Guerre et Paix, ou Mariage Orthodoxe

Chapitre 2 : Guerre et Paix, ou Mariage Orthodoxe

Chapitre final

2730 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/01/2025 22:21

Guerre et Paix, ou Mariage Orthodoxe




Plusieurs jours plus tard, Héra revint à la résidence familiale, au sommet du mont Othrys. Zeus, sous forme de coucou au regard et au plumage scintillant, survola la demeure et resta dans les jardins royaux, écoutant les discussions des dames de compagnie et des servantes, saisissant le sérieux de la situation et de la cruauté du roi grec.



Le lendemain au crépuscule, le Rus frappa du bec à la fenêtre de la chambre de sa bien-aimée qui le laissa entrer une fois qu’il montra patte blanche. Assis l’un à côté de l’autre sur la couche royale aux fins draps de lin avec une broderie en or et en argent aux armes de la famille royale, Héra lui demanda, lueur d’inquiétude dans ses grands yeux bruns : 

— Zeus, Je ne sais trop que penser de notre situation !

Il enlaça tendrement sa main droite chargée de bagues d’or serties d’émeraude, de rubis, de topaze et de lapis lazuli, pensant qu’il ne lui manquerait qu’une alliance à l’annulaire.

— Qu’y-a-t-il de si alarmant ?

— Cronos a décidé de placer une garde rapprochée au moindre de nos pas, ne désirant pas qu’un prétendant qu’il n’approuve pas se rapproche de nous, mes sœurs et moi ! Et clairement, il n’aime pas les Rus… La délégation de ton père est arrivée hier matin est lorsque les pourparlers sont terminés, Cronos, en privé, devant nous quatre… Ma mère, mes sœurs et moi… N’a pas caché sa haine… Un regard abominable… J’étais effrayée… 

Elle s’appuya contre le torse de son bien-aimé qui la recouvrit galamment de son manteau bleu ciel aux armes de sa famille en or : un aigle bicéphale couronné, tenant dans un serre des foudres et de l’autre, un sceptre.

— … Et je hais tellement ce père ! s’agita la Grecque, battant des mains et des pieds de colère, dans une attitude quasi enfantine, arrachant un sourire au Rus, haussant le ton. Il sera contre notre mariage !

— Permet-moi de tâter le terrain, s’exclama-t-il. Et ne crie pas si fort ! J’ai bien été envoyé comme délégué et ambassadeur pour des pourparlers de paix avec les peuples voisins dans ma tendre jeunesse ! Je sais comment faire ! Je le verrai de plus près, Cronos, Roi des Hellènes, Roi de Grèce et Roi du Temps. Sache que rien n’est impossible pour moi ! Impossible n’est pas slave !

Elle l’embrassa, ravie, séchant ses larmes.

— D’ailleurs, Héra, je t’invite, dès ce soir, à venir avec moi pour s’entraîner au maniement des armes ! Utile en temps de guerre et en temps trouble !

Elle fit une moue, mais ne s’y opposa pas.

— L’entraînement commence ce soir !

Et le jeune couple, à minuit, métamorphosé en un couple d’aigle royal, s’éclipsa de la chambre de Héra par la fenêtre pour partir en périphérie de la ville, dans un champ vide de toute présence humaine.



