. Elle comprit dès lors le choix des habitants : ils avaient creusé dans la colline. Ce village devait se tenir dans une ancienne carrière de pierre d’où la faveur de cette matière pour leurs édifices.

Derrière les hautes fenêtres, les yeux smaragdins se posèrent sur les toits enneigés. L’hiver s’était installé ou bien ils étaient dans une région propice à ce climat hivernal. La jeune fille ne se rappela pas avoir vu toute cette neige. Son regard avait incontestablement dérivé vers les ouvertures portant sur l’extérieur. Cela, elle s’en souvenait.

Elle avait cherché à tromper son ennui de ce silence glacial qui accompagnait Neji. Sakura avait dû s’assoupir parce qu’en réalité elle ne gardait aucunement mémoire du chemin parcouru jusqu’à la grande salle. Cela l’étonna. Elle s’était sentie reposée malgré la douleur lancinante dans son biceps gauche et son abdomen. Mais elle ne s’en ouvrit à personne. Aucune expression ne trahissait cet étonnement intérieur. Elle se contenta d’attendre que ses pairs prissent la parole.

« Sakura, demanda Shikamaru, que sais-tu exactement depuis ton réveil ?

-Pas grand-chose. Je sais juste que nous sommes bien arrivés à Konoha grâce à Neji Hyûga (de façon incompréhensible d’ailleurs) et que nos ennemis ne vont pas tarder à nous encercler. Naruto m’a dit que nous ne pouvions pas encore déguerpir.

-Bien. Dans ce cas, laisse-moi compléter tes lacunes. Nous nous trouvons actuellement dans une vallée entourée par de hautes falaises. Cela signifie que la seule sortie est l’unique entrée. Certes, elle est difficile à dénicher, d’où la raison pour laquelle l’Akastuki n’a pas encore envahi les lieux. Ils rôdent cependant. Ils savent précisément où nous sommes. Heureusement pour nous, ils ne parviennent pas à nous atteindre mais cela n’est qu’une question de temps.

-Naruto pourrait concocter quelques pièges. Il est fort, Jiraya aussi sans oublier Sasuke. Si le passage est étroit, ils ne pourront débouler en masse. Nous sommes suffisamment puissants pour les repousser sans trop de dommage, avança Sakura, quelque peu rassurée sur la situation.

-Et tu t’en iras ensuite ?

-Oui. »

 Les enfants se concertèrent du regard. Sur leur visage, n’importe qui pouvait y lire leur contrariété face à cette décision. Un malaise s’installa entre eux. La volonté de Sakura était inébranlable. Il leur fallait trouver un moyen de la briser.

 « Tu ne peux pas partir.

-Je partirai que vous le vouliez ou non. Les termes de notre contrat spécifiaient que je vous conduisais en ces lieux et non que j’y demeurerai. J’ai rempli ma part. Ma présence n’est plus nécessaire.

-Nous connaissons le moyen de vaincre sans combattre.

-J’en suis heureuse pour vous.

-Ecoute, avant de te moquer, jeune impertinente, intervint Ino en vrillant son regard glacial sur son aînée.

-Nous nous sommes aperçus que Konoha était un havre de paix. Il permet la protection de ses habitants grâce à un mécanisme sophistiqué. Ce dernier crée un kenkai puissant qui enrobe toute la vallée. Ce sera un dôme invisible et indestructible.

-Il empêchera toute nuisance d’y pénétrer mais toute sortie sera impossible également, constata Sakura.

-Effectivement.

-Si vous décidez de l’actionner, Naruto va devenir fou dans un espace restreint. Ce n’est pas un sédentaire. C’est quelqu’un de sauvage qui a besoin de grand air.

-Nous ne comptions pas le garder près de nous.

-Dans ce cas, la question est réglée. Je m’en irai dès que possible pour que vous puissiez mettre en marche votre plan de confinement.

-Cela ne fonctionnera pas.

-Pourquoi ?

-Le kenkai ne se formera qu’avec le sang de tous les enfants réunis. »

 Le cerveau de Sakura traita rapidement l’information : elle était une clé. Si elle les abandonnait maintenant, leur sécurité était précaire, voire inexistante. Elle était prisonnière comme dans son autre vie de son devoir envers autrui. Le choix était simple : soit elle prenait la poudre d’escampette en compagnie de son Renard en les condamnant à une mort certaine, soit elle demeurait et mettait en place le kenkai.

Il devait certainement avoir une troisième solution. Elle sentait le piège se refermer sur elle. Des serres invisibles lui compressaient la poitrine à mesure qu’elle réfutait elle-même les propositions imaginées dans sa tête.

Il fallait qu’elle solutionnât ce problème. Elle n’était pas stupide. Elle ferma les yeux pour se concentrer. Hinata avait étudié les stratégies militaires avec son père. Que lui répétait-il alors ? Quand une difficulté devenait trop complexe, il nécessitait de la simplifier.

Première difficulté : les enfants requéraient d’une protection constante et durable. Première solution : le mécanisme du village permettait d’obtenir cette protection.

Deuxième difficulté : le mécanisme s’actionnait avec leur sang ; or Sakura désirait s’en aller.

Quelles étaient les inconnues de ce problème ? Sakura se rendit compte qu’elle ignorait le temps de mise en place du kenkai ainsi que sa durée exacte.

 « Combien de temps faut-il pour que le kenkai s’installe ? Je suppose que le dôme ne sera pas formé instantanément.

-Nous avons estimé sa conception à quinze minutes d’après les écrits que Tenten a lus.

-Vous avez juste besoin de sang, mon sang. Pas de moi. Est-ce exact ?

-Ton sang doit être frais.

-Mais, si tu le possèdes, je peux m’en aller.

-En théorie, oui.

-Parfait. Je crois que notre plan est établi.

-Seras-tu seulement capable de t’échapper avec cet être ? Tu es encore faible.

-Quand pensez-vous que les ninjas de l’ombre envahiront la vallée ? »

 Ni Shikamaru ni Gaara ne répondit à cette question. S’ils le faisaient, c’était comme s’ils consentaient à son départ. Ils raisonnaient que leur destin respectif était lié. Leur place était à Konoha, la cité protectrice des dieux. Une enfant bénie ne devait point se compromettre avec un démon et parcourir le monde tel un scélérat de grands chemins. Si Gaara n’avait fait aucun commentaire sur leur relation jusqu’à présent, ses yeux exprimaient à eux seuls son point de vue sur la question.

Sakura se détourna de leur expression impassible à tous les deux. Elle n’avait que faire de leur jugement. Personne n’avait à dicter ses choix. Elle s’était affranchie de toutes ces responsabilités avec cette nouvelle naissance. La liberté ne lui avait jamais apparu aussi proche. Elle rêvait de consacrer chaque seconde de sa vie au bonheur d’un seul homme, de choisir sa voie, de se mouvoir sans le poids des conventions sur ses épaules. Elle agissait pour lui mais aussi pour elle. Son salut s’imprimait dans les traces de son Démon-Renard.

La jeune fille chercha un soutien quelconque chez les autres représentantes féminines de leur groupe. Ino baissa les yeux en se pinçant les lèvres. Elle connaissait les tourments du cœur et les implications d’un grand devoir. Elle avait déjà fait ce choix par le passé et recommencerait sans hésiter. Elle était incapable d’apporter son aide à sa « sœur » d’âme.

Tenten ne contenta de hocher la tête de droite à gauche. Elle non plus ne serait pas une aide. Elle était une enfant de la Racine : elle avait appris que la sécurité de tous importait davantage que le bonheur d’un seul.

 « D’après nos prédictions, ils arriveront dans trois jours. »

 Le plus jeune des enfants avait appuyé sa tête contre sa main gauche, le coude sur le bureau. Il était le seul à tenir une attitude nonchalante. Un petit sourire moqueur était accroché à ses lèvres fines. Il ressemblait plus au petit garnement espiègle qu’il aurait dû être qu’au guerrier expérimenté qu’il avait été.

