Qui tu es
– Chapitre II –
A treize heures tapantes, tous les élèves de la classe de Troisième C se retrouvèrent dans la salle trois cent douze, pour leur cours de Français. Caline Bustier, leur enseignante en langues, les attendait déjà, debout devant son bureau. Comme d’ordinaire, ses cheveux roux étaient coiffés en chignon, et elle portait un haut blanc, surmonté d’un chemisier vert d’eau et d’un tailleur bleu très clair, assorti à son pantalon. Ses escarpins blancs tapaient nerveusement le sol, tandis que le soleil faisait briller le pendentif qu’elle avait autour du cou.
Les bras croisés, elle regarda tour à tour ses élèves entrer en classe, et s’installer à leurs places habituelles. Généralement, ils étaient plutôt attentifs, mais elle gardait tout de même un œil sur celle qu’elle jugeait la plus tête l’air d’entre eux, soit Marinette Dupain-Cheng. Il était rare que cette dernière arrivât à l’heure en cours, surtout le matin. Le fait était qu’il était rare qu’elle arrivât à l’heure tout court, et Caline avait depuis longtemps arrêté de chercher une raison à ces retards répétés, surtout lorsque l’intéressée se mettait à lui sortir des excuses plus abracadabrantes les unes que les autres.
Mais cette fois, Marinette arriva à l’heure, accompagnée de sa fidèle amie Alya Césaire, avec qui elle se trouvait être en grande discussion. Le courant était tout de suite passé entre les deux jeunes filles, lors de leur rentrée. Non seulement Alya était brave et courageuse, mais elle avait surtout considérablement aidé Marinette à s’affirmer face à Chloé Bourgeois, la peste de l’école, qui se croyait tout permis du fait qu’elle fût la fille du maire. La seule personne qui parvenait encore à la supporter, c’était Adrien, son – unique – ami, qui la connaissait depuis qu’ils étaient tous petits. De fait, Cholé avait été responsable de bon nombre d’akumatisations, mais la seule fois où elle s’était remise en question, si l’on pouvait dire cela ainsi, avait été lorsqu’Adrien lui avait expliqué ne plus pouvoir être ami avec une fille aussi égoïste. Sauf que le naturel de la fille du maire n’avait pas tardé à revenir au galop.
Marinette prit place sur son banc – elle avait la même place depuis quatre ans – et cessa de parler à son amie, bien trop occupée à observer Adrien, qui entrait à son tour dans la classe, en bavardant joyeusement avec Nino au sujet du dernier score qu’ils avaient fait à leur jeu de combat favori, Ultimate Mecha Strike III. Le coude sur sa table, la joue contre son poing, Alya regarda Marinette d’un air amusé, avant que ses yeux marron clair ne se posassent à leur tour sur les deux garçons.
Elle devait bien admettre qu’au début, elle avait vraiment cru qu’Adrien était un gosse de riches pourri gâté, et le fait qu’il eût été ami avec Chloé ne l’avait pas aidé à se faire des amis et à s’intégrer au sein de la classe.
Nino Lahiffe avait été le premier à tendre la main au jeune mannequin. La peau très mate, les yeux ambrés, il ne quittait jamais sa casquette rouge, vissée sur ses cheveux courts brun foncé, pas plus que le casque orange qu’il portait autour du cou, ou bien son tee-shirt favori, de couleur bleu roi. Des bracelets colorés entouraient son poignet droit, et, tout comme Alya, il portait une paire de lunettes noire. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour devenir le meilleur ami d’Adrien. Les deux garçons étaient complices autant que l’étaient Alya et Marinette. Cette dernière ne quitta pas son beau blond des yeux ; elle avait vraiment une place privilégiée, même si, de là où elle était, elle ne voyait que de dos de l’adolescent – mais quel dos ! Elle ne pouvait pas s’empêcher de l’admirer, elle aurait même pu le dessiner par cœur, tant elle l’avait contemplé.
