Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre XXI
Je n’ai ni rêve, ni espoir, ni but,
ni alliés, ni alliés, ni alliés.
Je hais les gens, je hais le monde, je hais les mots.
Passé, futur, je les crains, les crains, les crains. *
– Maladie du néant – amazarashi
Se tournant et retournant dans son lit, Valentine ne parvenait à trouver le sommeil. Les événements du début de semaine revenaient sans cesse dans sa tête, et la désagréable douleur de sa blessure la lançait toujours autant lorsqu’elle faisait le moindre mouvement. Son téléphone, lorsqu’elle l’alluma, lui indiquait qu’il était deux heures du matin, passées depuis maintenant un petit moment. Elle avait beau avoir pris un cachet de ces médicaments aux plantes censés favoriser le sommeil, il n’en était rien, et tout ce que cela avait produit chez elle était un engourdissement de ses membres, mais pas de rêves à l’horizon.
Elle attrapa son téléphone, et décida de faire un tour sur les réseaux sociaux. Un hashtag sur Twitter, utilisé par un certain nombre de personnes, relayait des photos prises à la volée de « Porte-Bonheur », comme elle se faisait appeler. Soit, la remplaçante de Marinette n’avait visiblement aucune inspiration quant à son nom de scène, c’en était risible.
Elle alla chercher dans les autres tendances, et vit que l’une d’elle portait le surnom de son personnage. Un « #Tigresse » qui rassemblait lui aussi beaucoup de monde, mais pas pour toujours dire beaucoup de bien à son sujet. Parfois, au détour d’un ou deux messages presque haineux qui devaient sûrement entrer en contradiction avec les termes et conditions d’utilisation du site et de l’application, elle tombait sur les tweets d’inconnus se demandant qui pouvait bien être cette femme. D’autres parlaient de ratisser la ville en entier avec sa photo sous les yeux pour la retrouver. Cela ressemblait presque à une chasse aux sorcières. Mais il était amusant de constater que toutes ces personnes se cachaient sous des noms d’utilisateur inventés, pseudonymes ou codes qu’eux seuls comprenaient. Ils avaient bien trop peur d’elle pour oser s’afficher sous leurs véritables identités.
Sa cicatrice la lança lorsqu’elle voulut tirer un peu plus la couette pour se réchauffer. Elle exprima une grimace de douleur, et décida de se relever pour prendre un comprimé analgésique. En se dirigeant vers la cuisine, elle réveilla Roarr qui somnolait tranquillement, roulée en boule sur le canapé. Pour peu, on aurait presque pu croire qu’elle était un véritable chat tant elle se comportait comme ces créatures lorsque venait l’heure de dormir.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? fit-elle en bâillant et en s’étirant de tout son long.
– Insomnie. Ça m’arrive parfois.
– Et ça, c’est… ?
– Des médicaments pour ne plus avoir mal. Enfin, j’espère. »
Elle avala tout rond le comprimé, suivi d’un verre d’eau, priant pour que l’effet se fît sentir au plus vite. Puis elle retourna dans la chambre, s’étendant sur son lit, couchée sur le dos, les yeux rivés vers le plafond. Elle inspira un grand coup, expira tout l’air retenu dans ses poumons, et se tourna pour se remettre sur le côté. Toujours son téléphone en main, elle reprit sa lecture des derniers tweets à son sujet, mais rien ne l’intéressait plus désormais.
Elle décida alors d’ouvrir Facebook, et de fouiner à droite à gauche sur les profils. Elle trouva bien celui de Marinette, mais il n’y avait aucune information croustillante à son sujet, de même que pour ses camarades. Elle était certaine que Porte-Bonheur était une de ses proches « amies » – elle allait jusqu’à englober la fameuse Chloé Bourgeois dans le lot, quand bien même les deux adolescentes fussent plus ennemies qu’amies – et était décidée à la trouver elle aussi. Mais ses souvenirs de sa confrontation avec la pseudo-héroïne étaient un peu trop flous, et elle se maudissait d’avoir été si faible face au maudit papillon qui lui avait été envoyé.
