Chroniques d'un Cor de chasse

Chapitre 5 : Prison azur

11904 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/09/2021 12:06

Prison azur


Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions fr : Houston, on a un tas de neige (décembre 2020 - janvier 2021).


Au centre du grand hall, à sa place attitrée, Hans était assis en piteux état. Le haut du corps affalé sur la table de bois devant lui, les yeux crispés, luttant contre des maux de têtes dignes de l'abus de boissons de la veille.

Il saluait à peine les rares chasseurs et palicos matinaux qui passaient autour de lui. Lever le bras tenait du défi, articuler des mots lui paraissait impensable. À ses côtés, une petite créature s'agitait pour prendre soin du barde. Entre tissus humides et boissons chaudes, le petit être se déplaçait rapidement et loin des regards tout en veillant sur son patient. Lorsque le tintement d'acier de l'armure bien connue de Quiver retentit dans la pièce, l'obscure forme s'éclipsa à la vitesse de l'éclair en miaulant comme si sa vie en dépendait. Le pauvre Hans, perdu dans la brume, ne remarqua pas immédiatement son départ. Le jeune lancier s'approcha sans hésitation de son camarade, soucieux.

« Hans... murmura-t-il lentement

— Mmmh ? »

Le centenaire de bougea pas d'un pouce, il grogna tout au plus en remuant le bout de son nez. L'air lui-même semblait déranger sa sieste forcée.

Quiver ne se laissa pas décourager pour autant, il posa délicatement sa lance et son écu sur le banc et secoua son ami par l'épaule.

« Hé, Hans !

— Mmh, laisse-moi dormir Nightwish... Encore un peu. Juste... un peu... »

En soupirant, le brun croisa les bras et contempla un instant Hans. Pourquoi fallait-il toujours qu'il mélange tout le monde ? Et puis, c'était qui "Nightwish" d'abord ? En y pensant, Quiver gloussa. S'il s'était souvent moqué de Lotus, cet inconnu gagnait de loin la bataille des prénoms à éviter. Finalement, il laissa la compassion l'emporter et s'assit à côté du barde en le laissant ronfler quelques minutes de plus.

Il se concentra alors sur une de ses activités préférées : se sustenter. Rien de mieux pour cela qu'un agréable petit déjeuner préparé par les maîtres cuisiniers palicos.

L'offre "Le réveil du chasseur" comprenait une petite pièce de viande de Popo, un œuf d'Apceros ainsi qu'un mélange d'herbes chaudes et pimentées que les chasseurs cueillaient au Givre éternel. En bonus, un thé aromatisé était proposé pour les fidèles palicos. Un véritable bonheur pour ceux qui partaient s'aventurer dans les landes gelées si tôt dans la journée.


Durant plusieurs minutes, Quiver dégusta donc avec grand plaisir le mets devant lui, profitant du calme et de chaque bouchée. Du calme ? Non, en réalité, il ne savoura pas le silence très longtemps.

D'un geste brusque et en hurlant de tous ses poumons, le barde s'éveilla à côté de lui.

« MAIS IL PARLE ! Nightwish m'a parlé ! Je deviens fou !?! »

Quiver sursauta et avala sa boisson de travers, les yeux grands ouverts, alors que Korak, d'instinct, se réfugia derrière un plateau de bois sur le comptoir (guidé par le souvenir douloureux d'une douche forcée).

Le duo regarda finalement l'électron qui avait perturbé leur festin avec perplexité.

« Aaah, Quiver… Et Korak. Bonjour camarades, salua Hans avec un sourire niais visiblement gêné.

— Bonjour à toi aussi papy, s'amusa Quiver. Ne cherche pas, tu as toujours été fou. »

Le palico aux longs poils ricana avec son maître devant le barde qui, roulant des yeux, passa une main dans sa longue chevelure en pointe afin d'ajuster son chaos organisé.

« Tu n'aurais pas vu... Hum… Un palico ici, avec moi ? »

La question de Hans surprit légèrement Quiver. Il n'avait jamais vu le barde accompagné, ni d'un chasseur, ni d'un ami à quatre pattes. Finalement, lui aussi avait un compagnon ? D'un autre côté, Hans n'avait jamais rencontré les palicos de Rush et Lotus. Ces derniers étant sans cesse en expédition. Quiver se devait de remédier à ça, il organiserait bientôt un rassemblement de palicos ! Il repensa alors à la forme vivace qui avait disparu au coin de la pièce à son arrivée.

« Non. Mais je crois que ta boule de poils a filé vers les logements quand je suis arrivée. »

Tous les maux de tête du barde s'envolèrent instantanément. Ses bras ankylosés retrouvèrent la vivacité d'un enfant et l'homme se tordit de rire, frappant du poing sur la table.

Le fidèle palico Korak dévisagea son partenaire. Un regard désapprobateur qui en disait long sur son estime vis-à-vis de ce nouveau camarade de chasse hilare. Quiver répondit simplement en haussant les épaules. Il ne cessait de le répéter, à Aiden, Lotus, et même à la Grande Miaîtresse Cuistot pendant qu'elle lui cuisinait des plats : ce barde-là n'avait plus toute sa tête.

« Puisque tu as retrouvé ton énergie, ça te dirait de m'accompagner au Givre ? Demanda le brun avec sarcasme. Je dois miner quelques sacs de Gracium pour un érudit. Des bras en plus seraient les bienvenus, ce n'est pas ce pauvre Korak qui va tout porter. »

Sans cesser de glousser et de se tortiller de rire, le barde ramassa son chapeau à plumes, pièce maîtresse de sa tenue aux armoiries de la Guilde. Il acquiesça de la tête et fit signe qu'il allait récupérer quelques affaires supplémentaires aux coffres.

« Boule de poils, répéta-t-il en riant de bon cœur alors qu'il s'éloignait. Il l'a appelé boule de poils ! »


Un énième soupir aida Quiver à se lever en direction de la réception pour notifier qu'il avait accepté la requête de l'érudit. Il rassembla à son tour quelques affaires : boissons chaudes et filtres d'herbes médicinales ne seraient pas de trop. Lorsqu'il partait en solo Quiver préférait toujours être mieux préparé, même s'il n'avait pas l'intention de chasser, un accident pouvait vite arriver dans ces terres hostiles.

Il confia une partie des réserves au fidèle Korak, ce dernier scrutait toujours Hans d'un mauvais œil, ce qui n'échappa pas au lancier.

« Oui Korak, la machine à glousser, qui ricane toujours sans raison, vient avec nous. Mais c'est un compagnon que j'apprécie beaucoup. Alors fais-moi disparaître cette queue hérissée. Sois doux et docile, comme avec Lotus. »

Le palico miaula tristement, les oreilles tombantes.

« Oui, je sais, l'arrêta Quiver. Hans est moins charmant que Lotus et tu as eu une mauvaise expérience avec la boisson hier, mais tu ne le connais pas, laisses-lui donc une chance. »

Il accompagna ses mots d'une petite caresse qui fit ronronner le palico touffu et se dirigea vers la plateforme de décollage où l'attendait déjà Hans. Lorsque les Mernos arrivèrent pour les transporter à la terre gelée, le barde riait encore aux éclats en balbutiant dans sa barbe :

« Boule de poils.

— Oh, mais tu veux bien m'expliquer à la fin ? s'exaspéra Quiver en s'élevant dans les airs.

— Des poils ! Haha ! »

Ce fut la seule réponse qu'il reçut, le voyage promettait d'être long, très long.


Sur le trajet, des vents inédits secouèrent les trois compagnons. L'air était glacé et les rafales changeaient de sens toutes les minutes. De véritables bourrasques telles qu'on ne les trouvait qu'au cœur des nids de Kushala Daora ou dans les légendes des Amatsus.

Si le vol s'en retrouva mouvementé, l'atterrissage quant à lui fut des plus brutaux. Les deux Mernos approchèrent du sol craintivement, poussés par la force des rafales, ils tentèrent d'aller à l'encontre des directives des deux chasseurs. Ce ballet d'opposition résultat en un largage forcé des voyageurs dans une forêt non loin du septième camp établi par la commission.

« Attention ! Hurla vainement Quiver à l'approche des arbres. »

Les branches les plus fines plièrent et cédèrent au contact, ne laissant que des éraflures gelées sur la peau des assaillants aériens. Les plus grandes marquèrent les corps de bleus et ecchymoses qui promettaient un lendemain difficile. Secoués de gauche à droite, les deux chasseurs tentèrent de protéger leur tête des chocs et Quiver entoura de son mieux son camarade à quatre pattes pour lui éviter toute blessure.

Le sol enneigé fut accueilli avec réjouissance lorsque les trois accidentés sentirent la couche épaisse de neige les envelopper et le froid atténuer les diverses douleurs émergentes.