Une fois que tout le monde fut installé et prêt à écouter, leur professeure s’occupa de faire l’appel, comme un rituel, puis se décida à parler à sa classe d’un certain projet qui les attendait, en fin d’année scolaire. Pour fêter les cent cinquante ans de la création du collège, le principal, monsieur Damoclès, avait prévu de faire faire à toutes les classes un projet collectif. La classe de Troisième A présenterait un film, mais la classe de Marinette en avait déjà fait un – du moins, tenté d’en faire un –, plus tôt dans l’année.
Évidemment, ça avait été sans compter sur l’akumatisation de Mylène Haprèle, une sympathique élève rondouillette qui avait été choisie comme héroïne du film, mais que Chloé n’avait pas hésité à humilier. La classe de Troisième B présenterait quant à elle un spectacle de chant. Bien sûr, chaque classe devrait présenter son œuvre personnelle en fin d’année, et serait supervisée par son professeur principal. Il restait environ deux mois avant la fin de l’année, et tous les numéros de chaque classe seraient présentés sous forme d’un grand spectacle, le dernier vendredi juste avant la semaine de révision pour les épreuves du Brevet des collèges.
- Écoutez-moi, s’il vous plaît. Notre classe a été choisie pour présenter une pièce de théâtre à la fin de l’année. Il s’agit de Roméo et Juliette, de William Shakespeare.
L’agitation régna aussitôt, entre tous les élèves de la classe, et chacun se mit à parler avec entrain. Tous étaient enthousiastes à l’idée de préparer ensemble une pièce de théâtre, qui plus était aussi connue que celle de Roméo et Juliette, sauf, comme on aurait pu s’en douter, Chloé, qui trouvait le concept complètement « nul et démodé ». Il allait sans dire qu’il n’y avait qu’elle, parmi cette bande de nullards, qui pouvait jouer le rôle de Juliette, aux côtés de son Roméo qu’était « Adrichou ». Alya leva les yeux au ciel, exaspérée, alors que Marinette était, elle, en pleine rêverie. Elle s’imaginait déjà, jouant le rôle de la princesse Capulet, auprès de l’élu de son cœur. Il lui fallut un léger coup de coude de sa meilleure amie pour la faire revenir, difficilement, sur Terre.
- Tu te rends compte ? Ce serait génial, si tu avais le rôle de Juliette et Adrien celui de Roméo, ce serait une superbe occasion de vous rapprocher ! chuchota la jeune femme, en rajustant malicieusement ses lunettes.
Marinette se sentit rougir suite à cette déclaration. L’imagination d’Alya était plus que fertile, en partie parce qu’elle souhaitait devenir journaliste, dans le futur. Le fait était qu’elle avait aidé un nombre incalculable de fois Marinette à se rapprocher d’Adrien, mais jusqu’ici, on ne pouvait pas dire que ses tentatives eussent été couronnées de succès ; en même temps, Marinette était tête en l’air, et ce n’était vraiment pas évident de lui porter assistance, surtout quand elle oubliait de signer une carte ou qu’elle appelait son amoureux secret « beau gosse », au téléphone. Mais il n’y en avait pas deux comme elle, et c’était pour cela qu’Alya l’adorait.
Elle était déterminée à aider autant que possible Marinette à conquérir le cœur d’Adrien, d’autant que… en ce qui la concernait, la rousse n’était pas restée insensible au charme de Nino ; elle s’était particulièrement rapprochée de lui cette fois où elle avait coaché Marinette pour son rendez-vous avec Adrien au zoo, et qu’elle s’était retrouvée enfermée avec lui dans une cage. Ils s’étaient découverts de nombreux points communs, et cela n’était donc pas plus mal qu’elle aidât Marinette à se rapprocher de Nino – qui était d’ailleurs au courant du béguin de la franco-asiatique pour le beau blond, comme toutes les filles de la classe, d’ailleurs.
