Chroniques d'un Cor de chasse
En Chasse !
Le sable roux du désert à l'ombre des arbres tropicaux de la forêt voisine. La chaleur d'un volcan transformant la neige des steppes en rivières sinueuses qui apportaient la vie aux coraux, plantes et animaux de cet écosystème singulier. Voilà ce qu'était le Fief Glorieux. L'improbable association des climats les plus opposés.
Le champ de bataille des monstres les plus téméraires. Ailleurs, personne n'aurait pu observer le violent affrontement d'un Brachydios et d'un Namielle, la rage des cavernes enflammées face à la grâce du Plateau de corail. Rien ne fascinait plus Quiver que cet endroit. Pour ses spécialités climatiques ? Ses incohérences géologiques ? La diversité de sa faune et de sa flore ? Non, rien de tout ça. Le jeune lancier était animé par l'excitation et l'appât du gain. Qui d'un Nergigante ou d'un Uragaan vaincrait ? Un Banbaro pouvait-il charger de front un Diablos ? Tant de possibilités, de questions sans réponse ! À chaque départ, entre ses compagnons de beuverie et lui, c'était le même rituel : "Faites vos jeux, camarades !".
Avec engouement, Quiver menait donc le pas à travers la forêt ombragée à la recherche des précieuses traces de Glavenus.
« De Rajang ! ne cessait de hurler Lotus, exaspérée. C'est un Rajang qui attaque nos chercheurs ! Si tu veux satisfaire ta curiosité, attends la prochaine mission !
– Ça sert à rien, de toute façon il n'est pas capable de différencier l'empreinte d'un Rathalos de celle de son palico ! »
Rush était-il blessant ? Non, il jouait avec la crédibilité de son ami depuis plusieurs années. C'était une habitude, presque une seconde nature de rabaisser Quiver à ce sujet. Rush ne ferait jamais ce genre de commentaires s'ils étaient erronés. Quiver pouvait être fort, courageux, parfois très empathique, mais jamais il n’aurait la réputation d’un grand observateur ou d’un érudit. Peu importe la forme du pied des monstres qu'il chassait tant que les charges explosives de sa lance perforaient leur cuir ou leurs écailles.
« Et toi, Hans, un signe de notre gorille ? ça fait bien dix minutes qu'on a quitté le camp. Les Navicioles n'ont toujours aucune piste, soupira la jeune femme.»
Un inconvénient très courant dans le Fief Glorieux, il y avait tant de monstres de passage, beaucoup d’entre eux se posaient temporairement avant de reprendre un plus long voyage. Plumes, écailles, sucs, toutes les sources d’odeurs et de pistes étaient abondantes. Les pauvres Navicioles, insectes pisteurs émérites, ne savaient plus où donner de la tête. Trop d'informations brouillaient les pistes et finalement, elles tournaient en rond autour des chasseurs. Le mieux à faire était de les aiguiller un peu, trouver un échantillon de la cible pour les aider à concentrer leurs sens.
« Hans ? appela Lotus une nouvelle fois, un peu plus fort en espérant une réponse.»
Ni voix chantante, ni note joviale, ni rire étouffé. Simplement le silence. Deux appels avaient été ignorés. En y repensant, Lotus n’avait pas entendu Hans depuis qu’il était sorti de la tente. L’homme était terriblement bavard, il plaisantait, se plaignait, chutait et jurait. Lors de leurs précédentes expéditions, Rush avait passé de longues minutes à lui demander de se taire ! Rester seul, à la table centrale de la Grande Salle sans dire un mot, ça oui, mais garder le silence quand un monstre vous cherche dans les hautes herbes, il était tout simplement incapable. Pourtant, la jeune équipe avait presque oublié sa présence. Depuis quand le barde était-il muet ?
D'un signe de la main, Rush interpella ses compagnons et leur fit rebrousser chemin. D'abord une arme du même élément que leur cible, maintenant une disparition. Peut-être que le joueur de cor n'était finalement qu'un troubadour, ni plus ni moins et qu'il n'avait aucune expérience de la vraie chasse.
Quiver prit la tête de la file d'instinct. Il était le mieux équipé pour la défense, si quoi que ce soit jaillissait d’un recoin, il serait prêt. De plus, quelque chose l'attirait : l'odeur du foyer, du réconfort et de… de la viande ? Un feu crépitant, un arôme braisé, légèrement fumé, une chair à la fois tendre à l'intérieur et bien cuite autour.
