Qui tu es
Chapitre 1 : Pour un rendez-vous avec toi
9481 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 05/01/2018 21:45
– Chapitre I –
- Il faut trouver où se loge l’akuma !
C’était une journée ordinaire, à Paris. En ce dix-sept avril de l’an deux mille quinze, le printemps faisait lentement mais sûrement son trajet. Les températures étaient douces et on approchait de midi. Un ciel d’un bleu éclatant s’étalait au-dessus de la ville, tandis que le soleil brillait d’une vive lueur dorée. En somme, la journée s’annonçait radieuse.
Le quatrième arrondissement. Sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, un affrontement épique regroupait trois personnes. D’un côté, une jeune fille qui n’avait pas plus de quatorze ans, dont les soyeux cheveux noir de jais étaient attachés en deux couettes – ce qui laissait deviner des origines chinoises – ornées de rubans, et qui était vêtue d’une combinaison rouge à pois noirs rappelant le motif d’une coccinelle. Ses yeux bleu clair, entourés d’un masque de la même couleur que son costume, regardaient avec attention son environnement. Tout près d’elle, se tenait un jeune garçon qui devait approximativement avoir son âge ; entièrement vêtu d’une combinaison en cuir noir, sa tignasse blonde partait dans tous les sens, et ses yeux émeraude brillaient avec malice sous son masque. La ceinture accrochée à sa taille qui lui faisait office de queue, aussi bien que les deux oreilles pointues au sommet de sa tête lui donnaient indéniablement l’aspect d’un chat. Ils avaient tous les deux des objets spécifiques : la demoiselle tenait dans main un yoyo couleur fraise, l’autre avait un bâton argenté attaché au bas de son dos.
En face des deux jeunes gens, se tenait une personne pour le moins insolite. Une femme d’une trentaine d’années, à l’apparence très particulière. Ses yeux étaient d’un bleu foncé très profond, et ses cheveux blonds retombaient en boucles anglaises sur ses épaules. Ses joues comme ses lèvres étaient d’un rouge très intense. Elle portait des bottes et des gants noirs, et était vêtue d’une combinaison jaune canari ornée d’éclairs, qui se composait d’une jupe à froufrous et de collants. Le tissu de son costume recouvrait tout son corps, jusqu’à son cou ; le col était noir, et un casque avec une lampe surmontait le sommet de son crâne. Elle poussait des hurlements sauvages, prétendant qu’elle allait faire payer à tous les parisiens l’échec qu’elle avait subi ; il semblait qu’elle eût été mise en colère par le refus de son patron de lui accorder une augmentation – c’était sans doute de lui qu’elle voulait se venger. Il ne fallait pas être un génie pour en déduire qu’elle devait très probablement être électricienne, et ce d’autant plus qu’elle prétendait s’appeler Électrika.
Depuis maintenant le début de l’année scolaire, soit pas moins de quelques mois maintenant, la capitale s’était vue à de nombreuses reprises attaquée par de dangereux individus, dont cette femme faisait justement partie. Cela avait d’abord commencé avec un certain méchant du nom de Cœur de Pierre. Et à cette occasion, la ville avait assisté à la naissance – ou au retour ? – de deux super-héros du nom de Ladybug et Chat Noir. Deux justiciers qui protégeaient Paris, et n’avaient pas moins de cinq mille ans d’histoires derrière eux. Deux justiciers, qui, depuis lors, n’avaient jamais cessé de se battre pour défendre la capitale en danger. Une fois le problème de Cœur de Pierre réglé – il n’avait été question que d’un rand gaillard au cœur tendre qui ne savait pas dire à la fille qu’il aimait ses sentiments –, les deux héros étaient devenus de véritables légendes. Le schéma était toujours le même : un dénommé « Papillon » utilisait les sentiments négatifs des gens pour les transformer en super-vilains via une sorte de papillon qui trouvait refuge dans un objet très précieux appartenant à la personne : ce pouvait être un parfum, un téléphone portable, un bijou, voire même une montre. Le but de Ladybug et Chat Noir : détruire cet objet, et purifier le papillon, alias l’akuma qui s’en échappait. La tâche était des plus simples.
La routine, quoi.
Électrika actionna le bouton de la lampe de son casque. Cela pour effet de libérer une violente décharge, similaire à un éclair, qui faillit atteindre les deux héros s’ils n’avaient pas pris garde de l’esquiver aussitôt. A la place où ils se trouvaient plus tôt, il ne restait plus qu’un gros cratère d’où s’échappait de la fumée : le sol était complètement carbonisé. Par chance, il n’y avait aucun citoyen autour. Sitôt prévenus que quelqu’un sous l’influence d’un akuma faisait des ravages en ville, les parisiens trouvaient un endroit sûr où se cacher. C’était en partie pour cela que les deux justiciers avaient attiré la méchante ici. Ils ne souhaitaient pas qu’un nombre trop important de citoyens se retrouvât sous son influence : cette femme était capable de pétrifier les gens d’un simple coup de rayon ! Certains en avaient déjà fait les frais, il fallait agir au plus vite.
- On dirait qu’il y a de l’électricité dans l’air ! Penses-tu que le courant pourrait passer entre nous, ma Lady ?
- Chat, ce n’est vraiment pas le moment pour les jeux de mots ! répliqua sa coéquipière d’un ton inquiet, plus que réellement en colère.
Elle poussa un cri, évitant une nouvelle attaque de l’akumatisée – c’était ainsi que l’on appelait les supers-vilains qui terrassaient Paris – et regarda gravement son partenaire, quelques dizaines de mètres plus loin. Elle n’avait jamais compris comment Chat Noir parvenait à faire des jeux de mots dans des situations aussi dramatiques. Ne voit-il pas que l’on risque notre peau à chaque instant ? D’un autre côté, elle ne pouvait pas nier que l’humour douteux de son coéquipier détendait quelque peu l’atmosphère. Cela faisait partie du caractère du félin…
- Allez, Buginette, tu sais qu’on est faits pour être ensemble.
