Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 29 : Chapitre XXIX

4975 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/04/2021 18:16

Chapitre XXIX

 

 

Quand nous aurons fini de ranger, quand le jour viendra,

où nous rendrons-nous ?

Tu murmures, à ce propos :

« Nous retournerons chacun à nos vies. » *

 

Fini de chahuter – amazarashi

 

 

Ah.

Nous y voilà enfin.

Je pensais que ce jour ne viendrait jamais.

Voyez-vous, cela fait longtemps que je vous surveille. Très longtemps, pour être honnête.

Et j’ai eu grand plaisir à vous observer pendant tout ce temps. Mais la lassitude s’est emparée de moi. Je n’éprouve plus autant de satisfaction.

Aurait-il été préférable que la fin s’eût précipitée bien plus tôt ? Non, je n’aime bâcler mes histoires. Je suis adepte de la perfection, autant que faire se peut. Je façonne les intrigues, les noue et les démêle au gré de mes envies. C’est ma seule occupation. La recherche d’un divertissement sans pareil, stimulant et audacieux.

J’ai voulu tenter quelque chose avec vous ; l’interrogation du chemin qu’emprunterait ce petit microcosme me fascinait. Je pense qu’aujourd’hui, j’ai ma réponse.

Notre histoire touche à sa fin.

 

*

 

Lorsque les yeux de Valentine discernèrent enfin quelque chose à travers l’étendue blanchâtre qui avait pris place autour d’elle, il leur fallut encore cligner à plusieurs reprises tant tout était éblouissant. C’était comme si le monde entier avait disparu au profit d’un paysage immaculé, dénué de la moindre aspérité. Un univers lisse, le néant.

Peu à peu, le monde reprit ses formes et ses couleurs, bien que plus pâles, comme celles un vieux vêtement délavé à force d’usure. Rien n’avait changé ; ses ennemis et cibles étaient toujours là, entourant le corps sans vie de Gabriel Agreste, comme figés dans un moment éternel. Si Valentine s’en était mieux sortie un peu plus tôt, lors de leur confrontation, elle aurait pu tout autant mettre Rena Rouge hors d’état de nuire elle aussi, en la ramenant au sol sans Miraculous aux côtés de Thomas. Tant pis.

À ce propos, se trouvait-il toujours là-bas ? Elle voulut risquer un coup d’œil au-delà des frontières du toit, mais elle ne vit rien de plus qu’une étrange brume masquant tout. Un second regard le lui confirma : la ville entière avait disparu. Leur monde n’était plus que cette toiture couvrant le manoir, véritable île dans un océan de néant. Elle aurait bien voulu l’appeler, mais cela aurait montré sa faiblesse. Elle qui affirmait ne jamais vouloir revenir en arrière. Quelle ironie. Son esprit était décidément bien faible, à ressentir une forme de crainte de l’inconnu, et des remords.

Elle fit un pas ou deux, et remarqua au bruit que le choc de ses chaussures sur la toiture faisait qu’elle n’était plus transformée. Elle était redevenue Valentine Leclerc, une civile impuissante. Elle possédait pourtant toujours entre ses mains le Miraculous du Tigre et celui du Chat Noir, et un rapide mouvement sur ses oreilles lui confirma que la Coccinelle était toujours en sa possession. Mais où étaient les kwamis ? C’était une autre histoire.

En lâchant un soupir, elle constata la fraîcheur de l’air. Toute l’adrénaline, toute l’excitation du moment avaient laissé place au froid nocturne.

Il lui était difficile de savoir quoi faire ni que penser de cela. Elle s’était attendue à entendre une voix, à voir une silhouette apparaître. Un kwami, ou n’importe quoi qui eût le même statut – ou bien un autre, plus important – que ces divinités, celui qui conviendrait à l’appellation « Dieu » ou quoi que ce fût d’autre.

