Le temps d'un mariage

Chapitre 4 : Troisième chapitre

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:59

Troisième chapitre

 

 

 

 

 

De la neige à Konoha. Qui l'eût cru ? Elle aurait dû s'en douter, reconnut Sakura en se pelotonnant dans son manteau et en renfonçant dans la banquette du 4x4, heureusement bien chauffé, qui les emmenait au château.

Après avoir adressé quelques mots à leur chauffeur au début du trajet, Sasuke n'avait fait aucun effort pour discuter avec elle, et c'était contenté d'étendre son long bras musclé sur le dessus de la banquette, derrière elle.

Le château était situé à quelque distance de la vieille ville. Les images que sa mère lui avait envoyées par courriel étaient celles d'un château de conte de fées se dressant dans un décor enneigé, d'un blanc immaculé, mais Sakura, comme une idiote, n'avait pas réfléchi à ce que cela signifiait concrètement : qu'il y ferait un froid de loup. Et à présent que la lumière de l'après-midi déclinait, le paysage lui semblait moins beau, plus hostile.

Pour ne rien arranger, Sasuke lâcha soudain d'une voix traînante :

- J'espère que vous avez emporté des vêtements chauds...

- Non, fut-elle forcée d'avouer. Mais je suis sûre que le château a le chauffage central.

- Vous êtes "" sûres "" ? demanda Sasuke avec un nouveau haussement de sourcils qui fit brusquement naître le doute chez Sakura.

- Certaine, répliqua-t-elle. Ma mère déteste le froid, elle n'accepterait jamais de séjourner dans un lieu mal chauffé.

- Si vous le dites... Moi, ce que j'ai remarqué, c'est que la plupart des châtelains détestent dépenser de l'argent pour chauffer leur propriété, surtout quand ils la louent. Mais peut-être que votre mère ne sentira pas le froid puisque, comme nous, l'amour lui tiendra chaud.

Sakura lui lança un regard mauvais.

- Très drôle.

- Je suis sérieux. Est-ce que vous avez conscience du degré d'intimité qu'implique notre petit jeu, étant donné que nous allons le jouer dans le cadre très restreint, et potentiellement très explosif, d'une fête de famille ?

- Il n'y aura pas la moindre intimité réelle entre nous, protesta Sakura, le feu aux joues. Nous dirons aux gens que nous sommes fiancés, et ils le croiront, parce qu'il n'y a pas de raison de croire le contraire. Nous n'avons pas à leur donner de preuve. Et de toute façon, je porte une bague.

D'un mouvement brusque qu'elle n'avait pas anticipé, il lui saisit le poignet. Elle sut alors qu'il sentait sous son pouce les battements frénétiques de son coeur, ce qui n'eut pour effet que les précipiter.

- Qu'est-ce que vous faites ? lui demanda-t-elle avec colère quand, l'instant d'après, il lui ôta sa bague.

- Vous ne pensez tout de même pas que les filles d'un milliardaire vont se laisser duper par ce truc, dit-il en secouant la tête et en empochant le solitaire. Elles verront au premier coup d'oeil que la pierre est fausse, et de là à en déduire que nos "" fiançailles "" le sont aussi, il n'y a qu'un pas, qui est vite franchi.

- Mais il faut que j'aie une bague ! s'exclama Sakura, désemparée. Sans ça, personne ne voudra jamais croire que nous sommes fiancés !

- Essayez ça.

Il sortit de sa poche un petit écrin d'aspect miteux et le lui tendit. Sakura n'en croyait pas ses yeux. Elle prit la boîte d'une main un peu hésitante. Il n'avait tout de même pas acheté une bague ?

- Bon, donnez-la-moi, dit-il sur un ton impatient après l'avoir regardée se débattre avec le fermoir pendant quelques instants.

Il l'ouvrit si facilement qu'elle se sentit complètement empotée, mais sa honte céda la place à l'émerveillement quand elle vit ce qui se trouvait à l'intérieur. L'anneau en or était bien peu usé, mais l'émeraude rectangulaire sertie de diamants scintillants qu'on y avait montée était sublime, et, de toute évidence, véritable.

- Ou... Comment...

- Elle appartenait à ma mère, la coupa Sasuke, laconique.

Aussitôt, Sakura referma l'écrin et voulut le lui rendre.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Je ne peux pas porter la bague de votre mère.

- Pourquoi pas ? Elle est beaucoup plus convaincante que la cochonnerie que vous aviez choisie.