« Tout le monde est entier ? demanda Quiver, allongé en étoile et totalement immobile.

— Je crois, annonça avec hésitation le barde, mais j'aurais aimé avoir ton armure. »

Un petit miaulement suivit, rassurant le lancier et le centenaire : Korak avait été efficacement protégé. Il était déjà sur ses pattes, époussetant la neige du torse couvert d'acier de son partenaire.

« Très bien, dans ce cas, voyons où nous avons atterri, ordonna Quiver.

— Je dirai qu'on est au-dessus, mais il y a tellement de vent que la neige forme une brume épaisse. Il faudrait descendre de quelques niveaux pour se mettre à l'abri dans la grotte, suggéra Hans.

— Je suis d'accord, mais mieux vaut rester grouper, on n'y voit vraiment rien avec ce blizzard. Korak, reste près de moi. »


Le petit groupe entama sa marche hésitante, les jambes douloureuses donnèrent naissance à un pas hasardeux et boitant. Fortement chargé avec son armure et sa lance, Quiver décida d'ouvrir la voie. Même s'il s'enfonçait un peu plus dans la neige que ses camarades, il était bien moins sensible aux rafales qui filaient le long des parois et des ouvertures.

« La commission n'avait signalé aucune tempête ! cria Hans pour être entendu, d'où vient tout ce vent ?

— Un Velkana peut-être ? supposa Quiver. Mais ils préfèrent habituellement les régions les plus basses du Givre Éternel !

— Je ne pense pas ! Ce vent était glacé mais pas assez froid pour un Velkana ! Je parierai plus sur un Barioth ou un Legiana Blizzard ! Vu les rafales, au moins deux, peut-être même plus !

— Es-tu sûr de toi ? Les guerres de territoires entre ces deux-là sont assez rares !

— Allons, Quiver ! Je suis un expert en soufflé glacé ! » rappela Hans dans un mélange de sarcasme et de tristesse.

Le chemin sinueux continua sur plusieurs mètres, chaque pas demandait beaucoup d'efforts et les éléments poussaient toujours dans le sens opposé à la marche. Le petit groupe approchait tant bien que mal du plateau glacé, zone réputée pour ses dangers au cours de la chasse. La neige perpétuelle et les cours d'eau voisins avaient recouvert le sol d'une épaisse couche de givre. La végétation n'y poussait plus et un mauvais pas suffisait à envoyer les plus habiles des chasseurs à terre. Sur les extrémités, les courants ruisselants déposaient jour après jour des couches de glace supplémentaires, si bien que le plateau s'agrandissait comme un volcan formant une île.

Il n'y avait rien pour se cacher de la faune sauvage et aucun refuge pour s'abriter du climat agressif. C'était le domaine de prédilection des Barioths. Ces grands félins ailés au pelage ivoire aimaient s'envoler au gré du vent et se propulser à l'aide de leur souffle glacial. Leur aura d'un froid pétrifiant ralentissait les téméraires venus les affronter et leurs crocs, aussi longs que des flèches, venaient achever les chasseurs perdus dans le brouillard. On parlait souvent de ces monstres comme d'ombres dans le blizzard. Une figure fugace qui emportait les imprudents en silence.

Alors quand cette même ombre apparut au coin de l'œil du barde, celui-ci n'hésita pas un instant et se propulsa sur Quiver pour le plaquer au sol :

« À terre ! » hurla-t-il.

Les deux corps s'étalèrent dans la neige en ignorant la douleur des membres, survolés par une immense masse sombre qui ne laissa qu'un vent froid dans son sillage. Le danger passé, Hans se hâta de relever son camarade.

« Un Barioth croc de givre, annonça-t-il en frissonnant. Ne le perds pas des yeux. »

Les deux chasseurs suivirent ainsi l'ombre à travers la nuée, elle était rapide, bien trop vive même. Un coup sur leur flanc gauche, puis au-dessus d'eux les ailes déployées, avant de surgir dans leur dos.

Hans, avec sa tenue légère, enchaîna les esquives et puisa dans ses forces pour ne laisser aucune chance au monstre de l'atteindre. Quiver quant à lui était bien moins mobile. Il s'efforça de réaliser de petits pas sautés pour éviter les plus grosses charges et déviait les attaques rapides de son bouclier. Le palico, plus petit, arrivait à ramper au sol à l'abri. Suivant les conseils de Quiver, il tenta de trouver la place la plus sûre.


Bientôt Quiver et Hans se retrouvèrent collés, l'un échappa à une attaque venant de la gauche, l'autre à une plongée aérienne. Choqués, les deux hommes comprirent enfin qu'il n'y avait pas une ombre qui rôdait autour d'eux, mais deux. Un duo de Barioths croc de givre s'affrontait au centre même du plateau.

Les coups perdus et les attaques visant les chasseurs étaient rares et difficiles à lire, car ils n'étaient pas la cible principale de ces deux prédateurs.

La violence du combat ne cessait de faire croître les vents qui entouraient la zone. Hans avait de plus en plus de mal à rester debout, lors d'une dernière esquive, il fut forcé à poser les genoux à terre. De son côté, Quiver reculait de plus en plus et sans s'en rendre compte, il s'approchait dangereusement du bord de la falaise. Acculé, lorsqu'une énième agression arriva de face, il décida d'enclencher le feu de la wyverne de son canon pour se créer une porte de sortie.

« Quiver ! Non ! » cria en vain Hans.

Oubliant les ombres, le barde courut jusqu'au lancier, mais arriva trop tard. Le souffle de l'explosion et la chute du Barioth frappé de plein fouet en plein élan par le souffle ardent fissurèrent la corniche constituée de glace. L'intégralité de la parcelle commença à se briser dans un immense craquement. Le félin de glace se releva prestement et s'envola à nouveau vers son rival. Quiver quant à lui perdit lentement l'équilibre et peina à rester en position.


En l'espace d'un instant, il disparut sous les yeux de Hans, happé par le vide sous ses pieds et emporté avec les fragments de glace qui chutaient avec lui.

Le barde s'élança. D'un bond, il se laissa également tomber dans le vide, d'un bras, il tenta de rattraper son ami, de l'autre, il propulsa son grappin afin d'avoir une accroche sur le plateau.

Mais arrivé au bout de sa corde, il entrevit la silhouette de Quiver disparaître dans la crevasse, bien hors de sa portée. Un bref regard vers le haut lui permit d'apercevoir Korak, terrorisé, mais en sécurité sur la terre ferme. Un coup d'œil vers le bas lui rappela sa propre histoire et la solitude qu'il avait connue, piégé dans la glace.

Les yeux humides mais toujours souriant, il retira son chapeau et l'envoya de toutes ses forces vers le palico qui l'attrapa de ses pattes tremblantes.

« Quand ils viendront, dis-leur que nous sommes là. Je te le ramène, promis ! »

À l'instant où le barde acheva sa phrase, il saisit son couteau et coupa net la corde de son grappin pour se laisser tomber dans l'inconnu, non sans oublier de saluer dignement le fidèle partenaire de Quiver d'un signe de la main pour lui donner un peu de courage. Il ne laisserait pas son camarade seul au fond de ce gouffre et il ne pouvait pas non plus laisser cette boule de poils désespérer. Ce ne serait pas digne d'un cor de chasse !


***


De l'autre côté de la région, à Seliana, Lotus arpentait les rues à la recherche du barde. Depuis sa conversation avec Aiden, elle avait fait des recherches, il y avait trois érudits et cinq chasseurs présents sur les registres de la commission dont le nom pouvait être déformé et correspondre au surnom "Az".

Un "Almoraz", chasseur retraité sur le continent, une "Azelle", autrefois responsable de la botanique à Astera, ou encore une "Asoline", archère, un "Dazilis", un "Namoaso", une "Asuna", une "Azure" et aussi un "Asenor".

Bien trop de possibilités et la plupart d'entre elles n'avaient pas de justificatif quant à leur départ de la colonie ou des archives. Certains d'entre eux pouvaient avoir été remerciés, avoir pris leur retraite, changer de colonie ou même être décédés. Et Lotus n'avait aucun moyen de les trier !

Elle avait bien tenté de parler avec Aiden pour le travailler à propos de ces nouvelles informations, mais le rouquin était introuvable. Sans doute caché bien à l'abri de la tempête "Lotus" et de ses mille et une questions. La jeune femme portait donc ses espoirs sur Hans, mais le guilleret barde, habituellement présent autour d'une table était tout simplement invisible. Sa porte, toujours ouverte, donnait sur une chambre minée de créatures dangereuses et sur un grand lit vide défait. L'homme était donc levé, mais n'était inscrit à aucune missive du jour.