Le lendemain matin, malgré la nuit blanche du couple, Zeus se présenta à la porte du palais royal, vêtu de simple vêtement d’homme. Il parcourut les vestibules au mur de marbre, auquel était accroché à intervalles réguliers des portraits des membres de la famille royale, roi, reine et princesses dans des cadres d’or décorés d’arabesques. Cette ambiance et apparence de lourde richesse n’impressionnait nullement le Rus qui considérait tout d’un œil circonspect et désintéressé. Il aboutit rapidement à la salle du trône où Cronos siégeait sur un immense trône d’or massif aux larges accoudoirs avec des motifs de sabliers stylisés. Le quarantenaire aux traits fatigués, cernes sous les yeux de son manque de sommeil, paraissait plus vieux que son âge. Vêtu d’une large robe bleu nuit avec des motifs de méandres en argent et en or, il portait une simple couronne d’or. Peroun nota immédiatement les mêmes couleurs de yeux que celle de sa bien-aimée, à la différence que le regard du père était perfide et calculateur, là où celui de Héra était doux et rieur. Le Rus retint une moue de dégoût envers celui qui serait son beau-père. Il s'inclina respectueusement devant lui, comme l’exigeait l’étiquette, retenant le ciel de s'assombrir, l’orage de se manifester et au tonnerre de gronder au gré de sa volonté. Il ne fallait surtout pas que le retors beau-père comprenne qu’il venait de rencontre son gendre. Cronos, une fois qu’il entendit sa requête, l’accepta comme échanson privé.



Travaillant depuis une semaine, Peroun-Zeus n’avait qu’un plus grand dégoût pour son beau-père, un homme arrogant, immodéré en nourriture et alcool, cruel et injuste. Le jeune dieu se faisait violence pour ne pas prendre la défense des pauvres offensés. Plus le temps passait, plus il avait envie de sortir sa pierre de tonnerre, ses flèches de tonnerre, sa hache d’or pour les fracasser contre le crâne de Cronos ou encore de décocher une flèche de son arc, son paume le démangeait*. Il souhaitait ardemment mettre fin au règne de terreur de son cruel beau-père, mais il devait peser le pour et le contre de la situation et réfléchir aux possibilités. Il se retenait d’agir pour ne pas éveiller les soupçons des proches du Titan.


Longeant le couloir du palais royal, un soir, son regard ne s’accrochait point aux portraits et aux décorations, trop perdu dans ses pensées. Devrait-il assassiner son beau-père ou non ? S’il le faisait, une guerre ouverte éclatera entre les deux peuples, entre les Slaves et les Hellènes. Sans oublier que Héra refuserait de le suivre, têtue qu’elle était, ne désirant pas marier un régicide. S’il ne le faisait pas, le règne de terreur continuerait dans la belle Hellène, pays qu’il avait fini par apprécier pour son doux climat, et, s’il enlevait Héra pour revenir chez lui, Cronos lèverait une armée et déclenchera une guerre contre la Sainte Russie. Deux options, même résultat, songea-t-il, soupirant, dos voûté. Une autre option était de vivre dans l’illégalité avec sa bien-aimée, mais il refusait cette option, trop périlleuse et contraire à son idéal. Déjà, chaque soir, lorsqu’il venait dans la chambre de Héra par la fenêtre, il avait une peur viscérale d’être découvert et mis à mort le lendemain matin. Il s’était promis de la faire son épouse, elle le sera, il ne reniera pas sa parole, il ne reviendra pas sur la promesse qu’il avait faite. 

Soupirant, il passa dans la cave royale remplir la coupe du roi pour la énième fois.


Soudain, une Moire, nulle autre qu’Atropos, l’Inflexible, apparut dans un coin sombre de la pièce. Grande femme avec une taille de guêpe, ses cheveux ébène et ses yeux noirs perçants lui donnèrent un air peu accueillant ni sympathique. Sa longue robe bleue marine, presque noire, qui chatoyait à chaque pas, qu’une ceinture en argent venait accentuer à merveille ses courbes féminines, n’eut aucun effet sur le dieu. Ce dernier n’y prêta aucunement attention, tétanisé par son aurore terrifiante. Ajustant son voile de même couleur que sa robe pour mieux cacher ses cheveux, elle murmura à l’oreille de Peroun-Zeus, marchant silencieusement vers lui : 

— Avez-vous pensé à une autre option, jeune dieu ? …

Il devint blanc comme linge, craignant la puissance de l’effrayante déesse qui s’approcha à quelques centimètres de son visage, le fixant de son regard étrangement brillant et vieux, mais le Rus ne bougea pas de sa place, tenant fermement la coupe d’une main, telle une statue de pierre, et, de l’autre main, il tient sa hache d’or qu’il portrait à la taille sous une forme portative.