- Oui, mais elle appartenait à votre mère.

- Oui, mais elle ne me l'a pas léguée avec l'ordre formel de ne la passer qu'au doigt de la femme de ma vie, si c'est ce que vous craignez. Elle n'était pas comme ça, elle ne croyait plus à l'histoire de Cendrillon et de sa chaussure de ver depuis bien longtemps, quand elle est morte.

- Et sa bague, vous la gardez toujours avec vous ? lui demanda Sakura dans un chuchotement plein d'émotion.

Sasuke se tourna vers elle. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait rencontré un tel coeur d'artichaut. Comme il détestait la sentimentalité !

- Pas du tout, jeta-t-il. Je l'avais déposée chez le bijoutier il y a quelques jours pour la faire expertiser, et je suis passé la chercher avant de venir chez vous, c'est tout. Je voulais la rapporter au coffre juste après l'avoir récupérée, mais il y avait beaucoup trop de circulation, et j'ai eu peur que ça me retarde. Maintenant, elle sera sans doute plus en sécurité à votre doigt que dans ma poche.

Il avait l'air sincère, et, à vrai dire, tout sauf sentimental, reconnut Sakura.

- Donnez-moi votre main, dit-il en la lui prenant et en rouvrant la boîte.

- Non, non, dit Sakura.

Elle secoua la tête et tenta de retirer sa main.

- Il ne faut pas.

Le pressentiment du danger, tel un doigt glacé se posant au creux de ses reins, la fit frissonner. Elle vit que Sasuke la regardait avec un mélange de moquerie et d'impatience, et bien que ce mépris la blessât, elle ne céda pas.

- Bon, qu'est-ce qui se passe ? demanda Sasuke avec sarcasme. Quel terrible tabou avez-vous peur de briser ?

- Je n'aime pas l'idée que ce soit vous qui me mettiez cette bague. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ça me dérange.

- Oh, je vois. Ça vous dérange que je vous passe la bague au doigt, mais ça ne vous pose aucun problème de jouer la comédie pendant plus d'une semaine pour faire croire à tout le monde que nous sommes fiancés.

- C'est une question de symbole...

- C'est stupide, la coupa Sasuke, impatienté, en lui prenant la main et en glissant la bague à son annuaire avant qu'elle puisse réagir.

Sakura s'était dit que la bague ne serait pas à sa taille, mais elle s'était trompée, elle lui allait parfaitement. Si parfaitement qu'on aurait cru qu'elle avait été faite pour elle, qu'elle lui avait été... destinée. Mais non, c'était ridicule...

- Voilà, c'est fait. Et vous voyez, il ne s'est rien passé.

C'était ce qu'il croyait, songea Sakura, mais il s'était passé quelque chose en elle. Elle sentait à son doigt le poids de la bague et le contact doux de l'or vieilli, et elle avait la sensation que son coeur, comprimée, était prêt à exploser, comme si c'était autour de lui que Sasuke avait glissé l'anneau. Quand elle regarda sa main, elle fut frappée par l'éclat chamarré des diamants. Ou étaient-ce les larmes qui faisaient danser devant ses yeux cette myriade de couleurs scintillantes ?

Sasuke lui avait donné cette bague avec solennité, et pourtant, il semblait à Sakura qu'en l'acceptant, elle s'engageait à quelque chose, comme si la bague lui communiquait un message, ou déclenchait en elle une réaction féminine instinctive, une angoisse. Mais il était trop tard. La bague de Sasuke était à son doigt, et ils arrivaient, dont les lumières illuminaient l'intérieur de la voiture.

- Comment était-elle ? demanda doucement Sakura, cédant à un irrépressible besoin de savoir.

- Qui ça ?

- Votre mère.

Sasuke était décidé à changer de sujet, mais, sans bien comprendre pourquoi, il s'entendit répondre d'une voix calme et sincère :

- C'était une militante écologiste, sage et aimante, et pleine de vie. Elle est morte quand j'avais huit ans, pendant une manifestation. Il y a eu des affrontements, et dans la bousculade elle est tombée et s'est cogné la tête par terre. Elle est morte presque sur le coup.

Un lourd silence suivit ces paroles, prononcées d'une voix tranquille, mais dont l'apparente absence d'émotion provenait, devina Sakura, d'une pudeur plus touchante encore. Elle baissa les yeux vers la bague et la caressa avec douceur, en hommage à la femme à qui elle avait appartenu.

