Beyond the Stars
La jeune femme se redressa sur son lit. Si elle devait prendre le sujet par les cornes, autant que ce soit autrement qu’en position de faiblesse. Son regard se posa sur le moniteur qui comptait les pulsations cardiaques de cette autre être vivant. Elle avait eu bon espoir que cette mission aurait eu raison de ça. Qu’elle avait suffisamment stressé, qu’elle avait pris des coups, que son corps avait été assez mis à l’épreuve pour que ça s’en aille tout seul. Mais non. La chose était encore en vie. Elle s’y était accrochée. Elle ne savait pas quoi en penser. Ah, si seulement c’était parti tout seul.
Quand Jeff entra, elle n’osa même pas se tourner vers lui. Chakwas était encore là. Sans doute pour donner les détails médicaux nécessaires. Sans quoi, elle savait que la Doc les aurait laissé tous seuls. Se doutait-elle qu’il n’était pas au courant ? Clairement oui, vu comme Lucy avait refusé qu’on branche le second moniteur devant lui. Il ne fallait pas être très intelligent pour en déduire le reste. Chakwas ne lui avait même pas fait la morale.
Du coin de l’œil, elle le vit s’asseoir. Sans un mot.
Alors, c’était donc vrai. La rumeur était vraie.
Et lui, était le dernier au courant. Comment avait-elle pu lui mentir à ce point ? Comment avait-elle pu le lui cacher ? Certes, ce n’était peut-être pas un moment propice à ce genre de discussion. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qu’elle avait voulu le mettre devant le fait accompli ? C’était joliment réussi, surtout avec tout le monde au courant.
La colère ne retombait pas et pourtant, il ne décochait pas un mot. A quoi jouait Lucy ? Elle voulait le garder ? Elle se doutait bien qu’il n’en voulait pas ? Il n’avait jamais parlé de ce sujet avec elle. Les gosses ? Pour quoi faire ? C’était l’instant présent qui comptait. Pas de plan sur la comète. Pas envie de se faire mal avec des rêves sans doute inaccessibles, quand on ne sait pas si demain existera. Il ne savait pas que Shepard voulait des mômes. Si c’était le cas, elle avait vraiment misé sur le mauvais cheval.
Il finit par attaquer.
« Pourquoi tu ne m’as rien dit ? »
Elle s’obstinait à lui tourner le dos. Super. Cela allait donner. Pourquoi Chakwas restait-elle ? Pour compter les points ? C’était gênant. Elle aussi, il lui en voulait. Elle était au courant et elle ne lui avait rien dit !
« Parce que j’en veux pas. »
Lucy finit par se tourner. Elle avait le regard dur, surtout le regard de biais qu’elle jeta au doc.
« J’en veux pas et je voulais que Chakwas m’en débarrasse dès le début. J’ai merdé et je voulais qu’elle efface ma connerie. Ce devait être simple. »
Il attendit un moment avant de digérer la nouvelle. Déjà, Lucy ne niait pas. Donc, c’était vraiment vrai. Elle était bel et bien enceinte. Ensuite, elle avait donc dit qu’elle avait cherché à lui cacher ça parce qu’elle voulait que ce soit vite fait, ni vu, ni connu ? Même si la Doc avait fait ce qu’elle avait demandé, il aurait bien aimé être au courant. Histoire de faire attention. Mais non, Shepard, fidèle à elle-même, avait voulu gérer ça toute seule. Comme d’habitude. Et Chakwas avait donc refusé. Parce qu’elle estimait qu’il avait son mot à dire.
« Vous saviez… dit-il en se tournant vers la toubib. Vous saviez et vous ne m’avez rien dit. » Certes, son ton accusateur était un peu rude. D’ailleurs, l’expression de la doctoresse montra qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’on fasse son procès.
« Ce n’était pas à moi de le dire, se défendit-elle. C’est un sujet qui concerne les deux intéressés, même si apparemment, l’un n’est pas suffisamment mature pour l’aborder. »
Là, c’était Lucy qui prenait. Elle avait bien merdé, c’était vrai. Mais ce qui était fait était fait.
« Bon, de toute façon… je ne vois pas pourquoi on en parle. Vous pouvez faire quelque chose, Doc ? » Lucy se tourna vers lui, interrogative.