Et pourtant, cela relevait presque du miracle qu’elle eût été capable de lui résister aussi longtemps. À sa connaissance, les individus pris d’assaut ne luttaient qu’à peine, succombaient bien trop vite au pouvoir de cet homme. Et elle, elle était parvenue à rester à demi consciente des événements. C’était un bon début.
« Tu m’as fait peur tout à l’heure, glissa Roarr en se faufilant près d’elle. J’ai vraiment cru que tu allais te faire avoir pour de bon.
– C’était pas le cas ? grimaça la jeune femme. Il m’a carrément eue.
– Mais tu savais ce que tu faisais ! Au moins un peu.
– Ouais, on va dire ça. »
Elle repensa à la drôle sensation qu’était celle de se faire posséder par le Papillon. C’était, en toute honnêteté, très tentant de céder face à lui. Il savait persuader de sa voix suave, lorsqu’il parlait. Et la puissance qui se déversait dans chaque partie du corps lorsqu’on le laissait gagner était plus qu’agréable. C’était, à bien y repenser, fort similaire à l’afflux d’essence divine de Roarr ; ce devait être l’effet de chaque kwami sur le corps. Même si elle s’était refusée de s’abandonner à cet homme, elle avait finalement préféré laisser son pouvoir s’offrir à elle. Elle était décidément bien faible.
« Crois-tu qu’il sache qui je suis ? Je crois qu’il m’a dit qu’il connaissait ma haine…
– S’il a ressenti ta haine aussi bien en tant que Valentine qu’en tant que Tigresse… Ça ne fait aucun doute. Il ne te connaît peut-être pas, mais je suis sûre qu’il a compris que ces deux personnes ne faisaient qu’un.
– Dans ce cas pourquoi ne vient-il pas me chercher ici ?
– Peut-être qu’il veut que tu le rejoignes de toi-même, et pas en te contraignant ? »
Valentine haussa les épaules – du mieux que sa position put lui permettre – et éteignit son téléphone, le remettant sur la table de nuit. Lorsque sonnerait le réveil, elle serait certainement un véritable cadavre vivant. Peut-être pourrait-elle sécher sa journée ? Ce serait d’ailleurs bien si elle daignait remettre le pied à l’université. Ash la harcelait de messages, pour lui transmettre tous les cours qu’elle pouvait, et pour savoir quand elle reviendrait. Il y avait aussi cet apéro dont elle avait parlé, à faire avec plusieurs amis, mais Valentine savait très bien qu’il y aurait au moins Quentin et Thomas, et ne voulait absolument pas les revoir, encore moins le second que le premier.
« Est-ce que tu as reparlé à ton sauveur ? demanda innocemment le tigre en s’étirant une nouvelle fois, avant de se replier sur lui-même. Ce serait peut-être bien que Tigresse le remercie pour son aide.
– Ouais. On verra, souffla Valentine. Je t’ai déjà dit que je comptais pas le revoir.
– Pourquoi donc ?
– C’est compliqué. »
L’agressivité avec laquelle la jeune femme avait répondu au tigre la surprit. Un sentiment de culpabilité la prit presque aussitôt, et la fit regretter ses paroles.
« Les relations humaines sont parfois pas si simples, se justifia-t-elle pitoyablement en tournant le dos à la petite créature. Lui et moi, on était pas faits pour s’entendre, c’est tout.
– C’est ce que tu dis, sourit Roarr. Mais tu es sûre que ce n’est pas juste pour t’en persuader que tu dis ça, pour ne pas regretter ? »
Valentine retint un rire amer. Ce tigre était bien trop clairvoyant. Elle n’appréciait pas trop ça.