Les premiers essais de Lotus la menèrent au grand hall et aux cuisines. Mais nulle trace de la chevelure blanche. Sans hésitation, elle prit ensuite la direction de la forge. Le barde serait sans doute là, à négocier, ou plutôt à extorquer, quelques zennys pour alléger le coût exorbitant de ses commandes musicales.

« Hans ? appela-t-elle en entrant dans la pièce chaude.

— Lotus ? lui répondit la voix de Rush depuis le fond de la pièce. Bonjour à toi, tu es bien matinale pour des commandes.

— Rush, as-tu vu Hans ? Impossible de le trouver ce matin.

— Tu as essayé la cantine extérieure ? J'ai cru comprendre qu'il s'entendait bien avec la Grande Miaîtresse Cuistot.

— Vraiment ? s'étonna la jeune femme. Bien, merci. »

Elle fit un signe de la main et commença à s'éloigner vers la sortie lorsque Rush accourut à ses côtés.

« Attends, je viens avec toi. Je n'ai rien à faire, Quiver est parti en mission de récolte aujourd'hui. »

Lotus fronça les sourcils avec dégoût et répliqua :

« De récolte ? Brr… Et il a accepté ça de son plein gré ?

— Il m'a dit que ça le détendait, » soupira Rush en haussant les épaules.

La récolte ou la cueillette n'étaient vraiment pas des activités très appréciées par la plupart des chasseurs et encore moins par Rush ou Lotus qui préféraient de loin la chasse et la recherche sur la faune vivante. Ensemble, ils firent face à la grande maestro culinaire de Seliana. La palico comprit parfaitement qui les deux chasseurs cherchaient, mais elle ne put leur donner aucune indication. Le barde n'avait pas déjeuné à sa table aujourd'hui.


Lotus prit alors la décision de mener son enquête auprès des différents membres de la commission qu'elle consultait régulièrement. Mais elle fut très vite déçue. Lorsqu'elle interrogea la gérante de l'intendance sur la place extérieure, celle-ci la regarda comme si elle venait de voir un spectre.

« Hans… Chasseur avec un cor de chasse...

— Oui, acquiesça Lotus. Des yeux vairons et de longs cheveux blancs, il rappelle souvent l'amiral.

— Oh mais rassurez-vous, je vois très bien de qui il s'agit, affirma la responsable d'un ton menaçant. Si jamais vous retrouvez cet irresponsable, rappelez-lui qu'il a plus d'un an de retard dans ses requêtes et que j'ai dû les confier à quelqu'un d'autre ! Et surtout, dites-lui que s'il se représente ici, je l'étriperai moi-même ! »

La responsable ne contrôlait plus ses mouvements. Elle agitait les bras avec rage et envoya valser ses fiches au sol en hurlant. Sans demander plus, Lotus et Rush partirent à toute vitesse. Il ne valait mieux pas qu'elle les associe au barde à l'avenir sinon ils ne seraient plus jamais les bienvenus.

« Bon… Eh bien, je pense qu'on peut rayer l'intendance et les services du hall de notre liste. Je pense que notre barde est allergique à l'administration, » soupira la jeune femme.


Et l'aventure continua de mal en pis à chaque rencontre. Chez les marchands, personnes ne connaissaient Hans. La description leur évoquait vaguement quelqu'un, mais pas un client, ni un chasseur qu'ils reconnaîtraient dans la foule. L'ancienne responsable de l'alchimie pensait même que le barde était mort, elle ne l'avait pas vu depuis au moins six mois. Hans était un véritable fantôme au sein de la colonie. Ce qui surprit beaucoup Rush, après tout, c'était un proche de l'amiral avec une personnalité assez forte et surtout, très bruyante.


Alors qu'ils remontaient tous deux en direction de la tente de commandement, Aiden apparut finalement face à eux.

« Ah, Aiden ! s'exclama Lotus soulagée.

— Rush, Lotus, la coupa le rouquin. On a besoin de vous dans la grande salle. Une tempête s'est levée au Givre Éternel, nos équipes rentrent au compte-gouttes. La plupart sont assez amochées par des atterrissages hasardeux. On a besoin de chasseurs pour faire le tour de la ville dans un petit rayon, certains Mernos ont paniqué et ont fui dès qu'ils ont quitté le champ de la tempête. »

Le chasseur leur tendit une liste des équipes qui avaient signalé un départ ou qui étaient déjà en mission depuis la veille.

« Pour l'instant, il nous manque deux équipes de quatre, un chasseur avec un érudit et Quiver qui a déposé sa missive à la réception tôt ce matin.

— On sait ce qui a déclenché la tempête ? interrogea Lotus.

— D'après la dernière équipe revenue, deux mâles Barioths se disputent une femelle. C'est un affrontement mélangé à une démonstration. Quand les choses seront calmées, on montera une équipe pour s'occuper de ça. »

Le duo hocha la tête et partit sans perdre plus de temps vers la zone qui leur avait été assignée. Autour de Seliana, la forêt était dense, il fallut une dizaine d'équipes pour retrouver tous les membres de la commission égarés. Ne trouvant plus personne au bout d'une heure, tous les chasseurs retournèrent au hall.


Sur place, Aiden annonça que trois chasseurs manquaient toujours à l'appel. Un duo venait d'être retrouvé dans la zone d'habitation. Un de leur compagnon n'étant pas suffisamment en forme pour être déplacé, ils l'avaient donc laissé au camp de base numéro un, à l'abri avec leur dernière camarade. Cependant, personne n'avait aperçu Quiver.

Le rouquin retrouva bien vite Rush et Lotus, à la grande surprise des deux jeunes chasseurs, Aiden était accompagné d'un palico touffu complètement recouvert de neige, recroquevillé sur un chapeau à plumes très célèbre.

« Korak ! s'écria Rush en se précipitant à ses côtés.

— Les chasseurs qui sont rentrés avec lui disent l'avoir trouvé au camp, seul et en possession du chapeau. Il n'arrêtait pas de miauler en tirant leurs jambes. Comme ils ne pouvaient pas prendre le risque de le suivre à cause de la tempête, ils ont préféré le ramener. »

Le palico se blottit contre Rush et continua de se complaindre et lui confia le couvre-chef du barde.

« Hans est parti avec Quiver ! Évidemment, il ne pouvait pas signer un formulaire ou le dire à quelqu'un ! s'énerva Lotus.

— Permissions d'aller les chercher ? supplia presque Rush.

— Désolé, annonça Aiden en secouant la tête. Le chef a interdit tous les décollages pour le moment. On a une tempête, une vraie cette fois, qui arrive du sud. Quand elle va se mélanger aux vents des Barioths ça va être terrible. Personne ne part avant qu'elle ne passe.

— Mais !

— Pas d'exceptions Lotus, on ira les chercher, mais pour l'instant, ils sont deux et il faut leur faire confiance. »

Il tenta de rassurer le duo en leur promettant de les laisser participer à la mission et leur certifia qu'il reviendrait les chercher dès que les départs seraient à nouveau autorisés.

En attendant, Rush et Lotus, inquiets, s'installèrent à une table du hall entièrement équipés, prêts à partir dans la seconde.


***


Loin de l'agitation de Seliana, au fond d'une crevasse aux parois bleutées, où la lumière peinait à atteindre le sol marbré de fissures, un lourd fracas avait retenti, brisant le silence glacial.

Allongé au sol, Quiver ouvrit les yeux un instant et contempla l'entrée percutante du barde qui tentait de toutes ses forces de réduire l'impact imminent en se protégeant avec son luth.

Le pauvre instrument, déjà couvert d'égratignures, ne résista pas à l'impact. Lorsque Hans percuta le sol, son fidèle camarade, orné de gravures, se brisa en deux, protégeant ainsi les bras et le buste du barde.

Une tragédie qui permit tout de même au centenaire de se lever assez rapidement. Il manqua de trébucher, mais s'appuya contre le mur à sa droite, la jambe tendue de douleur. Devant lui, Quiver demeurait immobile, allongé sur le dos, entouré d'éclats de glace.

« Hey ! Quiver, l'appela Hans en boîtant vers le mur opposé, y a encore quelqu'un dans l'armure ? »

Malgré le calme qui régnait, le barde n'entendit qu'un faible son. Il décida alors de s'accroupir à côté du lancier, passant rapidement la main au-dessus de son visage. Puis il soupira de soulagement : son camarade était bien vivant, seulement sonné.

« Très bien Hans, reste calme. Où êtes-vous exactement ? » se motiva-t-il à voix haute.

Un petit regard vers le haut : la lumière descendait lentement jusqu'à eux depuis le plateau enneigé, il n'y avait aucune aspérité sur la façade de la crevasse. Aucune chance de sortir par là-haut en grimpant, surtout qu'ils n'avaient plus qu'un unique grappin à leur disposition et que sa corde n'était pas bien longue.