Elle risqua un pas en avant. Comme elle s’en était doutée, les trois adolescents là-bas ne bougeaient plus. Le temps était fractionné, divisé ; elle n’appartenait plus au leur. Était-ce donc cela, la transcendance ? Elle devait peut-être bien être la première humaine à amalgamer les deux grands Miraculous ; peut-être que le pouvoir que cela lui avait conféré avait fait d’elle une déesse toute puissante ? Cette pensée lui arracha un petit rire. Où était le prix à payer équivalent à celui d’un tel cadeau ?

 

« Vous avez donc réussi. Vous avez mis la main sur le pouvoir interdit. »

 

Une voix, comme un écho, provenant de toute part, l’assaillait. Elle était… inhumaine, oui. Désincarnée. Impossible de dire si c’était un homme, une femme ou quelque chose entre les deux. Ça n’était pas non plus celle d’un kwami – tout du moins, pas celle d’un kwami comme ceux qu’elle avait rencontrés.

 

« Nul besoin de vous présenter. Je sais déjà qui vous êtes. »

 

La jeune femme voulut répondre, ma sa voix se bloqua dans sa gorge. Le froid l’avait engourdie. Par quel tour de passe-passe l’hiver avait-il pris le dessus en si peu de temps ? Ça n’était pas encore la saison, pourtant. C’était à n’y rien comprendre.

 

« Cependant, vous ignorez qui je suis, n’est-ce pas ? »

 

Si les phrases précédentes avaient été prononcées d’un timbre vide d’émotions, de la dernière émanait une forme de moquerie, de raillerie. Si c’était bien là « Dieu », il était donc décidément assez condescendant. Bien entendu, s’il lisait dans ses pensées, il y avait fort à parier qu’il ignorerait sa requête sous prétexte d’un manque de respect flagrant. Mais il était hors de question de tourner les talons pour ne revenir que lorsqu’elle croirait en lui, ou quoi qu’il demandât. Elle aurait ce qu’elle voulait maintenant.

 

« Vous êtes une pauvre âme rongée par le désir et l’amertume. Vous avez été une merveilleuse actrice, votre rôle a été endossé à merveille. Oui, il a été taillé sur mesure pour vous, et vous n’avez jamais failli. »

 

Elle tourna sur elle-même, tentant d’identifier la provenance de cet étrange son qu’elle rechignait à qualifier de « voix ». Le ton employé embrouillait ses sens, elle était incapable de déterminer si cette… chose lui était hostile ou bien amicale.

Elle qui avait cru que l’amalgame serait la chose la plus simple de cette aventure, voilà qu’elle était peu à peu convaincue que ça n’était en rien ce qu’elle avait cru.

 

« Votre appel pour me rencontrer aura été votre plus belle œuvre. Tant d’émotions, tant de désir. Votre kúkneion âisma, votre chant du cygne. Vous avez semblé prête à tout abandonner de vous pour parvenir jusqu’ici. Vous n’avez jamais été une déception pour mon divertissement. »

 

Un sentiment désagréable de n’avoir été qu’une marionnette tirée par des fils invisibles la prit, nouant ses entrailles et brûlant sa gorge.

Valentine serra le poing. Cette chose tentait de la manipuler. Elle devait s’y opposer, elle devait lutter ! Toutes ses actions, tous ses choix n’avaient pas été vains, elle voulait garder cette conviction !

 

« Montre-toi ! » hurla-t-elle à s’en détruire les poumons tandis que le froid la pénétrait comme autant d’aiguilles de glace – l’ironie la frappa tandis que le souvenir de son meurtre de sang-froid sur le Papillon lui revenait.

 

La chose lui fit part de son amusement en émettant un petit bruit, semblable à celui qu’elle-même pouvait émettre lorsque s’esquissait un sourire sur ses lèvres dans un petit souffle de nez. L’écho cessa, et quelque chose vint à elle depuis le ciel brumeux.

 

Elle tendit les mains pour la réceptionner tandis que la créature descendait doucement, se détachant du brouillard blanc, jusqu’à prendre place en lévitation au creux de ses doigts.

 

« Je suis Nüll. Tout du moins, c’est ainsi que j’ai choisi de me nommer.