— … Prenez cette arme blanche …

Elle sortit de sous son ample robe bariolée, un petit poignard d’airain.

— … Et saisissez l’occasion de vous débarrasser du tyran ! 

Notant sa mine horrifiée, les yeux écarquillés, elle lui donna une petite fiole en verre verte et commenta froidement, donnant un frisson dans le dos de son jeune interlocuteur : 

— Si vous êtes réticent à l’assassiner, prenez cette fiole de poison, une douce, lente et douloureuse mort l’atteindra ! 

Un petit sourire malsain se dessina sur l’austère visage de la femme.

— Ainsi vous accédez immédiatement au trône, en mariant sa fille et personne ne pourra vous accuser d’un régicide ! N’oubliez pas, vous êtes destiné à le succéder ! Et la seule manière de mettre fin au règne de votre beau-père est de l’éliminer ! Vous ne pouvez vous sauver de votre Destin ! Vous êtes celui qui mettra fin au règne de terreur de Cronos ! Paroles du Destin, paroles des Moires, paroles des Soudice !

Et elle disparut dans un faisceau de lumière dorée, accentuant encore plus les ténèbres ambiantes de la nuit dans la petite pièce. Un frisson parcourut l’échine immortelle de Peroun-Zeus hanté par cette option de la déesse du Destin qui touchait à une corde sensible en son être. Il revint à la table royale et servit Cronos sans lui donner de poison. Il adressa un sourire affable au couple royal et quitta la salle. 


Il passa au salon où il observait discrètement Héra de loin qui discutait avec ses sœurs. S’il tuait Cronos, son beau-père, pensa-t-il, il pouvait abandonner tout mariage avec sa charmante et belle déesse qui faisait battre son cœur, la seule qu’il pouvait qualifier de reine. S’il commettait l'irréparable, non seulement il se salissait les mains d’un sang immortel — une action qu’il considérait absolument abjecte, foudroyer un mortel n’était pas équivalent à donner la mort à un être semblable à soi, un immortel — mais il se privait irrémédiablement de la réalisation de son souhait le plus secret, pouvoir traiter Héra aux yeux de tous comme sa femme, son épouse légitime. Sans oublier une guerre civile en Hellade, une condamnation publique pour son acte et une honte pour son père et son pays, ce qu’il ne pourrait supporter trop longtemps. S’il empoisonnait son beau-père, il était conscient qu’il serait hanté pour l’éternité de ce crime, se considérant indigne de marier Héra. Il ne serait plus blanc comme neige à sa propre conscience, ce qu’il ne pouvait accepter, trop juste et intègre qu’il était. En plus de provoquer une guerre civile pour la succession au trône de la Grèce. S’il laissait son beau-père en vie, au moins, il aurait la conscience tranquille de ne pas verser un sang immortel, mais il serait bien affligé des injustices du tyran grec. S’il amenait Héra avec lui pour la marier en la Sainte Russie, il réaliserait son vœu le plus secret, mais il engendrerait une guerre entre les deux nations jusqu’à la défaite de l’une ou de l’autre nation. Il se trouvait dans une impasse. Que faire ? D’ailleurs, pourquoi devrais-je commettre régicide ? se demanda-t-il. En prêtant foi aux paroles d’une étrange femme aux airs de sorcière qui lui affirmait avec certitude qu’il devait tuer Cronos. Que nenni ! Personne n’allait dicter à Pérun, fils de Svarog, petit-fils de Rod, la conduite qu’il aura ! Rongé entre ces diverses possibilités qu’il analysait sous tous les angles, le Rus ne remarqua pas le temps passer si rapidement.