Un coup d'œil à droite le rendit très inconfortable. Il y avait de ce côté un maigre passage qui rétrécissait en un petit couloir caverneux. Presque aucune visibilité, ni vent, ni bruit, ni lumière. Rien pour rassurer le barde angoissé qui préféra détourner le regard et vérifier le côté opposé.

Le chemin semblait aussi large que l'endroit où ils avaient atterri, ce qui était un point gagnant par rapport au précédent. La lumière s'y propageait difficilement, mais il pouvait apercevoir au loin des puits qui perçaient au plafond et éclairaient la voie ainsi que quelques roches prisonnières du givre.

Soit, aucune des deux possibilités n'inspiraient vraiment le rescapé, mais quitte à choisir, ce passage lui semblait bien plus accueillant.


Il retourna à son camarade inerte et le délaissa d'un peu de poids pour inspecter son état. Écartant d'abord l'écu et la lance du chasseur, le barde se décida ensuite à déplacer quelques-unes des plaques qui protégeaient le buste de Quiver afin de mieux voir ce qui le clouait au sol.

Très vite, Hans remarqua une nuée violacée sur le flanc du brun. La tâche semblait partir de son dos et se propageait jusqu'à ses côtes.

«  Il a fallu que tu tombes sur le dos, hein ? Se plaignit Hans.

— Pas… Tom-bé sur… dos. »

La voix était faible, mais elle était présente, la flamme du soutien moral se ralluma dans l'esprit du barde, il récupéra quelques herbes à la ceinture de son camarade, puis il rattacha la partie supérieure de l'armure.

« Pas sur le dos, hein ? Les bras ? »

Hans prit une seconde pour réfléchir et nota la surface cabossée du bouclier de son camarade.

« Bien joué le jeunot, tu pourrais enseigner le maniement du bouclier à ton chef de groupe !

— À notre chef, ricana Quiver faiblement.

— Tu as raison, sourit Hans. Mais pour ça, il va falloir bouger un peu, je pense. Si on reste là, on est bons pour mourir de froid.

— Pas bouger… »

Le jeune homme n'était définitivement pas en bonne forme, mais Hans ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Il ne semblait pas blessé et n'était pas tombé sur le dos… Prenant encore quelques minutes, il vérifia tous les détails et finalement, il trouva. Parmi les éclats autour de Quiver, certains d'entre eux portaient une légère tache pourpre.

« Quiver, annonça gravement Hans. Je vais devoir te retourner. C'est possible ? »

Hésitant, le lancier finit par hocher la tête, il se laissa guider par Hans qui le déplaça avec une étonnante délicatesse.

« C'est pas Rush qui aurait fait ça… M'aurait cassé en… deux, se moqua l'homme à terre.

— C'est parce que Rush est une brute. Il se persuade que non, avec ses fines lames, mais au fond, il a l'âme d'un chasseur au marteau ! »


Les deux chasseurs riant, la situation se détendit et le mouvement se fit sans trop de douleur. Le dos de Quiver se dévoila enfin à son médecin de fortune. À travers les écailles de Bazel et l'acier, deux grandes griffures se dessinaient, depuis l'omoplate du jeune homme jusqu'à son bassin. Le barde grinça des dents devant les plaies : de petits éclats de glace, des fragments d'acier aussi fin que des flocons ainsi que la peau sous les plaques se noyaient dans de longs filets écarlate qui ruisselaient lentement à travers la déchirure.

« Bon, premièrement, il va falloir te commander une nouvelle armure. Quelque chose d'un peu plus impressionnant et plus résistant au passage et deuxièmement, je préfère nettoyer ça.

— Que veux-tu que je fasse ? soupira le jeune homme.

— Toi rien, je vais nous faire un peu d'eau pour accompagner tes herbes, des bandages et m'occuper de tout. »

Quiver haussa le sourcil perplexe, enseignait-on également les premiers secours à l'instruction à la chasse à l'époque ? Il était tout de même méfiant, les risques que Hans mijote une mixture d'un autre temps et lui imprègne le dos d'une toxine antique étaient tout de même assez élevés.

« Héé ! protesta le barde devant ce regard inquiet. Je ne suis peut-être pas aussi doué que notre guérisseuse locale, mais elle est partie et je suis le seul dans ce trou avec toi. »

Le brun soupira, mais se laissa faire, il n'avait effectivement pas vraiment le choix. Le barde retira à contre cœur le foulard qu'il portait autour du cou et d'un coup sec, il le déchira en deux, créant ainsi les fameux bandages dont il avait besoin. Puis, il se dirigea calmement vers la lance de Quiver, qui paniqua immédiatement, toujours allongé sur le ventre.

« Oh oh oh ! Doucement avec ça. Tu sais t'en servir au moins ?!! »

Sachant parfaitement que son camarade ne pouvait rien faire d'autres que de crier dans le vide. Hans afficha un sourire satisfait en saisissant la précieuse arme de Quiver. Face au mur, les jambes légèrement pliées et bien en place sur ses appuis, il activa habilement le déclenchement du feu de la wyverne. La flamme jaillit du canon et le barde déplaça lourdement le module de rechargement, retirant de force la cartouche entamée avant qu'elle ne se consume entièrement.


Face à la chaleur soudaine, la paroi s'ouvrit, laissant apparaître un petit nid azur là où la glace avait fondu. En son sein, une petite flaque d'eau fraîche oscillait avec les gouttes qui y tombaient lentement.

« Et voilà ! S'exclama le barde avec un air radieux. Des bandes et de l'eau ! Alors, toujours inquiet ?

— Comment as-tu osé lui faire ça ? Tu lui as coupé son moment ! Tu, tu… Argh !

— On ne bouge pas ! Ton dos a vraiment besoin de soin. »

Quiver, abattu, laissa sa tête retomber au sol. Il tentait de le cacher, mais la douleur était bien présente. Lorsque ses paupières se fermèrent délicatement, il préféra ne pas les ouvrir à nouveau et profita de la paix que lui offrait le sommeil.


L'eau froide sur son dos atténua la sensation de brûlure, les petits éclats de glace fondaient ou étaient balayés en douceur par le tissu humide. Hans retira soigneusement chaque copeau de métal pour s'assurer qu'aucun d'entre eux ne se glisse sous la chair. Puis il étala les feuilles colorées emprunté à son camarade pour recouvrir les plaies. Ainsi, il passa plusieurs minutes à s'occuper du dos de Quiver. Jusqu'à ce que ce dernier entende son prénom être murmuré comme une chanson.

« Quiver, j'ai besoin que tu te redresses. »

À moitié dans les abîmes, à moitié présent, le brun s'exécuta presque inconsciemment en grinçant légèrement. Le barde désossa alors le reste du plastron de son camarade et l'entoura entièrement de bandages de fortunes, maintenant par la même occasion la couche d'herbes médicinales en place.

« C'est un sacré foulard, balbutia Quiver.

— Ce n'était pas suffisant, » répondit le barde en finissant son travail.


Le jeune lancier émergea complètement et nota que Hans n'avait plus de chemise sous son pardessus de la guilde.

« Pas froid ? » articula-t-il inquiet.

En souriant toujours, Hans secoua simplement la tête, puis il déplaça loin de Quiver les bandages ensanglantés qui traînaient au sol : le coup infligé par le Barioth à Quiver était bien plus profond que ce qu'il avait pensé et il préféra garder ce détail pour lui.

« Tu peux te lever ? »

Sans répondre, Quiver tendit une main au barde qui l'aida alors à se relever et devint son appui. La lance d'un côté, le bouclier de l'autre, Hans porta lentement le lancier vers le chemin qu'il avait défini comme "accueillant".

« On ne prend pas ton luth ? s'étonna le brun.

— Il ne sert à rien, il est cassée. »

Sans se retourner, les deux compères s'enfoncèrent dans l'obscurité du couloir vers un puits de lumière à l'horizon. Et Hans se mit à compter les pas ; toutes les trente enjambées, il s'arrêtait, collait le canon de la lance au mur et tirait une balle. Une trace atypique que pourraient suivre les secours, s'ils venaient avant qu'ils ne puissent quitter ces grottes eux-mêmes.


Hans avait un mauvais pressentiment sur cet endroit, quelque chose lui disait qu'ils devaient tous deux quitter ses tunnels au plus vite. Il ne trouva aucune explication au début, mais bientôt, Quiver lui fit remarquer une couleur bien étrange sur le sol aux nuances de bleu et de vert.

« Des poils oranges, » murmura Hans.