– Nüll ? répéta Valentine, interdite. C’est toi, celui que certains qualifient de Dieu ? »

 

La créature acquiesça sereinement, comme si cela n’avait été qu’une formalité. Son rôle ne devait pas être pris au sérieux, semblait-il.

Nüll ressemblait à s’y méprendre à un kwami. C’était une chose à peine plus grosse que ses frères et sœurs, peut-être d’un ou deux centimètres plus haut, et possédait des caractéristiques similaires ; un corps fin pourvu de quatre membres, et une tête ronde qui mesurait la moitié de sa taille. Une longue antenne s’étirait depuis le sommet de son « crâne », et un semblant de queue, tout aussi fine que l’antenne, ondulait, bien qu’il n’y eût aucune brise pour la soulever.

Son corps était aussi sombre que la nuit, encore plus noir que pouvait l’être Plagg lui-même. Drôle d’apparence, pour un kwami qui s’apparentait à « Dieu », ce dernier étant assez souvent, dans l’imaginaire collectif, synonyme de pureté, elle-même représentée par la couleur blanche. Et, au milieu de ce qui semblait être son visage, trois yeux ronds, blancs et à l’iris grisâtre s’écarquillaient. Leurs pupilles fixaient Valentine, qui se retrouvait bien mal à l’aise face à cette… chose.

 

« Cela fait longtemps que j’attends de vous rencontrer de moi-même, ajouta Nüll. Il aura fallu que je vous donne un peu d’aide, vous sembliez fort embarrassée de parvenir jusqu’à moi. »

 

Ce fut sur ces paroles qu’elle réalisa qu’il n’était pas même doté d’une bouche. Pourtant, il ne s’agissait pas de télépathie, contrairement à quelques instants plus tôt. Non, sa « voix » émanait de lui, de son « visage » et de son « corps », sans que de quelconques lèvres ne s’entrouvrissent ou se fermassent pour former les sons.

 

« Qu’est-ce que tu veux dire par-là ? grommela-t-elle en fronçant les sourcils.

– Eh bien… Tout simplement, je vous ai guidée jusqu’à moi. Dans un sens. »

 

Cette manie qu’avait le kwami de s’exprimer avec mystère irrita la jeune femme. Elle inspira profondément, tentant de se calmer par la même, mais elle était tout bonnement exaspérée par tant de secrets.

 

« Je vous observe depuis le début. Depuis le tout début. Là où je sommeille, j’observe tout ce qu’il est possible d’observer. Et lorsque ce que me propose l’univers ne me divertit plus autant, je l’influence afin qu’il m’offre quelque chose de plus intéressant. Et je pense que votre histoire, Valentine, m’a été des plus passionnantes. Tant de rebonds, tant d’émotions. C’est bien là le propre de votre espèce : vous ne cessez jamais de m’intéresser. »

 

Il sembla remarquer enfin la mine froissée qu’elle arborait, puisqu’il entra un peu plus dans les détails.

 

« Je suis l’observateur et le scénariste ; la créature qui gouverne le monde et qui le surveille. N’avez-vous jamais songé, un jour, que certaines coïncidences paraissaient trop évidentes pour être fortuites ? Comme, par exemple, que vous soyez compatible avec le Miraculous de Roarr ? Et que, selon ses dires, l’élément de la terre est son préféré, qu’elle considère comme le plus noble ?

– Chacun a ses préférences, défendit Valentine – elle croisa les bras en position de défense, Nüll virevoltant toujours de haut en bas, comme en apesanteur, face à elle – tandis qu’elle refusait ce qu’elle était en train de comprendre.

– Il est vrai que vous avez vous-même des préférences ; c’est une évidence, même. Mais ce soir-là, vous avez plongé votre main dans la boîte en attrapant « le premier venu ». Tout du moins, c’est ce que vous croyez. Le choix n’était pas vôtre. Je l’ai fait à votre place. Je vous ai inspirée à saisir entre vos doigts le bracelet de Roarr.

– Et pourquoi donc ? J’avais une chance sur douze de la prendre elle. Il était hors de question d’utiliser le Renard ou l’Abeille. Ils ne m’intéressaient pas.