« Parce que c’est vite vu, hein. Une chance sur deux. Je ne parierais pas dessus. »
La jeune femme comprit qu’il parlait du Vrolik. Évidement. Elle se demanda comment elle n’avait pas pu y penser avant. Bien sûr qu’ils auraient été d’accord tous les deux. Il ne voulait pas transmettre sa maladie. Quelle idiote. Si ça se trouvait, elle lui en aurait parlé et cette situation grotesque n’aurait pas eu lieu. Mais non, elle avait voulu faire sa tête de mule et voilà qu’elle se retrouvait avec encore cette chose dans l’utérus. Mais quelle idiote.
« Très bien, fit Chakwas en soupirant. Mais j’aimerais quand même, avant de procéder à cette petite opération, juste vous faire part de quelques détails. »
Mais la doc fut interrompue par l’arrivée d’un assistant Quarian qui débarqua sans crier gare.
« Convoi de blessés en approche ! On m’a demandé de vous chercher. »
La doc se leva d’un coup, le datapd qu’elle avait en main échouant sur le lit de Shepard.
« Combien ?
— Environ une cinquantaine de personnes. Il s’agit de Terriens. Des résistants. Je n’ai pas plus de détails mais tout le monde est demandé. »
Au grand soulagement de Shepard, le doc prit congé en s’excusant, mais en précisant qu’ils en reparleraient plus tard. Elle les planta donc là tous les deux.
Le silence s’installa, rompu par le bip des deux moniteurs cardiaques.
« Je suis désolée de ne pas t’en avoir parlé avant. »
Lucy se sentait plus sereine depuis qu’elle avait compris qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes. Alors, elle lui expliqua, cherchant parfois ses mots, ce qu’elle avait pensé de cette situation. Elle ne put pas dire s’il était d’accord mais il comprit. Il ne cautionnait pas pour autant.
Jeff se gratta l’arrière du crâne. Cette discussion lui paraissait surréaliste. Surtout au vu du contexte. C’était complètement trivial.
« Quand même… J’aurais bien voulu que tu m’en parles. »
Au moins pour ne pas l’apprendre de la bouche d’autres qui se gaussaient du sujet croustillant. Surtout dans le contexte actuel.
« Tu sais que tous les gars de l’équipe sont passés dans la liste de Gaby ? » dit-il pour détendre un peu l’atmosphère qu’il trouvait lourde. Il n’aimait pas ce genre de conversation. Trop sérieux. Il préférait fuir avec humour. Il avait toujours été comme ça. Tout tourner à la dérision. Pour se protéger du monde.
« Et je parie que tu n’as pas été numéro un ?
— Non, il paraît que je suis « ton meilleur pote ». »
Elle se mit à rire. C’était un peu forcé, certes, mais elle n’était pas vraiment à l’aise du tout. Ils se mirent alors à deviser sur ce sujet quelque peu. Ils oublièrent ce qui les avaient mis mal à l’aise. Ils étaient donc d’accord. Il n’était pas question d’accorder plus d’importance à cela. Bientôt, ce serait fini. Pas la peine de s’attarder. Le datapad que Chakwas leur avait laissé fut oublié sur le rebord du lit.
Puis Shepard aborda le problème de sa jambe. Elle ne doutait pas qu’elle était entre de bonnes mains, mais elle appréhendait un peu l’idée de perdre ses capacités physiques. Joker se tut un instant. Il ne savait pas vraiment quoi lui dire. Il trouvait cela un peu difficile. Il essaya toutefois de rester optimiste. Bientôt, le chemin vers la Citadelle serait rouvert. Pas de quoi se faire du mouron. Non, pas de quoi, hein ? Il savait qu’il chiait un peu dans la colle, mais que lui dire ? Ce n’était pas une situation facile. Il savait ce que c’était d’être diminué depuis sa naissance. Il ne savait pas ce que cela faisait de perdre d’un coup ses pleines capacités. Lui, les perdaient petit à petit. C’était ainsi. Ça demandait un temps d’adaptation. Mais il savait que c’était ce qu’il l’attendait au fur et à mesure que les années passaient. Il était préparé psychologiquement depuis le début. La colère, il l’avait eu à l’adolescence. Maintenant, il composait avec. Sa maladie ne l’avait pas empêché de réaliser son rêve.