Passionnée par Ladybug, elle avait même créé un blog à son effigie, le Ladyblog, qui connaissait un franc succès. Sa grande obsession était de parvenir à découvrir, un jour, l’identité de Ladybug et peut-être, dans la foulée, celle de Chat Noir. Sa mère était une grande chef cuisinière, et son père travaillait comme gardien, au zoo. Ayant des petites sœurs, elle savait assez bien s’y prendre, avec les enfants.
Marinette soupira. Avec la chance qu’elle avait, c’est-à-dire aucune, elle ne risquait certainement pas d’être prise dans la pièce. Elle n’était pas vraiment douée, pour parler en public, même si elle était parvenue à se faire élire déléguée de classe face à Chloé. Rester des heures en tête à tête pour répéter avec Adrien, c’était sûr que c’était tentant, mais l’adolescente peinait déjà à lui parler normalement, alors, si en plus elle devait réciter carrément tout un texte de théâtre en face de lui… ! Elle n’y arriverait jamais.
De toute façon, c’était probablement leur professeure qui distribuerait les rôles ; comme à son habitude, Chloé menaçait d’appeler son « papounet chéri », si elle n’obtenait pas celui de Juliette, ce qui exaspéra fortement Marinette. Le maire Bourgeois était tout à fait capable de virer leur enseignante, si elle ne se pliait pas aux ordres de la blonde prétentieuse qu’était Chloé, et cela risquait fort de provoquer une nouvelle akumatisation, comme cette dernière savait si bien le faire. Elle ressemble à une salle guêpe, pensa Marinette en observant le tee-shirt blanc rayé de noir qu’elle portait sous une veste jaune. Et en plus, elle porte tout le temps des lunettes de soleil, c’est ridicule.
- Bien, j’ai mis le nom des personnages masculins dans ce chapeau pour les garçons, et les rôles féminins dans celui-ci pour les filles.
Chloé poussa un cri d’indignation – elle trouvait la méthode du tirage au sort trop injuste –, mais la professeure n’en tint pas compte et fit passer à ses élèves les deux chapeaux roses et bleus qu’elle avait posés sur son bureau, où tous les rôles de la pièce – féminin pour le chapeau rose et masculin pour le chapeau bleu – avaient été notés sur des bouts de papier. Comme il était au premier rang, Adrien fut le premier à piocher, chez les garçons, et retint un mouvement de surprise en constatant qu’il avait le rôle de Roméo ; il cligna même des yeux plusieurs fois, sans y croire.
On ne pouvait pas dire qu’il n’était pas habitué à être sous le feu des projecteurs, avec les séances photos que son père lui imposait, de même qu’il avait joué l’inspecteur Jones aux côtés de Mylène – alias l’agent Smith –, dans le film qu’ils avaient réalisé quelques mois plus tôt dans le cadre du festival du court-métrage étudiant. Mais malgré tout, il n’en demeurait pas moins qu’il se demandait bien comment il avait pu piocher le seul billet avec le premier rôle masculin écrit dessus, alors que le pourcentage que cela se produisit était infime. Enfin, le hasard en a décidé comme ça. Ce qui le préoccupait le plus était de savoir qui allait être sa Juliette.
- Eh, mec, t’as le rôle principal, c’est cool ! s’exclama gaiement Nino.
- Oui… Il n’y avait pas énormément de probabilités…
- Adrichou, je suis ta Juliette !
La voix perçante de Chloé s’était manifestée, faisant aussitôt taire tout le monde. La classe retint un hoquet de terreur, en constatant le nom inscrit sur le morceau de papier qu’elle avait tiré du chapeau rose regroupant les rôles féminins – mais pourquoi avait-il fallu que madame Bustier fît tirer au sort cette peste en premier ? Si elle avait commencé à faire passer le chapeau rose du côté d’Adrien, c’était Marinette qui aurait peut-être eu la chance d’être l’héroïne principale de la pièce ! Alya plaqua ses mains sur sa bouche, effarée, avant de poser celle de droite sur l’épaule de son amie, dans un geste compatissant. En cet instant, elle plaignait réellement sa meilleure amie. Ce n’était pas juste que Chloé récoltât le rôle principal, insolente et égoïste comme elle était ; elle ne ferait jamais une bonne Juliette !