Sasuke se demandait vraiment pourquoi il avait parlé de sa mère à Sakura. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé à elle, et à sa mort. Il se rendait bien compte, néanmoins, que sa détermination à révéler le scandale des dégâts écologiques causés par David Laham était ancrée dans son enfance et dans sa volonté de défendre la cause à laquelle sa mère avait dédié sa vie. Oui, écrire, dévoiler la vérité, c'était tout ce qui comptait. C'était la seule raison pour laquelle il se trouvait avec Sakura en ce moment : parce qu'elle lui donnait la possibilité d'approcher Math Alvarez. Et si cela signifiait qu'il se servait d'elle, il n'allait pas pour autant se sentir coupable. Après tout, elle se servait aussi de lui.

 

 

- Je ne m'attendais pas à ce que le château soit aussi loin de la ville, avoua Sakura, près d'une demi-heure après que la voiture eut quitté et ses rues pittoresques drapées de jolies illuminations de Noël. Ni aussi haut dans la montagne.

Ils avaient déjà traversé les stations de ski elles aussi décorées, semblables à des cartes de Noël. Bien que le paysage de neige qu'ils traversaient à présent fût d'une beauté à couper le souffle, Sakura s'étonnait tout de même que sa mère, qui aimait tant le soleil, ait choisi de se marier dans un lieu pareil.

Ils quittèrent la grande-route et s'engagèrent sur un étroit chemin dont les lacets, bordés de sapins couverts de neige, menaient au château féerique, perché au sommet de la montagne. De la lumière brillait à toutes les fenêtres, et des projecteurs éclairaient la façade, renforçant l'impression d'irréalité et baignant la neige environnante d'une lueur rose presque irisée.

- Qu'est-ce que c'est beau, murmura Sakura.

Sasuke se tourna vers elle, prêt à répliquer que ça ressemblait à un décor imaginé par un studio de film. Mais alors qu'il vit le visage et le cou délicat de la jeune femme dans la lumière argentée de la lune et remarqua qu'elle respirait plus fort.

Par un phénomène incompréhensible, il se retrouva soudain à imaginer qu'il tenait Sakura dans ses bras et baisait ses lèvres, en proie à un besoin fou de posséder son corps. S'il l'embrassait ainsi, sentirait-il le coeur de Sakura battre, dans sa poitrine, comme il l'avait senti battre à son poignet quelques instants plus tôt, quand il lui avait pris la main ? Et les sursauts rythmés de son sang se répercuteraient-ils jusqu'à la pointe de son sein, qui de dresserait sous sa caresse, réagissant aux petits cercles que décrirait son pouce à l'endroit ou la chair lisse et blanche laissait la place à la douce aréole rosée, gonflée de désir ? Et quand il ferait rouler celle-ci entre son pouce et son index, arrachant à Sakura un gémissement de plaisir et précipitant encore les battements de son coeur, il savourerait chacun de ses légers mouvements d'impatience, sachant ce qu'ils signifiaient, sachant qu'elle l'attendait, humide, avide de l'acceuillir en elle...

Sasuke mit vite un terme à ces pensées. Il était stupéfait que son imagination ait pu dériver aussi vite et aussi loin vers des territoires si puissamment érotiques. Il n'avait pas l'habitude de fantasmer sur les femmes avec qui il sortait, et encore moins sur de parfaites inconnues. Il n'en avait pas besoin : quand il désirait une femme, il n'avait jamais de mal à l'obtenir. Mais il ne couchait jamais avec elle sans s'être assuré au préalable qu'ils avaient de véritables affinités. Et c'était sans doute pour cette raison qu'il se trouvait dans cet état à présent, si excité que cela en devenait presque douloureux. Il avait été tellement pris par son travail ces derniers mois qu'il n'avait pas eu le temps de s'impliquer sérieusement dans une relation. Par ailleurs, l'ex avec qui il sortait de temps en temps avait décidé de se marier, et cela faisait donc un certain temps qu'il n'avait pas eu de rapport sexuel. C'était à coup sûr pour cette raison que son corps réagissait ainsi à présent.

Le 4x4 passa l'énorme portail de bois serti de fer et s'arrêta dans la cour intérieure du château.