… avec les tentatives de drague. Chat Noir était incorrigible, de ce côté-là. Combien de fois lui ai-je déjà dit de ne pas m’appeler comme ça ! songea-t-elle en levant les yeux au ciel. Ce n’était pas faute de faire comprendre à son coéquipier qu’ils ne seraient jamais rien de plus que des partenaires – à la limite, des amis, si l’on voulait vraiment aller plus loin – mais Ladybug n’était absolument pas prête à entamer une relation amoureuse avec lui. Il était vraiment sympathique, elle ne pouvait pas le nier. Il était toujours là pour la protéger, il la suivait les yeux fermés, lui faisant entièrement confiance ; elle était d’ailleurs certaine qu’il aurait remis sa vie entre ses mains sans hésiter, tellement il se fiait à elle. C’était toujours lui qui allait en première ligne, et affrontait l’ennemi, alors qu’elle restait le plus souvent en retrait. Combien de fois avait-elle craint pour la vie de cet idiot de Chat, lors de tous les akumatisés qu’ils avaient affrontés ? Il faisait partie intégrante de son existence, c’était certain. Peut-être même, si la situation avait été différente, Ladybug aurait-elle pu lui donner une chance. Oui, elle aurait pu.
La jeune fille étouffa un rire face au clin d’œil complice de son coéquipier, avant d’esquiver de justesse une nouvelle salve d’Électrika. Se retrouvant à terre, elle roula sur le parvis de la cathédrale pour éviter les éclairs que la super-vilaine lançait avec sa lampe. Par chance, Chat Noir parvint à attirer l’attention de l’akumatisée, permettant à l’héroïne de se relever, et de chercher où se trouvait l’akuma. Son compagnon n’allait pas pouvoir faire distraction très longtemps. En général, l’endroit était facile à trouver, c’était toujours un objet, plus ou moins gros que la personne possédait avec elle. Mais la méchante n’arrêtait pas de bouger, ce n’était pas évident de pouvoir bien l’observer, dans ces conditions. Ladybug fronça les sourcils. Elle était sûre que c’était juste sous ses yeux, pourtant ! Elle croisa les bras exaspérée. Fichu akuma, où peut-il bien–
Elle releva lentement la tête, son regard se posant sur le casque.
Le casque !
- Chat Noir, l’akuma est dans son casque !
- Super ! Sauf que, euh, on fait comment pour l’atteindre ? C’est pas que je commence à fatiguer, mais…
Avec son bâton extensible utilisé comme un bouclier, il s’appliquait à stopper les éclairs qu’Électrika lui envoyait. Ladybug se mordit la lèvre, inquiète. Si le duo continuait à ce rythme, ils n’allaient pas tenir très longtemps – Chat, surtout – et ils devaient encore stopper la vilaine et purifier l’akuma. Dans des situations comme cela, Ladybug n’avait plus qu’une option : utiliser son pouvoir de création, le Lucky Charm. Ce sort lui permettait de se voir confier un objet a priori incongru et sans utilité, mais il suffisait à la Coccinelle de scanner son environnement pour en déduire un plan d’attaque afin de stopper le méchant, grâce à cet objet. C’était à chaque fois la grande surprise : elle ne savait jamais ce qu’elle allait recevoir. Mais pour le moment, son coéquipier était dans une position délicate, et Électrika était plus déchaînée que jamais.
- Ok, je me lance ! Lucky Charm ! s’écria-t-elle en lançant son yoyo dans les airs.
En guise de réponse, elle ne reçut qu’un banal miroir portatif, qui retomba dans ses mains gantées. Elle le contempla d’un air perplexe. Elle avait l’habitude des objets super bizarres, mais là…
Un miroir ?
Sérieusement ?
- Ma Lady, ce n’est peut-être pas l’occasion idéale pour se refaire une beauté… ! s’exclama Chat Noir en apercevant l’objet.
Ladybug secoua la tête, revenant à la réalité. Chat menaçait de craquer d’un moment à l’autre, et elle devait trouver le moyen d’utiliser rapidement ce miroir. Elle plissa les yeux. Le miroir dans sa main clignota, ainsi que casque de la super-vilaine. C’est ça ! Je dois utiliser le miroir pour réfléchir ses éclairs et la paralyser ! En revanche, elle ne comprenait pas pourquoi le pylône électrique, plus loin derrière Électrika, clignotait également. Qu’est-ce que ça veut dire… ? Elle haussa les épaules. Il n’y avait qu’à se lancer, elle verrait bien ensuite. Les poings serrés, elle cria pour attirer l’attention de l’akumatisée, offrant à son partenaire un peu de répit. Ce dernier poussa un profond soupir. Depuis tout à l’heure, il tenait tête à la méchante, et toutes ces décharges électriques qu’il avait dû repousser à l’aide de son bâton l’avais mis hors-circuit. D’ordinaire, il était habitué à mener la danse et à protéger sa Lady, mais les attaques d’akumas se faisaient plus nombreuses et plus violentes, depuis quelques temps. Le Papillon, responsable de ce chaos, rivalisait toujours plus d’ingéniosité pour mettre en difficultés les deux super-héros de Paris, tant il était obsédé par ce que chacun d’eux possédait : des bijoux magiques, appelés miraculous.
Il en existait sept en tout, tous représentés par un animal : la bague du chat noir, les boucles d’oreilles de la coccinelle, le collier du renard, le peigne de l’abeille, le bracelet de la tortue, la broche du papillon et le bijou du paon. Ils permettaient à la personne qui les portait d’acquérir de grands pouvoirs, et de se transformer en héro pour combattre – que ce fût en bien, ou en mal. Pour cela, il suffisait qu’un kwami, petite créature qui rentrait dans le creux d’une main, intégrât le bijou pour métamorphoser son porteur. Les deux plus puissants d’entre eux étaient la bague du chat noir et les boucles d’oreilles de la coccinelle : celui qui les possédait tous les deux se voyait octroyer le pouvoir de réaliser n’importe lequel de ses vœux ! Sauf que cela menaçait l’équilibre du monde… Malheureusement, le Papillon ne paraissait pas s’en soucier, et cherchait par tous les moyens à acquérir les deux précieux bijoux, d’où les attaques d’akumas. Mais heureusement, jusqu’ici, Ladybug et Chat Noir ne s’étaient jamais fait dérober leurs bijoux, même si cela avait failli arriver plus d’une fois.
