Feuillles de papier dispersées par le vent

Chapitre 3 : Fuir ?

Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:42

Chapitre 3



Au bout de quelques secondes, on entendit le grincement du plancher sous les tatamis qui pavaient le sol de la maison ; quelqu'un marchait dans le couloir. De toute évidence, ce n'était pas Tama : la vieille femme, qui avait à la fois les qualités d'une mushishi à la retraite et celles d'une femme très pointue sur le savoir vivre et les bonnes manières, ne faisait absolument aucun bruit en marchant. Tanyuu se retourna vers la porte, l'air sérieux, et annonça à la personne qu'elle pouvait entrer. Après que la porte eut coulissé, il s'avéra que l'inconnu était un homme. Ginko fronça les sourcils. Un peu plus d'une trentaine d'année sur les épaules, les cheveux noirs, un style vestimentaire soigné et un air raisonnable, il était l'exemple type de l'homme courtois et agréable qu'on peut vouloir comme époux pour sa protégée dans le cadre d'un mariage arrangé. Le simple fait qu'il ait pu venir jusqu'ici sans être accompagné de Tama était une preuve inquiétante de cette supposition. Pire encore, Ginko le connaissait. Il avait eu l'occasion de le rencontrer durant de grandes assemblées de mushishi, et en avait entendu du bien. Cependant, il fallait avouer que Ginko se méfiait de la majorité des mushishi, dont il n'appreciait pas toujours les façons de faire. Pourtant, malgré l'air un peu offensif de Ginko, l'homme eut un grand et beau sourire.
″Ca alors ! Bonjour Ginko.″
Ginko ne comprenait pas du tout. Il ne connaissait cet homme que de vue, et lui avait rarement – sinon jamais – parlé. Il était étonné qu'un inconnu connaisse son nom. C'était le désavantage à avoir une phisionomie particulière, or il fallait admettre que, avec ses cheveux blancs et ses yeux verts dont l'un en verre – qu'il ne cessait de devoir remplacer -, passait souvent pour un étranger, ou du moins pour un individu absolument bizarre, ce qui avait tendence à inquiéter sa ″clientèle″.
″Aah.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- J'étais venu pour prendre des nouvelle et faire parvenir quelque chose à mademoiselle Karibusa. Mais je pense que je vais partir, maintenant.″
Ginko commença à se lever, un brin contrarié. Il n'avait vraiment aucune envie de partir sans plus amples informations, mais il n'avait tout simplement rien le droit de demander directement, et si il commençait à se révolter il s'imaginait bien qu'on se poserait des questions sur son attitude. Cependant Tanyuu le retenait discretement au sol en tirant sur un pant de sa chemise, et il en déduisit qu'il fallait qu'il attende un peu. Peu à peu, une discussion s'installa entre les trois individus, et la nuit se mit à tomber. L'inconnu salua, sorti de la pièce en rentra chez lui. Une fois que la jeune femme et Ginko furent à nouveau isolés, elle confirma sa pensée :
″C'est lui, mon futur époux.″
L'affirmation un peu blasée fit sourire Ginko ; il n'était pas rare qu'on lui souligne des évidences comme si il était incapable de les saisir.
″J'avais compris ça. Je ne suis pas si idiot, quand même...
- Non, excuse-moi. Tu es marié, toi au fait ?″
La question lui semblait saugrenue. Il voyageait tout le temps, ce qui encourageait très peu de véritables liaisons même amicales avec des gens dont il savait qu'il ne les reverrait certainement pas, et bien qu'il eut quelques points de repères, parmis lesquels la maison Karibusa et celle d'Adashino, notamment, il parcourait rarement deux fois les mêmes lieux. Qui plus est son apparence n'avait pas vraiment tendance à plaire à la majorité des femmes (quoique en réalité il plaisait beaucoup, mais il n'en savait rien), et son caractère infiniment nonchalent était loin d'être, et il le savait, le comble du romantique. C'était une question étrange, surtout venant de Tanyuu qui le connaissait depuis assez longtemps pour savoir que ce n'était pas possible.
″Tu poses de ces questions... Je n'y songe même pas, en fait.″
Cette réponse fit apparaître un très bref froncement de sourcil sur le visage de Tanyuu, presque imperceptible mais assez surprenant.
″Oui, ça m'aurait étonné de toi, remarque.
- Est-ce qu'il est arrivé quelque chose d'autre ici ? Quelque chose de plus grave...
- Non. C'est déjà assez grave comme ça.
- Eh ?
- En fait, je ne suis pas très contente qu'on ait pris cette décision pour moi... Evidemment, cet homme est charmant, je ne peut pas dire le contraire, mais bon...
- De quoi ? C'est te marier qui t'embête ?
- Tu n'y comprends vraiment rien. Si tu veux... Une fois que je serais mariée, je serais totalement assurée de ne jamais avoir l'occasion de marcher, encore moins de voyager, et au final je ne pourrais quasiment plus voir personne. Ca ne me tente pas du tout.″
Force était de l'admettre, elle avait raison. Jusqu'ici il avait évité de le lui faire remarquer pour ne pas compliquer les choses, mais si elle s'en rendait elle même compte, il ne pouvait qu'acquiescer.
″C'est vrai que...