Sakura remercia d'un sourire le chauffeur qui lui ouvrait la portière et l'aidait à descendre. La neige avait été balayé, mais son odeur flottait encore dans l'air de ce début de soirée, et le sol de la cour luisait : les pavés devaient glisser. Elle leva les yeux vers la grande double porte du château et aperçut, s'avançant vers eux pour prendre les bagages, des valets en livrée. Etait-ce possible ? Dans sa surprise, Sakura oublia de regarder ou elle mettait les pieds et poussa un petit cri de panique en se sentant perdre l'équilibre.

Des mains fortes la retinrent et l'aidèrent à se rétablir, et elle sentit contre elle un corps d'homme ferme et rassurant. Et c'est ainsi qu'elle se trouvait, le dos pressé contre la poitrine de Sasuke, en sécurité entre ses bras, lorsqu'elle vit sa mère et l'homme qui devait être son fiancé apparaître sur le perron du château.

La suite fut un désastre. D'instinc, elle se retourna vers Sasuke pour lui demander de la lâcher, mais quand elle se rendit compte à quel point son visage était proche de ses lèvres, elle ne réussit pas à articuler un mot et se contenta de les dévorer du regard tendis que le volcan de son désir, déjà bouillonnant, entrait en éruption. Elle leva la main... Pourquoi ? Elle ne voulait tout de même pas toucher la joue de Sasuke, parcourir du bout des doigts le contour de sa mâchoire virile, de ses lèvres sensuelles... N'est-ce pas ? Non, elle n'était pas le genre de femme à faire ça, et elle avait passé la majeure partie de sa vie d'adulte à s'assurer qu'elle ne le deviendrait jamais. Si elle avait levé la main, c'était tout simplement pour écarter une mèche de cheveux de son visage, et c'est ce qu'elle aurait fait si Sasuke ne l'avait pas arrêtée.

Et à présent il tenait sa main dans la sienne, la main à laquelle elle portait la bague de sa mère. Un noeud d'émotion se logea dans la gorge de Sakura, un sentiment étouffant de tristesse, d'amour et d'espoir mêlés.

- Sasuke...

Elle chuchota son prénom et ses yeux s'emplirent de larmes douces et chaudes.

Bon sang, songea Sasuke, que se passait-il ? Un instant plus tôt, il sauvait cette petite écervelée d'une chute sur les pavés verglacés, et voilà qu'à présent il la serrait contre lui, submergé par des émotions d'une telle intensité qu'elles lui semblaient susceptibles de déterminer toute sa vie future.

Il se raidit comme s'il percevait le hurlement strident d'une alarme intérieure.

Non, il devait pas s'aventurer sur ce terrain : ces émotions violentes n'étaient pas pour lui, et encore moins vis-à-vis d'une femme comme celle-ci. Sakura lui avait déjà menti une fois, et il refusait de croire qu'elle ne l'avait embauché que par amour pour sa mère. Il y avait forcément autre chose, une raison plus sombre, plus égoïste, qui l'avait poussée à agir ainsi. Pour l'instant, il jouait le rôle qu'elle lui avait attribué sans protester, parce que cela servait ses propres objectifs. Mais ce qu'il venait d'éprouver en regardant sa bouche, cette impression d'être transporté dans une autre dimension  ou le coeur et l'instinc, et non la logique et le pragmatisme, régnaient en maîtres, devait être jeté aux oubliettes.

Au cours des quelques secondes qu'il lui avait fallu pour reprendre le contrôle de lui-même, Sakura avait rosi.

- Ma chérie...

Sakura s'arracha à la contemplation des lèvres de Sasuke et se tourna vers sa mère.

Physiquement, Youra Touki ressemblait beaucoup à sa fille, même si Sakura avait plutôt tendance à cacher sa féminité tandis qu'Youra, au contraire, mettait la sienne en valeur. Un peu plus petite que sa fille, elle avait la même silhouette, taille fine et formes généreuses, et les mêmes cheveux roses. Mais si Sakura se maquillait rarement et ne portait jamais rien d'autre qu'un peu d'ombre à paupière, de mascara et de brillant à lèvres, sa mère, en revanche, adorait se pomponner, et, de la même manière, préférait aux tailleurs formels et discrets qui composaient la garde-robe de sa fille des vêtements colorés et féminins.

Sakura essaya de se dégager de l'étreinte de Sasuke, mais au lieu de la lâcher, il approcha les lèvres de son oreille et murmura :

- Nous sommes censés nous comporter comme si nous étions très amoureux, vous vous rappelez ?