« Va savoir, souffla-t-elle finalement. Peut-être qu’on en parlera un jour à cœur ouvert toi et moi. Peut-être. »
Cette réponse un tantinet optimiste ravit le kwami, qui sentit ses paupières s’alourdir. Elle ajouta cependant, avant de sombrer :
« Ce serait bien qu’un jour tu me racontes tout, depuis le début. Si je ne te connais pas assez, je ne pourrais jamais assez bien te servir. »
Raconter toutes les raisons qui ont mené à ce qu’elle était aujourd’hui ? Pour la première fois, Valentine ressentit un besoin de se confier à quelqu’un. Roarr pouvait peut-être devenir cette confidente dont elle avait cruellement besoin. Bien qu’elle craignît qu’elle ne fût qu’une de ces personnes – et créatures ? – qui l’utilisaient, l’envie de parler se fit forte, et oppressante.
« Oui, c’est vrai. On en reparlera, » murmura-t-elle avant de se blottir contre le minuscule être, l’enserrant de ses bras à la manière d’une peluche réconfortante.
*
« Vous savez très bien pourquoi je vous ai convoquée.
– Je savais que vous finiriez par revenir. Avouez que vous ne pouvez pas vous passer de moi. »
Gabriel sourit. Cette petite avait du cran et n’osait pas être franche face à lui, qui inspirait pourtant la crainte même chez les plus aguerris des hommes de cette ville. À ses côtés, Nathalie, dont le visage était horriblement pâle – encore un des effets du Miraculous endommagé –, semblait désapprouver l’acte qu’il commettait en parlant à cette adolescente.
« J’aurais besoin que vous éloigniez Adrien d’une personne nuisible.
– C’est comme si c’était fait, sourit l’adolescente à pleines dents. Qui est cette personne ? »
Elle posa la tasse de thé qui lui avait été servie dans la coupelle assortie. Le restaurant où ils s’étaient retrouvés était vide, comme s’il avait été privatisé pour eux trois, pour leur simple discussion.
Gabriel, en face, fit signe à Nathalie, qui ouvrit la pochette qu’elle gardait sur les genoux, et en sortit une photo, prise à la volée, d’une jeune femme que Lila reconnut tout de suite.
« L’assistante de langue ? C’est quoi déjà son nom ?
– Valentine Marceline Éléonore Leclerc, annonça la femme avec sérieux. Née le six janvier mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit, à Tours. Parents séparés, fille aînée d’une fratrie de trois, vit à Paris pour ses études depuis trois ans. Bilingue en anglais, bonne maîtrise de la langue chinoise, étudiante en LEA. Pas d’antécédents criminels ni de casier judiciaire. Utilisatrice fantôme des réseaux sociaux, où elle ne publie rien. Une fille sans histoire.
– Je vois, acquiesça l’adolescente, faisant onduler ses cheveux châtain soigneusement brossés et coiffés. Et que voulez-vous que je fasse ?
– Elle est une nuisance. Je la soupçonne de chercher à manipuler Adrien.
– Vous voulez que je la fasse se faire virer ? »
L’homme haussa les épaules ; en face, la jeune fille fit couler un peu plus d’eau dans sa tasse où trempait toujours le sachet de thé. Le liquide prit une couleur rouge alors que l’infusion se faisait.
« Faites ce que vous voulez, ce que vous pouvez. Mais éloignez cette femme de mon fils.
– Je ne l’apprécie pas plus que ça, ricana Lila, alors je m’amuserai bien avec elle. »
Elle croisa les bras sur sa poitrine et s’enfonça un peu plus dans le dossier de sa chaise confortable. L’air suffisant qu’elle afficha prouvait qu’elle était sûre d’elle et de la méthode à suivre pour parvenir à ses fins. Parfois, cette gamine pouvait être effrayante. La manipulation dont elle était capable était très utile pour Gabriel, mais il se demandait si elle n’était pas, en fin de compte, une possible rivale des plus dangereuses.
Ressaisis-toi, se dit-il. Craindre une gamine ? Et puis quoi encore ? Il avait un honneur, une fierté, il ne pouvait pas ressentir de peur face à elle. Au contraire ! Elle devait le craindre lui !
