Godzilla: Destroyers of World

Chapitre 1 : Signal de détresse

11752 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/11/2023 22:29

Lors d'une nuit calme, aux larges du japon, un chalutier du nom de Ryujin était aux frontières maritimes du japon. La raison de sa présence dans ces mers devait rester secrète, car malgré les décennies écoulées depuis l'incident de Fukushima, le travail de ces anciens pêcheurs était essentiel pour le pays. Cela faisait plusieurs années que les filets étaient délaissés sur les quais pour accueillir des bidons remplies de matières radioactives. Eux,  qui avant prélevaient le poisson à la mer étaient dorénavant payés pour déverser ces matières nocives aux larges. Ezume avait eu le diagnostique d'une tumeur maligne de la peau il y a quelque mois, bien qu'avancé il n'avait pas abandonné son poste. Il avait besoin de cette paye pour rembourser les dettes qu'il avait accumulées pour payer sa maison. Aucun employé n'avait de protection contre les radiations, mais la prime était idéale pour des ouvriers non qualifiés. De toutes manières, officiellement, ils n'existaient plus depuis que les Yakuzas avaient officialisé leurs morts. Lorsque le capitaine vit sur le GPS qu'ils venaient de quitter les mers territoriales, il donna l'ordre à son équipage de jeter à la mer les bidons jaunes. 


Après plusieurs longues minutes de déversement, Ezume rejoint ses camarades qui s'étaient rassemblés sur le pont. Tous de vieux briscards, tous officiellement portés disparus en mer, avaient renoncé à tout ce qu'ils avaient pour accepter le travail. Leurs familles les pensaient morts  en mer, ils n'étaient plus que des ombres. L'état prétendait que la paye qu'elles touchaient tous les mois étaient des subventions pour maquiller le salaire de ces hommes. Le vieux marin sortit son harmonica et les pêcheurs l'accompagnèrent au chant. Autrefois traditionnelle, cette chanson était dorénavant mélancolique, elle ressemblait plus à un supplice des marins égarés qui priaient Gojira le Dieu des océans,  que des jours meilleurs reviennent. Tous se sentaient à la fois prisonniers et fautifs de ce crime qu'ils étaient en train de perpétrer, mais néanmoins indispensable. Ce bateau était leur nouveau foyer, et les travailleurs leurs familles. Alors que la chanson suppliait que les mers deviennent fécondes, et qu'ils soient libérés de la souffrance, un clapotis résonna. Le plus jeune des pêcheurs se retourna et attira l'attention de ses camarades vers l'origine du bruit. Son collègue, un marin barbu et décoiffé, lui affirma que les océans étaient vides de vie depuis longtemps, que cela devait être une vague. Mais de nouveau, un éclaboussement retentit. Intrigué par le bruit, le jeune pêcheur prit sa lampe torche et s'approcha du tribord. Les marins continuaient leurs chants, ne prêtant pas attention au jeune homme, qui dirigea sa lampe vers les eaux noires. Il crut avoir imaginé ces bruits d'eau, mais rapidement son insistance lui donna raison, il vit un éclat argenté en jaillir et sauter dans les airs plusieurs secondes. C'était une bonite, de belle taille, qui dansait pendant ce qui semblait être une éternité, avant de replonger dans l'eau ténébreuse. 

_ Un poisson ! S'écria à gorge déployée le pêcheur émerveillé du spectacle. 

Ses camarades ne prêtèrent guère attention, mais bientôt les éclaboussures furent trop insistantes pour être ignorées. Tous les marins, même le capitaine, se penchèrent par-dessus le pont pour admirer le spectacle, abandonnant leurs prières. Ce n'était ni un, ni deux, mais des centaines de poissons, aux couleurs et tailles variées, qui bondissaient presque à bord du chalutier. 

_ Nos prières ont-elles été entendues ? se demanda Ezume en lâchant son harmonica.

_ Gojira nous a entendu ! S'exclama le plus vieux marin. Merci Gojira !

Les marins commencèrent à remercier le Dieu païen antique, car grâce à Gojira, ils allaient enfin retrouver des jours meilleurs. Mais Gojira n'était pas revenu pour accomplir des souhaits, car un éclat d'une brillance infinie illumina l'océan comme frappé d'une comète. Une explosion jaillit des entrailles du Pacifique et son champignon de feu de la radiance d'un million de soleil brûla la rétine des pauvres marins. L'onde de choc propulsa plusieurs marins par-dessus le pont et leur explosa les tympans. Rendus sourds et aveugles, les derniers rescapés tâtonnèrent le pont en quête de relief pour se retrouver. Ils étaient paniqués, et une sensation étrange s'emparait d'eux. Ezume parvint à gravir le pont jusqu'à la cabine du capitaine. Il reconnut les boutons de la radio, et l'alluma. Il n'entendit rien, non pas que l'appareil était en panne, mais parce que lui-même avait perdu l'audition. Il tenta d'articuler un message de détresse sur une fréquence au hasard, il ignora si on lui répondit, il ignora s'il avait été entendu. Le bateau tangua, comme renversé par une vague colossale. Plusieurs malheureux plongèrent dans l'océan glacé, ils n'échappèrent pas à la noyade. Ezume se heurta contre la fenêtre bâbord de sa cabine, et dès qu'il retrouva ses marques, il se rendit compte que le sol était recouvert d'eau et d'éclats de verre. Plusieurs marins hurlèrent de détresse lorsque le bateau fut secoué une nouvelle fois. Le chalutier coulait. Ezume le savait, ils ne pourraient pas s'enfuir, aucun d'entre eux ne reverrait plus leurs familles. Il attrapa l'émetteur de la radio et hurla à plein poumon pour avertir du danger et indiqua comme il pouvait les coordonnées. C'est alors que retentit, un rugissement d'un Dieu de la tempête. Il ne pouvait l'entendre, mais il le ressentait, grâce à la douleur de ses entrailles réduites en bouillie par les infrasons titanesques. Tous les tissus mous furent réduits en pulpe, ses yeux éclatèrent et son cerveau sortit de ses orifices. Son dernier témoignage serait le grondement de Dieu qui avait été enregistré lors de son appel de détresse.

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Un bateau à moteur dans la baie de Toshima comptait à son bord un groupe de jeunes diplômés qui fêtaient la fin de leurs longues et dures études. Du saké, du coca et de l'alcool fort était consommé à profusion, et Hiroshi Koukougetsu était sur le point de conclure. Hotaru Koushou était une amie de longue date, et secrètement il avait des sentiments pour elle. Un jour elle lui avait fait promettre qu'ils se marieraient quand ils étaient enfants, et il était temps pour lui de réaliser cette promesse. Il avait mis dans la cabine bâbord son alliance. Et ils étaient suffisamment saoul pour entreprendre cette prouesse, il avait toutes les chances de son côté. Alors qu'il prétexta de chercher une boisson fraîche, il descendit dans les entrailles du yacht. Il farfouilla longuement sa cabine, faisant impatienter ses amis en haut. Mais après des recherches maladroites, il finit miraculeusement par mettre la main sur le petit boîtier de velours. Il sentait la chaleur et l'angoisse l'envahir, il allait faire sa déclaration. Pendant un instant il hésita à reposer sa promesse, jugeant qu'il n'y arriverait pas. 

_ Qu'est-ce que tu fous ? Demanda Sadao, son plus vieux camarade et son modèle de virilité. Tu te branles ou quoi ?

_J'arrive ! Je les ai, répondit-il en s'emparant de son petit boîtier.

Il regretterait toute sa vie s'il abandonnait maintenant. Il monta sur le pont, et Sadao se mit en colère.

_ Elle est où cette putain de vodka ?! Demanda furieux son camarade alors qu'il portait sur ses genoux sa propre copine. Tu n'as rien amené, c'est quoi cette connerie ?!

Ignorant les remontrances de son ami, Hiroshi se dirigea vers Hotaru et commença à plonger sa main dans sa poche où il avait dissimulé le boîtier de l'alliance.

_Koushou-san... dit timidement le garçon avant d'être interrompu par une alarme depuis le poste de radio.

Très agacé par le bruit dissonant, Sadao se dirigea vers l'origine du bruit et vit le voyant rouge sur la commande de bord. 

_ C'est quoi ce bruit, demanda Koukougetsu en se mettant les mains sur les oreilles.

Cette alarme soudaine rompit son moment romantique, il en oublia l'alliance. Sadao se mit à lire en panique les instructions dans le carnet de son père. 

_ Je ne sais pas, répondit bêtement le fils du propriétaire du bateau. Je ne monte pas souvent à bord, mais je crois qu'on tente de nous envoyer un message.

_ Un message ? Demanda sa copine dont la voix était à peine audible à cause de l'alarme. 

_ Ouais ! Un signal quoi ! Je crois que lorsqu'il y a ce voyant que c'est un signal de détresse.