Électrika appuya sur le bouton de son casque, lançant un éclair qui fonçait droit sur Ladybug. Cette dernière plaqua le miroir devant elle, en guise de protection. L’éclair ricocha sur le miroir, et la super-vilaine le reçut de plein fouet. Sous le choc, elle vacilla quelque peu, mais, contrairement à ce à quoi s’était attendue la Coccinelle, elle ne tomba pas, et sa rage redoubla. Des éclairs frétillaient autour d’elle. Oh oh, songea Ladybug, inquiète. On dirait qu’il va lui falloir plus qu’un coup de jus pour la faire plier. Elle se gratta la tête. En général, elle voyait toujours comment utiliser l’objet donné par son Lucky Charm, mais aujourd’hui, elle boguait un peu. Peut-être était-ce parce qu’elle n’avait pas très bien dormi, hier soir... Elle regarda à nouveau le miroir, perplexe et paniquée. L’akumatisée fonçait sur elle et elle allait l’électrocuter si l’héroïne ne trouvait pas le moyen d’utiliser ce fichu miroir. Déterminée, elle courut se réfugier derrière le mur d’une maison, en espérant trouver une solution pour mettre hors d’état de nuire son ennemie. Elle sursauta lorsque Chat vint la rejoindre, pour se cacher à ses côtés. Bon sang, il lui avait fait peur ! Mais sa colère retomba quand elle vit son doux sourire.
- Un souci, ma Lady ?
- J’ai essayé d’utiliser le miroir pour lui renvoyer son éclair, mais ça n’a pas suffit à la stopper. Ca ne l’a même pas paralysée !
Son partenaire observa le miroir, intrigué, avant de passer sa patte griffue sous son menton, pour réfléchir. Les objets que recevait Ladybug avaient toujours leur utilité, même si Chat Noir devait admettre qu’il n’était vraiment pas évident de trouver laquelle. En règle générale, Ladybug parvenait à dresser une tactique suffisamment audacieuse pour mettre leur adversaire en difficulté, et il ne leur restait ensuite qu’à déloger l’akuma et à le purifier. C’était elle, qui savait comment se servir de ce qu’elle obtenait grâce à son sortilège, pas lui – il préférait d’ailleurs de loin son Cataclysme : il n’avait qu’à toucher un objet pour le détruire complètement ; c’était rapide, simple, efficace, et surtout il n’y avait pas besoin de réfléchir trois heures sur comment utiliser le sort. Et il aimait les choses qui ne nécessitaient pas de se poser des questions. Honnêtement, lui-même était plutôt du genre impulsif, bien qu’il sût faire preuve de réflexion lorsque la situation l’exigeait.
- Tu es sûre que tu as bien utilisé tout ce que tu devais utiliser ?
Sa partenaire lui avait expliqué que l’objet qu’elle recevait ne s’utilisait jamais tout seul : il avait toujours besoin d’être associé à d’autres éléments, pour fonctionner pleinement. Peut-être que recourir uniquement au miroir n’est pas suffisant. Il doit avoir besoin d’autre chose pour marcher correctement, songea le félin, les sourcils froncés. Malheureusement, il ne pouvait pas vraiment aider Ladybug sur ce coup-là. Seule elle avait ce « sixième sens » qui lui permettait de savoir comment utiliser l’objet que lui conférait son Lucky Charm. Il posa ses mains sur ses hanches, un sourire en coin. Il avait confiance en sa partenaire, elle trouverait bien comment faire.
- Eh bien, il y avait les pylônes électriques qui clignotaient, mais je–
- Les pylônes électriques ? répéta Chat Noir.
Ladybug hocha la tête, perplexe. Elle avait noté que les oreilles du félin s’étaient dressées sur sa tête – au passage, elles lui conféraient une ouïe excellente –, montrant qu’il était intrigué et concentré. Elle lui lança un regard interrogateur. Avait-il trouvé une solution ? Ses yeux, qui lui permettaient une parfaite vision nocturne, pétillaient d’excitation. Il paraissait manifestement avoir trouvé un moyen de vaincre leur adversaire. Était-ce possible ? D’habitude, c’était la Coccinelle qui était la plus douée pour mettre des plans en place. Son partenaire pensait-il vraiment qu’il pouvait les tirer d’affaire ? Après tout, il semblait être très confiant, elle pouvait bien écouter ce qu’il avait à proposer ; lui la suivait toujours dans ses stratégies, il n’y avait pas de raisons qu’elle ne le laissât pas s’exprimer, pour une fois qu’il avait une idée. Ils étaient une équipe, après tout.
- Il faut la court-circuiter ! s’exclama-t-il, rayonnant.
Elle le regarda sans comprendre. Il posa ses deux mains sur ses épaules, et développa sa pensée, ses yeux verts plongés dans les siens.
- Les rayons électriques qu’elle produit doivent faire plusieurs milliers de volts. Sa combinaison doit la protéger, mais je suis sûr qu’en créant une différence de potentiel, on peut la mettre hors-circuit !
- Et… comment tu comptes faire ça ? demanda Ladybug, perplexe, en clignant des yeux.
- En utilisant les lignes à haute tension ! Attire-la près du pylône tout en continuant à parer ses attaques avec le miroir. Je m’occupe du reste.
La Coccinelle en resta bouche bée, si bien qu’elle ne retint même pas son partenaire qui quittait sa cachette pour s’élancer en direction des piliers électriques. Je n’en reviens pas… pensa-t-elle, sonnée. Chat a tout de suite compris à quoi servaient les pylônes ? Il a mieux compris que moi ?! Elle était plus que sidérée. D’habitude, son partenaire était rarement du genre à prendre les devants, dans le sens où il se contentait de suivre le plan de sa coéquipière ; il n’avait jamais cherché à contester sa parole où à la mettre en doute. Mais là… Il a réalisé avant moi ce qu’il fallait faire, c’est la première fois qu’une telle chose arrive ! Elle était à la fois surprise et admirative. Chat Noir faisait preuve d’initiative, et ça n’était pas pour lui déplaire, à vrai dire. Elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance : son idée tenait la route, bien qu’elle ne l’eût jamais entendu parler ainsi : c’était comme s’il avait été un expert en électricité ! Lui qui faisait toujours des jeux de mots et de la drague, ça faisait bizarre de le voir transformé ainsi en savant. Elle gloussa, puis secoua la tête. Il fallait encore s’occuper d’Électrika, et son partenaire avait besoin de son aide ; elle devait attirer la super-vilaine près du pylône, tout en lui renvoyant ses attaques. Ok, songea-t-elle en serrant le miroir dans ses mains. Il est temps de couper le courant ! Elle quitta à son tour son refuge d’une démarche résolue, prête à aider son partenaire pour pouvoir enfin mettre un terme à la bagarre. Ce Papillon… Il n’est même pas capable de venir chercher nos miraculous lui-même ! Il ne s’était jamais montré en personne, face aux deux héros – et Dieu savait que Ladybug haïssait les lâches.