- Ca, c’est moins cool, fit Nino en regardant Chloé – qui bombardait le mannequin de baisers invisibles – d’un air désabusé. T’as pas de chance sur ce coup-là, mon pote.
Adrien passa une main sur sa nuque, retenant un rire nerveux. Cela le peinait de voir que tout le monde avait aussi peu d’estime pour la jeune fille. Lui la connaissait depuis l’époque du bac à sable, il savait qu’elle n’avait pas toujours été comme cela. Son caractère avait commencé à radicalement changer lorsque sa mère était morte de maladie – Chloé n’avait pas encore six ans, à l’époque. Pour l’aider à surmonter cette perte, son père, André Bourgeois, maire de la ville, avait cédé, et cédait encore, à tous ses caprices. De là, sa fille était devenue une adolescente qui n’en avait rien à faire des autres, et se considérait comme supérieure à ceux qui l’entouraient.
Cela n’avait donc rien d’étonnant que personne dans la classe ne l’appréciât : elle n’avait jamais de mot gentil à l’égard de son entourage, et une bonne partie des akumatisés que Chat Noir et Ladybug avaient dû combattre relevaient en partie de sa faute ; la seule personne qui pouvait encore faire partie de son fan club était Sabrina Raincomprix, son « esclave », dont les cheveux orange étaient coupés au carré, et qui portait des lunettes marron. Dieu savait qu’il était extrêmement compliqué, voire impossible, de travailler avec Chloé. Même pour le tournage d’Horrificator, elle avait été insupportable – ce qui ne la changeait pas de d’habitude. Penser qu’elle resterait cette fille froide et insensible pour le restant de sa vie faisait froid dans le dos. Eh bien… Les répétitions promettent ! songea Adrien d’un air ennuyé. Il fallait sincèrement espérer que tout aller bien se passer, et que la fille Bourgeois n’allait pas encore faire des siennes.
Les deux chapeaux circulèrent parmi les élèves, permettant à chacun ou presque d’obtenir un rôle. Mylène et Ivan se retrouvèrent ainsi à jouer les parents Montaigu, Nino reçut le personnage de Mercutio, et Alya se retrouva être Lady Capulet. Tout le monde paraissait satisfait de la distribution, surtout Chloé, en réalité, trop contente de pouvoir jouer aux côtés d’Adrien ; Juleka, Rose, Alix et Marinette durent incarner des rôles masculins, puisque toutes les filles de la pièce s’avéraient avoir déjà été prises, lorsqu’elles eurent à piocher dans le chapeau rose à leur tour : il ne restait plus de papier.
La franco-chinoise, affalée sur sa table, ne put que prendre le dernier bout de papier, dans le chapeau bleu, qui restait. Son moral en avait pris un sacré coup, et ce fut à peine si elle daigna regarder le nom du personnage qui lui avait été confié. De toute façon, Chloé avait eu ce qu’elle avait voulu : le rôle principal. Quoiqu’il pût bien rester, ce ne serait qu’un personnage sans importance – ce qui n’était peut-être pas plus mal, vu le mal-être de Marinette en public. Elle appréhendait surtout les scènes de baiser entre les deux protagonistes principaux de l’histoire, elle ne pouvait pas supporter l’idée que Chloé embrassât le mannequin juste sous ses yeux, c’était trop affreux.
- Alors ? demanda Adrien en se retournant vers elle. Quel rôle tu as ?
- Ah ! Euh, l’athipocaire. Enfin, l’acairepothi ! Je veux dire… l’apothicaire.