_ Alors répond ! Supplia Hotaru.

Sadao se sentait moins puissant d'un coup. Il se sentait bête de ne pas savoir comment répondre à VHS du bateau de son père. Il se saisit de l'émetteur et suivit les instructions. Il se régla sur la fréquence du signal et prononça bêtement, "Allo". Seul le grésillement retentit pendant plusieurs minutes d'angoisses. Hiroshi sentait sa gorge se resserer, il ignorait s'ils étaient arrivés trop tard, il sentait le poids de vies humaines sur ses épaules, bien qu'il fut totalement impuissant. Après plusieurs "Allo" insistant de Sadao, une voix horrible retentit. Elle articulait à peine, recouvert par le bruit de l'eau et des parasites. On comprenait vaguement qu'elle appelait à l'aide, et qu'elle donnait des coordonnées mais, juste Sadao commença à comprendre qu'il fallait prendre des notes, alors que la radio se mit à grésiller tant le son qui passait à travers était puissant. On aurait dit un animal énorme, peut-être même colossal. C'était la voix de Satan en personne qu'ils venaient d'entendre. Sadao prit l'initiative de couper la radio, condamnant le marin à un sort funeste. Traumatisé, le jeune équipage se regarda. 

_ Que faisons nous ? Demanda Koushou. 

Encore tremblant, Sadao regarda ses camarades. Si son père devait apprendre qu'il a capté un signal de détresse et qu'il n'avait pas transmi aux autorités, il le tuerait, car il saurait qu'il a non seulement pris le bateau sans son autorisation, mais en plus qu'il venait probablement de condamner un équipage à un funeste sort. 

_ Nous ne dirons rien.

_ Quoi ?! Demanda Hiroshi. 

_ Ces gens ont besoin de nous ! S'écria Hotaru agacée de l'inaction de ses camarades.

_ Ta gueule ! Répondit férocement Sadao. On dit rien et un point c'est tout !

Alors que Hitaru s'apprêtait à frapper son ami, le jeune homme dont l'amour secret envers elle l'interdirait de la contredire, saisit sa main avant que soufflet ne soit donné. Il avait le regard dur, mais intérieurement il était brisé. Il se contenta de dire calmement.

_  Il a raison Koushou-san. Si nous révélons que nous n'avons pas transmit l'appel de détresse, nous risquons la prison. Viens.

Alors qu'Hiroshi tenta une approche douce pour inciter la femme qu'il désirait à se rapprocher de lui, elle retira vivement sa main et se dirigea vers l'arrière du pont, on pouvait l'entendre sangloter. La petite amie de Sadao l'accompagna, tentant en vain de remonter le moral de la jeune femme. Ignorant le drame, Sadao prit place au tableau de bord, et alluma le moteur. Hotaru et Suzuki, la petite copine de Sadao, s'assirent sur l'un le banc tribord alors qu'Hiroshi, frustré de la tournure des choses, se dirigea vers babord en sortant de sa poche la bague de fiançaille. Elle lui avait coûté cher, elle était d'argent avec un véritable diamant serti. Il sentait la colère grimper en lui, pourquoi est-ce qu'il a fallu que ce message de détresse tombe sur eux. 

_ Dis moi Hiroshi, demanda Sadao en scrutant le phare à travers son hublot, qu'est-ce que t'étais allé chercher tout à l'heure ? J'attends toujours ma vodka.

_ Rien qui n'en valait le coup... Répondit sèchement Koukougetsu avant de lancer l'alliance à la mer.



C'était un grand jour pour Daisuke Serizawa. Il allait mener une expérience de la plus haute importance, il détenait le futur dans la paume de sa main. Dans son laboratoire, il avait monté une cuve de la taille d'un homme. Dans une cuve remplie d'eau, un long double cylindre coupé en deux était suspendu à mi hauteur. Dans la partie vide entre les deux morceaux du cylindre, deux tubes de métal reliés à des demi-sphères attendaient le courant électrique pour accomplir le rêve du scientifique fou de joie. Il se dirigea vers son ordinateur et lança le programme. Il alluma la caméra en attendant le compte à rebours. 

_ Essai numéro deux-cent trente huit du destructeur d'oxygène, on est le six août deux-mille quarante cinq. 

Il claqua le clapet et se positionna derrière la caméra pour réajuster l'angle du film. Les longs câbles électriques pendaient de chaque côté de la cuve, reliés à l'intérieur au destructeur d'oxygène. Si cette expérience était une réussite, son laboratoire le subventionnera pour continuer ses recherches et l'air du nucléaire et des énergies fossiles sera enfin terminé. La transition énergétique tant désirée était proche. Plus que dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un. Alors que Serizawa fixait les voyants de son appareil, quelque chose clochait. L'émetteur d'ondes du destructeur aurait dû se mettre en route. Il retourna derrière l'écran de son ordinateur, il vit affiché un message d'erreur. Le destructeur d'oxygène n'était pas connecté au système. Il revérifia la connectique de toutes ses machines, elles étaient toutes branchées, il n'avait pas commis d'erreur. Il vérifia la longueur des câbles, et tomba sur l'un d'eux sectionné sur la moitié de la largeur. La trace était sans équivoque, c'était la forme d'incisive de rongeur. Une crotte de souris confirma ses suspicions. Il devait son échec à une foutue vermine. Il éteignit la caméra, puis se dirigea vers le placard à balais. Il trouva ce qu'il désirait, des pièges à souris. Il retourna dans son bureau, par chance aujourd'hui pour son déjeuner il avait pris une pomme. D'expérience, il savait ces petites bêtes bien plus attirés par les fruits à glucoses que de vulgaires bouts de fromage. Il plaça soigneusement les pièges sous les installations. Il devait rédiger un rapport, mais dans l'immédiat il se dirigea vers la salle de repos. Il avait besoin d'une pause clope. Il croisa quelques chercheurs en sortant de son repaire, parcourant les couloirs d'un blanc immaculé. 


Serizawa était brillant, il avait été engagé chez Mothra, une entreprise de recherche et développement en énergie. Il avait écrit durant ses études une thèse révolutionnaire, une nouvelle source d'énergie. Bien que l'énergie en elle-même ne soit pas une nouveauté dans les faits, car finalement cela se résume à produire une explosion avec de l'hydrogène pour faire bouillir de l'eau sous pression et alimenter une dynamo, la méthode pour extraire l'hydrogène était novatrice. Il avait découvert durant ses études que les atomes liés entre eux grâce à l'interaction faible. Pour casser cette cohésion, il suffisait de créer une onde électromagnétique de bonne fréquence pour fissionner les molécules. Il avait découvert la fréquence qui permettait de briser le lien entre atomes d'oxygène et d'hydrogène, en détruisant l'oxygène dans l'eau il pouvait ainsi isoler l'hydrogène et générer théoriquement une énergie égale, voir supérieure à la fission nucléaire. Il travaillait sans répit depuis des mois dans le but de trouver LA fréquence, celle qui pourrait permettre de casser ces molécules, et ainsi détruire l'oxygène. Mais hélas il n'avait jamais eu l'occasion de réussir son expérience. Ce nouvel échec pouvait compromettre ses subventions de son laboratoire. 


Il arriva à la salle de repos où plusieurs de ses collègues discutaient de leurs avancées. Il fit signe à quelques-uns qu'il appréciait bien, mais ne s'attarda pas. A la place, il se dirigea vers le balcon, la zone réservée aux fumeurs. Il sortit de sa poche un paquet de Mevius et se posa sur le rebord du balcon, contemplant les tours de Tokyo. Le laboratoire avait été construit en bordure de la capitale, la famille Mothra voulait un cadre favorable à la réflexion mais suffisamment proche des habitations pour permettre d'y venir en vélo ou en voiture. Alors qu'il allumait sa cigarette, une femme mûre le rejoignit et sortit son porte-cigarette. Cette dernière fouilla dans son sac à main mais avant qu'elle ne puisse ouvrir son saquet, Daisuke lui tendit une de ses propres cigarettes. 

_Tenez Mothra-sama.

_ Merci bien Serizawa-san, répondit la chef d'entreprise en tendant son porte-cigarette, invitant son employé à y insérer le dispenseur de nicotine.

Le scientifique épuisé monta l'appareil et le rendit à madame Azami Mothra. Alors qu'elle mit le porte-cigarette, l'homme galant le lui alluma, lui permettant d'inspirer ce mélange de tabac, acétone et autre goudron. 

_ Dites moi jeune prodige, où en sont les avancées sur le destructeur d'oxygène ?

Gêné par la question rhétorique de sa patronne, Serizawa se mit dos au soleil couchant qui plongeait entre les immeubles, puis inspira à son tour sa dose de poison cancérigène. Il ne pouvait tourner autour du pot.

_Non probant. Répondit simplement Serizawa.