On frappa à la porte.
Kaidan passa la tête par l’ouverture après que Shepard ait répondu. Il posa son regard sur Joker puis sur elle. Sa gêne était visible. Ils étaient bien, tiens.
« J’ai réussi à obtenir une communication avec l’Amiral Anderson », dit-il.
Le Commander se redressa, Joker se tourna pleinement vers le nouveau venu, qui avait désormais toute leur attention. Il semblait d’ailleurs se détendre. Comme s’il avait oublié ce qu’ils étaient tous avant tout : des soldats. D’un signe de tête, Shepard invita Kaidan à poursuivre.
La conversation avait été brève mais instructive. L’avancée du front était bonne. Désormais, les Geths reculaient. Il y avait eu quelques difficultés à mettre de l’ordre dans le problème Quarian.
« Le problème Quarian ? »
Shepard ne comprenait pas cette dénomination. Les Quarians avaient été d’une grande aide pour l’avancée de sa mission dans l’Himalaya.
Kaidan eut un sourire qui le dérida un peu.
« Je pense que Tali pourra vous répondre. » Il ouvrit la porte et appela à l’extérieur.
Tali, ici ? Incroyable !
Shepard n’en cru pas vraiment ses yeux, mais c’était bien la jeune Quarienne qui lui faisait face. Elle, et son accent étranger que le Commander avait toujours trouvé agréable à entendre.
« Vous avez l’air… en forme », dit Tali, en marquant une pause et lançant par la même occasion un regard vers Joker. Au vu de la forme que prenait ce qu’on devinait être ses yeux à travers son masque, elle était en train de sourire d’un air amusé.
Shepard se renfrogna. Il n’avait pas fallu longtemps pour que Tali soit aussi au courant. Elle devait sans doute cela à Kaidan. Qu’est-ce qu’il avait bien pu lui dire ? Elle connaissait trop bien le Major pour savoir qu’il l’avait sûrement mise en garde sur son état et qu’elle devait être ménagée ou quelque chose d’aussi niais que ça.
« Pas vraiment encore prête à retourner sur le terrain, mais ça va. » dit-elle avec un air dégagé. Pas question de parler de sa jambe. On n’était pas là pour se morfondre de son état.
« Alors ? Qu’est-ce que vous avez fait depuis tout ce temps ? »
Tali tira une caisse et s’assit dessus. Kaidan, lui, se contenta de s’adosser à un mur, les bras croisés. La jeune Quarienne raconta alors les grandes lignes de ce qu’il s’était passé depuis qu’elle avait quitté le Normandy, des semaines auparavant. Elle avait retrouvé son peuple déchiré. Une partie ne cautionnait pas d’abandonner Rannoch pour se mettre à poursuivre les Geths. Il était difficile alors de faire entendre le problème Reaper. Malgré tout, ce fut tous ensemble que les vaisseaux de la Flottille Nomade parvinrent au Système Solaire. Le reste n’était que complot et coups dans le dos. Ceux qui n’avaient pas voulu suivre s’était mis en tête de saborder l’autorité. Tali avait eut quelque mal à se faire entendre. Il n’était question que de vengeance envers les Geths pour les dirigeants Quarians. Elle se rallia donc aux insurgés, mais réussi à transformer leur envie de tout saborder en désir de combattre les Reapers. Elle avait obtenu qu’ils comprennent que le seul moyen désormais de retrouver Rannoch, c’était de se joindre aux autres races et de se battre avec eux. Elle devint donc la tête de la révolte, désignée Amiral par ceux qui s’était ralliée à sa cause. Elle n’avait pas été très à l’aise avec l’idée, mais comme c’était elle qui désirait cette voie, elle n’avait pas eu d’autre choix que de prendre la tête du groupe. Difficile de rallier de hauts gradés. Puis, petit à petit, d’autres avaient fini par entendre raison. La Flotte Nomade s’était retrouvée dans le tourbillon de l’invasion terrestre et nombre de Quarians se sentaient pris au piège. C’était une situation difficile. Ils ne pensaient pas que les Reapers représentaient une telle force, et avec les Geths, c’était une course au suicide. La Flottille se scinda donc en deux et le chef contesté par le groupe de Tali décida de les prendre comme cible.