Rock Lee avait cédé à la tentation. Il se moquait de tous ces préceptes ridicules de devoir et d’honneur. Le plus important pour lui était de vivre en harmonie avec sa propre conscience. Il avait suivi la voie du guerrier car il savait que son tempérament était belliqueux.

Pourtant, il ne s’était mis au service d’aucun seigneur ni sous les ordres d’aucun chef. Il était un Rônin qui vivait simplement de la pointe de son épée. Cette jeune fleur lui plaisait. Elle n’hésitait pas à parler avec son cœur et non avec sa tête. Une femme franche. Une femme qu’un homme libre comme Naruto ne pouvait qu’apprécier ou aimer. Lui-même aurait bien succombé à son charme naturel s’il ne craignait pas le courroux de l’animal à forme humaine.

Sakura lui sourit. Elle lui fit un clin d’œil, comprenant le message silencieux à travers cette annonce. Elle était ravie, même si ce n’était qu’un seul d’entre eux, que quelqu’un la soutint dans ses choix de vie.

 « Trois jours, répéta-t-elle, je serai prête. »

 Sakura saisit les roues en fer de sa chaise mouvante et les fit rouler. Elle avançait difficilement. Elle refusa au moindre gémissement de franchir ses lèvres. Elle désirait que chacun la considérât comme une femme décidée et forte. La discussion était close.

Elle peaufinerait les détails plus tard avec Naruto mais il était hors de question qu’un seul d’entre eux remit en cause sa décision. Elle n’était pas la pauvre petite chose fragile qu’ils s’imaginaient. Elle l’avait déjà prouvé par le passé et elle continuerait. Fièrement, elle se dirigea vers la sortie.

Quelqu’un la rattrapa et la poussa. En se retournant, Sakura écarquilla les yeux en constatant que c’était le traître qui l’aidait. Elle avait déjà pesté au début de la réunion en réalisant que c’était lui qui l’avait amenée dans la salle. Elle n’avait pas apprécié la décharge de pousseur du fils du désert au profit de l’ancien Uchiwa. Le garçon à la chevelure de feu lui avait donné tort quand elle avait affirmé à son protecteur qu’elle ne serait pas seule avec Neji. Elle n’aimait pas être au bon soin de ce parjure.

 « Fiche-moi la paix, murmura-t-elle pour que ses paroles ne fussent entendues que de lui seul.

-Ne sois pas désagréable, répondit-il de la même manière, conservant le côté secret de la conversation. Je vais t’aider.

-Comme tu nous as aidés à la capitale ? Non merci.

-Je suis très sérieux et tu ferais bien mieux de m’écouter. Sasuke et moi, nous assurerons que vous nous quittiez sans entrave. Nos techniques d’illusion devraient être pratiques. Tu devrais y réfléchir. »

Sakura se tut le temps que l’idée fît son chemin. Elle devait reconnaître que cela serait plus utile de berner l’ennemi que de le combattre un à un, surtout quand le but recherché est la fuite et non la victoire.

 « Pourquoi Sasuke ne nous accompagne-t-il pas ? Cela serait plus pratique si nous étions une équipe de trois.

-Sasuke et Jiraya ont décidé de rester. Ils ont chacun quelqu’un de précieux à protéger », sourit-il mystérieusement.

 La jeune fille leva le nez vers son actuel serviteur. Son visage avait changé par rapport à son ancienne incarnation. Les traits s’assimilèrent à ceux d’Hinata-sama : la même peau laiteuse, les mêmes pupilles nacrées, le même nez droit et légèrement pointu. La couleur des longs cheveux était également semblable, un noir profond tranchant avec la blancheur de l’épiderme. C’était une apparence fantomatique.

Ce n’était pas la seule différence. L’expression guerrière d’Itachi avait disparu sur ce visage enfantin. Certes, il possédait toujours cette noblesse et cette prestance caractéristiques de ses origines mais il y avait quelque chose de triste dans ce relâchement des épaules, dans la lenteur des mouvements ou le choix des mots utilisés dans ses rares discours.  

 « Au fait, tu n’as toujours pas expliqué comment tu as réussi à guider les autres vers Konoha. J’étais censée le faire.

-Comme tu l’avais prédit, cette vision n’en était pas une. C’était un présage, une possibilité. Tu étais juste l’élément essentiel à la réussite de ce voyage. Si tu ne m’avais pas délivré, nous ne serions jamais arrivés à Konoha. Pour le reste, je te l’expliquerai plus tard.

-Mais…

-J’ai mes raisons de retarder ces révélations. C’est important.

-Très bien. Je te fais confiance…pour l’instant. »

 

 

Sakura observa les mains habiles aller et venir le long de son bras gauche. Une lumière verte apaisante se dégageait de ces doigts fins. Elle ferma les yeux un instant, savourant la chaleur bienfaisante que le geste lui prodiguait. Sa semblable avait nommé la technique médicale mais ce nom lui échappait à présent.

Le processus était assez simple. Il suffisait de se concentrer, matérialiser son chakra dans une volonté de bien-être. En cachette, la fleur de cerisier avait expérimenté la technique selon les conseils et les explications d’Ino. Elle était parvenue à émettre cette luminosité verdâtre. Le seul souci était sa faible émanation réparatrice. La jeune demoiselle s’en moquait : elle aurait l’occasion de s’entraîner plus tard aux côtés de Naruto, avec lequel (elle n’en doutait pas) elle vivrait des tas d’aventures palpitantes et douloureuses.

La fille à la chevelure rosée sourit à cette pensée.

Ensemble. Rien que tous les deux. Pour toujours.

Une fois qu’elle serait partie, elle ne reviendrait plus jamais. Elle pourrait s’épanouir avec la satisfaction d’avoir accompli son devoir. Enfin, elle analyserait comme il se le devait les battements incompréhensibles que son cœur lui envoyait chaque fois qu’elle songeait à son Renard. Elle avait peur de se tromper à son sujet. Ils étaient proches, surtout depuis qu’il l’avait reconnue comme quelqu’un d’important pour lui.

Était-ce tout ? Cette proximité s’arrêtait à une complicité amicale. Réellement ? Sakura ne voulait songer à une autre possibilité. Elle avait peur que les sentiments d’Hinata-sensei eussent déteint sur son propre ressenti. Si un jour elle devait clamer haut et fort un quelconque amour, elle désirait être sûre de la justesse de cette déclaration.

Ino stoppa sa technique. Elle avait remarqué ce sourire doux planer sur les lèvres de sa patiente.

 « Comment te sens-tu ? questionna la blonde.

-J’ai encore quelques élancements dans l’épaule mais, sinon, ça va.

-Et tes côtes ?

-Je ne sens plus rien. Je suis remise.

-Les bleus de ton visage sont encore marquants mais je ne peux rien pour cela. Continue d’appliquer l’onguent que je t’ai préparé. Normalement, dans quelques jours ça aura disparu. »

 La jeune fleur étira le bras. La douleur avait pratiquement disparu. Elle plia et tendit les doigts à plusieurs reprises. Le geste était encore un peu raide. Elle ne serait plus aussi adroite à l’arc qu’auparavant pendant un moment.

Puis, elle se souvint de la destruction de son arme de prédilection. Naruto lui avait promis qu’il lui en fabriquerait un très bientôt. Malgré ses airs bourrus, il pouvait se montrer adorable dans ses gestes.

Imaginer Naruto déclamer des mots doux était évidemment absurde. Les sentiments du Renard se trahissaient uniquement à travers ses décisions. Un nouveau sourire silencieux élargit ses lèvres. En six mois, elle avait appris à le connaître et à apprécier l’être derrière la carapace d’amertume.