Il n'avait pas besoin d'en dire plus, les deux chasseurs savaient exactement à quoi ils avaient affaire. Un Tobi-Kadachi vipère devait résider quelque part non loin de cette ouverture souterraine. Il y avait cependant une bonne nouvelle, ces tunnels menaient d'une façon ou d'une autre vers la surface, sans quoi ce monstre ne pourrait sortir pour se nourrir.


Ainsi, Quiver se laissa porter par sa béquille boîteuse à travers les grottes, chacun veillait au moindre signe de vent, de lumière ou de danger. Ils marchèrent pendant de longues minutes, la chute avaient brisé leurs réserves de boissons chaudes et la température amoindrie de la mi-journée commençait à se faire ressentir.

Leur route les mena à de petites côtes qui les forcèrent à redoubler d'efforts, puis à des descentes glissantes qui manquèrent de les faire tomber dans de nouveaux précipices. Au final, nul chemin ne semblait les mener quelque part. Hans avait même augmenté la distance entre les tirs, il ne souhaitait pas manquer de munitions et les deux hommes craignaient déjà de devoir passer la journée, peut-être même la nuit, dans ce gouffre glacial.

Malgré la journée, la lumière se faisait rare et l'obscurité avançait de plus en plus. Les deux hommes se retrouvèrent face à un nouveau précipice avec deux étroits chemins sur leur côté gauche.

« Mais ce dédale a-t-il une fin ? » s'exaspéra Quiver.


***


À l'ouest de ce décor gelé, près des bougies chaudes et rassurantes du grand hall de Seliana, Lotus et Rush trépignaient d'impatience dans l'attente d'une autorisation.

Tous deux attablés, coudes sur la table et mains croisées sous le menton, ils étaient seuls dans la grande pièce vide. Les quelques équipes sélectionnées pour la chasse au Barioth et pour l'éventuel sauvetage étaient finalement parties prendre un peu de repos avant l'espéré départ. Une possibilité impensable pour le duo qui attendait depuis plus de trois heures, genoux incontrôlables avec les talons frappant le sol d'un rythme endiablé qui les maintenaient éveillés. Rush avait dû consommer trois, ou peut-être quatre, thés aux herbes revigorantes. Lotus, quant à elle, s'était couvert les épaules avec une peau de Popo. À Seliana aussi, l'air était glacé tant la tempête en mouvement était puissante.


Ils respectaient le silence, se concentrant uniquement sur le grincement produit par la porte agitée par le vent. À la seconde où ce dernier fut déformé, l'instant où la cadence se brisa, Aiden franchit le seuil et fit face aux deux chasseurs déterminés, debout face à lui à l'entrée même de la pièce. Leurs boissons chaudes abandonnées à la table où ils avaient résidé jusque-là.

« Nous sommes prêts ! annoncèrent-ils en harmonie.

— Le vent souffle encore, mais nous sommes en train de réveiller les équipes de chasse. Ils s'occuperont des Barioths et vous pourrez… »

Le rouquin s'arrêta brusquement. Ses deux interlocuteurs étaient déjà partis en direction de la plateforme d'envol à grandes enjambées.

« Hé ! Ne partez pas seuls ! Attendez ! »

Il s'élança, bras tendu vers eux, lorsque le battement d'ailes des Mernos retentit dans le ciel.

« Lotus ! Rush ! »

Un appel vain. Les silhouettes des chasseurs s'élevaient déjà vers le ciel, le regard tourné vers l'horizon. Ce ne fut qu'à ce moment qu'Aiden aperçut la petite forme touffue accrochée à la cheville de la jeune femme aux cheveux blonds. Évidemment cette petite teigne de palico les accompagnait…

« Au moins ils ont un guide… » murmura Aiden pour se rassurer avant de reprendre la direction du marché pour organiser le départ des équipes suivantes.


Les bourrasques fouettaient les joues gelées des chasseurs, mais ni Rush, ni Lotus ne se plaignirent de tout le trajet. Ils n'échangèrent même pas un mot, totalement absorbés par leur objectif. Sous les indications de Korak, ils forcèrent les Mernos à se poser en dehors des zones prévues et près de la forêt où avaient chuté leurs amis en début de journée.


En progressant lentement, de la neige quasiment jusqu'aux genoux, ils arrivèrent bientôt devant de nombreuses marques de griffures et de bataille sur les roches de la falaise. Nul doute que les Barioths étaient toujours quelque part.

Tous deux se vêtirent alors leur cape de camouflage. Constituées à partir de peau de Pukei-Pukei et Chameleos, ces capes permettaient à leur porteur d'être bien plus discret. Les propriétés du dragon-caméléon les aidaient à mieux s'adapter à leur environnement, alors que le plumage de Pukei dissipait aisément l'air et les frottements pour réduire leur présence sonore. Tels de véritables Nargacugas, ils se déplacèrent ainsi en silence le long de la route sinueuse sous les directions de leur guide à quatre pattes.

La brume givrée s'était amoindrie depuis l'accident de Quiver et de Hans, mais la visibilité n'était pas bonne pour autant. Les chasseurs se suivaient de très près, toujours une main dans le dos de celui devant.


Lotus prit ensuite la tête de la file, plus habile pour le pistage, elle avança à pas doux sur le plateau glacé, dernier endroit où le palico avait aperçu son maître. Entre les traces de monstres fraîches et celles fossilisées dans la glace sous ses pieds, la jeune femme ne se sentait pas du tout en confiance.

Elle s'abaissa, presque allongée sur la neige, marchant accroupie en faisant le moins de gestes possibles et avança seule en direction de l'entrée des grottes qui parcouraient le sol sous eux sur plusieurs kilomètres. Elles étaient le refuge et souvent l'hôte des nids des monstres durant la nuit. Sans trop s'exposer, elle donna un rapide coup d'œil vers l'intérieur avant de s'écarter rapidement de peur d'être décapitée par une bourrasque glacée.

D'un pas vif, elle trottina vers Rush et murmura :

« Deux Barioths, dans les grottes. »

Le chef d'équipe inclina la tête pour lui certifier avoir eu l'information, après quoi, ils suivirent le palico jusqu'au bord du plateau.

La glace était en lambeaux, comme si un géant avait attrapé à pleines mains la corniche anciennement présente. Korak, de ses petites pattes, pointa le vide du doigt.

Le duo mit alors en place un cordage et se prépara à descendre. Quiver et Hans étaient quelque part dans la crevasse qui s'étendait sous leurs yeux, alors ils iraient les chercher jusqu'au fond de ce trou glacé et peu accueillant.


Ils arrivèrent aisément et sans blessure tout au fond du gouffre. Au milieu des débris de roches et de glace, ils trouvèrent du tissu ensanglanté, une douille de lance-canon ainsi qu'un luth brisé qu'ils ne connaissaient que trop bien. Alarmés par la situation et l'état potentiel des disparus qui aurait pu pousser Hans à abandonner son fidèle compagnon musical, Rush, Lotus et Korak passèrent en mode élite. Surtout la jeune femme, qui fit appel à toutes ses connaissances en traque apprises au fil des années. Silencieuse et précise comme jamais, elle prit les devants et guida le petit groupe.


***


Quelque part, plus au nord du point de chute, Quiver continuait de pestiférer dans les couloirs azur. Il avait faim, son dos le lançait de plus en plus et Hans lui refusait toute pause pour l'instant, craignant de croiser un habitant des lieux. Les deux hommes marchaient maladroitement vers le fond des grottes, plus ils avançaient, plus ils descendaient. Au fond, Hans se demandait si l'étroit et morbide passage du début n'aurait pas été préférable.


Après quelques minutes supplémentaires, les deux hommes s'arrêtèrent net, échangeant des regards alarmés. Le sol sous leur pied émettait un crépitement effrayant.

Était-ce une fine couche de glace au-dessus du vide, ou pire d'un lac, prête à s'effondrer sous leur poids ? Ils commencèrent à reculer prudemment quand un nouveau crépitement résonna dans la grotte derrière eux. Un craquement de la glace ? Non, bien plus dangereux, un tintement électrique annonciateur d'ennui.

« Cours ! » cria Quiver.

Peu importe la glace sous leurs pieds, ce qui venait derrière était pire ! Les deux hommes prirent leurs jambes à leurs cous et percutèrent le sol sans faire attention, brisant le cercle bleu sous leurs pieds ici et là. Boîtant, le barde ne creusait la fine couche sous lui qu'un coup sur deux, mais n'avançait pas aussi rapidement que Quiver, porté par l'adrénaline.

Une lueur bleue et scintillante émergea du couloir, elle se reflétait sur la paroi autour d'eux. Qu'ils regardent à gauche, à droite, ou devant, le reflet électrique était présent dans le miroir gelé duquel ils étaient prisonniers. Ce rappel permanent du danger ne les aida pas à avancer efficacement. Quiver, d'un pas maladroit, manqua de tomber dans un trou qu'il venait de créer.

