Le secret
Le réveil dans le module fut libérateur. Garrus se sentait plus léger qu’il ne l’avait été depuis des années. Il sortit du module d’un bond, à deux doigts d’enlacer Seven qui l’évita avec un regard outré.
- ça fait au moins deux heures que je vous regarde pioncer dans ce truc Vakarian !
- A charge de revanche, j’ai attendu bien plus longtemps que ça après votre coup sur la tête !
- Je peux savoir pourquoi vous êtes aussi content ?
- Franchement Cooper, faut le voir pour le croire.
Garrus éclata de rire en voyant Seven le fixer avec son air furieux. Il se sentait terriblement décalé, à rire de bon cœur au milieu d’un charnier, à côté d’une bombe pouvant raser une ville, alors que la fille de Shepard se demandait s’il ne valait pas mieux l’abattre pour l’empêcher de faire une connerie, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Vivante. La femme qu’il aimait était vivante, et ce simple fait l’emplissait d’une allégresse telle qu’il n’avait plus les idées claires. Mais il devait se calmer, sans quoi le lieutenant risquait de l’assommer, pensant agir pour leur sécurité à tous.
- Ok Cooper, je vous explique. Alenko est à l’infirmerie, les mécas l’y ont emmené pour le soigner après avoir abattu le personnel du complexe. Il y a… quelqu’un dans ce système. Une amie, précisa-t-il.
Un instant, Garrus hésita. Est-ce qu’il valait mieux tout expliquer au lieutenant, ou garder pour lui sa découverte jusqu’à avoir récupéré Kaidan ? A la réflexion, il préférait se débrouiller seul avec son vieil ami. Selon l’humeur de ce dernier, ça pouvait encore dégénérer, et le Turien refusait de mettre Cooper dans ce genre de situation. Entre l’obéissance qu’elle devait à son supérieur, et le lien qu’ils avaient tissé lors de leurs conversations dans leur cellule, que choisirait-elle ? Il valait mieux ne pas tenter le diable. Ça impliquait donc de convaincre Cooper d’entrer dans le module pour parler à Shepard. Il fallait lui dire.
- Une IA ? demanda Seven. Qui ?
- Je vous préviens, ça va vous faire un choc…
- Je commence à avoir l’habitude avec vous, crachez le morceau.
- C’est Shepard, lieutenant. Virtualisée, dispersée par le Creuset et qui a mis deux décennies à se reconstruire, en gros.
Seven resta silencieuse et imperturbable. Avant de déclarer :
- Ce truc vous a retourné le cerveau, Vakarian.
- Croyez-moi Cooper, j’étais sceptique. Mais il va falloir me faire confiance, c’est bien elle.
Dubitative, Seven laissait son regard aller et venir du module à Garrus, essayant de déterminer si ce truc avait pu reprogrammer les nanites du Turien pour lui faire croire à cette histoire insensée.
- Ecoutez, si vous ne voulez pas aller la voir, je comprends. Mais laissez-moi aller chercher Kaidan et lui expliquer tout ça.
- Parce que vous pensez qu’il va vous croire ? Il va vous balancer une frappe biotique en pleine tête oui.
- J’espère qu’il sera trop sonné pour ça, mais peut-être. Dans ce cas, je préfère autant que vous ne soyez pas là pour le voir me mettre en morceaux. Restez là, c’est un ordre.
Garrus quitta Seven sur ces mots. Aidé du plan du complexe, il progressa de couloir en couloir jusqu’à l’infirmerie. Avec un peu de chance, Kaidan serait encore assez dans les vapes pour l’écouter. Il aurait besoin de son aide, deux Spectres ne seraient pas de trop afin de débloquer les ressources nécessaires pour faire revenir Shepard. Le Turien était anxieux, et confiant à la fois. Elle était vivante, c’était tout ce dont il rêvait. Il était prêt à remuer l’intégralité de la galaxie pour qu’elle revienne totalement.
Arrivé à l’infirmerie, Garrus trouva Alenko encore inconscient. Le scan basique de son Omnitech ne révéla aucune lésion sérieuse, à part un méchant coup au crâne. Sans douceur, le Turien secoua son ami en l’appelant. Au bout de quelques instants, Kaidan ouvrit les yeux, sonné.
- Garrus ? Oh bordel, ma tête…
- Ouais, vous avez une méchante bosse. Ça va votre ampli ?
- Heureusement qu’il est boosté par les nanites, sinon j’y restais, répondit Kaidan en secouant la tête avec précaution. Ça faisait des années que je ne m’étais pas payé une migraine pareille. Qu’est-ce que vous faites là ? Vous vous êtes débarrassé des mercenaires ? Et Cooper ?
- Cooper va bien, quant aux mercenaires… Disons qu’on a reçu un coup de pouce imprévu. Kaidan, j’ai un truc à vous dire.
- Eh ben allez-y.
- Shepard est vivante, Kaidan. Elle est ici, sous forme virtuelle. C’est elle qui a retourné les mécas du complexe contre les mercenaires, qui les a envoyés vous donner les premiers soins, et qui nous a ouvert les portes.
Kaidan le regarda un instant sans répondre, avant de s’exclamer :
- C’est vous qui avez pris un coup sur la tête, Vakarian !
Garrus soupira. Rapidement, il narra les évènements qui l’avaient amené à se connecter au système du labo, et l’histoire de Shepard. Kaidan, la tête dans les mains, garda le silence longtemps après qu’il se fut tu.
Alors que le turien commençait à s’impatienter devant son manque de réaction, Kaidan le surprit :
- Ok.
- Quoi ?
- J’ai dit ok. J’ai déjà payé le prix fort pour n’avoir pas fait confiance à Shepard. Je refuse de passer encore un quart de siècle à me torturer.
- Merci Kaidan, je…
- Je n’ai pas fini ! rétorqua le major. Je veux qu’IDA l’analyse avant qu’on ne fasse quoi que ce soit. On l’emmène, et on voit.
- ça me va ! s’exclama Garrus, soulagé. Merci Kaidan… J’aurais jamais cru que… que vous…
Pour la première fois depuis des années, Kaidan leva la tête vers son ancien compagnon d’arme, et lui adressa un sourire fatigué.
- Vous n’êtes pas le seul à l’avoir perdue Garrus. Vous êtes certainement celui qui en a le plus souffert, mais vous n’êtes pas le seul.
Il s’interrompit, massa la cicatrice de son implant douloureux, et reprit à voix basse :
- Je vous dois des excuses. Je me suis comporté comme un con, c’est une foutue habitude chez moi. A presque soixante ans, il serait temps que j’essaye de m’améliorer.
- Un truc bien avec les nanites, c’est que vous avez encore pas mal de temps devant vous Kaidan. On vivra pas un millénaire, mais peut-être assez pour oublier tout ça ? répondit Garrus en lui tendant la main.
- J’espère, répondit Kaidan en la serrant.