Sous les regards ahuris du reste de l’équipe, l'homme aux cheveux d'argent cuisait un steak de Popo à l'ombre d'un chêne non loin du camp, assis sur une pierre entre deux fourrés. La dernière fois que Lotus avait vu un barbecue portatif elle était encore à l'école des chasseurs, elle ne put retenir le choc.
« Hans ?!?
– Je retire toutes ces années de moqueries, Quiver. Je crois que nous avons trouvé quelqu'un de pire que toi en ce qui concerne la traque, lâcha Rush, sidéré.
– C'est bientôt prêt ! » assura simplement le barde en souriant.
Était-il simplet ? Avait-il pris un coup sur la tête ? Le chef de groupe fusillait sa camarde des yeux. C'était sa faute, elle avait eu cette idée stupide d'amener un homme avec un instrument de musique chasser un des monstres les plus agressifs des environs.
Quiver, au bord de la crise de rire, s'approcha de la viande bien juteuse avec intérêt.
« Hé ! Attention, va pas t'empoisonner ! l'avertis Hans et éteignant son feu.
– S'empoisonner ? s'interrogea Lotus à haute voix. Tu utilises des viandes appâts ? »
Quatrième, ou peut-être cinquième leçon du b.a.-ba du chasseur, dans les lointains souvenirs de la jeune femme. Utiliser une viande fraîche et piquée d'une substance toxique pour appâter la cible. C'était une vieille, presque antique, méthode, présente uniquement dans les présentations rudimentaires de la chasse.
« Règle numéro trois d'un bon camarade barde, annonça très fièrement Hans, le doigt levé pour appuyer son propos. Ne jamais laisser ses partenaires se fatiguer inutilement ! »
Sa guitare azur sur le dos, le barde se déplaça vers la clairière en contrebas. Il remua un peu la terre au centre, inspecta le sol, les arbres voisins et leva les yeux au ciel.
« Des plumes de Paolomu et, sur cette écorce, un Yian-garu-ga a aiguisé son bec. Le premier ne raffole pas de la viande, le second la préfère crue. Donc, c'est sans doute notre Rajang qui viendra en premier. Si jamais les monstres alentour arrivent, ils partiront. Peu d'entre eux oseraient défier sa force pour lui voler un simple repas.»
Avec le même sérieux, il s'agenouilla et déposa son morceau de viande sur le sable. Avec quelques coups de couteau, il découpa la surface de la chair laissant une épaisse fumée imbibée d'arômes s'élever dans les airs.
Puis il fit signe à ses compagnons de s'allonger dans des buissons, au pied d'un grand rocher. Quant à lui, il se plaça dans les feuilles d'un arbre de l'autre côté de la clairière.
Même s'ils s'étaient tous exécutés sans poser de questions, les minutes passèrent et Rush commença à soupirer.
« Ça ne marchera pas, on perd notre temps, cracha-t-il, impatient.
– Il a l'air de savoir ce qu'il fait, laisse lui sa chance, plaida la jeune femme.
– T'as déjà entendu parler de ses exploits ? Moi non, il était à Seliana avant nous, avant bien d'autres, si personne ne dit rien c'est sans doute qu'il n'a jamais rien fait de suffisamment intéressant.
– Rush ! tu es blessant, tu le juges sans doute rapidement. Il loge dans les allées honorifiques ! protesta Quiver.
– J'ai vérifié. Ces logements peuvent être donnés aux anciens. Je pense qu'il fait simplement partie des colons. Il ne vaut rien.»
Malgré leurs expéditions ensemble, Rush n'avait jamais vu le barde se battre. Il possédait des tambours en Rajang ? Très bien, c'était un chasseur isolé, rejoindre un groupe était aisé, prendre une partie du butin aussi. Participer à l'effort, être utile aux autres, ne pas provoquer d'accidents, c'était très différent. Pour lui, Hans n'avait pas la carrure d'un chasseur. Il en avait peut-être une once de l'apparat, même si cette écharpe ressemblait plus à une gêne qu'à une pièce d'armure. Certes, l'homme était sympathique, très attachant, mais c'était sans doute là le seul point fort qui lui avait permis de participer à des missions.
Ils s'étaient fait avoir, tout simplement, comme beaucoup d'autres avant eux sans doute. Une explication logique à la solitude du musicien malgré son caractère amaible. Ni les zoologistes, ni l'érudit qui collectaient les données de chasse et des monstres ne connaissaient Hans. Pourquoi ? Sans doute parce qu'il n'avait rien à leur apprendre. Seul un vrai chasseur pouvait les éclairer sur les forces et faiblesses de la faune locale. Lui n'en était pas un, c'était un barde et rien de plus.