_ Quelle surprise ! Sortie Azami d'un air moqueur. Peut être qu'il faut revoir la formule. 

_ La formule est bonne, s'offusqua Daisuke qui masqua sa frustration d'un ton froid et calculateur. La raison, c'était la présence de rongeurs qui ont détérioré le matériel. J'ai pourtant prévenu mes collègues de ne pas manger sur le lieu de tests, les miettes ont attiré des rats. 

_ Pour la gestion du personnel c'est mon travail, dit madame Mothra d'un ton sec mais calme alors qu'elle faisait face au Soleil. Le votre, c'est de faire fonctionner votre machine. Cela fait combien de temps que vous êtes sur ce projet ? Un, deux ans ?

_Il ne faut pas y renoncer Mothra-sama. Laissez moi le temps de réparer ma machine, et je vous ferai une démonstration publique une fois les réglages finis.

Un sourire mélangeant surprise et moquerie se dessina sur le visage de la femme sexagenaire. 

_ Une démonstration publique ? Demanda la PDG. Vous avez confiance en votre projet à ce que je vois.

_ Le temps de me faire livrer de nouveau câbles et de réajuster les réglages, je pense que deux semaines devraient suffire.

_ Très bien, conclut la femme dominatrice. Deux semaines. 

Elle tapota sur son porte cigarette ce qui fit tomber le mégot en contrebas du laboratoire. Elle sortit de sa veste une petite carte blanche et le tendit à Daisuke.

_ Tenez, c'est une conseillère de recherche d'emploi, elle connaît des laboratoires dignes de vos talents. On ne sait jamais.

Serizawa prit la carte et accepta l'injure à peine déguisée. Elle commença à rejoindre la salle de repos puis se retourna au dernier moment.

_ Cela fais combien de temps que vous n'êtes pas rentré chez vous Serizawa-san ?

_ Vous savez madame, ma maison c'est ici.

_ Prenez une soirée pour vous reposer, insista la directrice. Mieux vaut une tête reposée et concentrée sur une journée qu'un acharné épuisé. Prenez exemple sur moi, je suis débordée pourtant je compte bien aller voir mes filles à leur opéra. 

_ Puisque vous le demandez si gentiment, je crois qu'il serait sage d'écouter vos conseils.

_ Vraiment Serizawa, ce soir rentrez chez vous, où c'est moi qui vous jette dehors.


Après la fin de la journée, même si elle avait été rèche, madame Mothra n'avait pas tord, Daisuke avait besoin de rentrer chez lui. Il était courbaturé et la tête farcie de formule mathématique. Alors qu'il se dirigeait vers le métro, il vit au bord de la route un clochard. La vie était devenue dure au Japon depuis la dernière décennie, les prix des produits de premières nécessités avaient explosé depuis la disparition du poisson, les gens s'endettaient juste pour se nourrir. A moins d'avoir un excellent salaire, c'était compliqué de survivre dans cette ère moderne. Heureusement, Daisuke avait un bon poste, mais il savait que si sa démonstration échouait, il rejoindrait cet homme pour faire la manche. Après un long trajet éreintant, il put enfin arriver dans son petit quartier de bordure de ville. Il se dirigea vers une maison de belle taille, puis il tourna la poignée et rentra à l'intérieur. 

_ Je suis rentré ! Annonça Daisuke en s'enlevant les chaussures à l'entrée avant d'enfiler des pantoufles.

_ Daisuke-kun ? Demanda une voix féminine empreinte de surprise et de joie.

Une femme aux yeux d'amandes et avec un teint blanc sortit du salon pour faire face à Serizawa. Elle écarta les bras et s'élança dans les bras du scientifique.

_ Tu es rentré Daisuke-kun ! S'écria avec joie madame Serizawa.

_ Emiko, tu m'as manqué. 

Les deux époux se serrèrent l'un et l'autre un moment avant qu'Emiko escorte Daisuke vers la salle à manger. Elle avait l'air désolée qu'à la table principale il manquait une assiette.

_ Désolé Daisuke, dit Emiko, sincèrement navrée. Cela faisait plusieurs semaines que tu étais absent, et je ne savais pas que tu rentrais.

_ Ce n'est pas grave Emiko, répondit monsieur Serizawa en embrassant le front de sa femme.

_ Il est encore vivant ?! Demanda un retraité en bout de table.

C'était monsieur Yamane, le père d'Emiko. Kyohei était autrefois un paléontologue réputé qui étudiait les dinosaures. Mais il avait pris sa retraite, quand bien même sa passion pour les lézards terribles n'avait jamais cessé de brûler. Il avait commencé à manger le plat cuisiné par sa fille, un délicieux donburi katsudon. Le porc était encore relativement bon marché, même si la qualité n'était guère extraordinaire. 

_ Bonsoir Yamane-sama, répondit Daisuke en s'inclinant.

Le vieil homme ne prêta guère attention aux courbettes de son gendre. Il continua de savourer son plat avec un verre de vin. Il se saisit de son pilulier et commença à en sortir les médicaments. 

_Tu as aussi des devoirs à la maison, dit sèchement l'ancien professeur. On aurait aimé avoir au moins des nouvelles.

_ Désolé, j'étais surbooké, je dois faire une démonstration dans deux semaines.

_ Je vais te faire cuir des nouilles instantanées, dit Emiko à son époux tandis qu'elle le guida à table.

Alors que Daisuke s'assit, l'ex paléontologue fixa d'un œil circonspect son beau-fils. Il était inexpressif, mais Serizawa ressentait toute la tension dans son regard. 

_ Ton expérience a enfin marché ? Demanda presque amusé le père d'Emiko.

_ Non, mais je tiens la formule, tenta de rassurer l'ingénieur.

_ Ah ! Fit à moitié surpris monsieur Yamane. Les jeunes n'ont plus le sens de la rigueur scientifique. Pour prouver une thèse, il faut chercher les preuves du contraires. C'est élémentaire pourtant !

_ C'était juste que le matériel avait été dégradé, dit Daisuke pour se défendre. Mais mathématiquement la formule est parfaite. En théorie, je pourrais avec deux litres d'eau alimenter une maison pendant deux semaines. 

_ Daisuke, mon pauvre, tu dois le savoir mieux que moi encore, vu que tu étudies la physique des particules, que notre science peut se tromper. C'en est même un principe fondamental, le droit à l'erreur. Pendant des décennies on était convaincu que les iguanodons avaient une corne sur le nez alors que c'était leurs pouces. Imagine les conséquences si ta démonstration venait à échouer !

_ Il n'y a pas d'erreur. Répondit froidement Daisuke avant qu'Emiko ne revienne avec un bol en carton de nouilles. Merci pour ce bon repas !

Madame Serizawa lui tendit deux baguettes richement ornées et son mari entama son repas. Emiko s'assit en face de son époux et lui dit tandis qu'elle se saisit une portion de riz avec ses propres baguettes.

_ Je vais devoir partir dans les prochains jours pour Toshima, on rapporte le cas de personnes tombées malades, on craint une épidémie.

_ Il n'y a pas votre ami qui t'accompagne ? Demanda son père. L'américain, c'est comment déjà ?

_ Steves ! Répondit joyeusement Emiko. Tu devrais le savoir depuis le temps, il est ingénieur en intelligence artificiel et dispositif défensif. Il est aussi en mission là-bas, il doit vérifier une tourelle anti-missile.

_ Ah oui ! S'exclama le vieil homme. Steve ! Ça fait un moment que tu ne l'as pas vu Serizawa, ça ne te ferait pas plaisir de le revoir ?

_ Bien évidemment, dit Serizawa après avoir aspiré une certaine quantité de nouilles. Invitons le pour dîner quand tu rentreras, Emiko. Il devrait bientôt être en permission je crois. 

_ Oui, je lui demanderai de me raccompagner pour le retour. Il doit aussi avoir hâte de parler avec toi des avancées de tes recherches. 

Daisuke se servit un verre de vin avant de finir ses nouilles. Il avait pris l'habitude de manger vite à son travail, il voulait perdre un minimum de temps lors des repas. Il salua son épouse et son beau-père avant de commencer à monter à l'étage.

_ Reste un peu avec nous ! Implora le père d'Emiko. Cela fait deux semaines que nous t'avons pas vu, tu devrais profiter un peu.

_ Désolé Yamane-sama, répondit doucement Daisuke. Je suis vraiment exténué, on se retrouvera demain.

Sans plus de commentaire, Daisuke se dirigea vers sa chambre. Emiko et Kyohei, son père, se firent face à face pendant quelques minutes dans le silence, se contentant d'achever leur repas. Puis le retraité ouvrit le dialogue.

_ Je le trouve de plus en plus distant. 

_ C'est à cause de son travail, répondit Emiko en posant ses baguettes à côté de son assiette. Il a la pression, il veut réussir.