Ino connaissait cette expression hagarde. Elle-même l’avait eu en permanence sur le visage dans une autre vie. Son instinct protecteur prit le pas sur son mécontentement et se décida à la prévenir.

 « Tu devrais rester.

-Je ne puis. Mon devoir est ailleurs.

-Ton cœur est ailleurs. Ton devoir est ici. »

 Sakura fronça les sourcils, exprimant clairement son opinion sur la question.

 « Ecoute. »

 La guérisseuse saisit les mains de son aînée.

 « Quand j’étais Tsunade, je savais. Je savais que j’allais mourir au cours de cette dernière mission. J’avais beau être une femme, j’avais suffisamment combattu durant les différentes guerres pour reconnaître les signes avant-coureurs d’une défaite. Je savais également que mon aimé n’aurait jamais accepté mon départ. Aussi, je l’ai quitté.

-Au mépris des tourments de ton cœur…

-Le cœur est une partie de notre corps que nous pouvons maîtriser.

-Alors c’est que tu ne sais pas ce qu’est le mot « aimer ». »

 La jeune blonde soupira et lâcha sa patiente. Cette entêtée refusait de voir la vérité, de comprendre le sens véritable des mots et de la vie. L’honneur nous grandissait davantage que les déferlantes changeantes de l’amour. Les répercussions étaient moins dangereuses également.

 « Dis-moi, comment ce vieux singe a-t-il réussi à lancer son sort si tu l’avais quitté ?

-Ce vieux singe ? rit Ino. C’est vrai que l’on pourrait le qualifier de la sorte avec ses grimaces loufoques.

-N’élude pas ma question, s’il te plaît.

-Comment te dire ? soupira la jeune enfant en levant les yeux au ciel. C’était il y a si longtemps. J’avais mis un point final à notre relation. Par les dieux, j’avais heureusement refusé toute demande en mariage de sa part. Je pouvais m’en aller sans me retourner. Ce vieux gredin (ne me demande pas comment) avait réussi à me convaincre de passer une dernière nuit en sa compagnie.

-Une dernière nuit ? Tu veux dire que tu t’es offerte corps et âme à lui.

-Ne rougis pas de la sorte. Ah ! Les jeunes vierges effarouchées. Oui, j’ai offert mon corps à la douceur de ses mains. Je dois avouer que c’était une des plus belles nuits qu’il m’ait offertes. Il avait été doux, romantique, incroyablement... Je m'égare. Au petit matin, le sort avait été jeté. Le vieux scélérat m’avait prise en traître ! »

 La fleur de cerisier rit à gorge déployée à cette narration. Ino rougit de honte.

 « Ne ris pas ! Cela est déjà suffisamment gênant en soi.

-Je ris parce que tu me mets en garde contre l’amour, mais c’est par amour que tu as cédé à ses avances et que tu es liée à lui. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, tu l’aimes encore.

-Je suis une fillette. Cela n’est plus d’actualité, répondit-elle, rouge comme une pivoine. Viens, je vais extraire ton sang dans cette pochette, vu que tu es toujours décidée à partir. »

 Plus tard, au moment où la kuonichi rangea ses instruments médicaux, Naruto entra dans la chambre. Il jeta une œillade sombre à l’enfant. Il désirait être seul avec sa protégée et ce regard suffisait à communiquer ce désir. Ino ne se fit pas prier. Avec un hochement de tête, elle sortit rapidement.

 « Pourquoi tant de haine dans votre regard, cher seigneur.

-Je n’apprécie guère que l’on complote derrière mon dos. Ils ont voulu que je parte en t’abandonnant ici, prisonnière de leur bouclier magique. Tiens, cadeau. »

 Le blond s’était assis sur le lit, près de la patiente qui tenait son bras droit replié après sa prise de sang. Au mépris du sang coulant légèrement depuis le creux de son coude, Sakura saisit le cadeau de son bienfaiteur. C’était un arc en bois sculpté. Il était léger et semblait souple. La corde avait été nouée savamment aux extrémités. Naruto avait tenu sa promesse. Rien que cela contentait la jeune fille.

 « Je t’ai aussi fabriqué des flèches. Tu pourras t’exercer dès que tu seras prête à partir.

-Je termine de m’habiller et je viens.

-N’oublie pas de t’habiller chaudement. La neige ne pardonne pas.

-Promis.

-Notre plan est toujours d’actualité ? »

 Sakura ferma les yeux. Elle laissa s’introduire la magie en elle. Elle la sentit courir le long de sa peau de pêche, hérisser le moindre de ses poils. Elle se sentit flotter, la tête légère. Lorsque ses paupières révélèrent ses iris, ceux-ci avaient perdu leur éclat. Elle voyait  les bois entourant Konoha. Elle voyait ses actions futures.

 « Nous marchons dans les bois enneigés. Nous avons quitté l’enceinte de Konoha. Nos ennemis n’ont toujours pas perçu l’entrée nichée dans la falaise. Ils ne sont pas loin. Jiraya, Sasuke, Neji et moi attaquons les petits groupes formés. Ils sont sur les terres du village. Si nous ne les tuons pas maintenant. Ils risquent d’être prisonniers avec nous sous le dôme. »

 La vision s’estompa. Sakura se reprit une minute avant de consulter son protecteur. Ce dernier hocha la tête. Tout était parfait. Le plan restait inchangé. Ils attaqueraient les groupes formés non loin de l’entrée. Itachi et Sasuke illusionneraient le plus gros des troupes avant la fuite du couple.

Sakura utilisa le temps qu’il leur restait pour s’entraîner à l’arc. Il y avait un terrain d’entrainement dans l’enceinte du village. Cet endroit intriguait de plus en plus la demoiselle. Il possédait tout ce dont un village classique avait besoin sinon plus. Quel petit village comme celui-ci avait besoin d’un terrain d’entrainement ou d’une salle de réunion ? Et ces vêtements ? Bien que démodés, ils étaient propres et de qualité. Les enfants avaient également découvert un cellier avec du riz et des conserves. Certaines étaient encore comestibles.

Naruto lui avait expliqué qu’en dehors de l’enceinte protectrice en pierre, il y avait une variété d’animaux à chasser. Même sous le kenkai, ils devraient avoir accès à cette partie de la forêt afin d’être approvisionner en viande fraîche. En parlant du kenkai, comment expliquer sa simple présence ?

D’ailleurs, si ce village était si bien conçu, où étaient donc passés tous les villageois ? C’était comme si ils s’étaient évaporés. Rien que d’y songer, la fleur de cerisier en avait le frisson. Quelque chose de malsain planait en ces lieux et elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

La jeune fille se sentit mieux au bout de la vingtième flèche. Celle-ci s’était fichée dans le mille. Elle en eut une telle satisfaction que son mal être diminua. Elle était confiante : elle partirait très bientôt en compagnie de Naruto !

 

 

Les enfants-visions leur avaient accordé deux heures. Au-delà de ce temps, que l’opération fût une réussite ou non, ils enclencheraient le mécanisme du kenkai.

Sakura se vêtit des derniers vêtements chauds préparés à son attention. La neige n’était pas un danger en soi, c’était plutôt l’humidité et le froid qui, combinés à une trop grande fatigue, pourrait lui coûter la vie en engourdissant ses gestes.

La toute jeune fille se hâta de retrouver ses compagnons à l’entrée de la ville. Elle nota leur air sérieux. Même l’insouciant Jiraya arborait une mine patibulaire qui amenait à le craindre. Si elle doutait un instant de la difficulté de la tâche à accomplir, ces hommes venaient de les anéantir. Jiraya et Naruto possédaient une clarté exacerbée de la réalité du combat futur grâce à leurs dons de pistage, sans compter aux sens surdéveloppés du Démon.