– Vous vous contredisez, sembla ricaner Nüll en face. Quoi qu’il en soit, je savais que vous en feriez le meilleur usage. C’était la meilleure des possibilités, celle qui m’offrirait un spectacles des plus inoubliables. Et j’ai eu raison. La preuve. »

 

Il l’invita silencieusement à observer autour d’elle, et contempler l’étendue de… de quoi, au juste ? Des conséquences de ses choix ? Elle ne regrettait rien. Si elle devait contempler tout cela, c’était uniquement dans le but de prendre une forme de plaisir, de s’autocongratuler. Avec sa ténacité, et avec les pouvoirs de Roarr, elle était parvenue bien plus loin que n’importe qui avant elle.

Elle avait découvert l’identité de Ladybug et Chat Noir, ce que s’évertuait à faire le Papillon depuis quelques années. Et elle avait trouvé qui il était – ainsi que son assistante –, ce pour quoi bataillaient les deux adolescents depuis tout autant de temps. Elle avait mis la main sur un Miraculous gardé avidement dans une vulgaire boîte par un Gardien incapable qui n’avait jamais trouvé le courage de partir à sa recherche.

Et pour finir, elle avait invoqué Nüll, le Dieu des kwamis. Elle était parvenue jusqu’au « vœu », à la toute-puissance convoitée par d’autres avant elle.

 

« Vous ne seriez jamais parvenue à un tel résultat avec un kwami autre que Roarr. Elle seule pouvait vous mener jusqu’ici. Cela m’étonne qu’elle vous ait laissée faire, d’ailleurs, j’aurais cru qu’elle vous trahirait lamentablement une fois sa liberté retrouvée. C’est allé au-delà de mes espérances. Je vous le disais : votre histoire était des plus intéressantes. »

 

Non. Valentine refusait de croire que tout cela était l’œuvre d’un stupide « dieu » à peine plus grand qu’un livre. Et la notion de libre-arbitre, qu’en faire ?

Elle ne pouvait admettre – elle refusait d’admettre – que ses choix et son destin eussent pu dépendre – et en dépendaient encore ! – du bon vouloir et des caprices de cette… chose !

 

« Qu’est-ce que tout ça signifie ? demanda-t-elle. Je n’étais qu’un pion que vous bougiez sur un échiquier, juste pour voir ce que ça donnerait ?

– On peut dire cela. J’éprouvais juste une forme de lassitude à observer les agissements de ces personnes-ci, dit-il encore et toujours sur ce même ton plat et irritant, tout en désignant du bout de la patte le groupe figé dans le temps qui se tenait un peu plus loin. Le choix de faire sortir de l’ombre une personne sans histoire, une inconnue de l’équation, m’a paru être assurément une source inépuisable de délectation telle que je n’en avais que rarement éprouvée. »

 

Les trois yeux restaient rivés sur son visage. Un sentiment de malaise la prit, de même qu’une nausée commençait à monter. Elle sentit son ventre se nouer sous l’appréhension de ce que la créature allait continuer à lui raconter encore et encore.

N’était-ce pas trop facile ?

Se dire que, depuis le début, tout était joué, qu’une sorte de divinité suprême avait depuis tout ce temps eu la mainmise sur ses choix et actions… N’était-ce pas trop facile ?

 

« Tout cela n’est qu’une histoire parmi tant d’autres. Je possède la capacité de concevoir et modifier cet univers, puisque je suis cet univers.

– Qu’est-ce que tu veux dire par-là ? Ne dit-on pas que la première créature à être née après le Big Bang était Tikki, la Création même ?

– Mais n’y avait-il pas déjà un concept autre avant celle-ci ? »

 

Bien qu’ils ne clignassent pas, ni ne se plissassent de quelque forme qu’il fût, les trois yeux circulaires semblaient interrogateurs, et taquins. Oui, il lui posait une question dans le seul but de s’amuser de sa réponse. Et, bêtement, elle allait donner au kwami ce qu’il attendait : de l’amusement.

 

« Le néant, souffla finalement Valentine.