_ Est-ce réussir quand on sacrifie sa vie sur l'autel de l'entreprise ? Demanda monsieur Yamane. Il ne vit plus, il ne rentre plus, il est en train de gâcher ses meilleures années. Cela fait combien de temps que vous n'avez plus fait l'amour ?

Devenant rouge de honte et de colère, Emiko ne put retenir un cri de mécontentement en chuchotement.

_ Père !

_ Je devrais être grand-père à l'heure qu'il est ! Dit l'ancien paléontologue. Regardez vous, cela fait combien de temps que vous êtes mariés ? Dix ans ? Je me fais du souci pour toi ma fille, tu n'es pas épanouie. 

_ Je suis heureuse tant que Daisuke est heureux, répondit sèchement madame Serizawa. 

_L'est t-il ? Demanda sur un ton posé son père, presque prenant en pitié son gendre.

Ne sachant que répondre, Emiko saisit son assiette et ses baguettes pour débarrasser la table.

_ Ton assiette papa.

Le vieil homme lui passa ses couverts ainsi que son plat. Il se tût, mais son silence était d'autant plus révélateur de sa souffrance en voyant sa fille. Elle se dirigea vers la cuisine où elle commença à préparer le lave-vaisselle. 



Madame Mothra prit place dans sa loge, accompagnée de ses gardes du corps. Le spectacle allait bientôt commencer. Un verre d'un saké réputé reposait sur la table en face d'elle, elle avait une vue plongeante sur la scène. La foule d'hommes d'affaires et de gens de la haute société la ravissait. Ses jumelles avaient non seulement hérité de son intellect, mais aussi de sa voix. Pour cette pièce, elles avaient fait recomposer un morceau traditionnel taoiste chanté lors de cérémonies religieuses. Il parlait de la divinité Mothra,  qui inspira le nom du clan dont étaient issues les membres de cette famille. Papillon de lumière divine, elle avait apporté le feu et le savoir aux hommes selon les croyances païennes, et aujourd'hui les Shobijins, comme se faisait appeler le groupe, allaient interpréter ce morceau pour rendre hommage aux origines des deux chanteuses. Elles avaient fait moderniser le morceau en y ajoutant des instruments occidentaux ainsi qu'une chorale. Les coups de bâtons retentirent, le silence prit place, les rideaux s'écartèrent. Le projecteur central éclaira les deux chanteuses, Etsuko et Annya étaient magnifiquement vêtus de kimono aux motifs fleuris. Le flûtiste commença à souffler quelques notes, le choeur entama des notes douces, les violons se joignirent aux voix humaines, puis les instruments s'emballèrent sur une note de plus en plus épique jusqu'à ce que le choeur et les jumelles scandent le nom de Mothra. 

_ Madame Mothra, dit un homme qui entra dans la loge.

Il était habillé de noir avec une chemise à peine visible par en-dessous de son impair. Il était tatoué d'une larme à son œil gauche. C'était Fudo Nozansutomu, un yakuza réputé, avec qui elle avait plusieurs contrats. Il était élégant, masquant son penchant prédateur. Il était d'un certain âge, mais gardait sa classe et sa prestance. 

_ Monsieur Nozansutumo, que me vaut votre venue ? Demanda la directrice du laboratoire. Vous n'êtes pas venus écouter de la musique classique j'imagine.

_ Bien que je dois reconnaître le talent de vos enfants, complimenta le yakuza avant de s'asseoir en face de madame Mothra, je dois bien vous avouer que vous avez vu juste. Un de nos navires a disparu.

_ Et alors ? Demanda la femme à l'homonyme divin. Qu'en ai-je à foutre d'une bande de clochards des mers ?

_ Si je puis me permettre, repris mielleusement le mafieux japonais, cela devrait vous faire quelque chose à foutre. C'est le troisième qui disparaît en deux semaines, toujours dans le même secteur. Si l'épave devait se retrouver sur la berge, on pourrait remonter jusqu'à nous. Dois-je vous rappeler les raisons de notre accord ?

_ Je n'ai pas besoin que vous me racontiez une énième fois votre histoire, monsieur Nozansutumo. Je suis chargée par la commission publique de décontaminer les vestiges de Fukushima, et que ce sont vos gars qui jettent aux larges les déchets nucléaires pour réduire les frais de traitement.

_ C'est toujours le même secteur, répondit le parrain en demandant à un domestique d'être servi en saké. La fosse d'Izu-Bonin, dès que mes navires vont là-bas, ils ne reviennent plus. Bien que ce ne soient que des endettés misérables que j'envoie là-bas, dont à vrai dire je n'en ai rien à "foutre" pour reprendre vos termes, les bateaux eux m'ont coûté de l'argent, et masquer leurs disparitions devient de plus en plus difficile. Il faut graisser des pattes, et les temps sont durs.

_ Donc vous êtes là pour négocier ?! Pourquoi serais-je étonnée.

_ Allons madame Mothra, la discrétion a un prix. Si je tombe, vous tomberez avec moi. Que deviendrait votre famille si votre nom est entaché de détritus radioactifs ?

Sur ces paroles, Azami regarda ses jumelles en pleine performance. Elles étaient aisées, suffisamment pour se reposer sur la fortune familiale, et leurs maris étaient de bons partis. Mais si le nom de Mothra devait devenir synonyme de honte, elles pouvaient dire au revoir à leur carrière de chanteuses, et l'entreprise devrait fermer. 

_ Si enquête doit être menée, je ferai envoyer des scientifiques qui nous sont fidèles. Vous n'êtes pas le seul à avoir un réseau. Pour vos navires, envoyez moi la facture, toujours au même contact. 

_ Toujours aussi dure en affaires. Dit sur un ton amusé l'homme en noir. C'est pour cette raison que je vous apprécie, vous êtes une femme forte. 

La symphonie s'accéléra subitement, les violons jouaient dorénavant à toute vitesse. Les voix s'unissaient en un chœur fervant, dominé par le duo. La chanson se concluait. Le mafieu se releva pour se rapprocher de la sortie. 

_ Une dernière chose madame Mothra.

Les dernières notes s'emballaient, un bouquet final de notes. Puis lors d'un ultime "Morthra" chanté à plein poumon par les jumelles, un tonnerre d'applaudissements retentit. 

_ Quelque soit les épreuves que nous devrons traverser, dit le yakuza en essuyant une montre à gousset accrochée à son veston, nous les traverserons... ensemble.

Sur ces paroles, le chef hors la loi sortit de la loge. Madame Mothra prise d'un pic de colère envoya voler son restant de saké.


Emiko préparait sa valise lorsque son père apparut à la porte de sa chambre, avec un imper et un chapeau de couleur beige.

_Tu n'es pas encore prête ? Demanda Kyohei avec un sourire dessiné sur son visage. 

_ Qu'est-ce que tu fabriques ? Demanda madame Serizawa en éclatant de rire. Tu as prévu de sortir ?

_ Je pars avec toi ! déclara le vieil homme en exprimant sa joie, ce qui dissipa celle d'Emiko.

La jeune femme sembla être paralysée durant un instant, masquant ses émotions. Son père perçu néanmoins un trouble et celui-ci se pencha vers sa fille d'un air inquiet.

_ Tu n'apprécie pas que je t'accompagne ?

_ Si père, rétorqua Emiko en enfonçant une chemise de médecin dans sa valise. Je suis juste surprise, je croyais que tu voulais te reposer à la maison.

_ Et m'ennuyer avec mon gendre ? Demanda en riant Yamane. Tu sais qu'il est du genre très présent à la maison.

La pique sarcastique déplut à Emiko, mais il n'avait pas tort. Il valait peut être mieux qu'il vienne l'escorter, même si Steve serait déjà avec elle...

_ Je n'ai pas réservé de chambre pour toi papa, dit Emiko en finissant d'arranger sa trousse de toilette. Tu devras te débrouiller.

_ Tu crois que me débrouiller pour trouver un coin où dormir m'inquiète plus que ça ? Ria le père. J'ai dormi à la belle étoile dans le désert lors de mes fouilles, dans des régions chaudes et sèches la journée, froides et humide la nuit. Ne t'inquiète pas pour moi Emiko, je trouverai bien un lit douillet sur ces archipels. 

Il se pencha vers sa fille et l'embrassa sur la joue, sa moustache piquait mais la femme était habituée à ce contact hurticant et chaleureux. Elle finit de fermer sa valise et commença à partir. Il était encore très tôt, le soleil n'était même pas levé, mais ferry devait partir aux aurores. Malgré tout, monsieur Serizawa était déjà levé, il avait perdu l'habitude de dormir. Il somnolait vaguement en sirotant un café devant une omelette et une timbale de riz. Lorsqu'Emiko passa devant la cuisine, elle envoya un baiser distant à son époux qui ne la remarqua pas. Ce dernier était encore plongé dans ses pensées. Deux semaines, il devait tout boucler en deux semaines, le temps jouait contre lui. Bien que compatissante à son sort, Emiko sentit une pointe de déception face au manque de réaction de Daisuke.