« Bien, » fit-il en se levant avec tout le calme et la froideur qu’il lui était permis d’exprimer.
Nathalie se hâta de ranger la photographie, avec de nombreuses feuilles, certaines comportant des notes manuscrites et d’autres dactylographiées. Puis elle imita son employeur, et se redressa, ignorant le vertige qui la prit de court.
« Sur ce, ajouta l’homme en toisant de haut l’adolescente qui était restée tranquillement assise et l’observait en plissant ses yeux de la couleur de l’olive, nous nous reverrons lorsque vos actions auront porté leurs fruits.
– À très bientôt, je l’espère, » répondit-elle avec un large sourire.
Gabriel tourna les talons sans lui accorder plus d’attention, rapidement suivi par son assistante, qui fixa un instant tristement la jeune fille. Sans prononcer le moindre mot, toujours emmurée dans ce douloureux silence, elle monta à son tour dans la voiture, s’installant sur la gauche de la banquette arrière. Le Gorille maintenait fermement le volant entre ses doigts menus et attendait le signal pour démarrer, qui ne tarda pas plus.
« Quelles informations avez-vous amassées sur cette jeune femme ? J’imagine que vous lui avez caché le plus intéressant pour nous.
– En effet. Voilà le rapport complet. »
La femme lui tendit une feuille noircie de caractères de chaque côté. Seule une photo de la « cible » égayait le tout, de son teint pâle et de ses yeux maquillés.
« Intéressant, » murmura Gabriel.
Il aimait particulièrement ce qu’il lisait.
La jeune femme avait visiblement de fortes pulsions autodestructrices. Cela ne datait pas d’hier, mais cela s’était intensifié avec le décès prématuré de son pauvre père. Il s’en souvenait, c’était particulièrement intéressant. Une expérience qu’il réitèrerait volontiers. Lui qui s’était toujours demandé si un cataclysme pouvait tuer un individu, et si l’héroïne-coccinelle pouvait ramener la victime à la vie, il avait eu sa réponse servie dans un plat d’or serti de diamants. Quel dommage que la cible de cette attaque eût été un homme sans histoire.
Quoique…
Maintenant qu’il y repensait, la première apparition de Tigresse faisait peut-être suite à ces événements. Il se souvenait particulièrement de la douleur et de la haine qui avaient fait écho avec l’empathie de Nooroo – et de fait, qu’il avait ressenties grâce au kwami – et, d’une manière des plus intéressantes, ces sentiments n’avaient jamais décru. Il ignorait tout ce qui avait pu se passer dans la vie de la jeune femme, mais il était prêt à parier que ces fortes émotions négatives qui avaient vibré dans son cœur étaient toutes liées à cette Valentine.
« Nathalie, avez-vous remarqué quelque chose qui pourrait ressembler à un Miraculous chez cette demoiselle ?
– Vous pensez qu’elle se cache sous l’apparence de Tigresse ?
– Simple supposition. Mais si je ne me trompe pas, alors j’ai le piège idéal pour qu’elle se soumette à nous. »
La femme passa sa main dans ses cheveux courts, mêlant le noir aile de corbeau à la mèche rouge, et essuya rapidement ses lunettes. Extirpant de sa pochette une tablette tactile, elle fouilla dans toutes les archives qu’ils possédaient afin de vérifier.
« Je n’en suis pas complètement certaine, commença-t-elle, mais je pense que votre intuition était bonne. Regardez, » ajouta-t-elle en lui tendant la tablette à son supérieur.
Sur la photographie affichée, un cliché de la jeune femme, un étrange bracelet décorant son poignet et sa main droite. Elle se trouvait assise à une table de bar, en compagnie d’un jeune homme de sa tranche d’âge, chacun avait une pinte de bière dans la main. Elle était souriante, complètement heureuse.
« Si je ne m’abuse, d’après le grimoire, le Tigre reposerait dans un bracelet de Panja. Une fois camouflé, il pourrait ressembler à cela, indiqua-t-elle en pointant du bout du doigt le bijou porté par la jeune femme.
