Deux ombres
Chapitre 11 : Une soirée difficilement oubliable
3643 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 16/02/2021 12:04
Chapitre XI — Une soirée difficilement oubliable
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Ce n’était pas dans l’habitude d’Efa d’être la première en tout, et pourtant, il fallait admettre qu’elle avait changé sa routine depuis que Uthyr s’était éveillé de sa longue convalescence.
Chaque matin, c’était elle qui se réveillait avant tout le monde, et c’était elle qui inaugurait les bains. Dylis avait beau être elle aussi matinale et se lever aux aurores, elle était toujours devancée par cette assistante bien trop enthousiaste à l’idée d’apporter à son chasseur un délicieux plateau cuisiné par Aimee et ses assistants felyns, ou de simplement venir lui tenir compagnie, bien qu’il fallût admettre que ce sentiment de joie qui l’animait et la motivait n’était pas toujours partagé par l’homme.
Uthyr ne pouvait toujours pas quitter l’aile médicale, sur ordre de la guérisseuse qui voulait s’assurer que tout allât bien avant de le remettre en liberté – Dylis savait très bien que, dès qu’elle aurait le dos tourné, il retournerait s’en prendre au premier monstre inscrit sur la longue liste des nuisibles à chasser sur ordre de la Guilde –, aussi Efa prenait-elle le soin de se plier en quatre et d’obéir à tous ses ordres muets et de subvenir à tous ses besoins. Il aurait très bien pu lui demander d’aller chasser elle-même le kulu-ya-ku pour lui cuisiner des aigrettes épicées, elle en aurait été capable, malgré son inexpérience de la pratique de la chasse. Rien n’était trop beau pour son partenaire qu’elle affectionnait tant.
« Je l’avais jamais vue aussi prompte à remplir ses tâches, blagua Cornell en croquant dans une tartine de pain sur laquelle coulait un morceau de fromage de chèvre. À croire qu’il y a baleine sous gravillon.
– Anguille sous roche, tu veux dire, corrigea Máel en faisant de même, après avoir soufflé sur sa nourriture afin de la faire un peu refroidir pour ne pas se brûler la langue.
– Je sais ce que j’ai dit, Commandant, railla l’amiral avec un immense sourire qu’il perdit temporairement lorsqu’il prit une autre bouchée et se mit à mâcher. Mais blague à part, je suis sûr qu’elle et Uthyr vont finir par officialiser tout ça très vite. Ça n’est plus qu’une question de temps. C’est certain que, dès qu’il sera sorti de l’aile médicale, ils commenceront à entamer les procédures.
– Ça, j’en doute, grommela Dylis en faisant tourner sur elle-même la tasse de céramique dans laquelle infusait sa tisane à la citronnelle. J’ai l’impression qu’il ne la supporte plus, son assistante. Et moi non plus, d’ailleurs. »
Cornell afficha un nouveau sourire, toujours aussi ravi, et s’apprêta à lancer quelques-unes de ses remarques habituelles avec grand amusement, mais Dylis y coupa court, non sans une pointe de satisfaction de pouvoir s’épargner ce calvaire.
« Elle me gêne dans mon travail. Je ne peux pas m’occuper décemment de mon patient si elle vient interférer toutes les deux secondes dans chacun de mes actes ou chacune de mes paroles. J’ai l’impression qu’elle fait ça pour se venger. Je suis sûre qu’elle me déteste et est jalouse parce qu’elle n’a pas pu le veiller quand il était inconscient. Mais j’y pouvais rien, elle ne peut pas savoir ce qu’il faut faire dans ces cas-là ! Je sais pas, moi, elle croit que je vais le lui voler ? Et puis quoi encore. Je ne fais que faire mon travail ! »
Ah, elle s’était emportée et avait haussé le ton sous l’agacement – ou bien était-ce de la colère ? – que faisait naître cette maudite jeune femme insolente. Sa voix avait un peu trop rebondi contre les murs de la cantine. Voilà qui n’était pas commun ; elle avait toujours su garder son sang-froid, la plupart du temps. Máel le lui fit d’ailleurs remarquer en riant, et elle dut lutter pour ne laisser ni le commandant de Seliana ni l’amiral voir que le sang lui montait aux joues tant elle était embarrassée par son manque de contrôle de soi.