– Exactement. Je suis l’incarnation du néant.

– Mais n’est-ce pas paradoxal ? reprit-elle en inclinant la tête sur le côté. Car le principe du néant, c’est qu’il n’y ait rien. Si quelqu’un – ou quelque chose – venait à incarner ou représenter le néant, peu importe la manière, ce serait à l’opposé de la logique.

– Pourtant, je suis là, j’existe. Et je gouverne les lois de ce monde. Alors si ma présence-même dans cet univers enfreint les lois, je n’ai qu’à les réécrire. »

 

Il tournoya autour de la jeune femme, comme s’il l’examinait sous toutes les coutures, ce qui la mit plutôt mal à l’aise, il fallait l’avouer. Après deux ou trois tours, il se remit à hauteur de son visage.

Quelque chose dans son regard intriguait Valentine, bien qu’elle ne sût exactement quoi. Il partageait un air intrigué, une forme de curiosité ; cela ne lui inspirait pas confiance. Voilà que les remords la rattrapaient de nouveau, et lui serraient la gorge, lui donnant l’impression d’étouffer. Elle déglutit difficilement, tentant de sauver les apparences et de garder un air sûr.

 

« Vous devez vous poser tant de questions, dit Nüll en acquiesçant – malgré cela, ses yeux ne bougeaient absolument pas, seule sa tête tournait sur elle-même. Mais j’en ai une des plus importantes. »

 

Il s’approcha un peu plus de son visage. Son corps minuscule de kwami éloigné de seuls quelques petits centimètres d’elle dégageait un étrange parfum. Comme s’il s’en dégageait toutes les odeurs les plus agréables qu’elle eût connues et aucune, le tout à la fois. Une relent de métal rouillé, ou encore les effluves du pétrichor tourangeau, voire même celle du café trop fort aux senteurs de cannelle que préparait et ingurgitait son père lorsqu’elle était encore jeune. Le doux souvenir de cette fois où elle avait voulu y goûter, sous son regard amusé, et qu’elle avait soudainement froncé le nez tant la cannelle et le café étaient trop forts pour son pauvre palais peu entraîné lui revint en mémoire et la fit sourire, avant de s’évaporer dans un nuage d’amertume.

Son père.

Sa mort avait donc été entièrement décidée par cette créature ?

 

« Que voulez-vous faire du pouvoir que je vous accorde ? » demanda le kwami, sa voix écrasant toutes celles qui grondaient en elle.

 

Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, interdite. Difficile de garder les idées en place dans de telles circonstances. Avait-elle fait fausse route depuis le début ? S’était-elle opposée aux mauvais ennemis ? Non

 

« Je vous octroie une infime fraction de l’étendue de mes capacités, annonça-t-il solennellement. Je peux réécrire les lois de sorte à vous donner quelque chose que vous désirez. Sachez seulement que ce que vous obtiendrez, quelqu’un d’autre en ce bas-monde le perdra. L’univers doit garder un équilibre et, admettez-le, rien ne serait amusant si tout le monde y gagnait quelque chose. »

 

Comme ce à quoi elle aurait pu s’attendre. Il était impossible de souhaiter la paix dans le monde avec lui, car ce « dieu » trouverait un moyen détourné d’infliger à l’humanité les pires fléaux en retour. Si elle avait trouvé que certaines personnes sur Terre étaient l’incarnation du mal – pour ne citer qu’une personne, elle avait bien en tête la figure d’un moustachu autrichien du siècle dernier –, elle devait admettre que Nüll était un niveau au-dessus : il était la pire des choses qui avaient pu naître dans l’univers imaginable.

Sous ses airs effrayants et innocents à la fois – comment pouvait-il être tout et son contraire ? C’était un mystère auquel elle ne pourrait probablement jamais répondre – il inspirait une forme de conscience, mais plus la discussion s’éternisait et plus elle réalisait qu’elle s’était laissée entraîner par ses belles paroles empreintes d’une forme de sagesse.

En réalité, Nüll était comme les autres : un manipulateur qui prenait son pied en arrachant à autrui ce qui lui tenait à cœur.