– Il ne reste plus qu’à vérifier notre théorie. Nous ferons sortir le tigre de sa tanière, » sourit Gabriel en resserrant sa poigne sur l’appareil électronique.
Il commença dès lors à réfléchir à une mise en scène pouvant forcer l’apparition de leur pion en devenir. Lorsqu’une idée lui parvint finalement, il ne put retenir un petit rire tant cette perspective lui sembla infaillible.
« Nous avons désormais toutes les cartes en main, grimaça-t-il avec grande satisfaction. À nous de les jouer convenablement. »
*
Après la bien trop courte nuit de sommeil qu’elle avait eue, Valentine avait à peine trouvé le courage de se lever et de se rendre en cours. Elle avait préparé un thermos de café – elle qui détestait cette boisson – pour être sûre de rester éveillée. Le cours de langue chinoise lui parut démesurément long, et elle eut en prime droit à des remarques désobligeante du professeur, qui lui fit clairement comprendre que ce n’était pas en se rendant à un cours par mois qu’elle améliorerait son niveau. Elle avait acquiescé, s’était écrasée. De toute façon, elle n’avait aucune excuse, alors à quoi bon protester ?
À ses côtés, Ash la regarda avec un semblant de tristesse. Se sentait-elle désolée pour son « amie » – Valentine ignorait si elle la considérait ainsi, ou si aux yeux de l’Anglaise elle était plus un « outil » comme elle l’avait été pour d’autres – ou bien n’éprouvait-elle que de la pitié pour sa camarade de classe ? Impossible de le savoir. Mais la jeune femme s’en moquait, et se contenta de lutter contre ses paupières lourdes pendant deux longues heures.
« On va déjeuner ensemble ? proposa l’étudiante étrangère lorsque l’enseignant les libéra de son cours. T’as prévu un truc ?
– Ouais, maugréa Valentine en se relevant difficilement, avant de ranger ses affaires dans son sac. si tu veux. À part le cours de droit communautaire à quinze heures, je suis libre.
– Tu veux en parler ? »
La question surprit Valentine. Pour peu, au bord de la crise de nerfs à cause de la fatigue, de la douleur et de l’overdose de caféine dans son pauvre corps, elle aurait pu lâcher son sac et se mettre à pleurer.
« De quoi ? fit-elle pourtant d’un air nonchalant en se dirigeant vers la porte de la salle de cours.
– De ce qui ne va pas. Tu crois que je l’ai pas vu ? Tu tires une mine de six pieds de long. »
Malgré la tonne de maquillage qu’elle avait appliqué pour camoufler ses cernes et arranger un minimum son visage fatigué, Ash n’avait pas été dupe.
« Et puis, poursuivit-elle en prenant la direction du restaurant universitaire, suivie par Valentine, ça fait deux semaines que tu viens plus en cours. Pour que tu décides de faire toute ta journée sans prévenir, il a dû se passer un truc. Alors raconte. C’est Thomas ? »
La jeune femme passa dans plusieurs états émotionnels, et opta finalement pour exprimer de la tristesse. Elle détestait pleurer devant les autres, encore plus en public – d’autant plus qu’il y avait un grand nombre d’étudiants qui prenait la direction des restaurants et supérettes universitaires – mais se laissa tout de même aller, plus par manque d’autres options. La fuite n’était pas permise, après tout, et elle n’avait plus la force de se mettre en colère.
« Lui et moi, c’est fini, soupira-t-elle alors que des larmes commençaient à monter.
– Parce que vous étiez en couple ? s’étonna Ash. Je croyais que c’était juste du sexe entre vous.
– Pour moi, ça l’était. Il n’était pas du même avis. »
Une boule se forma dans sa gorge. Il fallait se ressaisir, bon sang ! Elle ne devait pas être affectée par ça !