De son côté, Chat Noir se tenait à côté du pylône en béton qui supportait les lignes à haute tension. Il avait compris d’où venait le problème : Ladybug ne faisait que renvoyer des attaques de même intensité que celle qu’elle recevait à Électrika. Ce n’était pas suffisamment puissant pour la mettre hors-course, il fallait lui envoyer encore plus d’électricité, à tel point qu’elle ne pût plus supporter tout cet amas de courant qu’elle recevait, et surchauffât de l’intérieur. C’était le seul moyen, et, de fait, Ladybug lui avait dit que les pylônes clignotaient, donc il fallait les utiliser. Les lignes étaient en hauteur, mais un petit cataclysme bien placé devrait être suffisant pour faire s’effondrer le pylône… et libérer les lignes à haute tension. Oui, ça devrait marcher, se répéta le héros, confiant. Il remarqua sa coéquipière qui sortait de son abri, et tenait tête à Électrika, se servant du miroir comme bouclier. Elle se débrouillait très bien, et parvint à amener l’akumatisée tout près du pylône. Lorsque la Coccinelle renvoya une énième charge électrique à la super-vilaine, Chat Noir sut d’instinct que c’était le bon moment.
- Cataclysme ! s’écria-t-il, en brandissant le poing.
Des orbes noires dansèrent autour de sa main droite, et il apposa cette dernière contre le béton froid du pilier électrique. Aussitôt, le pylône commença à se désintégrer, et les lignes électriques vinrent fouetter avec puissance Électrika, s’enroulant autour d’elle. Avec la salve que venait juste de lui renvoyer la jeune héroïne, l’akumatisée ne fut plus en mesure de résister, et la décharge électrique survoltée qu’elle reçut la fit tomber à terre, inconsciente. Son casque noir roula quelques mètres plus loin, et Ladybug s’empressa de l’écraser violemment avec le pied. Un petit papillon d’un pourpre inquiétant se dégagea alors de l’objet fendu, et commença à s’envoler lentement dans les airs. La Coccinelle sourit, repensant à l’époque où elle n’était encore qu’une débutante : lors de sa première fois en tant que super-héroïne, elle avait complètement oublié de purifier l’akuma, alors que cette tâche lui revenait pourtant – Chat Noir n’avait pas la faculté de le faire, sans doute à cause de son pouvoir de destruction –, et elle avait bien failli renoncer, si ce dernier n’avait pas été là pour l’épauler. Heureusement qu’elle n’en était plus à commettre ce genre d’erreur, à présent. C’était pour cela qu’elle admirait son compagnon félin, aussi : parce qu’il n’était pas du genre à douter de lui, comparée à elle qui s’était déjà demandé un nombre incalculable de fois si elle était vraiment faite pour cela.
- Tu as assez fait de mal comme ça, petit akuma.
Elle effleura son yoyo du doigt, et celui-ci s’ouvrit soudain, devenant d’un blanc éclatant. D’un geste assuré, elle le laissa pendre une fraction de secondes.
- Je te libère du mal ! s’exclama-t-elle en lançant son outil magique en direction du papillon noir qui commençait à s’éloigner. Je t’ai eu ! ajouta-t-elle satisfaite, lorsque l’akuma se retrouva enfermé dans son yoyo.
Elle ramena ce dernier vers elle, et l’effleura à nouveau du doigt, libérant le papillon qui, cette fois était devenu d’une couleur blanche éclatante. Et voilà ! songea-t-elle tandis qu’il reprenait son envol, vers une destination inconnue. En tout cas, il ne risquait plus d’aller contaminer d’autres personnes. Car les akumas non purifiés pouvaient aller infecter d’autres citadins. Ils se nourrissaient des émottions négatives des gens pour les transformer en monstres. Par chance, les personnes sous l’emprise du Papillon ne se souvenaient plus de rien, ou presque, une fois qu’elles étaient redevenues normales. Et cela valait mieux ainsi.
- Bye bye, petit papillon ! souffla-t-elle à l’attention de la bête qui disparaissait au loin – elle ramassa le miroir posé à ses pieds. Miraculous Ladybug !
Elle lança l’objet dans les airs, et il se transforma en une nuée de coccinelles colorées qui investirent les rues de la ville pour réparer tous les dégâts dus à l’affrontement ; encore un pouvoir spécifique à Ladybug. Le pylône détruit retrouva ainsi sa place, les gens qui avaient été pétrifiés redevinrent normaux, y compris l’akumatisée elle-même, qui reprit lentement connaissance, tout en se demandant ce qui s’était passé. Chat Noir l’aida à se relever, tandis que la Coccinelle rattachait son yoyo à sa ceinture. On s’en est une fois de plus sortis, mais les confrontations deviennent de plus en plus intenses, constata-t-elle, préoccupée. Y avait-il une raison à cela ? Elle secoua la tête. Ce devait juste être son imagination. Elle rejoignit son coéquipier, qui regardait Électrika – alias Laura Lebrun – s’éloigner vers la rue Rambuteau, où elle vivait. Les deux jeunes gens avaient vu juste : c’était bien une employée en manque de reconnaissance de son patron. Pourtant, elle avait une vie de famille sans histoire, avec un mari et deux enfants. Papillon n’a donc aucun scrupule à s’attaquer à des innocents ?! Il faut qu’on le trouve et qu’on lui mette une raclée ! songea le félin, en serrant les poings. Il tressaillit en sentant une main se poser sur son épaule, et se retourna. Elle lui tendait son poing, affichant un air joyeux.
Il lui sourit.
- Bien joué ! s’exclamèrent-ils en même temps, frappant leur poing l’un contre l’autre. Je ne savais pas que tu t’y connaissais, en physique, chaton ! poursuivit la Coccinelle.
- Nous les chats, nous sommes une encyclopédie vivante, ma Lady. Et c’est grâce à nos neuf vies… Elles permettent d’acquérir beaucoup de savoir, fanfaronna Chat Noir.