 « Naruto et moi sommes partis en repérage. Nous allons nous séparer. Je resterai seul devant l’entrée du village, en prévision d’une éventuelle intrusion. Vous commencerez par les groupes de l’est et de l’ouest pour revenir en arc de cercle vers le village. Ensuite, Sakura et Naruto nous quitteront. A l’ouest, dans trente ou quarante kilomètres, vous trouverez un port qui vous mènera où vous le désirez.

-Surtout, n’oubliez pas, intervint Neji. Vous remarquerez une irrégularité dans le sol. C’est l’ancien marquage du précédent dôme. Si vous n’avez pas dépassé ces limites, vous serez prisonniers du nouveau.

-Compris. »

 Ils se séparèrent en trois équipes : Naruto et Sakura, Neji et Sasuke, Jiraya restant seul à l’entrée du village. Les autres enfants préféraient éviter un combat inutile. Leurs jeunes corps n’étaient pas encore au fait de combats répétés. De plus, ils préféraient préparer l’incantation pour activer l’objet magique.

Jiraya se vanta de ses capacités extraordinaires. Le Renard ne le reprit pas, confiant en son ancien compagnon d’armes. Il serait apte à défendre les portes du village.

Aussi rapides que le vent, les guerriers partirent chacun dans une direction. Sakura mit les bras derrière elle comme le lui avait appris son mentor. Elle tiqua sous l’effet de la douleur. Son bras avait dû mal à s’adapter à l’exercice. Elle n’arrivait pas à garder le rythme de son protecteur. Ce dernier la rassura au bout de quelques centaines de mètres. Ils allaient agir en toute discrétion. Il entendait un groupe venir dans leur direction. Tapis dans les ombres des arbres, ils attendirent les ninjas de l’ombre s’avancer.

Silhouette meurtrière, Naruto se glissa derrière le dernier membre du groupe et lui trancha la gorge avec sa lame courte. L’homme n’eut pas le temps de crier. Il s’écroula tel un pantin désarticulé. Son compagnon le plus proche s’en aperçut. Il voulut prévenir ses coéquipiers. Cela lui fut impossible avec une flèche lui transperçant la joue. Il fut distrait par ce bout de bois qui empêchait sa bouche de se fermer. Un cri strident lui échappa. Il essayait vainement de retirer le projectile quand le démon lui entailla l’abdomen. Les deux derniers hommes de cette équipe de quatre moururent tout aussi rapidement de la main du Renard et en silence.

Une fois terminé, Sakura se rapprocha récupérer sa flèche. Les munitions étaient rares. Elle se devait de conserver ses atouts, surtout en pareilles occasions.

 « C’était assez facile, commenta-t-elle.

-Ce n’était que le début, fillette. Des dizaines d’autres se dressent sur notre chemin.

-J’espère que les deux autres s’en sortent tout aussi bien. »

 

 

L’homme était figé, un masque exprimant l’horreur peint sur le visage. Bientôt, son cœur cesserait de battre. Extérieurement, il était indemne et en parfaite santé. Dans son âme, il assistait impuissant à la dégustation de son corps par de multiples démons. Sasuke avait joué de son art sur lui. Dans le monde des illusions, son calvaire avait duré des heures alors qu’il n’avait croisé le regard de l’Uchiwa que depuis quelques secondes.

Satisfait, le jeune guerrier à la crinière ténébreuse rangea son katana. Peu de sang avait coulé sur la lame. Tant mieux. Le liquide poisseux faisait perdre son coupant au sabre. D’autres gorges demandaient à être tranchées avant la fin de cette journée. Une lame émoussée donnait de mauvais résultats lors d’un combat.

Neji sortit de sa cachette. Son corps frêle l’empêchait de se jeter dans la bataille. Il se contentait d’accrocher le regard de l’un ou l’autre assaillant. Ensuite, il le plongeait dans le septième cercle de l’enfer, le condamnant à une mort qui était loin d’être paisible.

Neji voulut s’approcher de son frère mais buta contre quelque chose. Il leva la main et rencontra une surface dure sous ses doigts juvéniles au lieu du vide. Il chassa tout de suite la possibilité du dôme parce qu’ils avaient veillé à ne pas franchir ses limites. Pourtant, un kenkai se dressait bien devant lui. Il l’empêchait de rejoindre Sasuke.

Des shurikens sortirent du néant. L’Uchiwa les évita de justesse. Il avait réagi à l’instinct. Ce ne fut que lorsqu’il atterrit de son saut spectaculaire qu’il réalisa l’ampleur du danger. Son ancienne coéquipière, Karen, était juchée sur une branche d’arbre, un bandeau sur les yeux.

 « Tu as peur de moi, jolie Karen, que tu me caches tes beaux yeux.

-Moque-toi, Sasuke. Ceci est ma punition pour m’être laissée berner une fois de plus par vos techniques d’illusion. »

 A ces mots, elle lança une nouvelle attaque de shurikens que son adversaire n’eût aucun mal à éviter. Ces derniers n’étaient en réalité qu’une ruse pour le distraire. La jeune femme apparut derrière lui et en profita. Elle sortit ses kunaï et frappa. Le guerrier les para à l’aide de son katana. Il eut du mal à se réceptionner correctement. L’assaillante ne lui céda pas un instant de répit. Sa hargne la poussa à multiplier les attaques, faisant reculer le ténébreux. Dans leurs échanges, Sasuke parvint à lui arracher son bandeau, dans l’espoir vain de la manipuler à sa guise à l’aide d’une hypnose.

Le tissu arraché flotta quelques secondes dans les airs. Il n’avait été guère difficile de l’entailler sans toucher la peau laiteuse de sa propriétaire. Surprise, cette dernière avait cessé ses assauts et reculé de trois pas. Elle jugea la fatigue de son adversaire et réfléchit à de nouvelles tactiques. Quant à celui-là, il avait perdu sa langue devant le spectacle face à lui.

Deux trous géants se tenaient en lieu et place des yeux de Karen. Autour des orbites, la chair avait été brûlée, signe d’une cautérisation inhumaine de la plaie. Souffrir n’était pas un verbe assez fort pour décrire le supplice qu’elle avait dû endurer à cette mutilation.

 « Que t’est-il arrivé ? murmura-t-il malgré lui.

-Je te l’ai dit : maître Orochimaru a puni ma défaillance. Peu importe mes yeux, je peux toujours te voir grâce à l’émanation de ton chakra et à ton aura.

-Je suis désolé…

-Je n’ai que faire de ta pitié. Au contraire, je n’exige que ta soumission. Je te hais, Sasuke, je te hais tellement que tes plaintes ne suffiront pas à calmer mon ire. »

 Sasuke avait récupéré un peu de contenance grâce à ce petit aparté. Il évita les coups avec plus de fluidité. Il parait chaque agression. Il se défendait plutôt qu’attaquer. Le jeune homme ne se résolvait pas à la combattre pleinement. Il était conscient de sa part de responsabilité dans son état déplorable. Il aurait aimé la neutraliser sans avoir à la tuer, en souvenir de leur ancienne association. Erreur fatale ! La sensiblerie de la petite déteignait sur lui. En bon ninja, il devait savoir que les états d’âme n’avaient pas leur place en ce lieu, en cet instant.

Ayant perçu une faille dans la défense de son adversaire, Karen tapa de la paume de sa main sur les cuisses et le bras droit du ténébreux. Les effets furent immédiats. Le jeune homme perdit l’usage de ses membres marqués.

 « Tu le sais que ma spécialité sont les sceaux et les kenkai. Pourquoi ne m’as-tu pas tenue à distance ?

-Je ne voulais pas croire que tu puisses réellement me blesser.

-Ton orgueil te perdra. Je veux que tu souffres, dit-elle en lui entaillant les joues de son kunaï. Je vais peut-être te crever les yeux à toi aussi. Ainsi, tu ne seras plus une menace pour qui que ce soit. Ne t’inquiète pas, mon mignon, ce n’est qu’un mauvais moment à passer.