« Hans ! Je crois que c'est creux là-dessous ! »


Le barde, quant à lui, peinait à se déplacer avec l'équipement du lancier, un poids auquel il n'était plus habitué depuis sa jeunesse. Mais il ne pouvait pas non plus se résigner à abandonner leur dernier rempart. Ils se retrouvèrent de l'autre côté de ce qu'ils nommèrent "un immense lac de vide" et accélérèrent le mouvement. La foudre à leurs trousses avait décidé qu'ils seraient le dîner.

Le barde confia alors la lance d'acier à Quiver, celle-ci lui apporta un appui stable et lui permit de courir plus aisément, tout en libérant Hans de quelques kilos. Le chemin devenait de plus en plus fin et le sol n'était pas plus épais que dans la zone précédente. Il n'y avait ni de passage dérobé, ni d'échappatoire au long couloir qui s'étendait devant eux. Sans se retourner, ils coururent vainement sur plusieurs mètres.

Persuadé qu'il serait happé par l'orage, Hans leva l'écu de Quiver et se retourna brusquement en hurlant à son équipier d'aller de l'avant.


Avec sa posture défensive approximative, il tomba instantanément nez à nez avec un Anjanath tonnerre irrité dont le pelage étincelait, libérant d'innombrables éclairs bleus. Ce dernier porta un violent coup de dents vers le barde face à lui.

Hans tenta une parade avec le bouclier, bien tenu de ses deux mains et remercia les étoiles qui veillaient sur lui lorsqu'il dévia l'imposant naseau azur.

Il encaissa ainsi deux, puis trois et quatre attaques, reculant à chaque fois de deux ou trois mètres sous la force de l'Anjanath. Lors de l'attaque suivante, il chancela et fut projeté sur sol, glissant sur la glace sur une dizaine de mètres. Sa course s'arrêta lorsqu'il rencontra un obstacle.

Un mur ? Non, le couloir était droit et parcourait encore une belle distance. Il reconnut alors les bottes de Quiver. Le jeune lancier était en position offensive, la lance brandie face à lui où se tenait le propriétaire des poils orangés aperçus plus tôt.

Un Anjanath tonnerre derrière, un Tobi-Kadachi vipère devant. Sur la longue liste des situations dans lesquelles personne ne voulait se trouver, celle-ci n'avait sans doute jamais été mentionnée.

Puis le génie frappa. Acculés, alors que les deux monstres préparaient un assaut presque coordonné, Hans et Quiver se fixèrent, des étoiles dans les yeux. Oh oui, cela serait à la fois magistral et mémorable. Une solution évidente qui était apparue simultanément pour les deux chasseurs ; que Lotus avait maintes fois appelés à l'aide du terme "crétins".

Un immense sourire de fierté aux lèvres, comme si cet instant serait leur dernier et ils adoptèrent une posture digne des tortues les plus robustes. Hans leva le bouclier au-dessus d'eux et ils se placèrent accroupis. Quiver pointa le canon vers le sol fissuré sous leur poids réuni et cria avec conviction :

« Feu de la wyverne ! »

La glace disparut instantanément, aspirant avec elle les deux chasseurs téméraires vers le niveau inférieur dans un épais nuage de fumée. Au-dessus d'eux, dans l'étroit couloir, la morsure de l'Anjanath croisa le coup de griffe du Tobi et les deux bêtes entamèrent un duel.


Pour Hans et Quiver, le danger ne venait plus d'en haut, mais d'en bas. Ils tentèrent à nouveau de protéger leur tête de l'impact. Deux chutes dans une même journée, c'était un véritable record pour l'équipe. Mais l'arrivée fut beaucoup moins brutale, elle fut même assez douce en comparaison... Cependant bien plus glacée. De l'eau jusqu'aux hanches. Les deux hommes avaient atterri cette fois dans de l'eau froide, extrêmement froide. Ils s'empressèrent d'identifier et de gagner la rive du lac la plus proche. Plus les secondes passaient, moins ils avaient de chance de sortir de ces eaux.

Une fois en sécurité sur la terre ferme, ou plutôt sur la glace, ils essorèrent au mieux leurs vêtements trempés sans les retirer. Soudainement, un énorme "PLOUF" résonna. Ils se retournèrent et virent la carcasse du Tobi-Kadachi, couverte de brûlures, inanimée, dans l'eau qu'ils venaient de quitter. Le hurlement de l'Anjanath qui retentit au-dessus d'eux leur provoqua des frissons de peur tels qu'ils en avaient rarement connus. Ils se précipitèrent alors dans la galerie qui se proposait à eux, laissant derrière eux de petites flaques qui se solidifiaient à vue d'œil. Première bonne nouvelle depuis le début de leur aventure, la pente dessinée par le chemin montait pour une fois. Ils retrouvèrent espoir de trouver une sortie ou un abri loin de ces monstres.


***


Plus en amont dans le dédale, Rush, Lotus et Korak s'étaient mis à courir aussi vite qu'ils le pouvaient, le cri lointain d'un monstre venait d'être entendu dans le gouffre. Le groupe se retrouva attiré par sa source et ne réfléchit pas une seule seconde au danger potentiel vers lequel ils se précipitaient.


Lotus admirait tout du long avec satisfaction les marques laissées par les deux disparus. Un impact dans la paroi, suivant une distance fixe. Une piste qu'elle suivait sans le moindre effort. Rush fut d'abord rassuré de voir ces signes, puis l'angoisse le gagna lorsque les marques s'espacèrent de plus en plus. Puis il n'y avait plus rien. Ni marque, ni trace de leurs amis.

Les retrouveraient-ils seulement ? Et dans quel état ? Plus Rush avançait, suivant les directions données par Lotus, plus ses pensées le perdaient dans de sombres scénarios. La jeune femme le guida à gauche, mais, s'ils étaient partis à droite ? S'ils étaient à l'agonie à quelques mètres seulement du côté opposé ? Et si ? Un impact violent coupa net les réflexions de Rush.

« Toi, tu marches, moi, je dirige. Alors tu me suis et surtout, tu arrêtes de penser à n'importe quoi ! »

Lotus secoua un peu ses doigts, il fallait avouer qu'elle avait cogné fort le pauvre crâne de son camarade. Sans oublier que Rush portait une armure assez épaisse et pleine d'écailles. Toujours le regard vers l'avant, elle continua de scruter les égratignures au sol et sur les murs. Des gouttes de sang présentes quelquefois ici et là, une griffure laissée par la lame d'une lance, elle cherchait le chemin qui les conduirait à la source du hurlement. En s'éloignant lentement d'un équipier déstabilisé et immobile, elle chuchota :

« Crétin… »


Korak, quant à lui, suivait vaillamment le pas, contrairement au chasseur aux lames jumelles, il ne se laissa pas distancer ou perturber et resta parfaitement silencieux, admiratif de la jeune femme. Elle était bien plus douée que son partenaire, sans aucun doute ! Mais la maladresse de Quiver et les explosions lui manquaient en ce lieu dépressif.

Ils tombèrent vite sur des traces de monstres. Inquiets mais prudents, ils évitèrent toute précipitation. Blessés, ils ne seraient utiles ni à leurs amis, ni aux équipes qui devraient les avoir rejoints au Givre.

Lotus se posa à un croisement, hésitante quant à la direction à prendre. Il y avait plusieurs voies et toutes étaient marquées à leur façon. Il y avait indéniablement deux ou trois monstres sous terre avec eux et avec leurs compagnons égarés. Elle préféra s'assurer de prendre la bonne direction.


***


Au niveau inférieur, Hans et Rush cherchaient désespérément à se réchauffer. Suite à leur baignade forcée, les deux hommes commençaient à avoir de nombreux engourdissements et les lèvres violettes. Une fois assuré d'être suffisamment éloignés de l'Anjanath, Hans se posa à terre un instant. Heureux d'entrevoir une pause, Quiver le suivit et s'appuya le dos contre un mur, le froid atténuait la douleur et lui apportait un peu de répit.

Le barde de son côté se déchaussa, puis ôta ses chaussettes.

« Hé, tu fais quoi ? s'intrigua Quiver.

— Je sens plus mes mains, » annonça tristement Hans.

Le lancier haussa un sourcil, perplexe. Quel était le rapport entre les mains et les pieds ? Le barde remit ensuite ses chaussures et noua ses chaussettes tout autour de ses mains. Ses doigts tremblaient sans relâche, humides de par l'événement précédent, ses phalanges étaient violacées et Hans ne bougeait presque plus les pouces.