Ladybug se mit à rire, pour le plus grand plaisir de son partenaire. Il adorait la voir ainsi, joyeuse et de bonne humeur, son rire était cristallin et mélodieux. Jamais il n’avait entendu de son si pur et si beau. Sa partenaire avait de si belles formes, qui plus était ! Il la regarda amoureusement. Depuis la première fois qu’il l’avait rencontrée, il avait su qu’il n’aimerait plus jamais personne d’autre. Elle lui avait volé son cœur, mais le plus cruel était qu’elle refusait de le lui rendre. Elle ne l’avait jamais vu autrement que comme un ami, et il ne savait toujours pas pourquoi elle refusait d’entamer une relation amoureuse avec lui. Je l’aime cette fille, avec ou sans le masque. Comble de malchance, sa Lady refusait de lui laisser voir sa véritable identité. En tant que gentleman, Chat Noir respectait ce souhait, pour faire plaisir à celle qu’il aimait, mais il était un peu déçu qu’après tous ces mois de collaboration ensemble, elle refusât toujours de lui accorder une chance, ou de lui révéler son alter ego civil. Lui ne faisait pas tant de manières, pourquoi était-ce donc si difficile pour sa partenaire ? Que craignait-elle ? Leur relation n’en sortirait-elle pas renforcée, s’ils se révélaient l’un à l’autre ? Chat Noir vivait avec ces questions en tête depuis longtemps.
Ladybug cessa finalement de rire, et le félin fut sorti de sa rêverie par leurs miraculous qui clignotaient, comme un rappel à l’ordre. Ils n’avaient désormais que cinq minutes – représentées par cinq points sur les boucles d’oreilles de Ladybug, et cinq coussinets sur la bague de Chat Noir – avant de se détransformer. Leur kwamis respectifs nécessitaient en effet de reprendre des forces, que ce fût grâce à des cookies pour l’une ou à du camembert pour l’autre, et ne pouvaient pas maintenir la transformation très longtemps. Ladybug détacha le yoyo de sa taille, et se retourna avant de le lancer au loin, pour l’accrocher à une structure suffisamment solide et regagner un endroit à l’abri des regards, où elle pourrait se détransformer en toute tranquillité. Elle regarda une dernière fois son partenaire, lui faisant un signe de main ; elle était prête à repartir.
- A plus, Chat Noir !
- Attends !
Il la retint par le poignet, et elle lâcha une exclamation de surprise.
- Chat, soupira-t-elle en le regarda d’un air grave, tu sais mon opinion à propos de nos identités.
Elle posa ses yeux doux sur lui et il sentit ses joues rougir, sous son masque noir. Combien de fois lui avait-elle effectivement répété qu’il valait mieux que personne ne sussent qui ils étaient, même l’un pour l’autre ? Ladybug avait toujours pris soin de ne pas dévoiler son identité à son partenaire, lui imposant d’en faire de même. Lui, pour sa part, avait toujours trouvé cette idée complètement absurde. Elle paraissait avoir peur de quelque chose, mais il ignorait quoi exactement. Il avait vraiment envie d’apprendre à la connaître. Ils étaient une équipe, ils n’étaient pas censés avoir de secrets l’un pour l’autre ! Parfois, Chat Noir s’était même imaginé qu’il connaissait sa Lady dans la vraie vie – bien qu’il n’y eût quasiment aucune chance pour que ce fût le cas, en fait. Oui, il rêvait de Ladybug jour et nuit, à ce point qu’il lui avait même écrit un poème, le jour de la Saint-Valentin. Le problème était que sa partenaire ne lui retournait pas ses sentiments, et il ne comprenait absolument pas pourquoi. Le Papillon devenait plus puissant, savoir leurs identités respectives ne pourrait que renforcer leur travail d’équipe, c’était du moins ce que pensait Chat Noir. Et il ne comprenait pas pourquoi l’amour de sa vie refusait qu’ils apprissent à se connaître en-dehors de leurs identités secrètes.
- S’il te plaît, j’aimerais savoir pourquoi est-ce que tu refuses de me considérer autrement que comme un ami. Avec ou sans le masque, tu restes la même personne !
Ladybug soupira, à moitié amusée, à moitié irritée par la énième demande de son partenaire de savoir leurs identités. Elle tenta de se dégager des griffes de son chaton qui lui entouraient le poignet, mais elle n’y parvenait pas. Même en insistant, son partenaire la tenait fermement, et n’avait manifestement aucune intention de la lâcher pour le moment, du moins, pas tant qu’il n’aurait pas obtenu satisfaction. Cela fit monter son agacement d’un cran. Elle allait s’apprêtait à lui dire quelque chose, mais les choses s’accélérèrent lorsqu’un bip pressant de son miraculous retentit. Aussitôt, son cœur commença à s’emballer, et elle sentit la panique l’envahir ; elle plaqua sa main libre sur sa boucle d’oreille, et gémit. Il était hors de question que Chat Noir découvrît sa véritable identité, comme ça, en pleine rue, cela n’était pas possible ! Lui aussi allait bientôt se détransformer, d’ailleurs ; et Ladybug n’avait pas envie de voir ça. Sans aucune idée ou argument pour se tirer d’affaire, il ne lui restait qu’une seule solution. Je sens que je vais le regretter, mais je n’ai pas vraiment le choix… songea-t-elle, en fermant les yeux. Stupide Chat…
- Retrouve-moi ce soir à neuf heures à la Tour Eiffel, et je t’expliquerai tout. Enfin, presque tout, nuança-t-elle.
Sous la surprise, son partenaire lui lâcha aussitôt le poignet, et recula de quelques pas, sans y croire. Jamais il n’avait eu de « rendez-vous » de ce genre avec sa Lady, elle s’était toujours contentée d’intervenir pour combattre les akumas ou pour patrouiller, mais, autrement, elle ne lui avait jamais parlé de sa vie personnelle. Encore et toujours parce qu’elle souhaitait plus que tout préserver sa précieuse identité civile. Alors, de se retrouver, tous les deux au sommet de la Tour Eiffel, c’était quelque chose d’extraordinaire. J’espère que je ne me suis pas montré trop insistant quand même… songea Chat Noir, avec un brin d’inquiétude, alors que sa partenaire se dégageait de lui et lançait son yoyo au loin, afin qu’il allât s’accrocher à une maison non loin et qu’elle pût aller se détransformer en toute sécurité. Même si Ladybug le considérait sans doute comme un gros dragueur, il n’était pourtant pas ce genre de héro-là, il se fichait tellement des autres filles ! Enfin, dans la mesure où c’était à la Coccinelle qu’appartenait son cœur. Il ne savait plus quoi faire pour qu’elle acceptât enfin de lui laisser une chance, il voulait lui prouver qu’elle se trompait, sans pour autant passer pour un vrai lourdaud ! Gagner le cœur de Ladybug s’avérait être une épreuve encore plus difficile à remporter qu’un combat avec un akuma. Ce n’était pas gagné d’avance.