Sakura sentit la chaleur de son souffle contre son oreille et se fit violence pour répondre d'une voix intelligible, tout en sachant que ce qu'elle disait n'avait pas de sens :

- Oui, mais devant ma mère, ça n'a pas d'importance, elle connaît la vérité.

Youra, qui s'avançait vers eux d'un pas sautillant au milieu d'un nuage de son parfum préféré, lui jeta un regard espiègle. Sakura serra les dents, mais il n'y avait rien qu'elle puisse dire ou faire, car le fiancé de sa mère était là, à quelques pas.

- Math, viens là, que je te présente ma merveilleuse fille et son sublime fiancé.

Sakura trouvait que sa mère embrassait Sasuke avec un peu trop d'enthousiasme.

- Comme c'est mignon, ma chérie, tu es tellement amoureuse de lui que tu peux à peine le lâcher, dit-elle en éclatant de rire.

Ecarlate, Sakura tenta de s'écarter de Sasuke, mais elle avait le bras coincé sous le sien et il refusait de la libérer.

- Sasuke Uchiwa, dit-il en tendant la main à Math, mais en parvenant tout de même, remarqua Sakura, un peu étourdie, à la garder serrée contre lui.

Elle aurait pu mettre un peu plus de vigueur dans ses mouvements pour tenter de dégager son bras, mais elle risquait de glisser de nouveau et de tomber sur les fesses, ce qui n'était pas la meilleure manière de faire bonne impression à son futur beau-père.

Elle examina Math en se demandant comment sa mère avait bien pu tomber amoureuse de lui. Est-ce qu'elle avait vu tout en rose le jour ou elle l'avait rencontré ? Elle lui serra la main, soulagée de ne pas à l'embrasser. Il s'intégrait très bien dans ce décor de conte de fée : il avait tout du prince transformé en crapaud.

Ce n'était visiblement pas un homme loquace et, peut-être pour cette raison, sa mère semblait avoir décidé de parler pour deux.

- Comme je suis heureuse ! s'exclama-t-elle en battant des mains. Tout est parfait. Mon Math est un vrai magicien, voyez les merveilles qu'il m'offre ! A présent que tu es là, Sakura, je suis comblée !

Ses yeux se voilèrent de larmes qu'elle retint, sans doute soucieuse de ne pas endommager son maquillage.

- Oui, comblée, reprit-elle. J'ai toujours voulu faire partie d'une grande famille unie. Tu te souviens, ma chérie, quand tu me disais que tout ce que tu voulais pour Noël, c'était une grande soeur ? Tu étais tellement mignonne. Et me voici aujourd'hui, avec non seulement le mari le plus charmant du monde, mais aussi deux ravissantes nouvelles filles et leurs adorables enfants.

Sakura aurait voulu que son père entende ça. Elle était partagée entre l'envie de rire et la consternation. Comment sa mère avait-elle pu bannir de sa mémoire tous les beaux-enfants dont elle avait hérité lors de ses précédents remariages ?

Se détournant, Youra les invita à la suivre au château.

- Vous faites une drôle de tête, murmura Sasuke à l'oreille de Sakura.

Trop déconcertée pour inventer une excuse, Sakura répondit d'une voix morne :

- Ma mère a assez d'ex-beaux-enfants pour remplir son côté de n'importe qu'elle église.

- A mon avis, Math ne serait pas ravi de l'apprendre.

- Il ne vous plaît pas, n'est-ce pas ?

- Il vous plaît, à vous ?

- Dépêchez-vous, les amoureux ! leur cria Youra. Vous aurez tout le temps de vous chuchoter des mots doux à l'intérieur, mais venez, vite, que je puisse refermer la porte !

 

 

La première chose que Sakura remarqua en entrant fut l'énorme sapin de Noël, dont les épines vert foncé faisaient superbement ressortir les décorations vert pâle, roses et bleues assorties aux boiseries de l'entrée. Ce spectacle la replongea dans son enfance : elle se revit à six ans, entre ses parents, contemplant, les yeux brillants, le grand sapin du rayon jouets. C'était avant qu'elle ne comprenne que lorsque son père accusait sa mère d'être trop dépensière et se plaignait d'être exclu de son cercle d'amis, ce n'était pas "" pour plaisanter "", et que "" l'oncle "" que sa mère voulait à tout prix lui faire aimer était destiné à le remplacer. C'était avant qu'elle ne découvre que le bonheur était aussi fragile que les jolies boules de verre qu'elle contemplait ce jour-là, encore innocente, insouciante. Cela avait été son dernier Noël heureux.