Ca avait été plus fort qu’elle : la douce voix du jeune homme avait mise l’adolescente dans tous ses états. Et ce regard… ! Marinette étouffa un rire gêné, tandis que sa voisine de table secouait la tête en soupirant. Les joues de la jeune fille aux cheveux noir de jais se colorèrent vivement, tandis que le blondinet lui adressait un sourire qui faisait fondre son cœur. Oh, pourquoi j’arrive à terrasser des akumas, alors que je ne peux pas parler correctement à Adrien ? C’est trop injuste ! songea-t-elle, alors que ses joues devenaient de plus en plus cramoisies.
- Je crois qu’on a une scène à jouer ensemble, déclara le blondinet avec enthousiasme, à l’attention de Marinette. Il faudra qu’on travaille dur !
L’intéressée hocha la tête, le visage complètement en feu. Elle ne tarda pas à se retrouver dans un autre monde. Une scène ? Avec l’amour de sa vie ? Elle n’en revenait pas. Bon, cela n’était pas énorme, et il n’y aurait pas de baiser, mais… elle allait quand même jouer avec Adrien ! Et c’était tout ce qui importait, pour elle. Rien qu’une seule seconde, un seul instant, à passer en tête à tête avec lui, et elle était au paradis.
Il fut décidé à l’unisson que Marinette s’occuperait des costumes. Elle avait déjà démontré ses dons pour le stylisme avec le superbe chapeau melon qu’elle avait conçu lors du concours de mode organisé par Gabriel Agreste, le père d’Adrien. Là encore, Chloé avait bien essayé de tricher, mais Marinette avait utilisé le détail qui avait permis de prouver qu’elle était bien la créatrice originelle du chapeau. De fait, elle avait appris en passant qu’Adrien était allergique aux plumes de pigeon – et découvrir quelque chose de nouveau sur le garçon de son cœur la comblait toujours de bonheur. Pour les répétitions, le principal du collège avait autorisé les élèves à emprunter les locaux de l’établissement les mercredis et les samedis après-midis.
- Non, mais, je rêve ? On est obligé de venir sur notre temps libre pour préparer une stupide pièce de théâtre trop ringarde ? La bande de nullards peut aller s’entraîner dans son coin, mais Adrien et moi, on répétera rien que tous les deux chez moi, n’est-ce pas, Adrichou ?
- Chloé, tu n’es pas la seule à jouer, dans cette pièce, répliqua l’intéressé en poussant un soupir, agacé.
- D’autres personnes participent, c’est pour ça qu’on doit s’entraîner collectivement, ajouta Marinette, non moins énervée, en fixant son ennemie d’un regard noir.
En réalité, elle espérait surtout trouver un moyen pour que Cholé et Adrien ne s’embrassassent pas lors des scènes qu’ils joueraient ensemble. Elle savait que la blonde ne rêvait que de cela, surtout dans une pièce qui parlait autant d’amour que le faisait Roméo et Juliette. Elle sauterait sur le jeune homme dès qu’elle en aurait l’occasion, et cela, c’était inconcevable pour la franco-chinoise. Ma vie entière est fichue, si Adrien embrasse Chloé ! Il va forcément tomber amoureux d’elle, on aura jamais d’enfants et encore moins de hamster ! pensa-t-elle, catastrophée. C’était tout elle, de se faire ainsi des films dramatiques.
- On ne t’a pas demandé ton avis, Marinette Dupain je-sais-pas-quoi. De toute façon, t’es trop nulle pour jouer dans une pièce du théâtre ; retourne te salir les mains dans la boulangerie de tes parents, puisqu’il n’y a que ça que tu sais faire.