Mais ce soir, au moins, j’aurais une chance.
De son côté, Ladybug, une fois que son partenaire l’eût lâchée, s’était servie de son yoyo, pour se déplacer à travers l’immensité de la capitale parisienne, et se réfugier dans le quinzième arrondissement, près d’un énorme bâtiment, qui ressemblait fortement à un collège. Dans une ruelle à proximité, elle trouva finalement une petite enclave, où elle se glissa discrètement, après s’être assurée qu’elle était seule dans le coin, et que personne ne l’avait vue. Elle poussa un soupir de soulagement, et un brillant halo rose l’entoura alors, pour laisser la place à une créature rouge, qui se mit à tourner joyeusement autour de la jeune femme.
Sauf que cette fois, ce n’était plus Ladybug, l’héroïne de Paris, qui se trouvait à présent dans la rue, mais une adolescente d’une quatorzaine d’années, aux cheveux noir de jais attachés en deux couettes, et aux yeux bleus comme l’océan. Son tee-shirt blanc bordé de noir était orné de fleurs, et surmonté d’une veste courte et sombre, aux manches relevées. Un jean rose descendait jusqu’à la moitié de ses mollets, et elle avait aux pieds des ballerines de la même couleur, jolies et confortables. Pour couronner le tout, elle portait en bandoulière une petite bourse, qui s’agitait au gré du mouvement de ses hanches. La petite créature, qui, par son apparence rouge à pois noirs, ressemblait à s’y méprendre à une petite coccinelle, voleta doucement dans les mains de la jeune fille, et vint s’y poser, la regardant avec une certaine inquiétude, avant de finalement se mettre à parler, d’une voix aigue et fluette.
- Quelque chose ne va pas, Marinette ?
- Tikki, c’est une catastrophe, Chat Noir veut absolument qu’on parle, je savais plus quoi faire, et j’ai été obligée de lui donner rendez-vous à la Tour Eiffel ce soir à neuf heures ! C’est horrible, imagine qu’il me pose des tas de questions : je vais répondre complètement à côté de la plaque, il va encore essayer de me draguer, je vais plus savoir quoi dire et puis–
Tikki – c’était ainsi que se nommait la kwami de Ladybug – vint doucement poser une patte affectueuse sur ses lèvres, pour faire taire sa protégée. Elle connaissait Marinette depuis la rentrée de septembre, et le moins que l’on pouvait dire, c’était que la petite créature ne s’était pas attendue à un tel accueil : elle avait été enfermée sous une cloche en verre par la jeune fille, alors qu’elle n’avait même pas commencé à parler ! Aucune des Ladybug que Tikki avait côtoyées – et Dieu savait qu’en cinq mille ans, elle en avait vu défiler – ne l’avait traitée de manière aussi étrange, lors de leur premier contact.
Mais Marinette n’était pas n’importe qui.
Tikki avait rapidement compris, lorsqu’elle avait fait la connaissance de l’adolescente, pourquoi celle-ci avait été choisie pour être Ladybug, la nouvelle super-héroïne de Paris. Elle avait toutes les qualités pour, lorsqu’on y regardait bien. C’était une fille sensible, gentille, douce, mais sa principale qualité restait encore la générosité. Jamais quelqu’un n’avait pu être aussi altruiste que l’était Marinette. Sans doute tenait-elle ce trait de caractère de ses parents, Tom et Sabine Dupain-Cheng, tous les deux boulangers dans un établissement situé non loin du collège Françoise Dupont, où elle étudiait. Oui, Marinette avait vraiment beaucoup de qualités, mais ses défauts lui rendaient la vie dure. Maladroite, timide, et manquant cruellement de confiance en elle, elle avait tendance à se sous-estimer plus que de raison, et c’était en partie à cause de cela qu’elle avait dans un premier temps refusé d’être Ladybug. Elle avait estimé ne pas avoir les épaules assez solides, pour supporter le poids de super-héroïne, et il avait fallu les encouragements de sa kwami autant que ceux de son partenaire Chat Noir, pour lui faire prendre conscience de son immense potentiel, et lui permettre de retrouver confiance en elle. Aujourd’hui, Marinette prenait son rôle de protectrice de Paris très à cœur, et rien ne pouvait l’arrêter quand elle revêtait son masque et son costume rouge brillant à pois noirs. Par contre, une fois redevenue Marinette, simple collégienne, c’était une tout autre histoire qui se jouait.
En effet, sous son identité civile, l’adolescente se retrouvait confrontée au plus insurmontable de tous les obstacles : l’amour. Cela n’aurait pas été un problème en soi, pour n’importe quelle fille de son âge. Elle serait simplement allée voir le garçon pour lui dire qu’il lui plaisait, et lui aurait directement demandé s’il voulait sortir avec elle ; tout du moins, elle aurait été capable de lui parler normalement. Oui mais voilà, c’était sans compter que Marinette Dupain-Cheng en était bien incapable. Parce que, à cause de sa timidité maladive, elle était dans l’incapacité d’aligner trois mots correctement face à l’homme de sa vie – et elle n’exagérait pas en l’appelant ainsi.
Adrien Agreste.