Elle n’avait pas tort, non ? Tout portait à croire qu’Efa voulait lui faire passer un message en agissant ainsi. Un message qui ressemblerait fortement à « c’est mon chasseur, pas le tien », comme si l’assistante s’était mise en tête que Dylis avait des vues sur Uthyr.
Quelle vaste blague ! Elle n’allait pas se rabaisser à lui apporter son déjeuner sur un plateau à chaque repas, et encore moins à lui tailler la barbe à chaque fois qu’il perdait connaissance et restait alité, inconscient, plusieurs jours de suite, parce qu’il était incapable de le faire au réveil. Soigner ses trop nombreuses blessures de chasse était déjà bien suffisant.
Mais l’était-ce vraiment ?
« Tu as essayé de la rembarrer ? relança Cornell en avalant une grande gorgée d’hydromel – dès le matin ? Il était vraiment résistant et motivé, celui-là – avant de reposer sa choppe sur la table de bois dans un grand fracas, comme à son habitude. De lui dire d’aller voir ailleurs et de te laisser faire ton travail convenablement ? À ta place, je l’aurais fait depuis bien longtemps. Je ne laisse personne m’agacer impunément !
– Tu la connais, elle sera encore plus invivable, grommela-t-elle en serrant les dents. Je suis sûre qu’elle ne fait ça que parce que je côtoie son chasseur. Si ça avait été, je sais pas, Áedán, elle n’aurait rien dit, et Sadie non plus, parce que Sadie, elle, elle a compris que je ne faisais que faire mon travail. Et j’aimerais t’y voir, face à cette stupide… pie bavarde.
– Tu t’emportes encore, Dylis, » souffla Máel en lui montrant d’un mouvement des yeux le poing fermement serré qu’elle venait de cogner contre la table avant de poursuivre avidement son repas.
La jeune femme soupira. Pourquoi le sort s’acharnait-il sur elle ? Elle n’avait rien demandé, elle voulait juste faire son travail et aider ses camarades chasseurs, elle aussi, à sa manière, avec ses plantes et ses connaissances.
« Vivement qu’il s’en aille pour de bon, dans une longue expédition loin d’ici, que je retrouve ma tranquillité, soupira-t-elle à voix basse, comme pour elle-même, en engloutissant sa propre boisson. Je veux prendre des vacances, ne plus voir personne pendant des jours entiers. Juste être seule… »
Elle aperçut du coin de l’œil Efa, qui venait rapporter à Aimee le plateau de vaisselle vidé par le chasseur, où s’empilaient bon nombre d’assiettes et de bols. L’un de ses subalternes le prit, et alla le ramener dans l’arrière-cuisine, disparaissant dans un bruit léger derrière le rideau de couleur pourpre pendu à une tringle de bois. Efa quitta aussi rapidement les lieux qu’elle n’était arrivée, et en toute discrétion, ce qui était plutôt rare venant d’elle.
Bien. C’était l’heure de la visite de contrôle. Peut-être même la dernière, avec un peu de chance. Ce qu’elle espérait.
« Bon courage, lui souffla Cornell. Tu vas en avoir besoin, j’imagine.
– C’est gentil, merci. Je te rendrai ce qu’il en restera pour que tu affrontes enfin ta femme, » rit Dylis en retour avant de quitter rapidement les lieux, et de prendre la direction de l’aile médicale.
Un beau ciel clair s’étendait au-dessus de sa tête alors qu’elle avançait péniblement à travers la neige. Des tranchées avaient été creusées par le passage des gens, à défaut de pouvoir déblayer totalement la route. Cela se ferait dans la journée, si tout allait bien et qu’il n’y avait aucune urgence. Et si personne ne venait lui demander d’auscultation ou de soins, peut-être y participerait-elle. Ce pourrait être amusant, et ça l’occuperait au moins physiquement. Une bonne fatigue lui permettrait assurément un bon repos une fois étendue dans son lit.