« Je ne peux pas perdre mes mains, murmura tristement le barde. J'ai besoin de mes mains… »

Comprenant finalement l'inquiétude de son équipier, le brun, qui avait beaucoup d'épaisseurs dans ses bottes pour assurer la résistance et un port confortable de son équipement, offrit à Hans ses deux chaussettes. Protégées par l'armure, elles étaient encore sèches, un miracle qui saurait être apprécié. Le centenaire n'avait déjà plus de chemises, alors c'était un moindre mal afin d'assurer un minimum de chaleur à chacun.

Lors de ce petit instant de calme, Hans nota une marque étrange sur le cou de son camarade. Inquiet, il s'approcha et découvrit avec effroi une épine de Tobi-Kadachi. 

« Ça va aller, voulut le rassurer Quiver. Sortons d'ici et tout ira bien.

— Tu sais ce qui t'attend si tu n'as pas un remède en vitesse ? paniqua Hans.

— Douleur, absence, démangeaison… décès ? rit tristement le blessé pour détendre son ami. Oh, et froid, une grande sensation de froid. Mais je ne crois pas que ça changera quelque chose à ma situation. »


Le barde soupira, il ne manquait plus que ça, un empoisonnement par Tobi-Kadachi vipère ! Comme si le pauvre lancier n'avait pas déjà assez d'ennuis avec son dos. Au fond, Hans se demanda s'il n'aurait pas préféré être le blessé du groupe. Sans luth, il n'était pas vraiment le meilleur atout dans cette situation. Il rit face à l'ironie de la situation : il avait si souvent manqué d'utilité dans des cas d'urgence. Uniquement à cause de cette lubie pour la musique ! Une arme à bouclier, ou même un arc aurait été plus efficace ! Il aurait pu défendre son ami ou tirer une corde vers la sortie ! Mais non, Hans n'avait avec lui que des notes. Et aujourd'hui, alors qu'elles étaient enfin une réelle solution à un cas de vie ou de mort, son luth était brisé. Les fragiles cordes ne pouvaient pas entonner les chants apaisants et revigorants des Legianas alors même que Quiver en avait besoin.

Nul doute que personne ne voulait jamais de lui au sein d'un groupe de chasse. Il avait déjà perdu un camarade et il allait en perdre un second. Tout ça pourquoi ? Tout ça un pour un cor de chasse stupide et une mentalité idiote…

« Hans ! Hans ! hurla Quiver. Je sais qu'on a froid, mais je ne pense pas que la fumée qui sort de ta caboche nous sera utile. »

Le jeune homme n'était pas dupe et savait parfaitement que quelque chose secouait son camarade. Il l'obligea donc à bouger en tendant le bras vers lui.

« Tu m'aides à me relever ? demanda-t-il en souriant. On doit continuer d'avancer. »

Comment Hans pouvait-il résister ? Ce n'était pas à Quiver de dire ces mots, mais à lui. Alors il sourit en retour et souleva son camarade. C'était ça, son job. La musique, les notes, les chants, c'étaient uniquement pour ça. Le centenaire ne se lasserait finalement jamais d'être la voix radieuse qui tirait ses coéquipiers vers le sommet. 


Complètement remotivé, Hans reprit son rôle de béquille humaine bancale pour aider les muscles endoloris du lancier à marcher. Cette proximité leur apporta aussi un peu de chaleur. Le bouclier dans une main, il laissa l'aspect offensif à Quiver et ensemble ils s'enfoncèrent dans le nouveau tunnel remontant vers une faible source de lumière. Un faible espoir qui les guidait comme un phare.

Il y avait quelque chose, là-bas, qui leur offrait une sortie. Ils en étaient certains. Aussi vite qu'ils le pouvaient, ils progressèrent dans le passage, évitant les stalagmites pointus et se faufilant entre deux rochers qui bloquaient le chemin. Convaincus que chaque pas les rapprochaient de la fin de leur calvaire, ils en oublièrent la faim, la soif, la douleur et la fatigue. « Juste quelques mètres, pensaient-ils. Les équipes à notre recherche survolent la zone. Dehors, elles nous trouveront. »


Ils montèrent encore et encore, puisant de leur ressources. Et finalement, après avoir traversé un énième couloir étroit, les deux hommes se retrouvèrent à dans une énorme grotte humide.

« Un cul-de-sac… » soupira Quiver.

Le jeune homme se détacha et avança faiblement vers le centre de la pièce. La lumière du jour perçait à travers le plafond, l'issue semblait à portée de main. Pourtant il y avait plus d'une vingtaine de mètres entre eux et l'extérieur. Il n'y avait même plus aucun passage à l'horizon, aucun chemin creusé dans les murs azurs. Et s'il y en avait eu un, le lancier ne l'aurait peut-être même pas emprunté.

Quiver tremblait comme une feuille, il luttait contre le froid, le poison… Finalement, il voulait s'arrêter. Rester là. Un moment, peut-être plus. Mourir comme ça ou mourir dévoré par un monstre ? Il n'y avait aucune pensée positive dans son esprit.

« Hé ! Hé ! Quiver ! »

Il entendait la voix du barde, mais y faire attention, l'écouter, c'était trop d'efforts. Il décida de laisser tomber sa lance et s'allongea sur le dos. Là. Il était bien. Le froid englobait son dos, ses nerfs gelés ne transmettaient plus aucune douleur. Il se risqua à fermer les yeux, après tout, cela faisait bien une dizaine de minutes que sa vision était trouble. Il n'y voyait pas plus loin que ses pieds, alors autant les reposer et profiter de l'obscurité.

« Quiver ! Quiver, regarde ! »

Regarder ? Quoi ? Il entrouvrit légèrement les yeux. Où ? L'eau, là-bas ? Dans le fond de la grotte ? Juste un rappel du bain glacé précédent. Cette fois, il laissa les ténèbres l'emporter complètement.

« Ah non ! » s'énerva Hans.

Le barde essaya de soulever son ami. Il avait vu l'espoir, ce lieu : il le connaissait. Il y avait dans la glace un peu plus loin un navire. Une immense coque de bois brisée, celle des explorateurs d'antan. Celle qu'il avait trouvée plus d'un an auparavant avec son ancienne assistante.


C'était un lieu connu des érudits et des chasseurs, même si ces derniers n'y venaient que très rarement, ils savaient pertinemment que cette grotte existait et où elle était. Et surtout, ils avaient installé un camp à la surface depuis lequel ils pouvaient déployer des monte-charges pour descendre.

« Un signe ! s'exclama le barde. »

Il suffisait d'un signe, un signal d'alerte, quelque chose pour dire aux chasseurs « Nous sommes ici ». Un rien pour que les secours les repèrent et descendent jusqu'à eux à l'aide des monte-charges.

Un rien pourtant impossible. Que pouvait bien faire Hans avec un écu cabossé et une lance-canon sans cartouche ? Il restait bien deux charges de Feu de la wyverne, mais jamais la flamme ne remonterait si haut… À moins que… Oh ? Pourquoi pas.

« De toute façon, les érudits me haïssent déjà, » murmura Hans avec un air malicieux.


Sans réfléchir plus longtemps, il abandonna le bouclier et agrippa Quiver, allongé en étoile, par les épaules. C'était un véritable poids mort, sa peau était pâle et gelée et ses lèvres violettes. S'il ne l'avait pas entendu quelques minutes plutôt, il pourrait penser son camarade mort.

« Viens par ici, grogna le barde, on va te réchauffer. »

Traîner Quiver lui demanda un effort inouï, il puisa dans ses dernières réserves, ignorant les cris de détresse de son corps. Il allongea le lancier contre une roche glacée et ôta sa maigre veste pour lui faire une couverture.

« Ce sera toujours ça de plus. Oh, non, ne t'en fais pas pour moi, nous aurons bientôt très chaud tous les deux. »

Voilà qu'il parlait aussi aux inconscients maintenant. Des pierres, des arbres, au moins cette fois, c'était un être humain se rassura-t-il. Le centenaire désormais torse nu au fond du gouffre de glace, se dirigea ensuite vers la lance abandonnée et avança avec détermination vers l'épave. Sans prendre plus de temps, il rassembla les ouvrages laissés là par les érudits. Il ramassa les fragments de voiles que les chercheurs avaient délicatement pliées pour leurs études. Il déplaça tout, tout ce qu'il y avait ici-bas et entassa ses trouvailles comme un trésor sur le pont.

Il tira une fois avec le feu de la lance. Délicatement, il laissa la flamme faire fondre la glace sur les rambardes de bois, sur les cordages du pont et sur le plancher sous ses pieds. L'épave était un peu humide dans l'ensemble, mais au moins, il avait séché la zone autour de son futur bûcher. Il aperçut alors de petits tonneaux posés à l'écart. Il les inspecta et sourit en remerciant l'Étoile de Saphir. Il s'agissait des réserves de poudre retrouvées sur l'épave et déplacées minutieusement pour éviter d'éventuels accidents. Il déversa avec joie l'intégralité du contenu noir des récipients sur son tas de babioles. Une fois en position face à l'amas de fortune, le barde rit de bon cœur.