Non seulement, il était beau comme un Dieu, mais alors en plus, il avait toutes les qualités possibles et imaginables de la Terre, et même de l’univers. Il était aussi altruiste que Marinette, peut-être même plus encore, attentionné, avec un sourire d’ange qui faisait fondre le cœur de l’adolescente. Le plus comique était que leur première rencontre s’était pourtant assez mal passée. Chloé Bourgeois, la peste de fille du maire, qui se retrouvait pour la quatrième année consécutive dans la classe de Marinette – fallait-il avoir la poisse pour qu’une telle chose arrivât ! – s’était mise à lui jouer un sale tour, en collant un chewing-gum sur le banc où la jeune fille s’asseyait ordinairement. Par un malheureux concours de circonstances, Marinette avait cru que c’était Adrien qui était responsable de cette mauvaise blague, alors que le pauvre tentait juste d’enlever la gomme à mâcher du banc. Et cela, l’adolescente l’avait compris à la sortie des cours, où, alors qu’il pleuvait, Adrien lui avait généreusement tendu son parapluie, en lui expliquant ce qui s’était réellement passé. Et à présent, Marinette s’en voulait tellement de ne pas lui avoir fait confiance ! D’autant plus qu’Adrien était le fils de Gabriel Agreste, un styliste réputé dans le monde entier, et également le préféré de l’adolescente, qui plus tard, ambitionnait de devenir la plus grande des stylistes parisiennes.
Depuis cette histoire, elle avait le gros coup de foudre pour le jeune homme, mais il s’était rapidement avéré qu’elle allait avoir plus de mal à lui déclarer sa flamme que ce qu’elle n’avait prévu. C’était comme si elle était victime d’une terrible malédiction : chaque fois qu’elle essayait de formuler une phrase grammaticalement correcte en face d’Adrien, elle finissait par se ridiculiser, parce que ce qu’elle disait n’avait aucun sens. Elle avait énormément de mal à parler normalement à l’élu de son cœur, et même au téléphone, cela relevait de la mission impossible – elle avait encore en mémoire ce message où elle l’avait appelé « beau gosse », et le périple qu’il avait fallu faire pour s’emparer du portable du jeune homme et effacer ledit message compromettant ! Toutes ses tentatives pour se rapprocher d’Adrien se soldaient à chaque fois ou presque par un échec, comme cette fois où elle lui avait confectionné une écharpe, et qu’il avait cru que le cadeau venait de son père ; Marinette ne comprenait d’ailleurs toujours pas ce qui s’était passé. Le pire, c’était qu’Adrien ne se doutait pas qu’elle était amoureuse de lui, et la considérait comme une simple amie. Même avec l’aide de ses camarades de classe, ses plans ne se déroulaient jamais comme elle espérait qu’ils se dérouleraient, et c’était frustrant.
- Chut, calme-toi, Marinette ! Je suis sûre que tout se passera bien, tenta de la calmer Tikki. Et puis, ce serait peut-être l’occasion d’en savoir plus sur Chat Noir !
La kwami avait glissé innocemment cette dernière phrase. En effet, il y avait maintenant quelques semaines de cela, Ladybug et Chat Noir avaient affronté le principal de leur collège, monsieur Damoclès, akumatisé en Hibou Noir. En voulant trop jouer les héros, le vieil homme y avait laissé des plumes, et cela n’avait pas été en s’arrangeant lorsque Ladybug avait révélé par inadvertance la véritable identité du prétendu super-héros. Cela avait bien failli être la fin de la Coccinelle et du Chat, mais, ingénieuse comme toujours, l’héroïne en costume rouge avait trouvé une solution pour les sortir d’affaire, alors qu’ils menaçaient d’être ensevelis vivant dans un conteneur. Sauf que pour mettre le plan à exécution, les deux partenaires avaient dû se détransformer. De fait, chacun des kwamis était à présent au courant de l’identité du partenaire de son protégé. Tikki savait ainsi qui se cachait sous le masque de Chat Noir, mais elle s’était jurée de ne rien dire à Marinette. D’abord parce que l’identité des deux héros devait rester secrète, et de l’autre, parce que ce n’était pas elle de lui révéler ce genre de choses. Sa choisie allait devoir le découvrir par elle-même. En attendant, Tikki essayait de mettre la jeune fille sur la voie.
Cette dernière secoua la tête. Elle avait beau apprécier Chat Noir – elle devait même avouer qu’elle lui aurait laissé une chance, si elle n’avait pas connu Adrien – il restait seulement son partenaire. Elle ne savait pas comment lui expliquer, sans le blesser, qu’elle aimait quelqu’un d’autre. D’aucuns auraient pu lui dire que courir désespérément après Adrien en espérant qu’il la remarquât était une perte de temps, mais, tout comme le cœur de Chat Noir appartenait à Ladybug, celui de Marinette appartenait à Adrien. Et cela ne changerait jamais. L’adolescente n’était pas à court de plans pour se rapprocher de l’élu de son cœur. Et c’était déjà un peu le cas : il lui avait offert un bracelet porte-bonheur, pour son anniversaire, et elle avait même pu valser avec lui, lors d’un bal organisé par Chloé ! Ces moments étaient vraiment précieux, et, en attendant qu’Adrien fût à elle un jour, elle se contentait d’afficher son image en fond d’écran de son ordinateur, ou bien des posters de lui partout dans sa chambre. Elle avait même un tableau spécial qui comportait l’emploi du temps, très chargé, du jeune homme, ainsi elle pouvait savoir en permanence où il était, et cela la rassurait. Jamais personne n’avait été amoureux à ce point.
Elle sursauta en entendant la cloche du collège sonner ; il était midi, et il valait mieux qu’elle ne trainât pas, elle n’avait qu’une pause-déjeuner d’une heure, avant de reprendre les cours.
- C’est vrai que tu as vu la véritable identité de Chat Noir, déclara-t-elle à sa kwami, tandis qu’elle quittait la ruelle en direction du bâtiment scolaire. De toute façon, il ne sera jamais aussi parfait qu’Adrien, affirma-t-elle rêveusement.
Si tu savais, Marinette, songea sa kwami en rigolant, avant d’aller se cacher, comme elle avait l’habitude de le faire, dans le petit sac rose que sa protégée portait en bandoulière, si seulement tu savais…
***
Chat Noir avait quitté le parvis de la cathédrale Notre-Dame pour rejoindre, tout comme sa partenaire, une ruelle adjacente au collège Françoise Dupont. Ce fut à l’abri des regards qu’il se détransforma, enveloppé d’une lumière verte intense. Son costume – qui était fait d’une matière similaire à du cuir –, la ceinture à sa taille et les oreilles de chat disparurent pour laisser la place à un jeune garçon de quatorze ans, aux cheveux dorés et aux yeux d’un émeraude sublime ; son visage arborait des traits fins et délicats et sa peau était claire et teintée de rose par endroits. Il portait un tee-shirt noir avec cinq rayures colorées au niveau de la poitrine – jaune, vert olive, vert vif, bleu canard et violet – surmonté d’une chemise blanche dont les manches étaient roulées jusqu'au-dessus des coudes, ainsi qu’un jean bleu et une paire de baskets oranges, avec des lacets blancs. Sitôt que sa détransformation fut terminée, une petite créature noire à l’apparence de chat se mit à voler à ses côtés.