La colère gagna subitement la jeune fille, et elle serra les dents, plus énervée que jamais. Comment cette idiote de peste pouvait-elle dire de telles choses alors qu’elle ne connaissait rien du milieu dans lequel ses parents travaillaient ? Même quand son père Tom venait leur donner des cours de pâtisserie, elle n’écoutait rien et se permettait d’appeler les pompiers en toute impunité, pour faire obtenir au final à toute l’école une punition ! Marinette s’était rarement sentie aussi humiliée par Chloé, et pourtant, elle la connaissait depuis quatre ans, depuis bien trop longtemps à son goût. Elle allait s’apprêter à rétorquer quelque chose de mordant à la jeune femme, mais elle fut doucement coupée dans son élan par une main chaude et délicate qui vint se poser sur la sienne. Elle tourna la tête, surprise, pour rencontrer deux émeraudes brillantes qui la regardaient.
- Ne fais pas attention à elle, Marinette. Ca ne sert à rien d’entrer dans son jeu.
D’un coup, la concernée se sentit immédiatement déconnectée de la réalité. Ses yeux, incapables de se détacher de ceux d’Adrien, finirent par lentement se poser sur la main qu’il avait placée juste sur la sienne. Elle tenta de dire quelque chose, mais ses cordes vocales refusèrent de vibrer.
La main d’Adrien.
Sur la sienne.
C’était le paradis.
Marinette était si rouge qu’elle en avait très mal aux joues ; peut-être même menaçait-elle de tomber dans les pommes. Son grand amour avait mis sa main sur la sienne ! Oh, je crois que je ne vais plus jamais pouvoir me laver les mains… songea-t-elle en relevant doucement la tête. Le jeune garçon la regardait avec un chaleureux sourire sur les lèvres, et Marinette se noya dans ses sublimes yeux, d’un vert si profond. Il était juste… parfait. Comment quelqu’un pareil pouvait-il exister sur Terre ? Et pourquoi était-elle à ce point incapable de lui avouer une bonne fois pour toutes ses sentiments ? Ce fut à peine si elle entendait la lointaine, très lointaine voix d’Alya, tant elle était dans une autre galaxie. Cette main posée sur la sienne valait tous les trésors du monde.
L
a voix de madame Bustier calma rapidement l’ardeur des élèves. Alya fut obligée de donner un coup de coude à sa meilleure amie pour la faire revenir dans le monde réel, alors que leur professeure leur annonçait que les deux heures de cours d’aujourd’hui allaient essentiellement porter sur la grammaire et les figures de style, en somme un cours tout à fait banal.
La franco-chinoise était encore dans ses rêveries, et n’écouta strictement du cours. Elle était surtout concentrée sur son charmant voisin de devant, qui, lui, était attentif au moindre mot prononcé par l’enseignante, notant tout dans son cahier vert à grands carreaux. Il a vraiment aucun défaut… songea-t-elle, en laissant échapper un soupir rêveur. Alya, de son côté, avait une envie terrible de se taper les murs contre la tête. Marinette était vraiment un cas désespéré. Il n’en fallait pas beaucoup pour la troubler : Adrien n’avait pourtant fait que poser sa main sur la sienne, cela n’avait pourtant rien d’extraordinaire ! Jamais elle n’avait vu quelqu’un se comporter de manière aussi… curieuse lorsqu’il était amoureux.
***
- Bien. Pour vendredi, c’est-à-dire dans une semaine, j’aimerais que vous choisissiez un auteur de la période romantique, et que vous me fassiez un exposé sur lui, par groupe de deux, annonça Caline lorsque la cloche du collège sonna quatre heures.
Il y eut de vifs murmures de protestation, qui disparurent rapidement sous le bruit des stylos que l’on rangeait et des cartables que l’on refermait. Tous les élèves quittèrent rapidement la classe, saluant leur professeure au passage. Son cartable rose sur son dos, Marinette demeurait songeuse, réfléchissant à la personnalité sur laquelle elle allait travailler. En termes d’écrivains du Romantisme, ils avaient le choix, et pareil au niveau des groupes, aucun imposé de leur professeure. Avec la répétition de théâtre, cela n’allait pas être évident de tout concilier, d’autant plus qu’elle était une super-héroïne, et que le Papillon pouvait frapper n’importe où. Elle avait un emploi du temps tellement chargé, elle espérait ne pas avoir à affronter un nouvel akuma ces prochains jours.