Au petit matin, alors que Amaya Naichingeru, la femme de ménage rescapée de la catastrophe de Fukushima, trainait devant elle le chariot rempli de produits d'entretient. Elle se dirigea vers le laboratoire de Serizawa, où elle passa le badge devant le lecteur de la porte. Elle avait l'habitude de cette routine, peut-être un peu trop. Elle avait dépassé la soixantaine, mais elle ne pouvait se permettre de prendre sa retraite, sa pension ne lui permettrait pas de survivre et ses deux enfants ne pourraient subvenir à ses besoins. Elle avait bien cette tumeur qui grandissait sur son cou, mais elle n'y prêtait pas attention, pour le moment elle arrivait encore à tourner la tête, elle s'inquiétait à savoir quand elle pourrait payer un médecin pour l'ausculter. Elle alluma les lumières puis sortit sa serpillère de son étui et la plongea dans le seau d'eau. Il y avait une odeur piquante de javel qui lui irritait les voies respiratoires, mais elle était habituée à cette odeur. Elle commença à astiquer, alors que la porte se refermait derrière elle. Elle devait se dépêcher avant que les employés ne la dérangent. Cette routine était morose, mais nécessaire, elle ne s'en était jamais plainte, car grâce à ce travail elle avait encore un toit au-dessus de la tête le soir. Cette femme portait une paire de lunette à forte correction, sa vision avait drastiquement baissée depuis quelques années. Les lumières bleues des écrans disait t-on à la télé, mais elle aimait quand même regarder ses feuilletons favoris jusque tard dans la soirée. Elle les réajusta alors qu'elle se pencha en avant pour essuyer plus frénétiquement une tache coriace. Encore un imbécile qui avait mangé dans le laboratoire, une tâche de gras, elles peuvent être coriaces. Alors qu'elle se redressa péniblement, à cause de son mal de dos, elle heurta en arrière un tabouret derrière elle. Elle s'affaissa par terre, perdant en même temps ses lunettes. Elles glissèrent, du peu qu'elle put voir, sous un meuble étroit. Toujours à terre, elle rampa vers le dis meuble et tendit sa main. Elle n'avait plus la souplesse de sa jeunesse, elle avait du mal à voir et à se faufiler en-dessous. Toutefois elle nota un reflet métalique, certainement les branches de ses lunettes. Elle fit un effort surhumain pour tendre au plus possible, et quand enfin elle saisit l'objet brillant, elle entendit un déclic, et ressentit une forte douleur dans ses doigts brisés.


Madame Serizawa attendait avec son père sur le quai, il était bientôt l'heure. Alors qu'elle lisait sur son téléphone, elle en profita pour lire ses messages. Rien de très important, juste une publicité pour une promotion sur le bœuf. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus goûté de poisson, mais elle n'avait pas les moyens de s'en procurer. Ça lui rappelerait les goûts de son enfance. Les takoyakis aux poulpes, les takikomis gohan, une pavé de thon du pacifique... Dorénavant tous étaient des produits importés des contrées étrangères, à des prix prohibitifs. "Gling gling !" Un nouveau message privé. "Steve: Regarde derrière toi !".


Emiko se retourna, où elle fut surprise par un bus de l'armée américaine. Des soldats en sortirent et un homme de grande taille, aux cheveux bruns clairs, et aux yeux noisette, se dirigea vers Emiko.

_Steves-sempai ! Cria de joie Emiko avant de s'incliner poliement vers Steves. 

Steves Martin leur sourit tout en s'inclinant à son tour alors qu'il s'approcha du duo.

_ Content de vous voir monsieur Yamane. Et toi, comment vas-tu Serizawa-sempai ?

_ Heureux de te compter parmi nous, répondit Yamane Kyohei. Qu'est-ce que tu racontes Martin ? Encore une défaillance ?

_ Non, rassura l'ingénieur militaire. Juste un contrôle de routine, pour justement que ça ne défaille pas au mauvais moment. Prenons vite le bateau avant qu'il n'y ait plus de place. 

Il désigna du regard le ferry qui accostait tout juste. Le trio s'y dirigea, faisant contrôler leurs papiers et leurs billets. Ils prirent ensuite place sur le pont, où monsieur Yamane rencontra une femme de son âge, veuve également, et Kyohei sympatisa avec elle. Prenant de la distance pour le laisser œuvrer, Emiko et Steves se mirent à l'arrière du ferry lorsque celui-ci démarra. Le ronronnement des turbines commença à résonner. L'odeur âcre du pétrole brûlé monta aux narines. 

_ Ton père ne perd décidément pas son temps, ria l'américain. 

_ Il le mérite, dit joyeusement Emiko et lança un bref regard derrière elle, son père devait discuter de sa jeunesse passée avec cette dame. Maman est morte durant l'incident de Fukushima, il a eu du mal à faire son deuil. Moi j'ai rencontré Serizawa-kun, et j'ai pu aller de l'avant. Lui aussi doit aller de l'avant. 

_ Et ton mari ? Demanda Steves en s'appuyant le dos contre la rambarde métallique. Est-ce qu'il va de l'avant ?

_ Daisuke... commença Emiko avant de s'éteindre momentanément. Il a énormément de pression, il est sur le point de faire une découverte majeure. Il doit faire une démonstration publique d'ici deux semaines. 

Le ferry était dorénavant aux larges du port de Tokyo, perçant les vagues de son étrave. Une nuée de mouettes se dirigeant vers le sud vola au-dessus du navire, laissant un magnifique spectacle aux passagers.

_ Avoir la pression ne justifie pas tout, dit Steves en contemplant le vol majestueux. Il a aussi des devoirs envers toi. Je tiens beaucoup à vous deux. 

_ Merci de ta compassion, répondit Emiko en feignant de sourire. Il n'est que rarement à la maison, hier exceptionnellement il est rentré. Mais quand il ne travaille pas, il dort, quand il ne dort pas, il va à la salle. On est comme deux inconnus.

_ Je connais ce sentiment, fit Martin en tournant son regard vers le visage d'Emiko. Moi aussi ça fait longtemps que je n'ai plus vu ma propre famille. Être en mission à l'étranger m'a éloigné des miens, le travail peut transformer un homme. Mais grâce à vous, j'ai malgré tout des contacts humains, ça me fait un bien fou. Tu m'as appris le japonais, j'en ai chié avec votre langue.

Sur ces paroles, Emiko ne put retenir un bref éclat de rire, que Steves partagea un moment avec elle. Ils se fixèrent tous les deux avec un regard plein de tendresse. L'américain reprit en tendant sa main vers celle d'Emiko.

_ Vous êtes devenus plus que des amis pour moi.

Madame Serizawa ne répondit guère avec des mots, juste elle saisit délicatement la main du soldat et adossa sa tête contre son épaule gauche. Monsieur Yamane lança un bref regard vers eux, et souria.



Serizawa n'avait finalement que peu dormi, tourmenté par les questions qui se bousculaient dans sa tête. Il préféra partir tôt au travail. Ses calculs étaient parfaits, mais est-ce qu'il aurait commis une... erreur ? Alors qu'il s'approcha de l'entrée du laboratoire Mothra, il aperçut du coin de l'œil une ambulance qui partait tout juste. Rien de grave il espérait. Il salua un de ses camarades, mais ce dernier ne lui renvoya pas le salut. Que se passait t-il ? Ils étaient décidés de bonne heure de le faire chier ? Il pénétra dans le long couloir blanc, empruntant l'escalier qui menait à l'étage. Un laborantin l'interrompit dans sa marche, visiblement troublé. 

_ Monsieur Serizawa, commença le chimiste, on vous demande...

_ Je n'ai pas le temps, interrompit Daisuke en poussant l'homme en blouse blanche. J'ai un travail important, je ne dois pas être interrompu.

_ C'est madame Mothra qui vous demande en personne, repris le scientifique alors que Serizawa atteignait l'étage supérieur.

Ce dernier se retourna lentement, son cœur avait cessé de battre. Il était trop tôt pour une démonstration, il n'avait pas encore reçu les câbles de rechanges. 

_ Il y a eu un accident ce matin, madame Naichingeru est blessée.

_ En quoi ça me concerne ? Demanda Serizawa quelque peu déconcerté.

_ C'était dans votre laboratoire... une tapette à souris.

Daisuke poussa un juron mental, comment aurait t-il put deviner qu'une vieille idiote irait foutre ses doigts dans un piège. Il redescendit quelques marches, au niveau de son collègue, le regardant à la fois honteux et agacé.

_ Elle va bien ? Demanda t-il un peu benet.