Noël, saison de l'amour et du partage, et des divorces. Toute femme devrait migrer à la vue du premier sapin de Noël et de revenir qu'une fois les fêtes passés et la morosité de janvier bien installée.

- A qu'elle heure dîne-t-on, maman ? demanda-t-elle. J'imagine que j'ai le temps de monter me changer dans ma chambre ?

- Oh, je suis désolée, ma chérie, répondit Youra d'une voix exagérément gaie, mais il n'y a rien de prévu pour ce soir. Comme il est déjà tard, Math préfère que chacun mange dans sa chambre, ça évite de perturber les habitudes des enfants, et puis c'est vrai que c'est plus simple : ça évite d'avoir à s'habiller et à rester à table pendant des heures...

Sakura était sur le point de lui faire part de son étonnement : elle savait combien sa mère aimait se mettre en tenue de soirée, même lorsqu'elle dînait seule chez elle. Mais elle avait entendu comme une note de désespoir dans sa voix, et elle sentit son coeur se serrer.

- N'est-ce pas l'endroit le plus magnifique, le plus magique que tu aies jamais vu ? reprit Youra d'une voix trop enjouée, en désignant d'un grand geste l'immense octogonale.

La pièce, tout en couleur pastel, comportait un large escalier double en marbre dont les marches, bordées d'une rampe en fer délicatement ouvragée, semblaient s'élever en flottant vers l'étage.

- C'est très beau, maman, reconnu Sakura. Mais on ne peut pas dire qu'il fasse chaud.

- Oh, ma chérie, ne sois pas si rabat-joie, dit sa mère en faisant la moue. Il y a le chauffage mais... Ce sont surtout les enfants qui en ont besoin. Ils n'ont pas l'habitude du froid, alors leurs suites sont chauffées en priorité, c'est normal, même si ça implique que d'autres chambres ne le soient pas... autant.

Youra s'avançait vers l'escalier.

- Je vous ai mis dans la même chambre, Sasuke et toi, continua-t-elle, comme tu me l'avais demandé.

Sasuke tressaillit. Il avait donc vu juste. Et dire que Sakura avait fait sa sainte-nitouche quand il avait évoqué le degré d'intimité réelle qui devait exister entre eux ! Mais avant qu'il puisse dire quoi que ce soit, Math, qui l'étudiait avec attention depuis un moment, lui lança :

- Votre visage me dit quelque chose. Est-ce que nous ne nous sommes pas déjà vus quelque part ?

Sasuke sentit son estomac se nouer.

- Je ne crois pas non.

C'était la vérité : Math avait rejeté toutes ses demandes d'entretien, mais il avait peut-être vu sa photo dans le journal, à moins qu'il ne se soit renseigné sur lui. Si c'était le cas...

- Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? insista Math.

- Il est acteur, répondit fermement Sakura, avant d'ajouter, pour désamorcer toute critique : Et il a beaucoup de telent.

Elle jeta à sa mère un regard qui signifiait : "" J'ai deux mots à te dire, tout de suite, sur cette histoire de chambre "", mais Youra détourna les yeux. En l'observant plus attentivement, Sakura se rendit compte alors que, derrière son grand sourire, elle paraissait tendue et inquiète, angoissée, semblait-il, à l'idée qu'on critique son château... ou qu'on la critique, elle ?

Etait-ce parce qu'elle sentait que sa mère manquait autant d'assurance qu'elle avait toujours réprimé ses propres émotions ? Par crainte de devenir, comme elle, la proie de ses angoisses, de ses doutes ?

Comme tant de fois par le passé lorsqu'elle avait senti sa mère malheureuse, Sakura obéit à son instinc de protection. Quittant Sasuke, elle rejoignit Youra et glissa son bras sous le sien dans un geste de solidarité filiale.

- Acteur ! s'exclama sa mère. Mais c'est formidable ! C'est sans doute pour ça que tu as l'impression de le connaître, Mathou : tu as dû le voir dans un film.

- Ça m'étonnerait, répliqua Math avec un grognement de mépris. Je ne regarde pas de films, j'ai des choses plus importantes à faire de mon temps.

Comment sa mère pouvait-elle aimer cet homme, se demanda Sakura, atterrée. Ses doutes quant à la réussite de leur mariage grandissaient de seconde en seconde. Elle pressa douement le bras de sa mère.