« Je crois que je regrette, lâcha-t-elle finalement en enfouissant son visage dans ses mains. J’avais arrêté d’en voir plusieurs à la fois juste pour être avec lui…
– Viens là, c’est fini, » souffla l’Anglaise en la prenant dans ses bras, avant de lui caresser le dos.
Valentine sentit la présence réconfortante de Roarr, qui avait quitté sa cachette dans le sac de cours pour venir se blottir contre elle – ou plutôt en elle, ce qui était la meilleure manière de faire savoir à sa porteuse son soutien émotionnel – et cela lui redonna un peu le sourire. Et pour finir, sa cicatrice continuait à la lancer. Ce n’était pas faute d’avoir demandé à Roarr de l’aide de ce côté-là, mais le kwami prétextait ne plus avoir assez d’énergie, ce qui était compréhensible. Ce ne devait pas être très agréable d’être à court d’essence.
« J’ai été horrible avec lui, ajouta-t-elle en reniflant de plus belle. Je l’ai envoyé se faire foutre, alors qu’il avait juste voulu être sympa…
– Ce n’est pas de ta faute. Pour certains, ça ne marche pas. C’est tout. Si tu savais à combien de mecs j’ai dit d’aller se faire foutre ! »
Le rire d’Ash fut assez communicatif, et il arracha une esquisse de sourire aux lèvres de Valentine. Elle s’éloigna d’elle, tira de son sac un paquet de mouchoir, dont elle en sortit un qu’elle utilisa presque aussitôt dans un vacarme peu raffiné.
« Viens, on va manger. Ça ira mieux quand tu auras l’estomac plein, tu verras. »
Elle fut tirée sans pouvoir protester plus longtemps – après tout, elle n’avait pas la moindre envie de résister – jusqu’au restaurant universitaire, où Ash la contraignit à prendre plus de nourriture que ce qu’elle n’aurait réellement voulu manger. Ce n’était peut-être pas la meilleure gastronomie qu’elle eût goûtée, mais elle devait admettre que ça lui mettait du baume au cœur. En prime, son « amie » lui racontait de nombreuses anecdotes fort amusantes, qui lui changeaient les idées. Pour toute la durée du déjeuner, Valentine ôta de ses pensées le souvenir de son comportement vis-à-vis de son ancien « amant » et le constater fut plutôt plaisant.
L’apothéose fut quand même le réconfort apporté par le moelleux au chocolat que Ash lui avait mis sur son plateau. On disait que le chocolat soignait les plaies du cœur, et lui parut que ce fut le cas. Elle fit même volontairement tomber un petit morceau pour permettre à Roarr, glissée sur ses genoux, d’y goûter. Elle sentit une vibration émaner du petit corps – depuis quand les tigres ronronnaient ? – et sourit en se disant que, finalement, les choses auraient pu être pires. Peut-être essaierait-elle d’aller le voir et lui présenter ses excuses. Oui, il fallait au moins le faire pour se sentir mieux.
« Merci, souffla-t-elle au moment de débarrasser, j’en avais vraiment besoin.
– Reviens me voir dès que tu en as besoin, lui glissa Ash avec un large sourire. Tu peux compter sur moi ! »
Valentine acquiesça, mais il fallait avouer qu’elle ne faisait pas pleinement confiance. Était-elle devenue paranoïaque ? Peut-être bien que oui. Peut-être même sûrement. À présent que l’idée que le Papillon eût pu comprendre qui elle était s’était immiscée dans son esprit, la crainte d’être prise en tenaille se faisait plus grande. La crainte de se faire arrêter aussi ; entre le cambriolage de la maison du vieux Chinois, les menaces proférées à l’encontre des adolescents et ce qui pourrait possiblement être considéré comme des tentatives de meurtre si elle ne se retenait pas face à eux les prochaines fois, son casier judiciaire passerait assurément d’un blanc immaculé à un véritable roman de Proust.