_ Elle a les doigts cassés, répondit sèchement son interlocuteur, pourquoi croyez vous qu'on l'a emmené en ambulance. Elle était prisonnière dans votre laboratoire depuis quatre heure du matin, on l'a sortie de là il y a à peine quelques minutes. Réfléchissez la prochaine fois avant de poser une question aussi bête.

Le laborantin bouscula Serizawa d'un coup d'épaule, il dut se rattraper à la rambarde pour ne pas tomber dans les escaliers. L'homme en blouse blanche tourna à peine la tête en haut des marches, dominant Serizawa.

_ Elle est appréciée du personnel ici, rajouta t-il en se dirigeant vers la porte.

Il claqua la claqua, indigné du comportement de Daisuke, qui lui-même se sentait à la fois idiot, et encerclé d'idiots. Pourquoi cette bonne femme s'est attrapé dans un piège aussi évident ?! Maintenant il allait affronter le monstre mythique de l'entreprise, madame Mothra était réputée d'avoir le caractère d'un dragon. Il se dirigea vers le bureau redouté, le personnel qui l'apercevait faisait des messes basses, mais il s'en moquait bien. Sa découverte pourrait restaurer sa réputation, il n'avait pas besoin du soutien d'incompétents. Il vit une grande porte de bois peinte en noire, avec la gravure suivante: PDG, MOTHRA Azami. Il frappa à la porte délicatement, et entendit en retour la voix délicate mais pas moins menaçante de sa patronne:

_ Serizawa ?

_ Oui madame, répondit Daisuke en avalant sa salive.

_ Entrez, faisons vite.

Le scientifique pénétra dans le bureau. Il était vaste, décoré au nord et à l'est de tableaux, l'un d'eux était une estampe antique appartenant à la famille Mothra depuis des siècles, il avait une valeur inestimable. Certainement une réplique, elle ne prendrait pas le risque d'exposer une telle oeuvre dans de simples bureaux. Elle représentait la déesse Mothra offrant ses deux filles à l'empereur de l'époque, l'une était vêtue d'or et de rouge, l'autre portait un kimono bleu couvert de fleurs. Serizawa ignorait les significations de cette peinture, mais il imposait déjà le rang de la famille Mothra, ils étaient d'ascendance divine. Le second tableau avait été acheté aux enchères, de l'abstrait de Faiabitoru. Deux pots de fleurs rares encerclaient le bureau central, derrière lequel Azami fusillait du regard nonchalamment son employé. Elle tenait à sa main son porte-cigarette avec une clope allumée, en temps normal elle ne fumait jamais ici, de peur de jaunir les murs, mais elle avait la réputation de beaucoup fumer pour déstresser. Elle inspira une profonde bouffée, Serizawa savait à quoi s'en tenir. 

_ Il y a deux choses dont j'ai horreur, dit froidement madame Mothra. La première, les œuvres inabouties. 

Les poings de Serizawa se crispèrent, son trac ne cessait de croître.

_ La seconde, c'est de devoir payer les gens pour rien faire. Tenez !

Elle tendit une lettre à Daisuke qui s'en saisit. Dessus était inscrit en lettre rouge BLAME. 

_ Je vous avez dit que je me chargeait du personnel, dit Mothra en inspirant une grande inspiration de nicotine. Que vous a t-il prit de poser des pièges sans nous avertir ? Ce n'est pas de votre ressort, c'est celui de l'entretien.

_ Je suis désolé, répondit Serizawa en inclinant la tête honteusement. Je ne m'attendais pas à ce qu'un employé s'attrape dedans, ils étaient pourtant évidents...

_ Si nous avions su que vous aviez posé des pièges, interrompit la patronne, nous aurions prévenu les agents d'entretiens, et madame Naichingeru ne serait pas hospitalisée. Mais comme elle n'était pas au courant, et comme c'est un accident du travail, ce sera à moi de rembourser ses frais d'hôpitaux. Je les déduirais de votre paye personnelle, monsieur Serizawa, cela vous sensibilisera peut être à faire plus attention à vos collègues. 

Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre sud, admirant les tours majestueuses de Tokyo dans le lever de soleil. Elle expira la fumée de ses poumons et dit:

_ Vous pouvez disposer Serizawa.

Daisuke s'inclina une dernière fois devant madame Mothra.

_ Mothra-sama.

_ Une dernière chose Daisuke... Vous n'avez plus que onze jours, ne les gâchez pas. 

Serizawa sortit du bureau et se dirigea vers son laboratoire, une grosse journée de travail l'attendait.


Koukougetsu n'avait pas reparlé à Koushou depuis la soirée en mer. Il avait été marqué, non seulement par le cri horrible qu'ils avaient entendu, mais aussi à cause de sa propre lâcheté. Il s'en voulait presque d'avoir jeté l'alliance, il aurait pu au moins la revendre, mais il avait été submergé par ses émotions sur le coup. Il était dorénavant en train de faire ses adieux à sa famille, il allait partir pour la péninsule de Kii, en se rapprochant de Kyoto il avait peut être une chance de dégotter un travail. Il avait fait des études en radiologie, il avait traversé des études très difficiles et des galères, mais cela allait être finalement payant. Il se saisit de son billet de ferry, il regarda les quais autour de lui. Il a cru voir une fille, Koushou-sempai peut-être, mais il n'y prêta pas attention. Il voulait juste partir loin d'ici, peut-être qu'en quittant l'archipel, le fantôme hurleur cesserait de le hanter. Son navire approchait, il se saisit de son sac. 


Emiko, Steves et Kyohei mirent pied à terre après une longue journée de navigation. Le ferry donnait certes le mal de mer, mais il naviguait vite. Les collègues de Steves Martin se jetèrent à quai pour dégobiller leurs entrailles. 

_ Ils ne s'y feront jamais, se moqua Steves, provoquant le rire chez ses deux camarades.

_ Heureusement que tu es né avec le pied marin, répondit Yamane-sama. Tu ne tiendrais pas le choc si tu avais le mal de mer à chaque fois que tu poses le pied sur un bateau.

_ Je suis un marine monsieur Yamane, rétorqua chaleureusement Martin. La mer, ça forge un homme.

Le trio traversa les quais, se faufilant dans la foule, faisant attention à ne pas se perdre. Encore heureux, Toshima était moins touristique que ses voisines, car plus difficile d'accès. Le vent était chaud et humide. De nombreux soldats de l'armée américaine se regroupaient devant un point d'intérêt, Martin fit un signe à ses deux compères. 

_ Je dois vous quitter, on se retrouve ce soir ?

_ Oui, je t'envoie l'adresse de mon hôtel sur téléphone. 

Emiko salua de la main son camarade, imité par son père. Le soldat rejoignit les rangs de ses compatriotes.

_ Il a des capotes ? Demanda furtivement Kyohei. 

_ Quoi ? S'écria Emiko trop choquée pour croire comprendre les paroles de son père.

Monsieur Yamane laissa sa fille sans réponse en s'éloignant de quelques pas, et retourna sa tête légèrement faisant signe à sa fille qu'il s'impatientait. 

_ Il faut se protéger, il va pleuvoir. Viens Emiko, on va chercher ton hôtel.

Les deux Yamane se dirigèrent dans le cœur de la ville, elle était modeste comparée à Izu Oshima et Niijima. Mais elle était néanmoins peuplée, moins depuis que la saison des pluies avait débuté. Une tempête venant du large s'annonçait rude. Mais Emiko et son père avaient le temps de la prévoir, la météo ne l'avait annoncée que tard le soir. Grâce à son GPS, la jeune femme trouva rapidement sa résidence, monta avec son père, déposa ses affaires, et son père lui dit:

_ J'ai pris une brochure touristique en arrivant, il y a visiblement des spots de photos terribles ici, j'ai hâte de capturer quelques clichés. Je vous invite au restaurant ce soir, toi et ton ami.

_ C'est gentil papa, répondit Emiko touchée par l'acte de son père. On se retrouve ce soir, passe une bonne journée !

_ J'en ai bien l'intention ! 

Kyohei sortit de la chambre, laissant la tranquillité nécessaire pour sa fille de se changer. De bon train, il partit en direction de la plage, appareil photo à la main. Une fois sa blouse de médecin enfilée, Emiko se saisit de son sac d'auscultation, prit ses clés de chambre, et partit en direction d'une colonie de vacances où plusieurs individus recensés portaient d'étranges marques. Le paysage était superbe, sa destination de voyage devait faire rêver tout occidental morose, même un peu les habitants de Tokyo. Lorsqu'elle arriva en taxi à la colonie de vacances. Le responsable de l'établissement l'accueil et l'amena aux malades.

_ Les symptômes ont commencé quand ? Demanda le docteur Serizawa.

_ Nous avons quatre cas depuis une semaine. On nous accuse d'intoxication alimentaire ! 

_ Que préparez vous à vos invités ?

_ Des sushis en amuse-gueule, vous savez à quelle point les occidentaux trouvent ça "typique".