-Tu es devenue complètement folle, ma pauvre fille.

-On verra si tu tiens le même discours dans les trois prochaines minutes, minauda-t-elle en levant son arme.

-Sasuke !! »

 Neji frappait de toutes ses forces le kenkai dans lequel il était enfermé. La peur lui déformait le visage. Il n’avait pas besoin de faire appel à ses dons pour comprendre la volonté meurtrière de cette femme.

Cette dernière s’amusa à planter ses armes dans les cuisses offertes. Elle savourait l’incapacité de Sasuke de répliquer comme il se devait à ses affronts. Elle veillait à ne pas trancher une veine importante afin de perdurer le supplice de cet orgueilleux guerrier.

Puis, elle tourna la tête vers l’enfant en larmes à quelques mètres. Son désespoir était touchant. Sa jeunesse faisait qu’il avait beaucoup de difficulté à cacher ses émotions. Ah ! Cela devait être les fameux symptômes dont parlaient maître Orochimaru. Neiji d’habitude si calme et pondéré se révélait faible et dépassé. Une idée encore plus tordue naquit dans son esprit.

 « Je vais reporter ta petite modification à plus tard, mon beau Sasuke, sourit-elle avec sadisme. Je sais à quel point tu adores ton grand frère. Je vais commencer par lui.

-Ne le touche pas ! menaça l’homme à genoux.

-J’aimerais bien te voir t’interposer dans ton état, se moqua-t-elle.

-Katon : Goukyakuu no Jutsu ! »

 De son bras encore valide, Sasuke exécuta les symboles nécessaires à son jutsu. Des flammes sortirent de sa bouche et s’enroulèrent autour de la rousse. Celle-ci ne retint pas son cri de douleur. Ivre de colère et incapable de réfléchir de manière cohérente, elle s’élança sur le ninja avec l’énergie du désespoir. Elle enfonça ses deux kunaïs dans ses épaules tout en le faisant basculer dans la neige. Grâce à la roulade, le ténébreux récupéra son katana qu’il avait lâché quelques minutes auparavant à cause du sort d’immobilisation et trancha la tête de l’hystérique.

Le kenkai disparut en même temps que sa maîtresse. Neji accourut dès que possible vers son frère. Il éteignit les flammes qui léchaient les vêtements déjà abimés par le combat avec de la neige. Sasuke souffla bruyamment. Des petits nuages de vapeur s’échappèrent de ses lèvres.

 « Idiote ! Tu connaissais pourtant toutes mes techniques. Pourquoi n’as-tu pas paralysé mon deuxième bras ? murmura Sasuke à la morte à ses pieds.

-Ressaisis-toi, voyons, commanda l’ancien Uchiwa en tapotant les joues du blessé. Pourras-tu marcher ?

-Difficilement. La garce a bien entaillé mes jambes.

-Dans ce cas, je vais t’aider. Allons rejoindre les autres. »

 Le jeune adulte ne put émettre qu’une vague onomatopée. Sasuke en connaissait un qui allait ricaner de son état suite à un combat avec une fille.

 

 

Sakura était épuisée. Son bras se rappelait douloureusement à sa conscience. Ses muscles avaient besoin d’être ménagés. De plus, elle sentait un point de côté naître sur sa droite. Malgré le froid, ses poumons étaient en feu et un goût métallique envahissait sa bouche. Toutefois, elle n’osait se plaindre. Naruto n’était pas exténué ; au contraire, il semblait en grande forme. Un sourire carnassier s’était même épanoui sur son visage au fil des escarmouches sanglantes.

« Attends-moi ici. Je sens l’odeur des frères Uchiwa. Ils ne vont pas tarder. Je vais continuer à m’occuper de quelques membres de l’organisation. Je reviens dans une dizaine de minutes.

-Tu es sûr ?

-Ne joue pas la comédie. Je connais tes limites. J’ai besoin que tu ménages tes forces. Sinon, je serai obligé de te porter sur mon dos durant le voyage. La dernière fois, j’ai cru que j’allais rester coincé dans cette position.

-Crétin », rit-elle en lui tapotant l’arrière du crâne.

Naruto était de bonne humeur. Il partit le pied léger.

Sakura s’assit sur un rocher qu’elle venait d’épousseter. Elle contempla ce décor hivernal. Enfermée dans le château de l’organisation noire, elle n’avait jamais vu la neige en pleine nature. Elle se perdit dans ce tableau blanc, son esprit vagabondant dans ses songes. Ses oreilles s’imprégnèrent des bruits ambiants. Elle décela une incohérence dans les déplacements d’inconnus non loin d’elle.

La fleur avait bien repéré deux personnes. Une en face d’elle et une sur sa gauche. Puisque Naruto lui avait dit que les frères arrivaient, elle ne s’était pas inquiétée de leur identité. Du moins, jusqu’au moment où elle comprit que la personne sur sa gauche trainait la jambe. En réalité, ce n’était pas un blessé. C’était une jeune personne qui tirait un corps. Un craquement de branche l’obligea à scruter les bois.

Bientôt, elle vit apparaître Sasuke appuyé sur Neji et avançant avec difficulté.

« Sasuke, Neji, que s’est-il passé ?

-Sakura, attention ! »

L’enfant-vision lâcha son fardeau qui s’étala dans la poudre blanche. Il s’élança vers la jeune fille et la poussa de toutes ses forces. La fleur en eut le souffle coupé. La chute fut amortie grâce à la poudreuse épaisse. Lorsqu’elle releva la tête, courroucée suite à l’indélicatesse du garçon, elle comprit la raison de son geste.

Un immense serpent avait foncé sur les enfants. Ses crocs étaient plantés dans l’abdomen de son sauveur. La tunique blanche se teinta de rouge. Cela ne suffit pas à l’animal. Il resserra encore et encore ses mâchoires puissantes. Sa proie cracha du sang. Il ne savait par quel miracle il tenait encore debout alors que toutes forces le quittaient.

« Neji ! souffla Sakura.

-ITACHI ! » hurla Sasuke en tentant de se relever.

Ses jambes refusaient de lui obéir. Son corps était lourd. Les petites entailles n’auraient pas dû le diminuer de cette façon. Karen avait certes touché les muscles de ses jambes et ses épaules. Mais ce n’était pas une explication suffisante à sa faiblesse soudaine. Sa vue se brouilla sous l’effort.

« Je veux que tu souffres », murmurait les lèvres de la morte à ses oreilles.

Karin n’était pas très forte ni habile au corps à corps. Si elle avait pu survivre jusqu’à présent, c’était parce qu’elle était rusée et calculait l’impact de la moindre de ses actions. Stupide ! Il avait été stupide ! Elle ne lui avait pas laissé l’usage de son bras par inadvertance. Elle supposait seulement qu’il n’en aurait pas l’usage à cause du…

« Poison », réussit-il à articuler avant de s’effondrer, face contre terre.

Il aurait dû ressentir la morsure du froid sur sa peau, l’engourdissement gagner ses membres. Au lieu de cela, l’inconscience s’empara de son corps, le rendant incapable de protéger ceux qu’il aimait. Une fois de plus, il était trop faible.

Sakura banda son arc et tira sur le reptile. L’état de Sasuke ne lui avait pas échappé. Elle s’en occuperait plus tard. Pour l’heure, Neji était dans une situation plus périlleuse. Deux flèches filèrent en direction du serpent. La première transperça sa nuque ; la seconde se planta dans l’œil. La bête mourut sans lâcher sa prise.

L’archère courut vers son ami qui s’agenouilla, incapable de conserver sa position debout. Elle parvint à le libérer de l’emprise des canines aiguisées. Le sang afflua. La jeune fille compressa la plaie. Cela ne suffit pas à contenir le liquide poisseux. Ses mains se colorèrent d’un rouge sale. Elle ne distinguait plus ses ongles de sa peau. La panique la gagnait. Il lui fallait trouver une bande de tissu. Cela obstruerait l’entaille.

