Feuillles de papier dispersées par le vent

Chapitre 1 : Une pensée pour quelqu'un

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 11:16

 

Chapitre 1

 


″Adashino ?
- Hm ?
- Tu peux me dire d'où tu tiens ce truc là ?
- Oh, ça...″
C'était une assez agréable journée de printemps, et Ginko n'ayant rien de particulier à faire avait décidé de se rendre chez Adashino pour chercher un peu dans sa remise. Véritable collectionneur fou, le médecin avait transformé sa maison en véritable musée, mais les plus belles pièces se trouvaient bien souvent au sous sol, et le lieu, à défaut d'êtrre rangé, avait la même organisation qu'une partie de casse briques réussie.
En vérité, cet après midi là, Ginko ne recherchait ni ne trouvait rien de particulièrement intéressant. Quelques jolies pièces de vaisselles, des objets qu'il lui avait lui même vendus, où qu'il se souvenait avoir vu entre les mains d'autres mushishi, certaines raretés dont ils savait pertinament qu'elles lui seraient un jour utiles mais qui pour le moment ne lui disaient rien... Dans toute cette réserve, son regard s'était arrêté sur une canne. Une canne tout à fait ordinaire, en soi, taillée dans du bois sombre et qui n'avait certainement aucune propriété exceptionnelle, mais avant tout la canne d'une connaissance.
″C'est la vielle Tama qui me l'a vendue. J'étais passé pour voir si j'avais une chance d'entrer dans la bibliothèque des Karibusa, en tant que collectionneur, mais on ne m'a pas franchement acceuilli avec le sourire... J'ai un peu trop insisté, je crois, et la vieille m'a vendu ça au prix de l'or en me disant que c'était la canne de la fille possedée par le mushi...
- Elle ne s'est pas moqué de toi... ″Au prix de l'or″ ? Et tu l'as acheté quand même ?
- Hmmm... J'avoue m'être fait légèrement avoir. Cette canne est loin d'être une antiquité et n'a appertenu qu'à Tanyuu – tu la connais, non ? -. En attendant, c'est déjà très fort d'avoir pu s'approprier l'objet d'une maison où quasiment personne n'entre.″
Cet achat n'avait absolument aucune importance, Ginko le savait bien. D'ordinaire la collection d'Adashino lui donnait des indications sur des problèmes liés aux mushi, rien de plus, rien de moins. Mais il n'arrivait pas pour autant à saisir la situation. Tama avait vendu la canne à Adashino pour qu'il s'en aille, jusqu'ici tout semblait normal, car Adashino faisait partie de ces personnes qui, une fois avoir accompli un trajet, ne repartent pas les mains vides et peuvent tenir un siège de plusieurs semaines avant d'avoir obtenu satisfaction. Cependant, bien que l'objet n'eût aucune valeur véritable, il aurait paru bizarre de vendre la canne à Adashino pour en racheter une juste après, la maison Karibusa étant située à une distance plus qu'honorable de tout commerce et Tama n'étant plus franchement aussi athlétique qu'elle avait pu l'être du temps où elle était mushishi. Autrement dit, Tanyuu n'avait à l'heure actuelle aucune canne en sa possession... Etait-elle à nouveau capable de marcher ? Une fraction de seconde Ginko fut saisi d'un espoir fulgurant ; si Tanyuu avait pu se libérer du mushi, c'était une excellente nouvelle. Mais cet enthousiasme fut vite brisé par l'évidence : si cela était arrivé, il aurait été l'un des premiers à être prévenus, et Tama aurait sans doute été de suffisament bonne humeur pour laisser entrer Adashino et lui offrir le thé. Il serait revenu tous joyeux, avec en sa possession des copies de rouleaux importants, et aurait sans doute lui aussi prévenu Ginko. Il était inutile de s'imaginer de telles choses. Cependant, la vente de la canne ne pouvait pas avoir été faite sans vraie raison. Ginko continuait de méditer sur la question lorsqu'il fut brusquement interpelé par Adashino.
″Ginko ! Ginko, tu m'écoutes ? Ne va pas t'endormir sur mes affaires, tu seras gentil...
- Hein ? Non, excuse-moi. Ecoute, je pense que je vais aller chez les Karibusa demain...
- ... Tu ″penses″ ? Ginko... Je crois que tu as perdu le sens des proportions... Ici on est sur la côté ! La maison Karibusa est bien plus au nord, et qui plus est au niveau des montagnes... C'est pas la porte à côté. Tu n'y seras pas demain.″