« Je vois que je ne suis pas la première arrivée, » plaisanta-t-elle – bien que le cœur n’y fût pas réellement – en entrant dans la chambre d’Uthyr, avant de déposer sa lourde cape sur le porte-manteau, où reposaient les manteaux du chasseur et de son assistante, toujours figée sur son tabouret près de son acolyte.
Fechín l’accueillit à bras ouverts, et vint lui montrer sa dernière création ; il avait joliment reproduit en broderie sur une étoffe de couleur brune l’emblème de la Cinquième Flotte à l’aide de fils de couleur crème, et avait agrémenté le tout de motifs traditionnels dont Dylis lui avait transmis le savoir, ainsi que quelques modèles. C’était quelque peu inorthodoxe dans les faits, mais il avait su redoubler d’inventivité pour rendre cela uniforme et naturel. Dans un sens, l’élève avait dépassé le maître ! Elle le félicita longuement, et lui caressa affectueusement le sommet du crâne.
« Efa, Fechín, reprit-elle ensuite en s’avançant au cœur de la chambre, pouvez-vous nous laisser seuls un instant ? Je dois procéder à une auscultation de votre cher ami. »
L’assistante la regarda d’un air mauvais, qu’elle camoufla cependant rapidement derrière un large sourire et une grande exclamation retentissante qu’elle aurait mieux fait de garder pour elle, aux yeux de Dylis. Ils quittèrent la pièce sans trop faire d’histoires et, pour être sûre de ne pas être dérangée, la jeune femme ferma à clé la serrure. Un peu plus et elle se serait barricadée grâce à quelques meubles, mais cela aurait pu paraître incongru aux yeux du patient.
Uthyr, qui n’avait ni fait le moindre geste, ni dit le moindre mot depuis son arrivée, se leva du lit sur lequel il était jusqu’alors assis en travers. Il semblait las d’attendre et de rester enfermé entre ces quatre murs, et devait probablement être impatient de pouvoir retourner chasser. Il obéit docilement – comme toujours – lorsque Dylis lui demanda d’ôter ses vêtements de cuir et de tissu afin de vérifier s’il ne restait plus la moindre trace de poison, ni la moindre chair lésée. Par chance, elle ne vit rien, et elle se contenta d’appliquer une légère quantité de baume sur les cicatrices, au cas où l’air se refroidirait au cours de la journée, ce qu’elle estimait à la vue des nuages qui s’annonçaient à l’horizon.
« Si vous voulez, proposa-t-elle tout en se concentrant sur ce qu’elle faisait, je vous apprendrai à en préparer. Comme ça, vous n’aurez plus besoin de venir me voir aussi souvent pour que je vous en fasse de nouveaux pots tous les quatre matins.
– Merci, » dit Uthyr de sa voix rauque, qui fit vibrer sa cage thoracique sous les doigts de Dylis.
Elle lui répondit par un large sourire ravi et, tandis qu’elle se rinçait les mains à l’eau claire, elle lui annonça la nouvelle tant attendue.
« Vous pouvez rassembler vos affaires. Vous quittez l’aile médicale aujourd’hui. Vous retournez dans vos quartiers privés dès maintenant, Uthyr. »
Il sembla surpris de l’apprendre. Soulagé, mais surpris. Comme si, au final, il se sentait mieux dans cette ridicule chambre qui faisait à peine un septième de la superficie totale de ses propres quartiers privés.
Pourtant, Dylis aurait bien voulu avoir un tel endroit où vivre ; elle se souvenait encore des hauts escaliers, de l’immense cheminée en pierre, et surtout, de la partie extérieure – bien qu’elle n’eût pu la visiter alors – qui abritait un coin de pêche ainsi qu’une source thermale privée. Lorsqu’on était l’Étoile de Saphir, le grand Uthyr, tueur de vouivre immortelle, on pouvait apparemment s’offrir un tel luxe. C’était une sacrée chance qu’il avait eue, d’être au cœur de ces histoires qui lui avaient valu son titre, et d’en ressortir vivant à chaque fois.