« Bon, ça suffit. J’en ai marre d’attendre. »
Le ton de Rush montrait ouvertement son irritation, cela faisait bientôt quinze minutes, c’était du temps perdu qu’ils ne récupéreraient pas. La commission attendait la réussite de leur mission pour reprendre les recherches et les expéditions de rang inférieur. Leur tâche était trop importante pour continuer cette mascarade.
Il dégaina ses doubles dagues, prêt à s’agripper à une branche voisine à l’aide de son scaragrappin : il allait traquer ce gorille, comme ils l’avaient toujours fait. Il ne put faire qu’un pas avant que Quiver ne le propulse fermement au sol en l'agrippant dans le dos.
« Attention ! » murmura-t-il avec empressement.
Depuis leur position allongée, les deux amis observèrent une vive ombre passer dans le ciel au-dessus d’eux. Leur cible atterrit sur ses pattes avant, au centre de la clairière. Sa force démesurée lui permettait de faire de tels bonds sans se soucier des répercussions. Avec son pelage brun parfait pour cet environnement, Quiver avait failli ne pas l’apercevoir. Une tragédie aurait sans aucun doute frappé… Encore quelques pas et Rush aurait été exposé, loin de l’abri des buissons et des arbres. Seul, face à un Rajang, sans plan et pris par surprise, personne n’aurait parié sur sa survie.
Pourtant rien de tout cela ne semblait avoir inquiété le quatrième de la compagnie, perché dans les branches à l’opposé d’eux.
Il faisait un signe de la main en souriant, les doigts formant un cercle. « Tout ira bien. Tout se déroule comme prévu. » C’était le message que transmettait son expression.
L’imposant singe secouait ses membres, laissant un épais nuage de sable retomber derrière lui. Il marchait avec hésitation vers la pièce de viande devant lui, avec ses mouvements lents, tout son poids faisant pression sur le sol. Ses poings, partiellement fermés, marquaient la terre de son passage. Ce monstre avait véritablement tout pour effrayer proies et prédateurs : un corps musclé, un buste imposant compensé par des pattes arrières robustes et vives, lui offrant force et vitesse, des crocs qui briseraient le carapace d’un Hermitaur d’un simple coup de mâchoire et deux immenses cornes, défiant les Diablos eux-mêmes pour ce qui était des charges.
Alors que la bête s'accroupit enfin devant l'appât, bave aux babines, les chasseurs, eux, rassemblèrent leur courage, mettant de côté l’animosité qui avait germé.
Le barde face à eux entama un décompte avec ses doigts alors que le Rajang prenait sa première bouchée. Partant de cinq, il descendit un à un ses doigts, son second bras, porteur du grappin, pointant devant lui. Sans perdre de son expression joviale, il ferma les deux poings, le délai achevé, il se jeta de la branche, propulsant son crochet directement dans les cornes du monstre. La corde s’enroula rapidement autour de celles-ci, attirant ainsi le téméraire troubadour.
Le Rajang perçut la menace, ou l'insecte, de son point de vue, qui voltigeait vers lui. Mais au moment de se redresser et de saisir sa nouvelle proie, une faible nuée jaune sortit à la place de son rugissement. Le poison sécrété par les Paralycrapauds que Hans avait incorporé à la viande venait de se libérer et figeait le gorille sur place.
Quelques secondes d’immobilisation, pas de quoi tuer la bête, ni la capturer mais une ouverture assez grande pour que le groupe de jeunes chasseurs puisse prendre position autour de leur proie. Une opportunité pour le barde de s'agripper à la tête du monstre sans risquer une mort rapide.
Tenant une des cornes fermement de sa main gauche, sa guitare de l’autre, Hans laissa l’élan et l’adrénaline l’emporter. Il frappa une fois de son instrument, deux fois, trois fois… Les plaques en cornes de Zinogre martelaient avec férocité le haut du crâne du gorille. Au cinquième coup, un filet de sang apparut entre ses cornes. Parfait, pensa le barde, son os frontal endommagé, le monstre devenait plus vulnérable, plus facile à déstabiliser. En cet instant présent, entre le poison et les coups, le Rajang n’avait plus aucun repère. Il finit par reculer légèrement dès que son corps répondit enfin à ses appels, Hans sauta alors de sa tête, atterrissant avec grâce à l’arrière du groupe, aux côtés de Lotus, derrière le rempart formé par Quiver et son bouclier.
« Souffle ! » hurla leur défenseur.
La pointe de sa lance étincelait, les écailles de Bazel qui la composaient passaient du orange au rouge, donnant l’impression que de la lave circulait dans le canon. L’arme tremblait, prête à rugir à l’ordre de son maître.