- Eh, Marinette !
L’intéressée sursauta. Alya courait dans sa direction, en agitant la main, la lanière de sa besace bleue reposant sur ses épaules. Elle avait laissé Marinette partir devant, prétextant qu’elle avait quelque chose d’ « important » à faire, avant de la rejoindre. Je me demande bien ce que c’était… La rousse rattrapa rapidement sa meilleure amie, ses cheveux ondulés voltigeant à chacun de ses mouvements.
- Ne me dis pas que tu comptes laisser Chloé jouer le rôle de Juliette sans réagir ?
- Elle a gagné à la loyale, Alya. Je n’ai juste pas eu de chance. Je n’ai jamais de chance, de toute façon, marmonna sombrement son interlocutrice, pour elle-même.
- N’oublie pas : ce qui permet au mal de triompher, c’est l’inaction des gens de bien !
Marinette étouffa un rire léger. C’était la phrase qu’Alya lui avait dite lors de leur première rencontre, pour l’aider à tenir tête face à Chloé ; les deux meilleures amies avaient même scellé leur amitié avec un macaron. Malheureusement, la jeune fille aux cheveux de jais ne voyait aucun moyen pour empêcher sa pire ennemie d’incarner le rôle-titre. Une solution aurait été que Chloé tombât « accidentellement » malade, mais Marinette ne la haïssait pas au point de lui faire ce genre de crasses, quoique la fille du maire l’eût pourtant amplement mérité. Non, ce n’était assurément pas un comportement digne de Ladybug. Et puis, on ne pouvait pas lutter contre le destin lorsqu’il persistait à s’acharner sur vous, Marinette le savait bien. Elle avait beau avoir comme animal totem la coccinelle, ce n’était pas pour autant qu’elle avait hérité de sa chance, bien au contraire. Parfois, Marinette se demandait même si ce n’était pas de la poisse de Chat Noir dont elle avait héritée. En tous les cas, on ne peut pas dire que la chance soit avec moi, surtout que j’ai rendez-vous avec cet idiot de Chat ce soir…
Mais peut-être se trompait-elle.
Lorsqu’elle arriva à la sortie de l’établissement, elle aperçut immédiatement Nino, qui attendait vraisemblablement son meilleur ami au bas des marches. Il fit un joyeux signe de la main aux deux filles, qui s’empressèrent d’aller le retrouver. Alya et lui échangèrent quelques banalités sur le Ladyblog, tandis que Marinette, soucieuse, se demandait ce qui pouvait bien encore l’attendre de pire, en plus de cette pièce de théâtre, de son entrevue nocturne avec son partenaire, et de cet exposé qu’ils devaient faire à deux.
- Eh, les amis ! appela une voix douce.
Le trio se retourna aussitôt, surpris par l’appel. Adrien venait à leur rencontre, descendant tranquillement les marches, son sac se balançant à chacun des pas qu’il faisait. Bien sûr, Marinette ne put s’empêcher de paniquer aussitôt, comme si le disjoncteur qui maintenait son cerveau dans un état de marche correct venait de brutalement sauter. Catastrophée, elle se précipita derrière sa meilleure amie, la suppliant d’une petite voix de l’aider, ou de faire quelque chose pour elle pour la tirer de cette situation embarrassante. Alya gloussa, en voyant la franco-chinoise perdre ainsi tous ses moyens, même si elle avait l’habitude de la voir dans cet état chaque fois que le mannequin était dans les parages. Et pourtant, cela ne l’empêcha pas de regarder le garçon aux cheveux bruns d’un air complice, et de lancer, d’un ton faussement innocent :
- Au fait Nino, on ne devait pas réviser pour le contrôle de maths, lundi ?