Le médecin cessa subitement de marcher, interrompant le dialogue. Elle se raidit et demanda, tentant de se maîtriser elle-même.

_ Des sushis ?

_ Oui. Avec du poisson frais.

_ Comment ça ? D'où il vient ?

Le responsable du lotissement se rapprocha du docteur Serizawa et ajusta ses lunettes sur son nez.

_ Nos chalutiers nous ramènent du poisson depuis peu. Miraculeux ! N'est-ce pas ?

_ Effectivement... répondit Emiko abasourdie. Je peux voir les malades ?

_ Oui docteur, ils sont là.

Ils pénétrèrent l'infirmerie, instinctivement les deux personnes enfilèrent des masques chirurgicaux. Il y avait un européen obèse, il devait avoir cinquante ans. Il portait une calvitie avancée avec des notes de blancs dans ses cheveux restants. Ce dernier ne portait pas de masque, certainement un français, ces derniers étaient offusqués dès qu'on leur imposait la moindre contrainte. Il y avait une grande femme blonde au teint pâle, portant des marques de rides qu'elle tentait vainement de masquer à coup de maquillage. A côté un enfant, certainement en liens de parenté avec la femme. Il ne portait qu'un T-shirt rouge et un short beige. La dernière personne était un asiatique, certainement coréen, il ne parlait pas japonais. Il était avec une chemise hawaïenne et une casquette avec du texte coréen. Serizawa se mit à leur parler anglais, pour être certain d'être comprise. 

_ Madame, messieurs, je suis le docteur Serizawa, j'ai été envoyée depuis Tokyo pour vous ausculter. 

_ Sorry ma laydie, balbutia le français à l'accent effroyable, aye don't understand.

Il éclata vaguement de rire, mais il fut prit d'une quinte de toux. Serizawa se sentit gênée de ne pas pouvoir être comprise, mais le propriétaire la rassura et se mit à traduire en Français à son interlocuteur. 

_ Reprenez docteur, dit le directeur.

_ Je dois vous poser des questions, certainement d'ordre privé. Je vous demanderai de me suivre pour pouvoir me décrire ce que vous avez fait ces derniers jours, tout sera gardé sous secret médical. Je vais aussi vous ausculter et établir un diagnostic dans les plus brefs délais. 

Les patients confirmèrent tous, sauf le français qui ne voulait pas trop révéler sa vie privée, mais lorsque le directeur le raisonna il finit par accepter. Alors l'auscultation commença, d'ailleurs par le moins coopératif. Ils s'isolèrent dans une salle d'auscultation, et le docteur Serizawa sortit ses instruments. Elle demanda en français au patient de se déshabiller. Si celui-ci se montrait réticent de se mettre nu devant une femme, cette dernière le rassura avec le peu de vocabulaire qu'elle avait et lui fit comprendre de rester en sous-vêtements. Dès qu'il enleva le T-shirt, elle vit de suite les marques enflammées. La peau était rougie et irritée, il y avait même des plaies ouvertes laissant des trous béants. 

_ Depuis combien de temps ? Demanda le médecin. 

_ Oh vous savez, depuis trois jours, ça me brûle comme si je cuisais dans un barbecue.

_ Sur une échelle de un à dix, quel est votre degré de douleur ?

_ Huit. Non, dix, je n'arrive plus à dormir.

Emiko n'avait jamais eu ce cas de symptôme. Mais elle le connaissait bien. Des marques de brûlure similaires étaient recensées dans ses livres, mais elle devait confirmer ses craintes.

_ Vous n'avez rien mangé de particulier ces derniers temps ?

_ Juste des japonaiseries quoi, du poisson et des trucs sucrés salés, vous savez.

_ Où êtes vous allé depuis que vous êtes en vacances ?

_ Surtout au casino du centre de vacances, la piscine, la mer...

_ La mer ? Insista Emiko sentant qu'elle tenait une piste.

Les traces de brûlure démarraient des jambes pour monter sur le thorax, et s'arrêtaient au niveau de ses épaules. Certainement que cet homme devait garder la partie haute émergée. 

_ Je vais ausculter les autres patients, rhabillez-vous.

_ Merci docteur. 

Emiko ausculta tous ses patients, mais elle savait ce qu'elle allait trouver. Tous portaient les mêmes stigmates, le plus touché était l'enfant qui pleurait à chaque fois qu'il devait enfiler ou enlever ses vêtements. Elle prit à part le responsable du camp de vacances et lui donna des instructions.

_ J'aurai besoin de toutes vos infirmières, je dois inspecter chaque vacancier.

_ C'est contagieux ? Demanda inquiet le directeur.

_ Je l'ignore, répondit Emiko. Je vais avoir besoin d'un outil qui me manque, je dois passer un coup de fil. 

Alors que les employés rassemblaient les vacanciers, madame Serizawa se mit à l'écart, prenant son téléphone. Elle appuya sur le nom de Martin et entama un appel. Au bout de quelques secondes, son ami décrocha.

_ Allo ? Demanda Emiko pour s'assurer que Steves avait bien décroché.

_ Oui allo ! Répondit en panique Steves. Je suis occupé, je dois faire le contrôle de mon IA, elle est affolée. 

_ J'aurais besoin de ton aide. Aurais-tu un compteur geiger à la base ?

_ Pour quoi faire Emiko ? Je n'ai vraiment pas le temps, si mon boss me chope à te parler pendant mes heures de taff je vais prendre tarif.

_ C'est par rapport à mes patients.

Une minute de silence fracassant saisit la ligne. La voix de Steves reprit au bout du fil, incertains.

_ Tes patients ? Ils seraient irradiés ?

_ Les traces me laissent perplexes, mais j'ai de bonnes raisons de croire en cette hypothèse. Au japon on étudie avec soin les blessures infligés par ce genre de choses, et tous les symptômes me laissent croire en cette théorie. 

_ Je vais devoir faire un rapport à la base, mais figure toi que nos hommes ont péché un bateau hier. Il était en morceaux, et lorsqu'on a sorti notre compteur, il s'est affolé. Je vais négocier pour toi.

_ Merci Steves, répondit sur une voix aussi agréable que possible Emiko. Tu es un amour.

_ Toujours ! Affirma la voix virile au bout du fil avant qu'Emiko ne raccroche.


Alors que Kyohei marchait sur la plage est de l'île, les pieds nus dans le sable chaud, scrutant sans souciance les nuages noirs menaçants, mais encore distants. Il vit la foule s'amasser au bout de la plage, ceci attisa sa curiosité. Il s'avança, jouant avec ses coudes, et aperçut un groupe de militaires américains. Il reconnut le détachement de Steves. Ils établissaient un périmètre de sécurité autour d'une épave de chalutier. Ce dernier était broyé, de grandes crevasses éventraient la coque. Une équipe scientifique inspectaient soigneusement les débris. Derrière les rubans de sécurité, à quelques mètres, Yamane crut halluciner. Un coquillage, mais pas n'importe lequel. De la coquille spiralée sortait des tentacules, ornés d'un énorme oeil rond. Une ammonite vivante !

_ Messieurs ! Interpella le paléontologue.

_ Monsieur reculez, ordonna le soldat. 

_ Je suis un ami de Steves Martin, vous devez le connaître. Je suis paléontologue, pouvez vous m'apporter l'ammonite par terre, juste à vos pieds. 

_ Un instant.

Le militaire appela un de ses collègues, celui-ci était en tenue en plomb, tenant à la main un compteur geiger. Il le brandit vers le mollusque, émettant un son inquiétant. L'homme en combinaison saisit l'animal et l'enfourna dans un sac renforcé.

_ Pièce à conviction, dit le soldat. Mais puisque vous connaissez Steves, je devrais vous présenter à mon capitaine, peut-être que vous pourrez coopérer avec nous. Et éloignez vous, j'insiste, la zone peut être contaminée.

Le soldat franchit la barrière et accompagna le scientifique à son commandement qui était dans une toile de tente à une centaine de mètres. Un homme d'âge mur, décoré de nombreuses médailles, leva les yeux lorsqu'il vit entrer le professeur.

_ Les civils ne sont pas autorisés à entrer, dit le capitaine avec une touche de colère dans la voix à son subordonné.

_ C'est un scientifique qui se porte volontaire pour nous assister, répondit le soldat. Il est ami avec Steves Martin. 

_ Vous avez des spécimens recensés éteints près de la carcasse que vous avez ramassé, indiqua le paléontologue. Je suis spécialiste des espèces disparues, et je suis surpris de votre trouvaille. 

_ Vos papiers ? S'enquit le gradé.

_ Les voilà, répondit monsieur Yamane en montrant ses documents. J'ai eu un prix Nobel pour mes recherches, j'ai assisté de grands noms lors de découvertes majeurs, en particuliers sur les théropodes. 