Le Rajang s’élança vers eux en libérant un hurlement de rage, les yeux débordant de colère.
Le crépitement des étincelles de la lance de Quiver devint encore plus intense et avec une simple gâchette, il libéra une explosion digne du souffle des plus grandes wyvernes. La projection flamboyante frappa de plein fouet la tête du monstre. Une réponse brûlante et aveuglante qui ne fit qu’accentuer son animosité et sa douleur.
« À l’assaut ! », ordonna Rush.
La première étape était un franc succès, avec leur cible affaiblie et déstabilisée le vrai combat pouvait maintenant commencer. Sans hésitation, Rush chargea, les lames devant lui prêtes au combat. Une attaque vive qui laissait à Quiver du temps pour libérer la pression emmagasinée dans son arme, cette dernière libérant autant de fumée qu'un Zorah Magdaros enragé. Dans l’air au-dessus d’eux, Lotus s’éleva comme une véritable acrobate. Il y avait quelques chose de dansant dans ses mouvements lorsqu’elle sautait en s’appuyant sur la pointe de son insectoglaive.
À l’arrière, les premières notes de l’ode à la guerre commencèrent à retentir. C’était un son grave, comme un écho désorganisé. Les jeunes chasseurs sentaient les poils de leurs bras se dresser, pas un frisson de plaisir ou d'excitation, non une irritation inconsciente provoquée par les notes perdues du barde. La même sensation semblait gagner le Rajang car sa fourrure se hérissait comme celle d’un palico en colère.
« Je croyais que t’étais un maître de l’art ! lâcha Quiver, taquin et quelque peu inquiet de la mélodie dissonante.
— Attends ! Attends ! Laisse la…»
Le barde avait-il perdu ses mots ou était-ce simplement sa propre musique qui accaparait tout son esprit ? Il ne finit jamais sa phrase, ses mains concentrées sur les cordes étincelantes de son arme. D’un bond soudain, il était aux côtés de Rush, face à face avec le Rajang. Le chef de groupe tournait habillement autour du monstre, lacérant les pattes de leur cible ici et là pour l’affaiblir. Il était vif et ses attaques étaient d’une finesse exemplaire pour un maître des lames. À l’inverse, Hans envoya valser la caisse de sa guitare vers l’avant d’un rapide coup de la jambe. L’instrument format un ample arc de cercle, laissant le vent siffler entre les cordes, libérant de nouvelles notes, plus aiguës, plus harmonieuses sous le pincement précis et délicat du barde. L’impact avec l’épaule du gorille fut inévitable et fracassant. Le corps du monstre fit trembler la caisse et libéra finalement la musique, la mélodie intégrale, lentement accumulée par le musicien et sa fidèle compagne. Les notes irritantes et mélodieuses se mélangèrent, formant un tout semblable à un grondement, ou peut-être plus un cri ? celui d’un loup, ou d’un Odogaron, appelant les prédateurs inférieurs au combat.
Ce n’était pas son corps que Lotus sentit frémir ou réagir, mais le bâton de son glaive. La palmure en Velkana qui le recouvrait reprenait peu à peu vie, libérant d’épais cristaux glaciaux. Sa lame s’enrobait d’un nuage blanc, le fer était imbibé de froid. Elle produisait plus de glace que ce qu’elle ne devrait ! Depuis les hauteurs, sous ses yeux étonnés, la chasseuse constata que toutes les armes du groupe répondaient de la même manière à l’appel, non... à l’agression musicale. Les cellules de monstres dont elles étaient constituées réagissaient comme le monstre éponyme lorsqu’il était attaqué. Elles libéraient l’élément qu’elles renfermaient, cherchant à se défendre face à une menace. Une minute suffit amplement à la jeune femme pour s’y résoudre à contrecœur : une guitare électrique était l’arme qui leur permettait d’affaiblir un Rajang grâce à des attaques gelées. Après cette mission, elle traînerait Hans de force au camp d'entraînement pour étudier cette mélodie et le décuplement élémentaire qui l'accompagnait.
Le champ de bataille scintillait à chaque frappe, chaque entaille, laissant la glace se briser sur la fourrure de la bête. Porté par une légère culpabilité, Rush redoubla d’efforts, le barde n’était peut-être pas inutile au fond. Avec ses lames, il devait à tout prix blesser les pattes arrières de leur cible s’il voulait éviter qu’elle ne les prenne de vitesse. Plus le froid pénétrait l’épaisse fourrure du Rajang, plus il deviendrait lent.