- Tu vas repartir, là ?″
La question était bizarrement formulée, et il n'était pas difficile de comprendre qu'elle dissimulait un plan douteux.
″Euh... Oui, évidemment... Mais comment ça ?
- Héhé... Je peux partir avec toi ?″
Il fallait s'y attendre, c'était un plan douteux. Ginko essayait de la raisonner, bien malgré lui : cette demande était tout à fait légitime, mais engendrerait sûrement des problèmes vraiment contraignants ; mais il était évident qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Il fallait qu'il ait de bons arguments, et d'un autre côté il n'en trouvait aucun qui soit convanquant. Il finit donc par céder.
″Bon... Mais comment est-ce que tu comptes faire pour sortir ? Ca ne passera pas inapperçu si je sors d'ici en t'emportant, tu sais ? Si tu n'as même plus le droit d'aller dehors, on ne te laissera pas voyager.
- Je sais bien... C'est pour ça que je te demande de l'aide... Ne serait-ce que parce que que je n'ai plus de canne.
- Tu connais une autre issue que la porte principale ?
- Oui, justement... Il y en a deux, en cas de siège... Mais je pense que la plus efficace, c'est depuis la bibliothèque.″
Il avait beau réfléchir, il ne voyait pas vraiment comment il était possible de sortir depuis la bibliothèque. Cependant il avait toujours soupçonné cette espèce de grotte obscure qui entourait le bâtiment d'être situé dans une cavité creusée par les uro, et si c'était le cas, effectivement, cela serait une issue très efficace. Cependant il était dangereux de fréquenter ce genre de lieu à la légère, et fuir dans une cavité avec la jeune héritière Karibusa sur le dos paraissait très difficile sinon impossible. Par ailleurs l'issue était principalement gardée par Tama et...
″Il faudrait que tu fasses semblant de partir et que tu reviennes ici... Nous partirons pendant que Tama sera occupée ou dormira.
- Elle est le genre de personne à ne dormir que d'un oeil, non ?
- Oui, mais si on se débrouille bien il n'y aura pas de problème. Je vais souvent à la bibliothèque de nuit pour continuer un peu mon travail...
- Tu exagères...
- Mais tu veux bien m'aider quand même ?
- Aah. Je fais semblant de partir, donc ?
- Oui... Après, tu feras le tour du bâtiment par la gauche et je t'ouvrirai depuis la chambre dans quelques heures.... Mais sois discret...″
Tout en continuant à voix basse ses recommandations, elle aidait Ginko à prendre ses affaires sur ses épaules, comme pour le presser de partir, et effectivement, à peine une minute plus tard, il était dehors, muni de quelques consignes très stricte et avec en sa possession une belle quantité de tabac. Il fallait qu'il attende la nuit, et il ne pouvait pas se permettre de rester devant la maison si longtemps, au risque d'être repéré. Il décida donc d'aller s'asseoir derroère un rocher pour fumer un peu et réfléchir.

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