« Arrête… Suis foutu…

-Tais-toi !

-Hinata… Je…

-Chut ! Tu dois économiser tes forces. La blessure est vilaine.

-Tu as tué mon mignon, ma petite Sakura. »

C’était une voix d’outre-tombe. Elle reconnut son propriétaire. Son propre sang se glaça dans ses veines. Elle avait peur car elle savait pertinemment qu’elle ne faisait pas le poids contre un tel adversaire. La jeune fille se redressa, cherchant désespérément des yeux son ennemi. Si elle le repérait, elle espérait se défendre et protéger ses amis tous deux à la merci du monstre. 

« Montre-toi », hurla-t-elle en se relevant, adoptant la position de combat, son arme de jet prêt à l’usage.

Elle avait conscience que Neji se vidait de son sang à ses côtés. Elle n’avait pas encore eu le temps de panser la plaie. Elle était prise entre deux feux : d’un côté, elle voulait soigner l’enfant ; de l’autre, elle devait les défendre contre l’ennemi tapi dans l’ombre. Elle serra les dents. Elle n’y arriverait pas. Elle ne pourrait exécuter les deux entreprises en même temps. Elle avait besoin de soutien. Jiraya était trop loin. Elle ne pourrait l’avertir. Naruto avait dit qu’il allait revenir dans une dizaine de minutes. Elle s’accrocha à cet espoir. 

« C’est plus amusant de te voir gigoter dans tous les sens, petite fille. Connais-tu ma salamandre ? Elle se fera un plaisir de t’apprendre à danser la gigue de la mort. »

Un énorme lézard se dégagea d’un tronc d’arbre. La neige et le soleil permettaient de rendre cette clairière lumineuse. Naruto l’avait sélectionnée à cause de l’espace dégagé que cela lui offrait, mis à part les quelques sapins qui avaient camouflé Neji et Sasuke à leur arrivée. Comment une bête aussi énorme avait pu se fondre avec le décor hivernal ? Sans oublier qu’il n’y avait aucun feuillage derrière lequel se cacher.

Sakura réprima un frisson. Ce n’était pas le moment de céder à la terreur. Elle devait conserver l’esprit clair. Les sentiments comme la frayeur ou l’angoisse obscurcissaient son jugement.

« Je croyais que tu avais besoin de nous en vie, argua-t-elle, retardant au mieux l’instant de la confrontation.

-C’était avant de me rendre compte que je ne pourrais jamais te contrôler. Tu es trop instable avec ton libre arbitre. Les autres sont plus malléables. Ils ne choisissent pas l’instant de leur vision. Ils ne peuvent échapper à cette fatalité. Je peux recueillir leurs visions comme je l’ai fait jusqu’à présent avec Neji.

-Pourtant, tu as réussi à déjouer toutes mes visions. Tu m’as trompée à la capitale. Aujourd’hui encore, je n’ai pu déceler ta présence en ces lieux.

-C’est grâce à l’enseignement de notre petit Neji. Il m’a assuré que tu ne pourrais me repérer tant que je serais indécis. Ces conseils m’ont été très utiles. »

La conversation donna l’occasion à l’archère de réfléchir sur ses différentes options. Elle ignorait le temps exact écoulé depuis leur départ du village. Elle estimait qu’une bonne heure s’était déjà envolée. Or, ils se trouvaient toujours sur les terres du dôme. Si elle ne bougeait pas, si cet homme s’entêtait à la narguer encore de la sorte ou l’immobilisait d’une quelconque façon, elle serait piégée avec lui au village. De surcroît, elle ne pouvait se mouvoir librement avec les deux autres blessés dans la zone de combat. La seule solution était de s’enfuir. Elle partirait dans la direction que Naruto avait prise en espérant le rencontrer. Elle devait éloigner cette chose de ses compagnons.

Sans prévenir, elle décocha une flèche sur le corps de l’animal. La jeune fille avait manqué de précision. Elle avait visé la tête. Ses mouvements étaient trop raides ; son bras était indiscipliné faute de rétablissement et d’exercices.

« Si tu me veux, vipère, attrape-moi. »

Sur ces mots, la jeune guerrière s’élança sur les traces de son protecteur. Elle n’avait pas le temps de sauter majestueusement de branche en branche. Seule comptait la vitesse de la course. Un bruit grave lui indiqua que la salamandre la poursuivait bel et bien. Elle n’allait pas perdre de temps à vérifier avec ses yeux que c’était le cas. La bête était véloce malgré sa corpulence. Elle possédait deux pattes supplémentaires que Sakura et savait s’en servir. La fleur ne se découragea pas. Elle accéléra encore.

Elle zigzagua entre les arbres. La ligne droite, bien qu’étant le chemin le plus court vers une destination, était synonyme de mort en cas de poursuite. La kunoichi pensait gagner du terrain en forçant son poursuiveur à exécuter des virages. La salamandre était peut-être plus rapide en ligne droite mais son grand corps nécessitait plus de manœuvres qu’elle dans les changements de direction.

Sa course folle s’arrêta quand l’animal cracha des boules de feu. Surprise par cette technique, Sakura la reçut au milieu du dos. Elle tomba pareillement à l’entrainement : en boule. Sa chute fut amortie. Sakura se délesta du haut de son kimono enflammé. Elle aurait froid. C’était tout de même mieux que de finir rôtie.

D’autres projectiles enflammés furent lancés. Sakura fit plusieurs roulades. Elle se remit rapidement à genoux et tira des flèches. La salamandre ne put les éviter. Sa peau écaillée lui permettait de résister à ses tirs. Les flèches restaient plantées dans son dos bien qu’elle ne ressentît aucun mal. De sa queue, l’animal essaya de frapper l’habile gamine. Celle-ci esquiva non sans mal.

L’adrénaline protégeait Sakura du froid et de l’engourdissement. Son souffle, par contre, lui faisait défaut. Le rythme que lui imposait la bête deviendrait impossible à suivre. Elle devait résoudre ce problème sans trop tarder. Comment percer une armure indestructible ? Il fallait repérer la faille. Et quelle partie du corps d’un lézard n’était pas recouverte d’écailles ? Les yeux.

Sakura se concentra. Elle avait réussi avec le serpent ; elle devait réitérer l’exploit. Elle arriverait à discipliner ses muscles blessés. Elle se campa sur ses jambes au mépris de la queue de l’animal menaçant de la frapper. Elle inspira, visa et tira tout en expirant. Le coup l’atteignit dans les côtes au moment où son trait se figea dans l’œil droit de l’animal. Elle entendit le cri d’agonie de la bête tandis qu’elle était projetée contre un sapin au large tronc.

Sakura haleta. De la bile lui était remontée dans la bouche, lui laissant un goût désagréable. Elle ne devait pas se reposer sur ses lauriers. Le combat n’était pas terminé. Elle s’appuya sur ses avant-bras et ses genoux. La salamandre s’arcboutait à cause de la souffrance occasionnée par le projectile. Les cris aigus percèrent les oreilles de la jeune fille. Cela ne dura pas longtemps. Du sang s’écoula de l’œil éclaté. Ses pattes étaient trop courtes pour atteindre l’objet dérangeant. La salamandre se griffait le visage jusqu’à ce que la mort l’emportât.

La blessée exalta. Elle s’assit contre le conifère, grelottant sous l’effet de l’air glacial. Elle se teint les côtes certainement de nouveau fêlées. Elle cogna doucement la tête contre l’écorce râpeuse. Elle regarda le ciel clair, dénué de nuage. Et elle rit. Son rire fou retentit dans les bois silencieux, recouverts de poudre blanche. Elle y était arrivée. Elle avait vaincu l’envoyé d’Orochimaru. Toute seule ! Naruto serait fier d’elle. Ou alors il la réprimanderait sévèrement de s’être mise dans un état pareil.