« Eux qui étaient convaincus que leurs recherches ici seraient utiles ! T'inquiètes pas petit. »

Il prit une grande inspiration et cria :

« Feu de la wyverne ! »


*** 


Quelque part non loin dans les grottes, Lotus, Rush et le courageux palico se tenaient au-dessus d'un trou. Oui, très simplement un trou.

Lotus avait choisi le chemin à suivre avec précision et elle se trouvait à côté d'une perturbation très étrange dans le sol. Ils avaient avancé pendant un bon kilomètre sur ce qui semblait être un lac de glace, avant de s'engouffrer dans un tunnel et de tomber sur l'anomalie. Un cercle étonnamment rond assez large, creusé à leurs pieds au milieu même du passage. Un peu plus loin, le cercle était perturbé par un second trou, bien plus gros et totalement difforme. Plus étonnant encore, Rush apercevait à l'étage inférieur la carcasse orangée d'un monstre.

« Tu penses que… commença à demander le jeune homme.

— Oh oui, ils sont vivants et ils sont là dessous. Je le sens. J'en suis sûre. »

Rush soupira de soulagement, heureux d'avoir fait confiance jusqu'ici à son amie.

« Ce qui m'inquiète en revanche, ce sont les brûlures sur ce Tobi, » dit-elle en pointant le corps orange du doigt.

Et voilà, l'angoisse se saisit à nouveau du jeune chasseur après quelques secondes de répit. Il inspecta le vide sous lui, les sourcils froncés. Ils n'avaient plus de corde et ils devaient continuer d'avancer. 

Les deux compères observaient prudemment la situation, cherchant le meilleur moyen de descendre à l'étage inférieur, lorsqu'une violente explosion résonna entre les parois glacées.


Lotus regarda son équipier et y lut la même inquiétude. La détonation provenait d'en dessous, elle s'était propagée à travers la glace comme dans une caisse de résonance. Au diable la prudence ! Si un vieil homme avait pu le faire, alors Rush le pourrait aussi ! Il visa le cadavre de Tobi, en espérant que celui-ci amortirait la chute et se jeta.

L'impact fut bref, mais encaissable et Rush se releva sans trop de difficultés. Il était tombé précisément sur la queue touffue du monstre, un atterrissage doux et sec. Malheureusement, pour poursuivre sa route vers son objectif, il posa les deux pieds dans l'eau gelée et courut en ignorant le froid.

Au-dessus de lui, Lotus descendit avec grâce. Korak accroché à sa jambe, elle utilisait son insectoglaive comme une hélice et se propulsa vers les airs quelques fois pour décélérer. Elle se posa tout en douceur aux côtés de son camarade à la sortie du lac. Non sans se moquer un peu du manque de légèreté de la descente de ce dernier.

Le palico bondit sur le sol et prit pour la première fois la tête de file à la recherche de son maître. Tout le groupe partit à grandes enjambées vers l'unique passage, armes dégainées.

Ils progressèrent rapidement à travers les obstacles. Plus ils avançaient dans le passage, plus ils voyaient de chaudes couleurs danser sur les murs. Des hallucinations ? Non, il y avait bien des vagues ambres et une lumière chaleureuse au bout du chemin. 

Bientôt une odeur de fumée vint leur chatouiller les narines, puis il y eut l'épais nuage noir qui commençait à se répandre dans la grotte en leur piquant les yeux.

Un feu ? Comment ? Non, finalement, Lotus ne voulait pas savoir comment ce feu avait été allumé, elle espérait simplement qu'il aidait ses compagnons perdus.


Rush fut finalement le premier à parvenir à la source de la fumée et des aurores orangées qui se reflétaient sur les murs. Et il ne fut pas déçu, loin de là.

Au milieu de l'immense cavité devant lui s'élevaient d'immenses flammes. S'envolant depuis les vestiges d'un navire, elles remontaient au-delà de la grotte. C'était un magnifique tableau. Un mélange de rouge et de bleu souligné par d'étincelantes gouttelettes d'eau qui tombaient depuis les murs de glace sous la chaleur du bûcher. Non loin de l'épave embrasée, Quiver était allongé sur un rocher à quelques mètres seulement du feu. Les flammes formaient de doux reflets sur sa peau et Rush pouvait aisément distinguer l'atypique veste de gala de Hans étalée sur lui. 

Un peu plus loin, allongé immobile sur le dos, les bras et jambes écartés et torse nu se trouvait ledit barde. La lance-canon reposait à côté de sa main et le gel recouvrait les pointes de ses cheveux et de sa barbe. Lorsqu'elle arriva, il ne fallut que quelques secondes à Lotus pour comprendre ce qui était arrivé.

« Les érudits vont être furieux, soupira-t-elle. Rush ! Occupe-toi de Hans, je vais voir Quiver ! »

L'instant d'après la chasseuse planait vers son ami, accompagnée d'un palico qui ne cessait de miauler et Rush avait rejoint le barde.


Le jeune lancier n'était pas en très bon état, dans son cocon de vêtements, il transpirait fortement et tremblait lentement. Il ne répondit à aucun appel de la jeune femme. Experte en premiers soins, elle nota sans effort l'empoisonnement et sortit de sa sacoche une pâte bleutée.

« Ce n'est pas grand-chose, mais ça t'aidera un peu, » murmura-t-elle à son patient.

Elle toucha délicatement sa peau et fut heureuse de constater qu'elle n'était pas aussi froide que prévue. Après une rapide inspection, il était couvert d'ecchymose et avait une blessure soigneusement pansée sur le haut du corps. Le feu lui faisait du bien. Tout comme les poils chauds de Korak blotti en boule sur son torse. Elle sourit simplement, soulagée de les avoir retrouvés et ne put s'empêcher de laisser couler une petite larme lorsqu'elle entendit de l'agitation au-dessus d'eux.

Ils y avaient des équipes à la surface, attirées par la fumée, qui s'agitaient et observaient à travers les ouvertures. Ils étaient en train de mettre en marche les monte-charges. Bientôt, toute l'équipe serait de retour à Seliana. 


De son côté Rush tentait de faire revenir Hans à la réalité. Le barde était conscient, mais totalement absent. Il fixait les vieux ossements d'un Kushala prisonnier de la glace dans le plafond. Et il riait. Marmonnant dans le vide devant lui, il restait immobile en gloussant :

« Une boule de poils. »

Une phrase qu'il ne cessa de répéter, au grand désarroi de Rush qui inspecta très vite la tête de son camarade. Sans aucun doute, Hans avait allumé le bûcher avec la lance. Il avait ensuite été projeté depuis le pont jusqu'ici. Une ecchymose violacée qui commençait à se dessiner dans son dos et ses épaules confirmait cette théorie. Sans doute avait-il aussi frappé sa tête ? Une commotion, peut-être ? À moins que ce comportement ne soit dû au froid ? Les vêtements restants du barde étaient totalement gelés et la glace sur ses cheveux fondait lentement grâce au feu.

Rush soupira, il n'était pas médecin, loin de là. Il était spécialisé dans la découpe de membres et la chasse de monstres. Alors il resta simplement aux côtés de son ami et lui parla, une présence réconfortante.

Lorsque Lotus arriva, elle confirma qu'il ne valait mieux pas les déplacer, ni l'un, ni l'autre et laisser cela à des spécialistes.


Les grandes plateformes descendaient en grinçant et les quatre équipiers les attendaient patiemment en profitant d'un excellent feu de bois. Éteindre ces flammes amuserait sans doute quelques érudits…

Avec l'aide d'autres chasseurs et de soigneurs, les aventuriers malchanceux furent placés sur des brancards fermement attachés à plusieurs Mernos. Ils seraient ramenés à la colonie en l'état et soignés à destination. À un moment durant le trajet de retour, Hans cessa de débiter des mots aléatoires et des phrases sans aucun sens. Il se laissa simplement glisser à son tour dans l'obscurité qui l'appelait.


Ni Rush, ni Lotus ne les laissèrent s'éloigner de plus de quelques mètres. Les deux chasseurs collaient les soigneurs comme leurs ombres. Ils se souvenaient trop bien du récit de Hans, de ce jeune chasseur inconnu et effrayé. Si leurs deux camarades devaient se réveiller dans les chambres d'ivoires de l'infirmerie, alors les visages souriants de Rush et de Lotus seraient les premiers qu'ils verraient.




Merci à BakApple et Ensorceleurisee pour la pré-lecture et leurs conseils

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