Effectivement, tandis qu'Adashino pointait du doigt sa carte d'un air outré, Ginko réalisait que le trajet n'était pas anodin. D'ordinaire, ses voyages se faisaient un peu au petit bonheur la chance, et il faisait escale dans tous les villages où on lui parlait de mushi. Ici, il s'agissait de se rendre dans un lieu précis, ce qui n'arrivait que très rarement. Il lui faudrait bien une semaine pour arriver sur place, et encore.
″On verra bien. Ce n'est pas le temps qui me presse, au fond... Mais je sens qu'il se passe quelque chose de particulier là-bas, et j'aimerais vérifier.
- Et si il ne s'y passe rien ? Tu auras l'air fin, tiens...
- S'il ne se passe rien, je ferai comme d'habitude. J'irai jetter un coup d'oeil à la bibliothèque, je parlerai cinq minutes avec Tama et quelques heures avec Tanyuu pour la tenir au courant...
- Hmm. Fais comme tu veux. Tu as une raison précise de me le signaler ? Un service qu'il faudrait que je te rende ? De toute manière, pour les quatre ou cinq objets que tu m'as apportés, j'ai l'impression d'être endetté à vie...″
Effectivement, Ginko avait quelque chose à demander, mais ça lui paraîssait trop curieux pour le formuler directement. En revoyant la canne noire et simple, il s'était souvenu de tout l'aspect austère du mode de vie de Tanyuu. Cette demeure perdue au milieu de nulle part, avec peu de meubles et une très petite quantité d'objets, ces habits et cette coiffure bien moins soignés que chez d'autres jeunes femmes qu'il avait pu rencontrer au cours de ses voyages ininterrompus, Tama, vieille femme austère par excellence, l'encre sur du papier, rien de plus ; tous ces élèments lui donnaient l'impression d'une vie minimaliste, un peu à l'opposé de celle qu'il menait lui même, lui qui voyageait tout le temps et collectait beaucoup de choses ; il en vendait quelques unes à Adashino, certes, mais n'ayant nulle part où habiter il reconnaissait dans la demeure de son ami des objets qu'il considérait toujours comme siens. Aussi, il aurait aimé offrir quelque chose à la jeune femme, mais quoi ? Il était risqué de s'adresser à Adashino, qui n'hésiterait pas un instant à lui demander une montagne d'or pour un ornement quelconque. Cependant la question se devait d'être étudiée par un professionnel, et un médecin très fréquenté devait sans doute avoir une idée plus précise que lui de ce que pouvait désirer une jeune femme qui vit cloîtrée depuis son enfance pour guérir d'une maladie ancestrale provoquée par un mushi monstrueux... À la réflexion, non. Il n'en savait sûrement pas plus que lui sur ce plan là... Mais Ginko en eut soudain assez de réfléchir, et se risqua à poser la question :
″Bon, écoute. Si tu devais faire un cadeau à quelqu'un que tu vois très rarement, mais que tu apprecies, et qui vit seule au milieu de pièces vides dans une maison vide encerclée par le néan... Tu lui offrirais quel genre de chose ?
- Par défaut ? Hmmm... Si c'est un homme, du sake, et si c'est une femme, des bijoux.
- Très drôle...
- Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? C'est pour Tanyuu ou pour Tama ?
- Les deux, mettons.″
En vérité, Ginko n'avait pas du tout pensé à Tama, mais le sourire qu'avait eu Adashino en posant la question présupposait qu'il s'imaginait des choses, et il ne valait mieux pas laisser planer ce type de doute.
″Pose leur la question, va.
- Non non, c'est bon, ce n'était pas si important... Je verrai bien. Bon. Je crois que je vais me mettre en route. Je te ferais parvenir du courrier si j'ai du nouveau... Ca t'intéresse ?
- Au point où j'en suis... N'oublies pas de me ramener quelque chose si tu trouves des souvenirs à emporter...
- Pas de risque que j'oublie ça. Allez...″
Sans plus attendre, il se leva, hissa son bagage sur ses épaules, fit un bref salut à Adashino et sorti de la maison ; une fois à l'extérieur, il put ″enfin″ allumer une cigarette, occupation pratiquement obligatoire pour ne pas être poursuivi par des mushi en permanence, et put commencer son voyage vers la demeure des Karibusa.

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