« Si nous n’étions pas avec lui, alors nous étions forcément contre lui. » conclut Tali avec la douleur dans la voix. Voir son propre peuple s’entredéchirer lui était très douloureux. Eux qui avaient toujours fait face ensemble à leur situation d’exilés, ne comptant que sur eux-mêmes pour s’en sortir, en étaient rompus à détruire leur solidarité.
Elle était quand même parvenue à s’extraire de ce guépier. La scission avait fini par être plus ou moins nette lorsque les troupes alliées étaient arrivés. Ayant préalablement pris contact avec Anderson pour expliquer la situation, elle avait réussi à négocier une aide de leur part. En contrepartie, elle chercherait à envoyer ses troupes au plus près de la Terre. Et finalement, elle prit l’initiative de venir en appui de la mission Shepard.
« Nous étions les plus à même de passer en force, puisque nous étions le plus près. Nos querelles avec les Geths et entre nous ont brouillé les autres vaisseaux. Je n’avais jamais vu une situation aussi complexe. »
Joker hocha la tête. C’était vrai qu’il avait dû franchir par trois fois un beau bordel.
Tali avait pris un ton colérique quand elle avait expliqué ce schisme entre Quarians. Elle se ressaisit et ce fut d’un air enjoué qu’elle annonça que les Geths étaient en déroute. Pour de bon cette fois.
« Enfin… Les Geths Hérétiques, corrigea-t-elle. Legion a été d’un aide précieuse. » Tali avait eu du mal à accepter la compagnie du Geth quand Shepard avait voulu le réactiver. Au final, il s’était révélé être un compagnon fort utile et la Quarienne avait fini par l’apprécier. Autant qu’on pouvait apprécier un Geth.
La suite du récit de Tali devint quelque peu très technique et Shepard commença à décrocher. Elle était fatiguée. Sa jambe lui tirait un peu. Joker remarqua qu’elle s’agitait un peu. Doucement, pour ne pas trahir son épuisement. Il était temps qu’elle se repose. Elle n’était pas tout à fait remise. Et puis, la journée avait été bien remplie. Il se leva.
« Je dois aller prendre mon traitement. » dit-il. Ce n’était pas vraiment faux. Il jeta un regard à Kaidan qui était suffisamment intelligent pour comprendre qu’il était temps de prendre congé. Il pourrait faire un rapport détaillé plus tard, mais l’essentiel était là. L’attente ne serait plus longue avant que la Terre ne soit reconquise. D’ici là, tout le monde avait besoin de repos. Surtout Shepard. Tali comprit aussi le message et termina son récit rapidement.
« Vous nous avez encore fait une sacré peur, Shepard. Mais je suis heureuse de vous revoir.
— Moi aussi, Tali. Moi aussi. » Le sourire du Commander était pâle mais sincère. Ses yeux papillonnaient. Elle avait vraiment envie de dormir. Là, tout d’un coup. Elle fit un signe de la main à Joker pour le remercier de sa réaction rapide. Elle se laissa aller sur son lit. Ce n’était pas le grand luxe, mais le confort était suffisant pour qu’elle s’y sente bien. S’allongeant, elle fit tomber le datapad. Kaidan s’empressa de la ramasser.
« Chakwas a oublié ça. » dit Shepard d’une voix ensommeillée. Kaidan hocha la tête et lui dit qu’il lui apporterait.
Le trio s’en alla. Joker s’attarda un peu avant de fermer la porte. Pour être sûr qu’elle n’avait besoin de rien de plus. Puis, il se retrouva nez-à-nez avec Tali. La jeune Quarienne avait les yeux plissés. Enfin, c’était ce qu’il devinait derrière le masque. Poings sur les hanches, elle le fixait. Amusée ou en colère ? Fichu masque ! C’était quasiment impossible à dire !
A peine arrivée, Tali était déjà au courant. Super… Il commençait à être fatigué. Les interrogatoires en règle allaient commencer. Il n’avait pas envie d’en parler. Il n’avait de compte à rendre à personne.
« Quoi ? » fit-il. D’abord, jouer l’imbécile. C’était son rôle préféré.