_ Je vois, dit le capitaine en scrutant les papiers d'identités de son mystérieux invité. Ce qui est dit sous cette tente doit rester secrète, je demanderai à monsieur Martin de se porter garant de vous.

_ Je sais garder les secrets, répondit le scientifique. J'ai moi aussi servi dans l'armée de mon pays, je connais le secret d'État. Si je peux vous faire avancer sur vos recherches, je ferai mon possible.

_ Bien, pouvez vous analyser ça ? Demanda le militaire en montrant des documents d'analyse à Kyohei. Nos chercheurs ignorent l'origine de l'ADN récolté sur la coque du navire.

_ De l'ADN ? Répondit surpris le retraité. Ce chalutier aurait percuté une baleine ?

_ Ou un gorille des mers, rétorqua avec cynisme le capitaine. Cette chose l'a taillé en pièces d'après nos observations, aucun animal connu, même pas un cachalot, serait capable de causer autant de dommage. Et le pont était couvert de résidus de radium 226. 

_ Comment c'est possible ? S'enquit le professeur. Vous n'avez plus réalisé d'essais nucléaires officiellement depuis la fin de la guerre froide.

_ C'est ce qui nous fait poser toutes ces questions monsieur Yamane, sur-enrichit le capitaine. Mon nom est le capitaine Walter Powder. 

Il tendit sa main et Yamane la saisit, le saluant virilement. Il enfila ses lunettes et commença à lire le rapport d'analyse. Les photos de rapports montraient des résidus de chair et de peau. Une écaille aussi large qu'une main était posée sur une table au moment où le cliché a été pris.

_ Un reptile ? Se posa Yamane à lui-même la question. Non, un saurien.

_ Un quoi ? Demanda Walter. Vous voulez dire un dinosaure ? Ne me prenez pas pour une bille !

_ Alors ne demandez pas mon expertise, rétorqua le scientifique qui lut le rapport ADN. Ce sont vos propres hommes qui le disent par ces analyses. La chose qui a fait chavirer ce bateau fait partie de l'ordre des théropodes, sans nul doute. Mais vu la taille de son écaille, il doit être énorme. Si je devais faire le ratio, sa taille serait simplement gargantuesque. 

_ Une échelle de grandeur monsieur Yamane ? Demanda le capitaine.

Le scientifique fit un rapide calcul de tête, le résultat était absurde. 

_ Je suis à la retraite, je n'ai plus l'habitude de faire des mathématiques si complexes. Laissez-moi le temps de refaire la mise à l'échelle quand je serai chez moi, je vous donnerai les résultats demain matin. 

Impuissant, le capitaine laissa partir le japonais, mais l'interrompit dans sa marche un bref instant.

_ Monsieur Yamane, j'ignore la raison de votre venue ici. Mais dorénavant, vous serez notre consultant.

_ Merci beaucoup, répondit Kyohei. J'espère pouvoir vous donner des réponses assez vite. Et si des indices de natures paléontologiques sont découvertes par vos hommes, tenez moi au courant.

_ C'est nous qui vous remercions, monsieur Yamane.

_ Merci capitaine Walter.

Lorsque Yamane sortit de la toile de tente, il vit les nuages lointains se rapprocher dangereusement. Il devait trouver un toit sous lequel dormir cette nuit. Mais le résultat de son calcul mental le hantait encore. Était-ce si étonnant en voyant l'apparence du chalutier échoué ?


Une voiture klaxonna à l'extérieur du camp de vacances, c'était Steves qui était arrivé avec une jeep de l'armée américaine. Les enfants se lancèrent dessus pour l'admirer, et submergé, Martin laissa faire. Il portait le compteur geiger. Il amena à Emiko qui le remercia. 

_ Fais vite, insista le soldat. Mon équipe réquisitionne tous les matériels de ce type. Il se passe un truc ici !

_ C'est justement pour ça que j'avais besoin de toi, répondit madame Serizawa avec le sourire. Je t'appellerai quand j'aurai fini, j'espère ne pas en avoir pour longtemps. 

_ Une heure, c'est ma dernière limite Emiko, après dans tous les cas je le récupère.

_ Ok Boss !

Le soldat reprit sa jeep et prit la route pour sa base. Heureusement, cette dernière n'était qu'à quelques minutes de voiture, rien de dramatique. Une heure, c'était tout ce dont avait besoin le médecin. Elle retourna près du français.

_ Je dois me déshabiller ? Demanda l'homme. 

_ Pas pour cet examen, ressura la femme.

Elle alluma l'appareil, et approcha l'extrémité du détecteur près de l'homme. Les grésillements de radiations ne tardèrent pas, on aurait dit que la machine crachait ses circuits. La mine joyeuse d'Emiko se dissipa. Elle avait raison.

_ C'est tout ?! Demanda le touriste.

_ Oui, vous pouvez y aller.

Elle recommença l'examen pendant une demi-heure, mais les résultats étaient affolants. Tous les touristes, ou presque, étaient irradiés. Même le personnel, les maîtres nageurs ou les cuisiniers, étaient contaminés. A la moindre suspicion, à la moindre marque de brûlure, même un simple coup de soleil suffisait pour qu'Emiko se décide à faire l'examen au compteur geiger. Plus de cent personnes étaient condamnés. Elle prit à part le responsable de la colonie et lui annonça la terrible nouvelle.

_ Pas moins de soixante-douze personnes sont empoisonnées à une exposition prolongée aux radiations. Je dois faire un examen à l'ensemble des touristes et habitants de l'ile, mais la plupart des patients que j'ai traités aujourd'hui sont atteints de cancer de la peau. Ils n'ont que peu de temps à vivre. Il faudra certainement fermer votre établissement et évacuer l'île.

_ Quoi ?! Hurla à plein poumon le responsable. Fermer le centre de vacances ? Mais vous avez perdu la raison ! Je ne peux pas me permettre ça, ce serait mettre la clé sous la porte !

_ Mais les gens se mettent en danger sur cette île ! L'eau doit être contaminée. Je dois faire un rapport au centre de la santé publique. Je suis désolée...

Nemiko craqua, elle tomba en larmes. Elle sortit précipitament de la colonie, quittant le bâtiment d'accueil. La tempête dehors menaçait de s'abattre. Steves l'attendait dans la jeep encore en marche.

_ Alors les résultats ? Demanda Steves.

_ Monte moi à bord ! Ordonna le docteur Serizawa. 

Prit de vitesse, Steves ne put que s'éxecuter, prenant par la taille la femme médecin en l'aidant à grimper à bord du véhicule incomfortable. Il prit place sur le siège conducteur, Serizawa avait le compteur geiger sur les jambes. 

_ Seri...

_ Démarre !

L'américain tourna la clé de contact et partit au quart de tour. Après une minute de silence, avec le vent dans les cheveux, Steves décida de tourner la tête vers Emiko. Elle avait les yeux rougis de larmes. 

_ Tous ces gens vont mourir, et personne n'en a rien à foutre !

_ Ah, c'est la merde alors. Conclut le soldat. 

_ Ouais, une sacrée merde, affirma le médecin en s'essuyant les larmes d'un revers de la main. Amène moi à mon hôtel s'il te plait. 

_ Bien sûr, dit son ami en programmant son GPS. 

Ces derniers ne mirent guère de temps avant d'atteindre l'hôtel au cœur de la ville. Une tour de modeste taille pour une cité touristique, trois tours grand maximum. Mais le prix était abordable, et la vue sympa. Le sergent Martin escorta Serizawa jusqu'à sa chambre, on pouvait entendre l'orage dans le lointain. 

_ Ce soir ça annonce un vent pourris, dit l'américain. Reste chez toi, oublie cette histoire de resto. Informe ton père, je te ramènerai de quoi manger. Des ramens express ?

_ Ne pars pas !

Les paroles de Imeko interrompirent le soldat qui était à l'orée de la porte.

_ Je dois y retourner.

_ Ne pars pas !

_ Je n'ai pas le...

Imeko se jeta sur Steves, l'embrassant de force. L'homme musclé tenta au début de résister, avant d'y succomber. Il referma la porte derrière lui, puis il s'interrompit dans leur élan charnel.

_ Je peux pas faire ça à Daisuke.

_ Rien à foutre de ce con, viens là !

Elle attrapa par le col le soldat qui ne put résister. Ils commencèrent à se déshabiller tandis que l'orage grondait. 


Oubliant son histoire de restaurant, Kyohei avait acheté un snack dans une supérette, trop troublé par son calcul. Isolé dans sa chambre, il répétait inlassablement la même opération. Vue la forme de l'écaille, elle devait être localisée dans une jointure, donc elle devait être petite en proportion de l'animal. Et s'il la ramenait au ratio de l'animal, ce dernier devait mesurer cent cinquante mètres de haut. Impossible ! Il reprit ses calculs alors que le vent soufflait et les éclairs crépitaient dans le ciel.



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