Breakouedo, le bruissement des bois

Chapitre 2 : Incendiaire

903 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/12/2021 22:52

10 août 1981


Une file de fourmis sillonnait la terre toastée. Près de la piscine, Stella accroupie les observait dépecer un lucane. Leurs mandibules palpaient la carcasse encore luisante pour trouver des brèches. Le noir profond de l’armure brulait sous le soleil de plomb. De l'élytre fracassée, suintait un liquide ambre. Stella fit bouger le coléoptère avec une brindille. La troupe d’hyménoptères se rassembla autour de l'assaillant et commença à remonter le long du pont qu’elle avait jeté vers leur monde. Rapidement positionnées sur ses doigts, sa main, une dizaine de kamikazes la pincèrent. Elle n'avait jamais rencontré une telle hargne chez ce peuple d'insectes. Elle secoua sa main, chassant les intruses avec difficultés. Elle dût en arracher plusieurs, restées plantées dans sa chair.

Les grands pins impassibles s'agitèrent. Un canadair passa derrière les cyprès qui poussaient en contre-bas.

La forêt inquiétante et familière semblait attendre quelque chose. Le couvert sombre embrassait la grande bâtisse que ses parents louaient depuis quelques mois. Chênes verts, pins, garrigues impénétrables, sous-bois d’humus bruissant. D'où venait cette angoisse qui lui fouaillait le cerveau ? Quelqu'un approchait.

Stella s’enfonça dans la forêt pour lui échapper. Là-bas, elle sera en sécurité.

Stridulations rythmées des cigales. Lumière nappante, comme sur les photos rosies par le temps. Le soleil goûte sous l’abri de sa cabane des bois. Elle a chaud dans son petit monde, elle est bien. Le Mistral agite le reste de la forêt mais ici elle est tranquille. Elle étale le contenu d'une valise en cuir rouge ; elle la garde précieusement cachée ici. Elle classe ses trésors, alignés sur le sol de mousse et de fleurs fanées. Dans les yeux de la fillette quelque chose s’allume, en latence. Tout y est. Des biscuits dans leur sachet argenté, sa gourde, sa couverture en laine, son lapin bleu, son gros livre d'histoires. Si quelque chose arrive, elle aura tout ce dont elle a besoin. La lumière change de teinte, orangée, crépusculaire. Stella replace chaque chose à sa place, méthodique, presque un rituel. Elle embrasse la peluche avant de la plonger dans les ténèbres. En refermant soigneusement les deux clapets en métal, elle ressent l'étrangeté de la scène, observe, attentive. Tout est silencieux maintenant et puis soudain elle sent la fumée. Relie les sensations entre-elles.

 

Le talkiewalkie crachouillait et lançait son jingle de bips signalant la fin de l'échange. Michel mit sa main droite en visière. Le vieux jeune homme en uniforme orange fluo, mal planté sur ses jambes grèles, gratta son début de calvitie avec sa casquette, nerveux. Une fumée épaisse s'élèvait frondeuse dans les houles de Mistral.

- C’est pas bon, c'est pas bon, c'est pas bon… chuinta le grand Sam entre ses dents.

- Juste derrière chez toi. appuya son fin acolyte.

Comme une flèche trop longtemps restée sur l’arc bandé, le jeune pompier volontaire se rua maladroitement sur le siège passager.

- Putain, on y va Michel ; j'ai Martine et la gosse à la baraque.

Le 4x4 démarra dans un nuage de poussières. Le chemin de feu pétarada ses graviers sous les pneus, dans les virages. Sam suivit le départ de feu avec les jumelles le plus longtemps possible et puis les jeta sur le siège arrière de dépit.

 

Le feu danse le long des troncs, farandole dans les houppiers. Stella sautille dans le val d’un ruisselet. Sa frêle silhouette troublée parmi les brumes du brasier disparait parfois, happée par une tempête de fumées plus dense. Les Canadairs vrombissent, intenables coléoptères bourdonnants.

Sur la commune de Brecouedo, la maison de Stella est cernée. Les arbres tout proches s’enflamment, gagnés par une fièvre galopante. Bras tendus pour saisir le ciel, dressés, vengeurs. Les écureuils grésillent en sautant d’arbre en arbre.


17 octobre 1981


- Tu fais encore le cauchemar avec l’homme noir Stéphania ? demanda la jeune psychiatre.

- Non, cette semaine, il n’est pas venu me réveiller dans mon rêve. J’ai joué avec des allumettes dans ma cabane. l'adulte repositionna ses lunettes comme si elle voulait soudainement mieux la voir.

- Tu as déjà joué avec des allumettes pour de vrai ?

- Non. fit-elle sans arrière pensée.

- Tu peux me montrer comment tu faisais dans ton rêve ?

Stéphania mima : elle frotta prestement l’allumette imaginaire sur le grattoir invisible qu’elle tenait dans sa main gauche.

- Scrachht ! Frrrr…

Elle gardait l’allumette bien droite pour ne pas se brûler les doigts. Elle regardait la gentille dame, droit dans les yeux, fière de la jolie flammèche qu’elle visualisait. Celle-ci lui sourit de ses sourires qui ne veulent rien dire en retour. Elle tira une feuille du tiroir de son bureau, étala cinq feutres de couleur devant elle et lui demanda d’aller patienter dans la salle d’attente pendant qu’elle parlait à Papa et Maman.

Laisser un commentaire ?