« Sale peste ! »

L’homme à l’apparence reptilienne avança devant elle. Il s’était matérialisé mystérieusement devant la jeune fille. Il s’agenouilla une seconde à côté du cadavre. Il constata à regret le décès de son favori. Il exprima sa rage et sa contrariété.

Un froid qui ne découlait pas de l’environnement gagna le cœur de la kunoichi. Dans son euphorie, elle avait oublié la présence de ce plus gros danger. Son ennemi vrilla un regard meurtrier sur elle. Il avança doucement, savourant la frayeur de la petite immobilisée. Elle ne pourrait s’enfuir davantage. Il savourerait avec un délice macabre les dernières minutes de cette impudente enfant.

Un shuriken fendit l’air derrière lui. Orochimaru l’évita et se retourna vers l’impertinent qui avait osé le défier. De fait, il succomba à la technique d’illusion d’Itachi Uchiwa. Son corps se figea. Le monstre ne pouvait plus nuire.

« Neji », appela sans conviction la blessée.

Le garçon déglutit, ravalant le sang qui envahissait sa bouche à cause de l’effort fourni. Il avait le souffle court. Il appuya son épaule contre un bouleau glacé. Il espérait stationner en position debout. Il ne put retenir son corps qui s’affaissait contre le minéral.

Sakura se releva sans grâce. Elle soutint ses côtes douloureuses en marchant vers lui. Elle tremblait littéralement. Ses bras étaient offerts à la morsure du froid à cause de la perte de son vêtement. Cela n’ébranla pas sa détermination. Elle saisit un pan de son kimono brulé et déchira une bande de tissu avant de s’occuper de son compagnon éventré.

« Comment as-tu fait pour parvenir jusqu’à nous ? demanda la jeune fille en enlaçant le vêtement déchiré autour de l’abdomen rougeoyant.

-Je devais te protéger », répondit-il.

Ses doigts dessinèrent des marques écarlates sur les joues féminines. Il essayait maladroitement de la caresser dans une volonté de l’apaiser. Ses yeux se fermaient par intermittences. La torpeur aurait bientôt raison de sa volonté.

« Tu es fou.

-C’était mon devoir. J’aurais dû le faire il y a douze ans d’ici. Si tu savais comme je regrette. J’aurais dû me préserver de l’orgueil. Ainsi, je n’aurais pas… Tu n’aurais pas…

-Arrête de délirer !

-Que s’est-il passé ici ? »

Naruto accourut dans la direction des enfants. En se dépêchant, il garda un œil sur Orochimaru statufié. Il écouta leur bref compte-rendu des derniers évènements, un regard sombre sur la tenue de sa petite protégée. Ses lèvres avaient bleui. Ses dents claquaient. Naruto se délesta de son gilet orangé et habilla la petite. Celle-ci lui adressa un sourire de reconnaissance, savourant la chaleur qui avait imprégné le tissu. Discrètement, elle en huma l’odeur. Ce parfum la rassurait. Elle se sentait en sécurité avec lui.

« Et toi ? demanda la fleur.

-Je suis plus résistant. Cette créature abjecte est-elle morte ?

-Non, répondit l’enfant. Il est… juste… hypnotisé…Il reviendra…

-Très bien. »

Le Démon-Renard s’avança vers le prisonnier des songes. D’un geste, il lui arracha la tête et fit basculer son corps d’un coup de pied. Il lança au loin la tête. Il lava ses mains dans la neige au mépris de la sensation glacée. Il ne pouvait supporter l’idée de garder la fragrance infâme de cet être détestable sur ses mains.

Un grondement fit trembler la terre. Les oiseaux s’envolèrent. Ils croassèrent lugubrement. Cela était un mauvais signe.

« Ils ont… déclenché… le mécanisme…

-Naruto ! Nous avons quinze minutes avant la formation du dôme ! hurla Sakura.

-Ne t’inquiète pas, répondit-il d’un ton apaisant. Nous sommes hors de ses limites. Nous ne serons pas prisonniers.

-Tu ne comprends pas ! Neji est avec nous. Il doit regagner Konoha !

-Non ! Il va mourir de toute façon. On ne peut rien pour lui.

-Nous devons le reconduire au village.

-C’est trop tard ! J’entends une troupe venir dans notre direction. Si je le reconduis, ils nous suivront et nous barreront la route. On sera alors piégés.

-Retarde-les. Tu es fort. Cela ira. Je vais porter Neji jusqu’à Konoha.

-J’ai dit : non ! Tu es trop faible.

-J’ai suffisamment de force pour le porter sur mon dos pendant quelques mètres.

-Sakura ! Tu vas m’écouter ! dit-il menaçant.

-Non ! J’ai pris ma décision : je reconduis Neji. »

Naruto voulut s’interposer. Une volée de shuriken s’abattit à ses pieds, le prévenant de l’attaque imminente du groupe ennemi. Sakura, grâce à l’énergie de sa colère, souleva son compagnon. Elle le disposa en califourchon sur son dos. Elle lança un dernier regard à son protecteur. Celui-ci secoua lentement la tête. C’était un avertissement, une interdiction silencieuse à son projet de sauvetage vain.

Sakura retint sa respiration. Elle savait que c’était mal de l’abandonner seul avec ces guerriers de l’ombre. Elle se promit de revenir. Elle ferait demi-tour dès que possible. Elle ne le laisserait jamais seul face à sa solitude. Elle voulut lui expliquer, le rassurer sur sa venue prochaine. Ils n’avaient pas le temps.

Le chemin inverse lui parut plus long que sa course folle contre la salamandre. Elle marchait dans ses pas. Elle entendait gémir Neji à chacune de ses foulées près de ses oreilles. Elle se forçat à accélérer sa cadence. Au bout d’une centaine de mètres, elle vit la petite tranchée provoquée par l’ancien dôme. Elle en fut soulagée. Elle n’avait qu’à installer Neji contre un arbre et retourner auprès de Naruto avant la conception du kenkai.

Une ombre déambula entre les arbres. C’était Sasuke qui avait repris conscience. Sakura allongea la réincarnation de l’Uchiwa auprès de son frère. Le jeune homme ne retint pas ses larmes devant l’état pitoyable de l’enfant.

« Mon frère, pourquoi ?

-Je devais… la protéger… Je suis né pour cela… Sais-tu pourquoi… pourquoi j’ai pu vous guider jusqu’à Konoha ? »

Aucun des deux veilleurs ne répondit. Sakura voulait partir. Cependant, la curiosité féminine est un vilain défaut. Elle attendit la réponse de son compagnon. Elle était hypnotisée par ces lèvres sèches et ensanglantées.

« Je suis… mort le jour de notre rencontre… Seuls les enfants-visions au seuil de la mort… peuvent entrapercevoir le chemin du… village sacré… Mon destin est accompli… J’aurais dû mourir en te protégeant… Hinata… Ma vie… contre la tienne… Je peux m’éteindre en… en paix… »

Son dernier souffle s’échappa de ses lippes. Un nuage s’en éleva en silence, se dispersant dans l’air jusqu’à sa totale évaporation. Les pupilles nacrées avaient perdu leur éclat, preuve que l’âme s’était élevée à un autre plan. Doucement, la fleur de cerisier baissa les paupières de l’enfant.

Sasuke recourut au déni. Son frère tant aimé ne pouvait mourir une deuxième fois sous ses yeux. Pas complètement insensible, Sakura laissa couler ses larmes le long de ses joues crasseuses. L’hémoglobine du défunt avait séché et tirait sur sa peau fragile. Pourtant, elle ne voulait pas effacer les dernières marques de cet être tant détesté et à qui elle devait la vie.