« Faites juste attention à ne pas vous blesser dès votre reprise du travail, plaisanta-t-elle en s’approchant de la porte. La Guilde ne vous paie pas à vous blesser constamment. Et vous devez sûrement préférer vous frotter à des monstres coriaces plutôt que de passer vos journées alité en attendant d’aller mieux. »
Il commença à rassembler ses affaires – bien qu’il n’en eût que très peu dans la petite chambre – et elle fit revenir dans la pièce Efa et Fechín, avant de leur faire savoir que le chasseur quittait les lieux. L’air ravi qu’affichèrent les deux visiteurs se propagea jusqu’à Dylis qui, étonnamment, suggéra d’organiser une petite fête privée en l’honneur d’Uthyr, avec modération, compte-tenu de son état. Cela fit s’enflammer la petite troupe, et même le principal concerné semblait enthousiaste à cette idée, en témoignait le plissement de ses yeux ravis et son immense sourire.
Bien sûr, il ne fallut pas grand-chose pour que de « petite fête privée » l’on passât à « grand festin réunissant toute la colonie » ; beaucoup trinquaient dès qu’ils remettaient la main sur une chope pleine, et n’en finissaient plus de boire. Máel avait insisté pour que Dylis fût aussi mise à l’honneur – c’était elle qui avait fait tout le travail, il fallait dire – et l’avait « contrainte » à s’attabler avec lui, Uthyr, Efa, Fechín, Cornell et Heulwen.
La petite table ronde était bien remplie, entre toutes ces victuailles et chopes qui débordaient, et les gros bras de Cornell empiétaient sur l’espace occupé par Dylis, si bien qu’elle dut faire un choix entre subir de gros coups de coudes inconvenants au moindre mouvement de l’amiral, et se rapprocher de son ancien patient qui, l’espérait-elle, ne reviendrait pas la voir avant un moment. Au moins, ce dernier ne l’importunait pas, et ne risquait pas de lui crier dans les oreilles en riant, ce qui était amplement préférable.
Elle écoutait paisiblement les ragots de la foule, accompagnait leurs voix lorsqu’ils éclataient de rire, et venait rencontrer du bout de sa choppe les leurs lorsqu’ils trinquaient. Elle buvait avidement leurs paroles, en même temps que sa boisson.
La nourriture était toujours autant délicieuse. Décidément, Aimee s’était surpassée, même s’il ne fallait pas oublier ses acolytes ; d’ailleurs une jeune felyne à la robe isabelle du nom de Posie, vint leur servir un bel assortiment de charcuterie qui fut très rapidement englouti. Le large sourire qu’elle affichait laissait entrevoir ses canines, et si ses petits yeux verts ne témoignaient pas d’autant de gentillesse, elle aurait presque pu se faire passer pour une impitoyable chasseuse de monstres. Lorsqu’elle quitta la grande salle des fêtes, Dylis lui fit un petit signe de main, et le felyn lui rendit un miaulement enjoué.
Máel, assis à la gauche d’Uthyr, lui tapa vivement dans le dos alors que le chasseur avalait une gorgée de sa boisson – ce qui manqua de le faire s’étouffer – et plaisantait de bon cœur. Ses joues rougies montraient qu’il commençait à perdre ses moyens ; l’alcool lui était monté à la tête.
« Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ? Après avoir embrassé le sol, t’être déboîté l’épaule et avoir manqué de mourir empoisonné, qu’est-ce que tu vas tenter d’autre pour que Dylis te remarque ? »
Prise au dépourvu par cette remarque, la jeune femme avala de travers sa bouchée de viande, et toussota, avant de boire une longue gorgée dans l’espoir de faire passer le tout et de reprendre une respiration convenable.
À ses côtés, Cornell partit dans un fou rire impromptu, tapant du poing sur la table et écrasant toutes les autres voix autour de celle-ci. Efa, quant à elle, envoya un regard noir au commandant de Seliana – s’il n’avait pas été son supérieur, elle se serait probablement jetée sur lui pour lui faire regretter ses paroles – mais ne rétorqua pas. Il semblait qu’elle guettait elle aussi la réponse d’Uthyr, qui reprenait difficilement son souffle et se raclait la gorge.
