Lettres de Kamura
Chapitre 24 : Chapitre XXIV — Vingt-quatrième lettre
1264 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 22/03/2023 12:35
Chapitre XXIV
Vingt-quatrième lettre
Très chère Dylis,
Les ancêtres ont entendu tes prières, et nous avons triomphé du shagaru magala. Par miracle, aucun de nous n’a été grièvement blessé, et je suis convaincue que c’est grâce à toi. Tu es comme un esprit gardien qui veille sur moi, et je ne pourrais être plus comblée qu’à présent, en te sachant près de moi en tout moment.
Cependant, la joie est de courte durée, car les temps sont troublés, à Elgado. L’amiral Galleus a la mine toujours plus grave jour après jour, et Bahari perd de son excentricité pour révéler un caractère bien plus sérieux et posé que ce qu’il laisse habituellement voir. Le moral des Chevaliers est aussi sombre que les nuages qui s’amoncellent sans cesse dans les cieux, depuis que nous avons triomphé du shagaru magala.
En réalité, cela fait depuis la mort du malzeno que la tempête se prépare, mais nous n’y avions guère prêté attention car nous étions trop heureux de cette victoire triomphante. Pourtant, les signes étaient là, et dans notre euphorie, nous avons préféré détourner le regard pour nous concentrer sur des nouvelles plus réconfortantes.
Désormais, le vent souffle, et m’inquiète. Je peine à m’endormir le soir. Les eaux ne sont pourtant pas agitées, mais le ciel, lui, trahit le tumulte qui se prépare.
Alors que nous dépecions le shagaru magala, nous avons assisté à un bien étrange phénomène, sans savoir que nous vivions les prémices de ce changement radical. Sieur Jae a été le premier à le remarquer, et nous a tous montré dans le ciel un attroupement de qurios qui s’échappaient des environs, pour rejoindre une destination inconnue. À l’origine, ils n’étaient qu’une poignée, et ils ont à peine daigné s’intéresser au shagaru magala, alors qu’ils se jettent d’ordinaire sur les monstres pour leur sucer le sang, vivants comme morts.
Nous les avons suivis, quitte à abandonner derrière nous de précieux matériaux, jusqu’à la plaine qui s’étend avant le pont menant aux vestiges du cœur de la Citadelle. Là, ce n’était pas une poignée de qurios que nous avons vu voler, mais des centaines, si ce n’est plus. Tous se rassemblaient, des quatre coins de la Citadelle, et s’envolaient vers l’horizon. C’était une vision horrifique, j’en ai eu des frissons, et je suis certaine de ne pas avoir été la seule.
Le docteur Tadori était lui aussi dans les environs. Tout comme nous, il a assisté impuissant à la mise à mort d’un anjanath, dévoré vivant par les qurios rendus complètement fous par l’absence d’un hôte. Ils lui ont aspiré toute sa force vitale, si l’on peut dire, ils ont aspiré sa vie. C’était un spectacle atroce. Après avoir assisté à ça, personne n’a rien dit, et nous nous sommes hâtés de finir notre travail, avant de repartir pour l’avant-poste, où j’ai été convoquée pour une réunion de toute urgence, une fois notre rapport fait auprès de l’amiral.
Selon Bahari, c’est tout bonnement improbable qu’ils s’agitent tout à coup et cherchent à se nourrir, alors qu’il y a peu de temps encore ils étaient faibles et agissaient relativement peu, comparé à lorsque le malzeno était dans les parages. Il suppose qu’ils sont devenus autonomes, ou bien qu’ils se sont trouvé un nouvel hôte. Or, aucun malzeno n’est apparu, aucun nouveau cratère ne s’est formé. Lorsque celui que nous avons vaincu s’est révélé pour la première fois au monde, il a laissé derrière lui une trace titanesque de son passage, et rien n’a été signalé auprès de la Guilde depuis sa mort…
De ce que j’ai compris, le cratère qui a ravagé la Citadelle et celui auprès duquel a été fondé l’avant-poste sont tous les deux dus au malzeno. Donc si un nouveau venait à apparaître, en toute logique il y aurait quelque part un troisième cratère qui se creuserait, et peut-être bien un quatrième en plus de cela. J’espère juste que ça ne se produira jamais près de Kamura. Si je ne peux pas accourir pour vous protéger tous, j’ai bien peur de ce qui pourrait vous arriver.
J’ai pris le temps de laisser reposer ma lettre deux jours, et voilà que la situation se complexifie. Tout prend des proportions démesurées, cela ne présage rien de bon.
Trois autres dragons anciens s’agitent, dans trois régions différentes, et voilà que de nouvelles expéditions sont lancées. Je pars dès l’aube pour la jungle, où j’irai m’atteler à la traque d’un chameleos qui a été vu assailli par des qurios. Il devient agressif envers les autres monstres, menace de ravager certaines zones… En somme, j’ai du travail qui m’attend, mais je redoute l’issue de notre traque. S’il se produit la même chose qu’après celle du shagaru magala, qu’allons-nous devenir ? Je sais que le teostra et le kushala daora dont s’occupent les autres sont dans une situation similaire. Tous ces qurios rassemblés dans les terres du Royaume ne risquent-ils pas de provoquer des dérèglements plus dangereux encore ?
Par chance, je me retrouve une fois de plus dans le même groupe que Sélène. Lors de notre dernière traversée ensemble, elle me racontait ses exploits dans le Nouveau Monde. Elle m’expliquait qu’elle était rentrée dans l’Ancien Monde car elle considérait son travail là-bas comme achevé, et avait proposé sa candidature auprès de la Guilde pour renforcer les troupes du Royaume lorsque l’amiral Galleus leur a fait remonter les troubles qu’ils rencontraient à Elgado.
Elle m’a aussi raconté plusieurs histoires d’un héros local, apprécié par bon nombre de chasseurs qui, là-bas, l’estiment beaucoup, et expriment la fierté de pouvoir se battre à ses côtés. Elle ne m’a pas mentionné son nom, seulement son titre, et parlait donc ainsi d’une « Étoile de Saphir » si je ne me trompe pas. Connais-tu cet homme ? Ce devait être impressionnant de le voir se battre. Je me demande si j’aurais des choses à apprendre de lui si je venais à le rencontrer. Je suis plutôt confiante en mes capacités, mais je suis aussi sûre qu’un grand chasseur tel que lui doit avoir beaucoup de savoir à transmettre.
Les bateaux sont apprêtés, ne manquent plus que les chasseurs. Je sens que la nuit ne va pas être de tout repos, pour aucun de nous. Misen est très nerveuse, je pense qu’elle flaire les ennuis même si elle refuse d’en parler. Senki, lui, est toujours aussi impassible, mais il y a de grandes chances qu’il soit dans le même état.
Plus les jours passent et plus je m’impatiente de rentrer. Vivement que tout soit terminé…
Je vous embrasse,
Nozomi
PS : Pardon si cela te déplaît que j’aie une fois encore mentionné le Nouveau Monde…