Après avoir passé une nuit blanche aux côtés de Héra, Pérun, Zeus, yeux grands ouverts, trouva la solution à sa situation délicate. Il attendit avec empressement que la journée se termina. Il attendit le soir, guettant la course de l’astre solaire. Dès que ce dernier se coucha, s’endormant à l’Occident, le Rus, terminant son dernier service à Cronos, quitta rapidement la table royale, léger comme une plume, et s’arrêta dans le jardin, près d’un immense chêne pluricentenaire qui ressemblait dans les pénombres à un géant guerrier menaçant. Il siffla discrètement pour appeler son cheval ailé, Pégase, cadeau de son père pour sa majorité. L’immense cheval blanc aux ailes aussi immaculées que la neige salua son cavalier d’un hennissement joyeux, trépignant d’impatience le sol, et le dieu le chevaucha sans la moindre hésitation.


Lorsque la nuit la plus noire apparut, sans lumière de l’astre nocturne, Peroun-Zeus dirigea son quadrupède à la fenêtre de sa belle déesse, et entra. Il lui demanda poliment, s’agenouillant devant elle : 

— Princesse Héra Cronide, fille de Cronos à l’esprit retors et de Rhéa, j’ai trouvé la solution à votre situation !

Étonnée, yeux comme ceux d’une chouette, elle murmura, incertaine, ajustant son voile bleu ciel : 

— Et quelle est cette solution ? 

Il se releva et regard brillant, affirma fièrement, torse bombé : 

— Elle n’est peut-être pas la meilleure, mais elle est mieux que d’autres ! Bien que je n’aurais jamais l’approbation de votre père, le terrible Cronos, roi de l’Hellade, je vous amène avec moi ! Je ferais de vous la tsaritsa sur toutes les terres de la Sainte Russie ! Nous vivrons à Krasnoïarsk en été et à Moscou en hiver ! Hellade la belle ne vous manquera pas, je vous le promets ! Voulez-vous devenir mon épouse ?

Les yeux sombres de la Grecque versèrent des larmes de joie. Elle enlaça le Rus et lui susurra à l’oreille entre deux pleurs : 

— Oui, j’accepte ! Je serais votre épouse, je vous suivrais et je vous serais fidèle ! Envers et contre tous et envers et contre tout, je serais à vos côtés et je serais votre femme !

Il se libéra de son étreinte, regard brillant d’une lueur de joie incontrôlée.

— Alors, venez monter ma fidèle monture ailée que j’avais appelée Istotchnik vdohnoveniâ, ou plus brièvement Istotchnik. Ce qui correspond au grec Pégase**. Aujourd’hui sera marquée d’une pierre blanche dans les annales de l’Histoire, Héra Cronide, fille de Cronos à l’esprit retors et de Rhéa, vous deviendrez l’épouse unique et officielle de Peroun le tonnant, ou en grec, Zeus le tonnant. 

Sur ces paroles, il ouvrit la fenêtre et prit la délicate main de sa bien-aimée pour la laisser en amazone sur l’animal avant de la rejoindre. Le jeune couple de dieux s'élevèrent dans les cieux, quittant à une vitesse fulgurante la Grèce.



Maintenant, songea Peroun-Zeus loin dans les hauteurs éthérées, survolant la Macédoine, commence un nouveau chapitre de notre vie commune, tant pis pour la guerre ! Il y aura une guerre sacrée, une guerre divine, si Cronos est trop inflexible ! Je ne donne pas ma femme, elle est mienne ! Et personne ne peut faire plier la Sainte Russie, ni le pays, ni ses dieux, ni ses hommes, une fois décidée dans son action ! Nous sommes invincibles !




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* Les armes énumérées sont celles du dieu slave Peroun.

** Peroun a un char attelé de chevaux ailés, mais ces chevaux blancs n’ont pas de nom à ma connaissance. J’ai décidé de nommer le cheval источник вдохновения, « Source d’inspiration » en russe, sous sa forme courte источник, « Source », faisant référence à l’une des étymologies du nom du cheval mythique grec Pégase.


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