Face à la tête, Quiver jouait de son bouclier pour attirer l’attention du regard rouge de haine qui se dressait devant lui. Les poings noirs s'abattaient avec violence sur ses défenses mais il ne reculait pas. Plier les genoux, sécuriser les appuis, encaisser. C’était sa routine, parer les coups, dévier les cornes, ne pas céder jusqu’à l’ouverture d’une faille. Et lorsque le Rajang se dressa sur ses pattes arrières, Quiver saisit l’opportunité, il pointa son canon directement sur le torse du monstre, libérant toutes les charges explosives qu’il pouvait. Les poils bruns s’immolèrent rapidement, laissant apparaître une peau grisée parsemée de taches rosées alors que le répugnant parfum de la peau brûlée emplissait l’espace autour d’eux.
Dans un fracas, le gorille se reposa au sol, forçant les assaillants à ses pieds à reculer rapidement : Quiver d’un léger bond, sa lance et son bouclier toujours face à la cible, Rush d’un sprint, ses bras tendus derrière lui, épées en mains et Hans d’une agile roulade sur le côté, les doigts constamment à pincer et gratter les cordes de sa guitare.
C’était l’instant de gloire de Lotus, lorsque la tête du Rajang se retrouva près du sol, libérant un nouveau hurlement, son cou se retrouva exposé. La jeune femme entama alors une descente. La pointe de son glaive en avant, elle plongea dans les vertèbres du monstre. Ce dernier recula à son tour sous le poids de l'impact, éjectant par la même occasion la cavalière de son dos. Les quatre chasseurs étaient bien loin de l’avoir vaincu, mais ils avaient suffisamment blessé le Rajang pour qu’il se sente menacé. Martelant son torse de ses poings, il libéra sa rage.
Des éclairs crépitèrent autour de lui, l’électricité traversait ses poils, son regard changea, animé par de nouvelles pulsions : il vira du rouge au jaune. Sur son dos, sa fourrure se dressa, l'énergie qui la parcourait transforma ses poils bruns en un pelage d’or rayé.
Entouré d’étincelles, il chargea ses agresseurs comme un véritable boulet de canon. Les poings fermés, il brisa le sol dans un fracas assourdissant, manquant de peu d'atteindre Rush qui s'était esquivé in extremis. Enragée, la bête se propulsa alors à la vitesse de la foudre vers Lotus qui n'eut d'autres choix que de s'appuyer sur son glaive pour regagner les airs. Le Rajang termina sa course contre le mur voisin, sans même le heurter. D'un cri, un souffle électrique traversa la clairière, forçant le groupe de chasseurs à se jeter à terre. Il s’appuya de son bras contre la roche pour regagner de l’élan et charger à nouveau, brisant la pierre sous la force de son mouvement.
Le véritable affrontement venait de commencer. Celui où on pouvait différencier les chasseurs avertis des débutants. À cette vitesse, avec cette colère, un seul impact pouvait mettre fin à une carrière : colonne vertébrale brisée, crâne fendu, mort. Il y avait de nombreuses issues tragiques possible pour les chasseurs qui décidaient de continuer le combat.
Pourtant, Hans fonça vers l’adversaire gaiement en s’écriant : « C’est maintenant qu’on chasse, hein Az’ ? » .
Était-il insouciant, un peu fêlé ou très sûr de lui ? Quiver n’avait toujours pas la réponse, mais cet engouement fut contagieux. En un instant, les jambes du rempart de l’équipe le portèrent jusqu’au front, où il reprit position face à la bête, bien déterminé à protéger ses compagnons.
Le chef d’équipe et la chasseuse aérienne soupirèrent avant de retourner à l’assaut. Un jour, ils seraient blessés, ou même tués. Tous, ou juste l’un d’entre eux ? Quand et par quel monstre ? Ils n’en avaient pas la moindre idée, mais ce serait sans aucun doute lors d’une mission comme celle-là.
Une de celle qui absorbe toute la raison et la logique, laissant uniquement l’adrénaline et la fièvre du combat. Dans ces instants, ils étaient fiers d’être chasseurs. Quand leurs mouvements devenaient instinctifs, sur le fil entre la vie et la mort. Quand ils pouvaient communiquer et attaquer en symbiose parfaite sans dire un mot, chacun à leur façon.
Pour Rush, ses lames n’étaient plus des accessoires, des armes. Elles devenaient l’extension de ses mains, il les maniait avec beaucoup d’aisance grâce à ses longues années d’entraînement. Ses attaques étaient le reflet des monstres qu’il avait combattus. Il lacérait de ses épées en suivant les mêmes coups de griffes qu'il avait subis. Tout ceci n’avait plus rien de gracieux ni de fin, au contraire, il devenait bestial.