Commencer par parler à Thomas l’apaiserait, elle en était certaine. Ce n’était peut-être pas l’idéal, mais ce pouvait être un premier pas. Et dès qu’elle se sentirait mieux, dès que sa blessure serait un peu mieux guérie, là elle frapperait, et elle atteindrait son but. Chat Noir, Ladybug et le Papillon avaient ôté la vie de son père, elle leur ôterait la leur en retour. Et avec les Miraculous, elle le ferait revenir. Oui, tout était parfait, tout redeviendrait comme avant.
*
La message ne venait pas. Et ce n’était pas faute de le guetter, d’éteindre et rallumer le téléphone.
Thomas commençait à se faire à l’idée que c’était fini pour de bon.
Valentine n’était pas du genre à revenir la tête baissée et honteuse. Son caractère faisait qu’elle préférait tenir tête plutôt que d’admettre qu’elle avait tort, parfois. Et dans les cas comme celui-là, cela signifiait ne pas revenir sur ses décisions, ne pas regarder en arrière, ne rien regretter.
Et ça, Thomas le regrettait.
Il s’était maudit de tous les noms. Qu’aurait-il pu faire de plus, de toute façon ? Avait-elle tort de l’accuser de ne rien avoir vu venir ? Bien sûr ! Il savait déjà, dès la première nuit passée avec elle, qu’elle se faisait du mal. Il l’avait vu dans son regard désespéré alors qu’elle s’était tournée vers lui la première fois où il lui avait parlé. Il l’avait vu dans les creux laissés par les lames dans sa peau. Et malgré tout, il l’avait trouvé si belle, si radieuse. Même ses larmes avaient joliment brillé dans l’obscurité les quelques fois où elle s’était montrée faible dans ses bras.
Il avait cru qu’ils avaient noué une amitié, au fil des jours et des semaines. Il avait vraiment cru qu’ils n’étaient plus de simples étrangers. Mais à entendre Valentine s’énerver contre lui ce soir-là, le doute s’était immiscé dans son esprit. Au final, que savait-il réellement d’elle ?
Il n’était sûr que d’une chose. Et tristement, cela lui brisait le cœur.
Thomas était fou de Valentine. Et ce, malgré les méchancetés qu’elle avait pu lui envoyer en pleine figure.
Devait-il s’excuser ? Devait-il lui envoyer un message ? L’appeler ? S’il tentait de contacter Ash, lui en voudrait-elle ?
Il enfouit sa tête dans ses mains, et fixa le sol de son salon. Pourquoi fallait-il toujours que ce fût dans ces moments-là que les bons souvenirs refaisaient surface ? Il se souvenait précisément de l’odeur de sa chemise de nuit en coton, rayée de rouge et de blanc, qui lui tombait sur les genoux et qu’elle refermait bouton après bouton lorsqu’elle l’enfilait. Et lorsqu’il venait se coucher près d’elle, blotti dans son dos, l’enserrant de ses bras, le doux parfum de la lessive faite maison qu’elle utilisait – celle au savon noir, avec quelques gouttes d’huiles essentielles de lavande – l’enivrait, de même que celui de ses cheveux, soigneusement savonnés au shampooing à l’huile d’olive. Cette sensation de sérénité lui manquait cruellement, et son cœur qui se serrait le lui faisait clairement ressentir.
Il espérait seulement qu’elle allait bien, qu’elle se sentait bien. Et si elle s’était trouvé un nouveau « quelqu’un » avec qui passer du bon temps, il espérait que c’était un type bien.
Et dire qu’il ne s’était jamais mis dans un tel état pour une fille. Chacune de ses séparations avec ses anciennes petites-amies s’était bien passée, il avait d’ailleurs souvent été celui qui décidait de mettre fin à leurs relations. Pour une fois, c’était lui qui vivait la douleur de la séparation, et il regretta soudain amèrement d’avoir pris ça à la légère à l’époque.
Quel homme pitoyable faisait-il.
Au comble du désespoir, il entreprit de faire le premier pas. Il ouvrit l’application de messagerie, et commença à rédiger un message. Hésitant longuement entre le SMS court et concis et le long pavé d’excuses, il laissa finalement ses doigts décider du résultat.
