Le secret
Elle reposait sur une surface dure et froide. Le sang lui battait douloureusement aux tempes, et son corps était endolori. Seven garda les paupières closes. Le réveil lui en rappelait un autre, tout aussi désagréable, presque identique : un trou noir en guise de mémoire, et la souffrance comme présent. Qu'avait-elle encore fait pour se retrouver dans cette situation ? La jeune femme avait beau fouiller, aucun souvenir ne remontait. Machinalement, elle ouvrit les yeux sur un plafond métallique.
- Eh ben, c'est pas trop tôt, bougonna quelqu'un à quelques pas d'elle. Je me demandais quand vous alliez émerger.
Vakarian. Le son de la voix du turien réveilla quelque chose. Elle se revit débarquant sur la planète avec les commandos, suivre le colonel pendant que les trois équipes rejoignaient leurs positions. La première partie du plan s'était déroulée à la perfection : tandis que les bleus faisaient diversion à l'autre bout du complexe, les deux Spectres et elle s'étaient infiltrés. Ils avançaient méthodiquement vers le centre du bâtiment, abattant les ennemis qui se présentaient avant qu'ils ne puissent donner l'alerte. Des clics réguliers provenant de leurs transmetteurs les rassuraient sur l'état de leurs compagnons. Leur progression se faisait sans heurts, rythmée par les portes, les pièces et les couloirs. Ils avaient traversé plusieurs labos désertés, sans découvrir quelles recherches on y menait. Leur objectif prioritaire, la bombe, était presque atteint lorsqu'une alarme avait retenti.
Des dizaines de terroristes et de mercenaires avaient envahi le couloir. Trop nombreux. Les ennemis menaçaient de les submerger, Alenko avait hurlé à ses coéquipiers de se replier, tout en balançant devant lui des frappes biotiques dévastatrices. Calme et concentré, Garrus levait son fusil de précision, et chacune de ses balles abattait sa cible. Éclipse, Soleil Bleu, d'autres groupuscules sans nom, ou inconnus, les uniformes disparates défilaient. Toute au combat, Seven enregistrait chacune des images sans les analyser, réservant toute sa concentration à tuer le plus de soldats possibles. Malgré tout, leur résistance acharnée n'avait pas fait long feu. La suite se résumait à un bon coup sur la tête pour la jeune femme et à ce réveil dans ce qui était visiblement une cellule.
Grimaçant, elle se redressa et s'assit. Le mouvement provoqua un élancement douloureux à la base de son crâne. La pièce tangua.
- Allez-y doucement, lieutenant, ils n'y sont pas allés de main morte avec vous, déclara Vakarian. Vous leur avez donné du fil à retordre.
Tout en se massant la nuque, Seven embrassa la cellule du regard. Murs métalliques, sol métallique, plafond métallique. Elle frappa un coup léger sur la cloison, écouta le son rendu, hocha la tête.
- On est encore dans la base, affirma-t-elle.
- Ouais, je me suis fait la même réflexion. C'est du préfab pour les bases temporaires de l'armée.
Le vertige cessait. La cellule était minuscule, à peine plus de cinq ou six mètres sur dix, et ne comportait aucune ouverture à part une porte du même matériau que les murs.
- Où est le colonel Alenko ? demanda la jeune femme.
Le turien grimaça.
- J'en ai pas la moindre idée Cooper. Je me suis réveillé il y a quelques heures, Kaïdan n'était pas là, et personne n'est venu. Ça fait une plombe que je vous regarde roupiller.
- Les équipes de diversion ?
- Soyons sérieux lieutenant… marmonna Vakarian. On était attendus… Vous croyez que vos commandos de bleus s'en sont tirés ?
Le Spectre avait l'air furieux. Il y avait des hommes à lui dans ces équipes… Seven serra les poings en songeant aux huit soldats qui avaient donné leur vie. Des gosses, pleins d'enthousiasme, mais sans discipline, ni expérience. De la chair à canon. Un foutu gâchis. La colère l'envahissait, elle aussi. Vakarian avait raison, les turiens n'avaient sans doute fait aucune différence. Les terroristes étaient trop nombreux, la mission mal préparée… Depuis l'attaque du Cyclone, tout était parti en vrille.