 

Peut-être était-ce une réaction démesurée, mais en cet instant, Valentine eut le sentiment qu’il lui avait tout volé.

 

« Il doit bien y avoir une limite à ce que je peux souhaiter, non ? grinça-t-elle. Si je demandais, par exemple, à devenir Dieu, tu ne pourrais tout de même pas sacrifier ton essence dans son entièreté pour que je te remplace.

– Il est vrai que votre remarque est pertinente. Mais sachez que rien n’est immuable, seul l’équilibre de cet univers doit être maintenu. Mais avouez que vous ne désirez pas devenir une entité omnipotente. Ce n’est pas ce que vous souhaitez. Malgré tous les actes de cruauté gratuite que vous avez commis, vous restez une humaine. »

 

À écouter Nüll, cela ressemblait presque à une insulte, ou à du mépris. La manière dont sa « voix » avait articulé le dernier mot ne laissait aucun doute sur sa manière de voir les choses. Quel hypocrite. Il faisait les yeux doux – si cette vision effrayante pouvait être douce de quelque manière que cela fût – comme s’il tentait d’amadouer la jeune femme, tout en exprimant ouvertement son dédain envers les autres êtres qui peuplaient ce monde, et qui, visiblement, ne servaient qu’à entretenir son divertissement.

 

« Je ne fais que poser des questions, rétorqua Valentine en haussant les épaules, faisant comme si rien de cela ne l’atteignait. Mais est-ce moi qui pose les questions, ou bien ne m’influences-tu pas pour que je m’interroge ? La notion de libre-arbitre a bien été bafouée, d’après ce que j’ai compris.

– Les humains et leur crainte du déterminisme, soupira le kwami en penchant la tête sur le côté – bien que ses yeux ne bougeassent pas pour autant ; décidément, c’était très étrange – comme le ferait Valentine elle-même à sa place. Dès lors que j’ai insufflé les notions de philosophie aux Hommes, ils ont commencé à se questionner beaucoup trop à mon goût. C’était, cela dit, très amusant de les voir autant torturés par leurs états d’âme. »

 

Il fit un tour sur lui-même ; la jeune femme tenta d’ignorer ces trois yeux qui continuaient à la fixer malgré cela. Puis il reprit.

 

« Je ne fais que donner un coup de pouce, oui, c’est ça, je vous pousse à agir lorsque vous n’osez pas. Imaginez-moi comme cette petite voix qui vous dit de sauter lorsque vous vous trouvez devant une falaise, comme le petit démon sur votre épaule qui vous susurre de commettre l’irréparable même si votre raison vous l’interdit. Je pense que vous pourriez me comparer d’une telle sorte sans vous tromper.

– C’est tout de même osé que nos vies, nos destins, soient uniquement les conséquences des choix d’un kwami. Mais que pourrais-je y faire ? soupira-t-elle d’un air faussement déçu. Le monde est ainsi fait, et moi seule ne pourrais rien y faire. »

 

Oubliant son air solennel qu’il avait si bien entretenu depuis le début de leur entrevue, Nüll commença à rire. Au début, ça n’était qu’un petit murmure, à demi étouffé. Mais il se transforma bien rapidement en un ricanement des plus inquiétants. Valentine voulut reculer, mettre un peu de distance entre elle et cette bien étrange créature, mais son corps refusait d’obéir. Allons bon. Était-ce le choix de Nüll, ou bien était-elle tout simplement suffisamment tétanisée pour rester ainsi paralysée ?

Elle tenta de se concentrer, hurlant mentalement à ses jambes de réagir selon ses désirs à elle, et non pas ceux de cette divinité qui n’en faisait qu’à sa tête et se jouait d’elle. Rien n’y faisait. Elle ne pouvait que respirer difficilement – ses poumons lui faisaient mal, comme si le froid ambiant, qui ne cessait de croître, et les figeait sous une couche de glace – et attendre que Nüll lui donnât ce qu’elle attendait. Ce « vœu », ou peu importait comment il souhaitait appeler cela, pouvait prendre n’importe quelle forme, et tant qu’elle n’était pas certaine d’avoir obtenu sa récompense, elle ne pourrait fuir.