Il la regarda sans comprendre
- On n’a pas de contrôle de– Ah oui ! Le fameux de contrôle de maths de lundi ! Bon alors, on te laisse Marinette, à plus !
Alya empoigna brutalement le disc-jockey – qui massait encore ses côtes endolories suite au coup de coude bien prononcé de la jeune rousse – et l’entraîna un peu plus loin à l’écart dans la rue.
Marinette les regarda partir avec effroi. Elle ne comprenait pas pourquoi sa meilleure amie décidait justement de s’en aller, alors qu’elle avait le plus besoin d’elle en ce moment-même. Quand la franco-chinoise était seule avec Adrien, c’était une catastrophe, Alya le savait, pourtant ! Ce n’était vraiment pas sympa de l’avoir laissée tomber dans une situation aussi critique, quand bien même c’était pour réviser un devoir ! En plus, elle allait encore–
Une minute…
Ils n’avaient pas de contrôle de math, lundi !
- Ils ont l’air pressé, on dirait.
Marinette tourna lentement la tête vers Adrien, qui, à côté d’elle, regardait Nino et Alya s’éloigner dans la rue.
Alya, qui avait tout organisé pour que les adolescents se retrouvassent tous les deux.
La jeune fille aux cheveux de jais acquiesça timidement, tentant de garder autant de self-control qu’elle le pouvait. Imperceptiblement, elle se mordit la lèvre, son cœur cognant avec ardeur dans sa poitrine ; les battements étaient si puissants qu’elle se demandait comment le garçon aux cheveux d’or pouvait ne pas les entendre. Du calme, Marinette. C’est juste Adrien. Tout va bien ! se répéta-t-elle mentalement, pour se donner du courage. Mince, pourquoi ne parvenait-elle pas à engager la conversation avec lui ? Ce n’était pourtant pas très compliqué, de trouver quelque chose à lui dire ! Mais au lieu de cela, sa timidité maladive reprenait le dessus, et elle n’arrivait pas à agir naturellement, parce qu’elle était amoureuse. Heureusement que les garçons ne remarquaient pas ce genre de chose…
- Au fait, Alya m’a dit que tu avais pris Victor Hugo, pour le travail en Français. Comme je l’ai choisi, moi aussi, je pensais que ce serait judicieux qu’on fasse l’exposé ensemble, vu qu’on travaille sur le même auteur. Tu es d’accord ? demanda-t-il en se tournant vers elle.
Marinette laissa échapper un hoquet de surprise. Elle n’avait même pas encore choisi d’écrivain, comment Alya avait-elle pu aller lui dire une telle chose ?
A moins que ce n’eût été pour cela qu’Alya était restée un peu après les cours. Elle avait dû demander à Adrien quelle personnalité il avait en tête, pour l’exposé, et elle lui avait ensuite fait croire que Marinette avait eu la même idée que lui, certaine qu’après cela, le fils de Gabriel Agreste viendrait instinctivement proposer à la franco-chinoise de travailler avec lui. Si Alya a fait ça, elle ne recule vraiment devant rien… songea Marinette, en retenant un sourire gêné.
- Eh ben, euh… Oui, ce sera cool d’être ensemble ! répondit-elle avec un petit rire nerveux. Je veux dire, de travailler ensemble, corrigea-t-elle, les joues rouge pivoine.
- Super ! Bon, il faut que je te laisse, mon entraînement d’escrime va commencer. On se voit demain pour la pièce de théâtre !
Il fit demi-tour et remonta rapidement les marches pour se rendre en cours. Marinette le regarda s’éloigner, un sourire béat aux lèvres, alors que sa kwami, sortie de la bourse de la jeune fille, essayait désespérément de lui faire reprendre contact avec la réalité. L’adolescente secoua la tête, et se mit finalement en route pour regagner la boulangerie familiale. Parfois, elle bénissait vraiment le Ciel d’avoir une amie comme Alya.
Finalement, la chance semblait enfin lui sourire.