La jeune femme se leva. La rage obscurcissait sa vision, atténuant la douleur du coup à la tête. Un halo bleu envahit son corps tandis qu'elle se campait devant la porte. Quand la violence du sentiment atteignit son paroxysme, que le champ gravitationnel en elle ne demanda plus qu'à jaillir, elle le projeta de toutes ses forces. La frappe biotique atteignit la surface métallique avec un bruit sourd, puis s'évanouit. Pas assez puissante pour avoir entamé la porte. Avec un grognement de rage, Seven se détourna et se laissa tomber sur sa couchette.
- Bien essayé, remarqua Vakarian. Mais vous n'êtes pas assez forte pour détruire un blindage de cette épaisseur.
- Sans blague… rétorqua-t-elle avec un regard mauvais. Vaut mieux ça que rester à ne rien faire.
Le turien ignora l'insolence. Sa colère semblait retombée, ou alors, il la refrénait. Son espèce était plutôt douée à ce jeu-là.
- Nos hommes sont morts, Cooper. Tombés au combat, c'est le lot de chaque soldat. Et il se trouve que ceux qui les ont tués sont quelque part derrière cette porte. Ils vont forcément l'ouvrir à un moment ou à un autre. Et à ce moment-là, je serais prêt à riposter, ne vous en faites pas. Mais en attendant, ajouta-t-il, autant conserver nos forces.
- Et le colonel ? Qu'est-ce qu'on fait pour lui ?
- Vous en faites pas pour Alenko, il est parfaitement capable de se tirer d'affaire tout seul. Vous acharner sur une porte que vous ne parviendrez pas à ouvrir ne l'aidera pas.
Seven observa son compagnon. Même si elle répugnait à l'admettre, Vakarian avait raison. À part attendre, reprendre des forces et guetter une occasion il n'y avait rien à faire. Malgré tout, son caractère emporté se satisfaisait mal de la captivité. Le turien paraissait détendu, installé aussi confortablement que possible sur sa couchette. Ses yeux bleus étaient posés sur elle, le masque rigide de son visage ne trahissait aucune expression. Cependant, ce regard fixe mettait les nerfs de la jeune femme à rude épreuve.
- Vous avez l'intention de me fixer comme ça longtemps, Monsieur ? cracha-t-elle.
Une ébauche de sourire apparut sur la figure du turien. Il s'adossa contre le mur et croisa les bras.
- Incroyable ce que vous pouvez mettre comme insolence dans un simple "monsieur". Vous savez Cooper, on va peut-être rester un moment ici, il va falloir que vous réussissiez à me supporter, répondit-il avec humour.
- ça va pas être simple.
Une fois de plus, il ignora l'insolence de la jeune humaine. Entre deux mouvements d'humeur, Seven réfléchissait. L'occasion était unique pour elle… Garrus connaissait très certainement l'information qu'elle recherchait, mais il ne la lui donnerait jamais. Sauf, peut-être… Impossible de savoir si elle pouvait lui faire confiance, toutefois. Le comportement du colonel avec le turien lui revint en mémoire. Alenko haïssait son ancien compagnon d'armes, il n'y avait aucune confiance entre les deux Spectres. Pour quelle raison, ça… Difficile à dire pour qui n'avait pas servi sur le Normandy en même temps qu'eux. Il fallait qu'elle parvienne à l'amener à parler, sans pour autant dévoiler son secret. Ça n'allait pas être évident, le turien était intelligent, et plus fin que la moyenne. Il la soupçonnait déjà.
- Au fait Cooper, j'aimerais savoir… Vous êtes à moitié krogane ou vortcha ?
Surprise, elle leva les yeux vers lui.
- Pardon ?
- Avec votre caractère, je pencherais pour les krogans, mais les vortchas sont assez colériques aussi.
- Allez vous faire voir, Monsieur.
- Arrêtez de m'appeler comme ça, bordel. Surtout pour vous foutre de ma gueule. Je parle de vos capacités de régénération, lieutenant. Plus précisément, de la main que vous avez entamée sur mon armure l'autre jour, qui avait parfaitement cicatrisé quelques heures plus tard. Non ! la coupa-t-il en la voyant ouvrir la bouche, n'allez pas me raconter que votre galarien fait des miracles. Je ne suis pas un idiot, Cooper.
Seven referma la bouche et resta silencieuse. Le mal de tête la tenaillait toujours. Elle aurait beau tergiverser cette fois-ci, Vakarian ne la lâcherait pas. Quant à lui raconter des salades, la jeune femme doutait d'être assez bonne menteuse pour tromper le turien. Elle soupira.
- Vous voulez la vérité, Vakarian ? OK, vous allez l'avoir. Mais ça m'étonnerait qu'elle vous plaise.