« Val, il faut que je te parle.
Supprime ce message dès que tu l’auras reçu si tu le souhaites, je m’en moque, je veux juste au moins évacuer ça.
J’ai été con, je l’admets. Le plus con des cons. Toi et moi c’était juste physique, c’était ce qu’on avait décidé. J’espérais au moins qu’on devienne des amis, des confidents. J’espérais que tu me parles quand ça ne va pas.
J’ai aimé chaque soirée passée avec toi. J’ai aimé chaque jour depuis notre rencontre. Tu étais une des raisons qui me motivaient à aller travailler chaque matin. Tu me donnais envie de me surpasser, d’aller plus loin, de viser mieux.
Je ne veux pas le dire par message, si je dois le faire, ce sera uniquement de vive voix, face à toi. J’ai encore quelque chose à te dire, et je veux te voir.
S’il faut que tu continues à m’ignorer et à m’éviter, laisse-moi au moins faire mes adieux convenablement. Et si tu changes d’avis, ma porte te sera toujours ouverte.
Prends soin de toi. »
Il se relut, plus d’une fois, et, ses mains tremblantes comme celles d’un enfant réveillé par un odieux cauchemar, il pressa le bouton d’envoi. Une boucle indiqua un chargement, puis le message apparut dans la conversation. Un petit voyant indiqua qu’il avait bien été reçu, et quelques secondes après, il changea de couleur pour lui faire savoir qu’il avait été ouvert, et possiblement lu.
Il regretta presque aussitôt sa décision. Il aurait dû réfléchir plus longuement.
Cela faisait six jours que Valentine l’avait abandonné en lui crachant ces méchancetés au visage, et il n’avait toujours pas repris le dessus sur ses émotions. Elle n’était toujours pas passée récupérer ses affaires non plus, d’ailleurs ; il le constata en se rendant dans la chambre où traînait sur une chaise, dans un coin de la pièce, une de ses robes. Son parfum était encore accroché au tissu, et il se surprit à le humer, s’imaginant à nouveau dans ses bras.
Les larmes ne tardèrent plus à arriver, et il les essuya furieusement d’un revers de manche avant de balancer le vêtement au loin. Sans plus réfléchir, il tira le tiroir de la table de nuit, et en sortit un paquet de cigarettes et un briquet, qu’il avait rangés là il y avait de ça plusieurs mois, lorsqu’il s’était mis en tête d’arrêter. Mais le stress le faisait toujours revenir à eux, aussi triste cela pût-il être. Ouvrant la porte-fenêtre le menant à son minuscule balcon, il alluma le bout de tabac qu’il aspira aussitôt. La fumée lui brûla la gorge, mais il trouva cela agréable. Expirant la fumée dans l’air froid de la soirée, il jeta un œil en contrebas, observant la rue. Tout était calme, les gens vivaient leur vie.
Une silhouette se détacha de l’obscurité, sur le toit voisin, alors qu’il balayait les environs du regard. Imposante, à chaque pas qu’elle faisait un claquement se faisait entendre, celui de ses talons de métal. Derrière elle flottait une large cape tout aussi sombre, et il n’en fallut pas plus pour qu’il reconnût Tigresse, là-bas.
« Eh ! appela-t-il, sa voix transperçant le murmure de la nuit parisienne. Eh ! Vous ! »
Il crut voir la femme tourner son visage vers lui, et croiser son regard. Il ne lui en fallut pas plus ; il écrasa sa cigarette contre le sol de pierre du balcon, et se rua à l’intérieur. En quelques secondes, il avait enfilé une veste, mis ses chaussures, et fermé la porte d’entrée derrière lui, et se ruait à l’extérieur de sa résidence, déterminé à échanger avec cette curieuse personne.
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*『夢もない 希望もない 目的もない
味方もいない いない いない
人が嫌い 世界嫌い 言葉が嫌い
過去、未来 怖い 怖い 怖い』
「虚無病」 - amazarashi