Un impact violent interrompit leurs pleurs. Les oiseaux s’enfuirent mais se cognèrent dans un objet invisible. Puis, un silence sinistre s’installa.

« Non, non, non, non ! » psalmodia-t-elle.

La peur s’insinua en elle. Elle ne voulait le croire ; elle ne pouvait le croire ; elle refusait de le croire.

Toujours à genoux près du corps de Neji, Sakura se retourna vivement. Naruto était là, debout, à quelques mètres d’elle. Au lieu de lui amener du bonheur, l’apparition la foudroya d’effroi. Le Démon avait les yeux exorbités, l’iris écarlate. Des flammes léchaient son corps entier mais ne blessaient nullement son épiderme. C’étaient les queues ectoplasmiques du renard. Elles étaient une partie de lui. Du sang maculait ses vêtements, le sang de ses ennemis tombés sous sa lame. Il la regardait tel un fantôme.

Sakura se leva lentement. Une grimace déformait les traits magnifiques de son visage. Au fur et à mesure qu’elle le détaillait, elle comprenait le cheminement de son raisonnement.

« Na… Naru… to ? » appela-t-elle doucement.

Il ne réagit pas. C’était cela le plus horrible dans son attitude : son inactivité. Il ne frappait pas contre la paroi, ne hurlait pas contre le destin, n’aboyait pas contre sa stupidité. Il était juste là, les bras pendants. Finalement, il se décida à faire demi-tour. Il fit un pas et puis l’autre. Il s’éloignait tranquillement, loin d’elle, comme si elle n’était rien.

Sakura se jeta contre le kenkai. Des poings, elle accula le mur invisible. Son cri de désespoir brisa le silence étouffant. Il résonnait dans ce dôme invisible, accroissant son chagrin et sa douleur d’avoir perdu contre le destin.

« NARUTO ! Reviens ! Ne me laisse pas !!! REVIENS !! »

Sa voix se brisa. Elle blessa ses mains à force d’attaquer inutilement le dôme. Epuisée, elle s’affaissa contre lui, continuant à le marteler. Des soubresauts incontrôlables secouèrent son corps chétif.

« Désolée, hoqueta-t-elle, je suis désolée. Je ne voulais pas. J’aurais dû t’écouter. Je t’en supplie, reviens. Libère-moi. Par pitié, ne m’abandonne pas. Naruto, je t’aime. Tu entends, crétin ? Je t’aime. Alors reviens. Reviens… »

Sa litanie se transforma en lamentations incompréhensibles. Plus rien n’existait d’autres que l’image du démon lui tournant le dos.

Des bras la soulevèrent de la neige. Elle gigota en guise de refus.

« Laissez-moi ! Il va revenir me chercher ! Naruto ! Naruto ! Lâchez-moi ! »

Elle était devenue démente sous l’effet de sa séparation soudaine. Jiraya l’assomma.

 

 

Sakura reprit connaissance dans sa chambre. La jeune fille était toujours aussi sale. Elle avait mal à la tête à force d’avoir pleuré. Elle aperçut son arc ainsi que le gilet de Naruto posés sur une chaise dans un coin de la pièce. Elle sortit de son lit. Elle sentit ses côtes se rappeler à son bon souvenir. Elle n’en avait que faire. Même le sol glacé sous ses pieds nus ne ralentit pas son geste.

Ses yeux s’embuèrent au souvenir de cette journée. Le matin encore, elle souriait naïvement à l’idée de vivre libre aux côtés de son aimé. Des gouttes salées s’échappèrent une nouvelle fois.

La jeune fille s’écroula devant le tissu orangé. Elle le porta à son nez, inspirant le parfum musqué. C’était tout ce qu’il restait de lui. Un petit objet s’échappa de la poche du gilet. Il fit un petit bruit métallique en touchant le sol en pierre. Interloquée, la demoiselle saisit l’anneau incongru. C’était une petite bague. Il y avait une inscription dessus :

« Deux êtres, une seule destinée. »

Le souvenir de cet achat effectué quelques mois auparavant lui revint en mémoire. Elle pensait les avoir perdus quand elle les avait laissé tomber. Le blond avait dû les ramasser après son départ et conservé cette babiole. Il l’avait en sa possession depuis tout ce temps et il ne lui avait rien dit. Elle en fut étonnée.

La magie des visions la prit au dépourvu. Sakura n’avait évoqué nullement son pouvoir. C’était comme si son pouvoir prenait vie en elle. L’image fugitive d’Hinata s’imposa à ses yeux avant de plonger dans sa vision.

 

Naruto titubait entre les arbres. Il n’était pas faible ni blessé ; il semblait épuisé par la vie. Quelque chose lui avait ôté toutes forces vitales. Il trébucha à de nombreuses reprises sans chuter pour autant dans la neige. Des sillons avaient été creusés par ses pieds trainants. L’homme n’avait que faire du peu de discrétion de sa progression. Si ses ennemis le dénichaient, il les tuerait jusqu’au dernier. Il voulait se débarrasser de ce poids qui ébranlait son cœur, de cette hébétude qui emprisonnait son corps.

 Ses bras pendaient ; la pointe de son sabre tenu dans sa main droite traînait contre le sol, produisant de petits bruits métalliques intermittents lorsque la lame rencontrait des pierres sous la poudreuse. Le Renard était maculé de la tête aux pieds de sang. C’était la preuve de l’anéantissement de l’organisation de l’ombre, du moins, de ses représentants actuels qui leur avaient donné la chasse. 

Soudain, l’homme s’effondra. A genoux, il planta son sabre court dans la terre. Il serra la poignée des deux mains et y cacha son visage. Il pleurait.

« Sakura-chan, hoqueta-t-il. Pourquoi as-tu fait cela, Sakura-chan ? »

Il découvrit le collier qu’il avait secrètement fabriqué. Au bout de la corde cuir, un petit anneau pendait. Naruto l’arracha. Il le passa à son annulaire gauche.

« Je t’en fais le serment, murmura-t-il, je reviendrai te chercher. Dès que j’aurais trouvé le moyen de pulvériser ce dôme de malheur, je te sortirai de cette prison. Dans un an, dans cinq ans, dans dix ans, peu importe le temps que cela me prendra. Un jour, on se reverra.

-NARUTO ! »

 

 Sakura gémit de plus belle et cacha son visage dans le gilet. La neige, à présent fondue, l’avait mouillé. La fraicheur de l’eau extérieure apaisa ses yeux gonflés de tristesse.

Alertés par les cris, les enfants-visions pénétrèrent dans la chambre. Ils découvrirent leur aînée dans une position pathétique.

 « Sakura ? »

 Ino avait prononcé son nom avec toute la douceur dont elle était capable. Elle ne voulait pas minimiser son chagrin et encore moins le raviver. Sakura se détacha du vêtement.

D’une lenteur caractéristique des personnes ayant perdu l’esprit, elle leur sourit. Ce sourire était désabusé. Il ne touchait pas son regard éperdu.

 « Tout va bien. Il va revenir me chercher. Un jour, on se reverra. »



Mot de l'auteur


Voilà, ce premier tome est fini. Merci à vous d'avoir lu jusqu'ici. Pas trop triste de cette séparation? J'avoue que j'ai eu une petite larme en l'écrivant mais je voulais faire comprendre que dans la vie, tout ne se passe pas comme on l'avait prévu.


Prochainement, je vais publier un extra sur la vie d'Hinata avant et pendant sa rencontre avec Naruto. Je vais également dévoiler certains de ses secrets. Puis, je prendrai une petite pause pendant les vacances avant de commencer le tome 2.


Voilà à la semaine prochaine et courage aux étudiants qui sont en examens. Ici en Belgique, les examens commencent seulement vu que nous avons cours jusqu'en juillet. Au revoir!


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