Le conflit se transforma peu à peu en un véritable ballet. Mais ce n’était pas parfait, en fait, ce n’était même pas bon du tout. « Ils n’y sont pas du tout. », pensa tristement Hans.
À chacun de ses gestes, son instrument résonnait, libérant de nouvelles notes, chacune d’entre elles restaient en suspens, vibrant lentement sans perdre de sa justesse. C’était ainsi que l’art du cor fonctionnait. Le barde attaquait avec des trajectoires amples, rythmées et lorsqu’il avait enfin toutes les composantes de sa mélodie, il changeait de posture.
Ses pieds ancrés dans le sol, il mettait tout son élan et utilisait la totalité de son corps pour cogner le monstre de son instrument. À chaque fois, l'accumulation des vibrations et la force de l’impact relâchaient de puissantes ondes sonores, une musique parfaite, mélange de toutes les notes accumulées durant cette danse martiale.
Les sons du barde étaient devenus beaucoup plus doux, ils étaient rassurants. Il y avait cette chaleur qui embaumait la peau délicatement sans la brûler, mais dès que le Rajang approchait sa foudre des chasseurs, de fines particules électriques venaient diminuer les charges. Les éclairs du Rajang étaient tout simplement repoussés par le rock version Zinogre de Hans.
Rush pensait comprendre, il voyait le combat différemment. Il avait l'impression de danser avec ses coéquipiers et leur cible. Lorsque le jeune chasseur s'élançait, lames en avant, il attendait inconsciemment que le cor retentisse. Ensemble, ils tueraient cette bête sur un rythme accablant et glacé.
Le jeune chef entra en transe, puisant dans toutes les réserves d'énergie qu'il avait. Et Hans l'accompagna d'une nouvelle ode.
Il fit une roulade sur la droite, évitant le poing serré du Rajang avant de riposter d'un grand coup vertical. Deux pirouettes en arrière, et il se retrouva à la distance parfaite pour une frappe puissante : d'un coup de pied, il laissa la caisse de sa guitare s'envoler au-dessus de lui, fracassant au passage la mâchoire inférieure du monstre, libérant une note inédite. Quelque chose de pesant qui demeura dans les oreilles de chacun, même après l'impact.
Sans surprise, la bête tenta de le charger, choisissant d'ignorer le pénible lancier sous ses yeux au profit de la vengeance. D'un coup de cornes, il balaya devant lui. Une frappe puissante, levant un nuage de poussière, esquivé d'un pas de côté par le barde qui frappa l'air à gauche. Le Rajang bondit vers l'avant et Hans roula sous lui, s'aidant de sa trajectoire pour propulser son arme vers l'avant à la fin de son mouvement. La guitare tremblait dans les bras du barde, l'obligeant à redoubler d'effort pour la maîtriser, plus aucun son n'était émis, tous étaient étouffés, comme intériorisés.
Les yeux emplis de haine, le monstre, maintenant à l'opposé de la clairière, entama une course folle vers son adversaire. Une attaque des plus banales pour un Rajang, mais qui apporta enfin la grande réponse à la question de Quiver : Hans n'était pas saint d'esprit.
Le barde brassa trois fois l'air autour de lui, alors qu'il frappait le vide, il donnait l'impression d'effectuer un slow avec sa guitare. Il termina sa danse l'instrument retourné, la caisse vers le ciel et son corps à lui, parfaitement aligné avec la trajectoire du Rajang.
« Hans ! », s'écria le jeune défenseur.
Il avait blanchi à la simple idée de voir un camarade blessé. La protection était sa responsabilité. Il était celui à la tête, à attirer l'attention pendant que Lotus et Rush frappaient habillement la cible dans ses angles morts.
Il n'avait rien dit quand le barde s'était approché de l'avant du monstre, il avait pensé, à tort, qu'il venait simplement délivrer un coup précis, à un instant adéquat. Comme le faisaient les chasseurs au marteau.
Mais ces derniers étaient bien armurés ! Et ils se mettaient à l'abri derrière le bouclier du groupe si nécessaire. Hans avait autant de défense qu'un archer, Quiver n'aurait jamais dû le laisser enchaîner autant d'attaques près de la tête du Rajang. Aucune bête n'appréciait ça, c'était la raison pour laquelle Quiver se focalisait sur ce type de frappes.
« Hans ! Tire-toi de là ! », cria-t-il de toutes ses forces.