« Allez, ne fais pas cette tête, Efa, dit gentiment Heulwen en lui tapotant sur l’épaule, tu sais bien qu’ils ne font que blaguer.
– Bien sûr, répondit Dylis en sautant sur l’occasion pour tenter de se libérer de ce mauvais pas. On n’a jamais vu de chasseur émérite finir avec une guérisseuse. Sinon, ça se saurait ! »
Elle força un rire qui pourtant parut naturel aux oreilles des autres, et Cornell la suivit, s’esclaffant de plus belle, rajoutant sur le ton de la plaisanterie que les membres de l’aile médicale n’étaient que des bons à rien qui savaient à peine se battre. Tous semblèrent oublier la question qui avait été posée, et c’était pour le mieux, aussi bien pour Dylis que pour Uthyr.
Combien de temps s’écoula après cette courte mésaventure ? On ne cherchait plus à compter le nombre de chopes vides qui avaient été remplies de nouveau. Au bout du compte, il ne restait plus grand monde dans la salle de réception, seule l’équipe habituelle tenait encore bon, même si Cornell commençait à fatiguer, ce qui était plutôt rare pour cet homme qui avait connu plus de victoires que de défaites face à son ami l’alcool.
« Tu t’en vas ? fit Máel en voyant Uthyr se relever, et tituber quelque peu avant de retrouver son équilibre quelques pas plus loin, puis de faire quelques signes et une drôle de moue pour s’exprimer. Oh, je vois, la fatigue. Peut-être qu’on t’en a trop demandé pour ce soir, après tout. Fonce te reposer, on se rattrape dès que possible ! »
Tous saluèrent le chasseur, qui leur adressa un dernier signe et un dernier sourire avant de fermer la porte derrière lui. Ses yeux semblèrent chercher jusqu’au dernier moment à croiser ceux de Dylis. Elle se contentait de balancer sa main de droite à gauche en guise de salutation, l’air de dire « à la prochaine fois ». Le courant d’air frais produit par son départ dégrisait quelque peu, et motiva la jeune femme à quitter la fête à son tour quelques instants plus tard.
« Tu vas le rejoindre ? ricana l’amiral en levant vers elle ses yeux sombres fort amusés et rieurs, comme à son habitude lorsqu’il forçait un peu trop sur la boisson.
– Retourne boire au lieu de dire des bêtises, Cornell ! sourit-elle en lui tapant gentiment sur l’épaule. Fais juste attention à ne pas te cogner. Si tu te blesses, je m’occuperai personnellement de toi, et je ne serai pas douce du tout. »
Ils échangèrent encore quelques banales piques amicales de comparses éméchés, et elle prit finalement la poudre d’escampette, sa cape chaudement enroulée autour de son cou.
Derrière elle, Fechín se servait une nouvelle part de nourriture, ainsi qu’une nouvelle chope de boisson, comme s’il essayait de compenser l’absence de son chasseur et dégustait sa part à sa place. Efa commençait elle aussi à s’endormir, presque vautrée sur la table, et tenait par on-ne-savait quelle force. L’odeur du festin que s’était ramené le palico sembla la réveiller et, après avoir croqué une ou deux bouchées dans une cuisse de volaille, elle repartit, une énergie nouvelle l’animant de plus belle.
Leurs cris et leurs rires se turent sitôt Dylis eut-elle fermé derrière elle la lourde porte de bois dans un long grincement plaintif.
Le froid de la nuit la mordit aux joues. Une bourrasque vint faire claquer sa cape dans son dos, et elle dut se battre pour la garder en place et ne pas laisser les températures basses geler son corps. Elle regretta de ne pas avoir pris ses gants ; cela lui aurait évité de sentir sa peau s’assécher par la fraîcheur de l’hiver.
C’était véritablement dommage que les environs fussent éclairés, sans quoi elle aurait probablement pu admirer les étoiles brillant dans le ciel dénué de nuages. La lune, gonflée et pleine, semblait veiller sur la ville endormie, où seuls quelques fêtards et insomniaques subsistaient.