- Viens, tu vas me montrer la chambre, suggéra-t-elle sur un ton léger. Je suis sûre que Math et Sasuke peuvent se tenir compagnie pendant que nous papotons entre filles.

Elle savait qu'elle prenait un risque en laissant Sasuke seul avec Math : il pouvait lui raconter n'importe quoi et dévoiler le pot aux roses, mais elle voulait régler ce problème de chambre le plus vite possible.

- Je n'ai pas encore vu ta robe, rappela-t-elle à sa mère.

- Oh, ma chérie, elle est tellement belle ! s'exclama Youra, et l'anxiété qui crispait son visage laissa aussitôt place à l'enthousiasme tandis qu'elles commençaient, bras dessus bras dessous, à monter les marches. Quant j'ai appelé pour la robe, ils ont commencé par me dire qu'elle n'aurait jamais le temps de s'occuper de la mienne, mais Math a réussi à les convaincre ! C'est dommage, il aurait fallu que tu viennes : nous aurions pu chercher quelque chose pour toi aussi. Les petits-enfants de Math seront nos demoiselles et nos garçons d'honneur, bien entendu, et nous avons convenu qu'ils porteraient des costumes d'époque. Ce sera tellement... adorable. Et ce serait fantastique si Sasuke acceptait de me mener jusqu'à l'autel...

Soudain, Sakura eut envie de pleurer. Sa mère, menée jusqu'à l'autel par un inconnu payé pour jouer le rôle de son fiancé... C'était sinistre. Sa mère lui semblait si seule tout à coup, et la voir faire autant d'efforts pour garder le sourire ne faisait qu'ajouter à sa peine.

- Papa aurait sans doute accepté de le faire, si tu lui avais demandé.

- J'y ai pensé, admit-elle en jetant un regard inquiet vers le bas de l'escalier, comme si elle craignait d'être entendue. Mais les filles de Math ne croient pas qu'on puisse rester amie avec un ex-mari, et Math pense que... Math pense la même chose.

Sakura voulut protester, mais, devant le regard suppliant de sa mère, elle se retint.

 

 

En les voyant se faire des messes basses dans l'escalier, Sasuke se demanda ce qu'elles tramaient. Il avait désormais la conviction qu'elles étaient de mèche et qu'elles se servaient de lui, dans un but assez clair, Youra avait confirmé ce qu'il soupçonnait depuis le début quant aux attentes réelles de Sakura : aucune femme ne demandait à partager la chambre d'un homme si elle n'avait pas l'intention, ou du moins l'espoir, de coucher avec lui. S'il n'avait pas eu besoin d'obtenir de Math certaines informations, il aurait appelé un taxi sur-le-champ et serait reparti directement à l'aéroport. Car il ne voulait pas coucher avec une femme dont il avait découvert, au cours des dernières heures, qu'elle avait sur lui un effet d'excitation bien trop puissant pour ne pas être inquiétant.

De qui se moquait-il ? Evidamment, qu'il voulait coucher avec elle, mais il ne pouvait pas la laisser décider des conditions. Et il ne pouvait pas non plus accepter qu'elle lui ait menti, même si, d'un autre côté, elle l'avait surpris par sa détermination à ne pas laisser Math critiquer son soi-disant métier. Cela faisait bien longtemps qu'une femme n'avait pas pris sa défense : la dernière à l'avoir fait était sa mère, et il ne devait pas avoir plus que cinq ans.

Sakura avait du cran, il devait le reconnaître, mais il n'allait pas pour autant tolérer ses manoeuvres pour l'attirer dans son lit. Lui-même ne courait pas grand risque, mais encore une fois, que se serait-il passé si Sai avait été à sa place ? Ce petit nigaud, dépassé par l'ardeur de son désir, aurait sans doute couché avec elle sans penser un seul instant aux possibles conséquences : à sa santé, à l'avenir de l'enfant qui pouvait être conçu...

Mais est-ce que lui-même ne risquait pas de se retrouver dans la même situation ? Il n'avait même pas emporté de préservatifs. Est-ce que Sakura y avait pensé, elle ? Sûrement : ce n'était plus une adolescente, et elle avait de toute évidence assez d'expérience pour connaître les risques liés à ce genre d'aventure... Mais pourquoi se poser toutes ces questions ? De toute façon, se répéta Sasuke, il ne se passerait rien entre eux.

Laisser un commentaire ?