Il tentait vainement de venir s'interposer entre le gorille et sa cible, mais avec le poids de son attirail, il n'était pas assez rapide.
En l'espace d'une seconde, les cornes dorées du Rajang se retrouvèrent à moins d'un mètre du barde. Un immense bang retentit, un son digne de la puissance du choc, un bruit agressif et sourd... Un écho mélodieux ? Et rythmé ? Il n'y eut aucun impact, simplement une onde sonore fulgurante, accompagnée d'une aura écarlate libérée par la guitare d'un fou qui jouait sa musique sous l'oreille du Rajang au moment même où il atteignait la fin de sa course.
La conséquence fut immédiate, l'intensité du son résonna dans le crâne du grand singe et ce dernier tomba à la renverse. Sa tête s'écrasant sur le côté, presque au pied du barde.
Mais Hans ne s'arrêta pas là, son instrument continuait de chanter, il fit un petit pas sur le côté, ayant beaucoup de mal à bouger. La guitare entre les deux cornes du monstre, il libéra une seconde fois l'onde, puis une troisième, à ce moment précis, le Rajang tourna de l'œil, littéralement assommé par le son.
Rush, Quiver et Lotus approchaient à toute vitesse pour saisir cette opportunité quand un nuage orangé apparu autour de l'instrument fascinant de Hans.
Le chasseur musicien virevolta et donna un coup de batte - oui, c'était la meilleure image selon les autres chasseurs - avec sa guitare dans la mâchoire du Rajang. Cette fois, le son n'avait rien de plaisant, ce n'était même pas une mélodie. C'était une superposition des trois ondes précédentes, une véritable cacophonie. Le résultat n'eut aucune explication aux yeux de Lotus : le choc fut à la fois physique et auditif, d'une telle violence que la corne gauche du Rajang vola en éclat alors que la seconde se fissura.
« Az' ! appela le barde, la guitare tendue devant lui parallèle au sol. Plongée ! »
Suivant son regard posé sur elle et l'action demandée, Lotus courut instinctivement vers Hans. Elle posa un pied sur la caisse de l'instrument et elle le laissa la projeter dans l'air, au dernier instant, elle s'appuya sur son glaive pour gagner encore plus de hauteur.
Jamais elle n'avait réussi un saut aussi élevé, confiante et enjouée, elle se colla à son arme et entama sa descente. C'était un moment d'extase pour la jeune femme. Elle ne sentait rien d'autre que la friction de l'air sur son corps et la vitesse qui l'emportait vers le sol.
Elle visa le crâne, sans aucune hésitation, l'os avait été bien affaibli, s'il cédait, c'était la victoire assurée.
La percée fut exemplaire, droite comme un « I », Lotus enfonça la pointe de son glaive dans sa cible, sur le chemin, elle brisa la corne fracturée. Le Rajang n'était plus qu'un singe en colère.
Des éclats de glace accompagnèrent l'atterrissage de la jeune femme, le monstre en était recouvert. Ses poils étaient soudés entre eux, gelés, ils ne parvenaient plus à produire d'électricité et la fourrure du monstre retrouva son brun ennuyeux.
La pauvre bête sursauta, un réveil instantané, accompagné d'une douleur peu supportable. Rush et Hans s'agrippèrent à elle à l'aide de leur grappin à la vitesse de la lumière.
Ils l'attaquèrent sans relâche alors que le Rajang se débattait sous eux, cherchant à les ôter de sa tête.
« Souffle ! », alerta Quiver, libérant un feu de la wyverne directement dans les yeux du monstre pour l'achever.
Rush sauta aisément et se mit à l'abri, Quiver était accroupi, libérant toute la puissance de son arme, la fumée qu'elle produisait entourait lentement les chasseurs. Lotus regarda avec effroi Hans. Il n'était pas descendu du Rajang. Le monstre tombait à terre, une carcasse morte qui s'écrase dans un grand fracas et le barde s'envolait, projeté par le souffle de l'explosion.
Il retomba quelques mètres plus loin, sur le sol en gémissant. Quiver ne se tuait pas à prévenir pour rien ! Une fois assuré de la mort de leur cible, Rush s'empressa de le rejoindre leur récent camarade pour vérifier son état.
Il trouva le barde entre deux buissons, un sourire béat sur les lèvres.
« Oh ! Hans ? Ça va ? Pourquoi tu n'es pas descendu ! s'énerva-t-il malgré lui.