- Plagg, je vais enfin pouvoir parler en privé avec Ladybug, tu te rends compte ?
Le dénommé Plagg soupira, en secouant sa petite tête de félin. Il ne comprenait aucunement l’obsession de son choisi, le jeune mannequin le plus connu de tout Paris Adrien Agreste, pour l’héroïne Coccinelle. C’était d’autant plus stupide que, malgré les tentatives désespérées de Chat Noir pour séduire sa partenaire, celle-ci refusait toujours ses avances ; malgré cela, le super-héros n’en démordait pas, et continuait avec énergie à essayer de convaincre sa belle qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Au fond, ce n’est peut-être pas plus mal… pensa Plagg en observant l’adolescent soupirer rêveusement. Quand le miraculous du Chat avait été confié à Adrien, le kwami avait rapidement déchanté : le futur super-héros qui défendrait la capitale était un pauvre adolescent prisonnier dans un immense manoir de béton, qui vivait sous la coupe de son père, et ne connaissait rien ou presque du monde extérieur. En acquérant la responsabilité de protéger Paris, Adrien avait considérablement évolué, et ce positivement. Son alter ego, Chat Noir, lui conférait une toute autre personnalité, plus libre et plus extravertie que ne l’était habituellement le mannequin. Rencontrer Plagg avait vraiment été la meilleure chose qui eût pu arriver au blondinet. Il avait finalement pu intégrer la classe de troisième du collège Françoise Dupont, et se faire de nouveaux amis, bien que cela eût été loin d’être évident, au début. Au premier abord fainéant et glouton, le kwami noir n’en restait pas moins profondément attaché à son choisi, se faisant le devoir de veiller sur lui. De tous les nombreux Chat Noir qu’il avait fréquentés, Adrien était celui qui avait le plus marqué Plagg, surtout par son histoire, en fait. Il n’avait vu personne être aussi prisonnier de son propre chez-soi, être un super-héro devait offrir tellement plus de liberté !
Mais bon, l’adolescent pouvait tout de même lui épargner son enthousiasme infondé à propos de ce ridicule rendez-vous avec Ladybug, parce que c’était insupportable.
- Pourquoi est-ce que tu te mets dans tous tes états ? Ce n’est pas un rendez-vous amoureux, tout de même !
- Tu ne comprends vraiment rien, souffla Adrien en secouant la tête, amusé. Ladybug a volé mon cœur, et je vais tout faire pour conquérir le sien.
- Moi, le seul amour de ma vie, c’est une bonne tranche de camembert coulant à souhait.
Adrien se retint d’éclater de rire et leva les yeux au ciel. L’inconvénient d’avoir Plagg comme kwami, c’était que ce dernier ne jurait que par le camembert – cela frôlait parfois le ridicule –, obligeant son porteur à se transformer en véritable fromagerie ambulante. Le mannequin se demandait souvent comment personne n’avait encore remarqué l’odeur infecte du camembert qu’il transportait dans les poches intérieures de sa chemise. Quand il le pouvait, il laissait le fromage dans son casier, tant l’odeur était insupportable. Avec le temps, on finissait par s’habituer à tout, mais Adrien avait décidément beaucoup de mal à accepter de sentir le fromage malodorant à longueur de journée. Ce qui ne l’empêchait pas d’adorer la petite créature, bien au contraire. Si elle n’avait pas été là, le blondinet était certain que les choses auraient été très différentes.
- Et puis, tu ne sais même pas qui se cache sous son masque ! Si ça se trouve, tu risques d’être déçu en apprenant la vérité… Tu ne veux vraiment pas que je te dise qui c’est ?
- Non, Plagg. C’est à Ladybug de me le dire. Quand elle sera prête, répondit le jeune homme, en regardant le ciel, rêveur.
Le kwami soupira, désespéré. Lors de la confrontation avec le Hibou Noir, les deux super-héros s’étaient détransformés, et avaient fermés les yeux, tout ça pour soi-disant préserver leurs « identités secrètes ». Plagg devait admettre qu’il était assez surpris d’avoir vu que Marinette était la Ladybug dont son protégé s’était follement épris, mais qu’il était content d’avoir pu voir, même un bref instant, Tikki. Durant les cours, le kwami avait l’habitude de rester dans le sac en bandoulière de son choisi ; il savait que Marinette était une camarade de classe d’Adrien, il avait entendu son prénom à plusieurs reprises. Mais il savait également qu’Adrien n’avait jamais considéré la jeune fille autrement que comme une très bonne amie. Il y avait fort à parier que, comme Adrien avec Chat Noir, la personnalité de Marinette évoluait lorsqu’elle devenait la super-héroïne que tout le monde connaissait. Plagg était légèrement anxieux quand au fait que son protégé avait peut-être trop surestimé Ladybug. Enfin, Adrien n’est pas comme ça, c’est quelqu’un de bon, je suis sûre qu’il s’entendra très bien avec Marinette… quand il saura sa double identité. Il savait que Tikki, la kwami de Ladybug, tenait à ce que les deux adolescents découvrissent qui ils étaient sous le masque par eux-mêmes. Et dans le fond, c’était peut-être mieux ainsi.
En attendant, le blondinet était plus que surexcité à l’idée du rendez-vous de ce soir, qui, il l’espérait, n’aurait rien de trop officiel. Ladybug lui était tombée dessus sans prévenir – c’était le cas de le dire – et son image le hantait depuis leur première rencontre. Ce furent les gémissements de Plagg qui interrompirent le jeune homme dans ses pensées : il menaçait de mourir de faim, et mimait la scène avec tant de réalisme qu’il aurait pu être primé aux oscars, si toutefois il existait des oscars pour ces minuscules créatures. Décidément, certaines choses ne changeraient jamais.
- Tiens, fit Adrien en tendant à son kwami un morceau de camembert, ça devrait te rassasier. D’ailleurs, c’est l’heure pour moi d’aller manger aussi, constata-t-il en entendant midi sonner, alors que Plagg filait se réfugier sous sa veste.