Oui, tout ce qu’elle voulait, c’était réparer le passé, et fuir ce kwami.

 

« Je sais ce que vous attendez, fit la divinité en reprenant le contrôle d’elle-même. Je voulais juste tester votre patience, voir vos réactions. Vous êtes très intéressante, Valentine. Vous avez beau avoir douté de vous, vous n’avez rien lâché. Peu importaient les sacrifices à faire – vous éloigner de ceux que vous appréciez, détruire un peu plus le cœur d’enfants, tuer un homme de sang-froid –, vous êtes parvenue jusqu’à moi sans jamais céder. »

 

Il vint coller son « visage » à celui de Valentine. Elle était désormais convaincue qu’il était parvenu à briser le masque qu’elle avait revêtu ; il semblait sentir la peur qu’il lui inspirait. Et elle détestait cela. La sensation que quelque chose frôlait sa peau sans pouvoir réellement la toucher était tout bonnement désagréable.

 

« Formulez votre vœu, Valentine. Dites-moi de quelle manière vous voulez reformer la réalité pour qu’elle convienne à vos désirs. »

 

Elle serra le poing, se redressa de toute sa hauteur, et affronta la « chose » du regard. Elle ne devait pas vaciller. Elle devait rester sûre d’elle. Tout cela, elle l’avait fait pour une raison, une seule.

Il était temps d’endosser toutes les responsabilités. Tout ce qu’elle avait fait. Tout trouverait sa fin en cet instant.

 

« Nüll, articula-t-elle clairement. Kwami du Néant. Je te soumets ma requête. »

 

Il semblait satisfait. Pour peu, elle aurait cru qu’il jubilerait.

 

« Je voudrais que mon père soit toujours en vie, qu’il n’ait pas été la cible d’une des attaques hasardeuses de ce Chat Noir possédé. Je veux que son histoire reprenne son cours, paisible comme elle aurait toujours dû être.

– En êtes-vous bien sûre, Valentine ?

– Peu importe le prix à payer, répondit-elle avec assurance. Il ne mérite pas que sa vie se soit ainsi achevée, pas de cette façon. Elle vaut plus que n’importe quelle autre dans cet univers. Alors chamboule le temps comme ça te chante, mais rends-lui la vie qu’il menait dignement avant que tout ça ne commence. »

 

Les trois yeux de Nüll l’observèrent, sans ciller.

Puis ils se tournèrent chacun dans une direction ; impossible de dire ce qu’il faisait ou voyait, mais il semblait particulièrement concentré, comme en pleine méditation.

Lorsque cette phase sembla achevée, les trois pupilles revinrent se figer sur son visage.

 

« Votre prix sera cher. Très cher. En êtes-vous bien sûre ?

– Prends tout ce que tu voudras. Les vies de ces gamins contre la sienne, le corps de cet homme, n’importe quoi qui fera l’affaire. »

 

Le kwami s’approcha de nouveau d’elle. Il aimait visiblement laisser traîner l’affaire pour la savourer le plus possible. Et Valentine détestait le suspense lorsqu’elle ne le maîtrisait pas.

 

« Ce que vous obtiendrez, répéta le kwami, en écho à ses paroles prononcées un peu plus tôt, quelqu’un d’autre en ce bas-monde le perdra. Rien ne serait amusant si tout le monde y gagnait quelque chose. »

 

L’ironie frappait, n’est-ce pas ?

 

« Je ne vous ai pas encore tout volé, Valentine, dit le kwami d’un ton qui trahissait une forme d’avidité. Mais dès lors que votre père reviendra à la vie, je prendrai la vôtre en tribut. »



_______________________________


*『片づけが終わったら 朝が来たら

僕らはどこに 向かうんだろう

それはね それはね 君がつぶやく

「それぞれの人生に戻るの」』


「馬鹿騒ぎはもう終わり」- amazarashi

Laisser un commentaire ?