– Héééé ! Raaaag ! salua le barde, vraisemblablement amusé. Je t'ai pas vu beaucoup. Tu t'es encore perdu en chemin ? »
Allongé en étoile, Hans contemplait la silhouette floue devant lui. Un homme, cheveux courts ou peut-être mi-longs ? Mais il y avait ce pic au-dessus de sa tête. Une véritable crête, au moins aussi haute qu'une collerette de Yian-Kut-Ku ! Le barde plissa les yeux à cause du soleil qui entourait l'individu devant lui, une larme à l'œil et il sourit à nouveau.
« Désolé, commença-t-il en pointant ses propres oreilles des doigts. J'étais trop près de mes échos élémentaires. Je t'entends pas. »
Au moins cela apportait une réponse franche à la question de Rush. Le jeune chef soupira et aida son acolyte, visiblement atteint par le choc à la tête, à se redresser.
La tête du barde tourna un peu, il manqua de perdre l'équilibre mais finit par se stabiliser sur l'épaule de son sauveur. Le visage irrité de Rush lui apparut alors.
Il le regarda, inquiet, et se tourna précipitamment. Rien à gauche, rien à droite, il regarda au ciel et constata les hautes pointes de pins autour d'eux. Libérant un faible souffle, il se relaissa tomber, assis cette fois, à la grande surprise du jeune chasseur.
Les pins s'alignèrent à nouveau avec la forme de Rush et la crête réapparut.
Sans laisser le temps à ses trois camarades de le relever à nouveau, Hans le fit de lui-même.
« Vous inquiétez pas. L'audition reviendra d'ici quelques minutes, avoua-t-il d'un ton assuré. »
Le pas hésitant, il se dirigea vers le centre de la clairière pour s'accroupir à côté de la corne de Rajang qu'il avait cassée. Ses camarades hochèrent les épaules avant de s'occuper de la dépouille. Il fallait la dépecer pour le transport, les érudits et la récolte. Lotus se dirigea vers le camp pour prévenir l'assistante de la fin de la mission et préparer leur retour.
Le barde quant à lui resta bien dix minutes, la corne en main le regard perdu dans le vide. Pensant à une répercussion entre la perte d'ouïe et la chute, les deux amis n'osèrent pas le déranger, ils le laissèrent dans son coin et s'occupèrent du reste de la carcasse à deux.
Mais Hans était loin d'être seul. Il y a avait face à lui un petit arbuste rondouillet, un jeune pin élancé, il ne faisait même pas deux mètres, et un étrange cailloux, légèrement courbé et tout en longueur.
« Je me débrouille pas si mal, murmura le barde. Mais ils n'y ont pas cru et… Ils me rappellent les autres... »
Il soupira, regardant plus intensément l'arbuste.
« Ne me regarde pas comme ça ! Je sais, je sais, laisse leur du temps, c'était long aussi au début… Très bien. Je leur laisse une chance. »
Ce fut une main sur son épaule qui le ramena à la réalité. En levant les yeux, il aperçut le visage rassurant de Quiver. Le jeune homme avait les cheveux complètement décoiffés et le regard fatigué. Le rôle qu'il occupait n'était pas de tout repos, mais il avait assuré à cette position.
« Allez, on y va. Une équipe va venir s'occuper du reste. Faut que tu fasses vérifier ta tête sinon tu vas finir encore plus fêlé que tu ne l'es !
— Hé ! Je ne suis pas fêlé ! Qui t'a dit ça ? s'offusqua Hans, fusillant son rocher du regard.
— Attends, paniqua Quiver. Tu m'entends ? »
Le barde le dévisagea, l'air perplexe.
« Pas du tout, je lis sur les lèvres, expliqua-t-il en faisant parler sa propre main. Ça m'arrive tellement souvent qu'il faut bien que je puisse communiquer avec l'équipe ! »
Et il rit, tout simplement, en poussant son camarade embarrassé par les épaules dans la direction du camp.
« En rentrant, je veux une immense chope ! Pleine de bière, avec beaucoup de mousse !
— Habituellement, après on discute de la chasse ! Un retour stratégique, tu saisis ?
— Et ça peut pas se faire autour d'une bonne boisson ? Avec un bon steak ? plaida Hans.
— Si, si, ça peut… céda Quiver. »
Les deux compères arrivèrent enfin au camp pour y trouver Rush et Lotus, bras croisés, sans doute impatients de rentrer. Le barde sourit et se plaça à leur côté dans la zone de décollage. Tous les quatre sifflèrent leurs montures ailées. Au moment de quitter le sol, le barde posa une main amicale dans le dos de Rush, les larmes aux yeux, le sourire aux lèvres, il lui murmura :
« Je ne t'en veux pas. »