« Comme si tu ne savais pas. » Tali croisa les bras. Derrière elle, Kaidan faisait celui qui ne voulait pas se mêler à la conversation, mais Joker savait qu’il écoutait d’une oreille attentive. C’était évident qu’il n’allait pas lui demander lui-même. Il avait trop de fierté pour ça. Et puis, c’était typiquement féminin, cette soif de détails croustillants.
« J’ai pas envie d’en parler. » Il avait eu un ton plus rude qu’il n’aurait voulu. Cependant, c’était clair qu’il ne voulait pas aborder le sujet. Cela ne regardait personne. C’était quoi, le plan ? Fanfaronner devant tout le monde ? Il n’en avait pas vraiment envie. Et puis, se vanter de quoi ? D’avoir mis le grappin sur Shepard ? C’était pour ça qu’il ne voulait pas en parler. C’était privé. Intime. Pas de quoi faire des cancans.
Sa réplique désarçonna Tali et il regretta un peu de s’être montré si violent.
« C’est une bonne nouvelle, non ? » dit-elle en hésitant un peu. Vu son expression, il ne devait pas montrer la joie. Qu’est-ce qui était une bonne nouvelle ? Il ne voyait pas vraiment. Franchement, si c’était le cas, il ne serait pas senti si en colère. Si désarmé. Il secoua la tête. Ce n’était pas à lui de parler de ça. C’était à Lucy de décider si elle voulait informer les autres ou pas. Cependant, elle n’était pas en état. Et la rumeur enflait. Que faire ? Prendre les devants et dire que de toute façon, ce n’était pas la peine d’en faire tout une histoire, elle ne garderait pas le… la chose.
L’instinct féminin était quelque chose de redoutable et pourtant, Joker ne l’avait toujours pas compris. Et puis, l’expression fermée de son visage était un indice.
« Oh. » fit la jeune Quarienne. Et elle n’insista pas. Il n’y avait pas de quoi. C’était juste une parenthèse, une erreur. Rien à signaler. Circulez. Il la sentit pourtant mal à l’aise et cela lui tapa sur les nerfs. Il avait une affection certaine pour Tali, mais là, elle l’agaçait un peu. Il avait besoin d’air. Besoin d’être seul.
« J’vais chercher mon traitement. » marmonna-t-il. Il enfonça sa casquette sur sa tête pour cacher son malaise, dépassa la Quarienne et se dirigea vers les tentes en clopinant, plantant les deux là.
Il se traîna jusqu’au coin qu’on lui avait attribué dans la tente qui était réservée à l’équipage du Normandy. Il mit son masque le plus maussade possible afin qu’on ne lui adresse aucunement la parole. Il voulait qu’on lui foute la paix. Et pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de voir sur toutes les lèvres la rumeur se propager. Shepard et Joker. Joker et Shepard. Se mélangeant à l’autre murmure qui courait depuis le retour du Commander. Le regard qu’il lança à Gardner qui s’avançait goguenard vers lui découragea le cuisinier qui recula pour le laisser passer. Le pilote se jeta sur sa couchette, chercha la boite de médocs que Chakwas lui avait donnée. Faire mine d’être occupé lui évitera d’être abordé. En principe. Mais c’était mal connaître Kenneth et Gaby. Surtout Gaby. D’ailleurs ces deux-là étaient en train de converser en le regardant. Il ne fallait pas être devin pour deviner de qui ils parlaient. Serrant les dents, il ouvrit rageusement sa boîte, faillit en répandre le contenu au sol.
Il ne s’était pas attendu à tout cela. Comme une bulle qui éclate. lLes conversations allaient bon train. Les sourires étaient sur tous les visages, larges, épanouis. Il n’y avait que lui pour tirer la gueule. Il devinait bien la teneur des discussions. Ils avaient bien caché leur jeu. C’étaient de sacrés coquins. Cachottiers. Joker a décroché le cocotier. Ou ce genre de chose. Il le savait parce qu’il était souvent un actif participant de ce genre de conversations. Se retrouver en être la cible n’était finalement pas très confortable. Il regrettait un peu son comportement passé. S’il avait su…
« Alors ? » Gaby venait d’approcher. Elle avait l’expression d’une adolescente surexcitée. Comment une personne si compétente dans son domaine pouvait cacher une telle personnalité ?
Il aurait été d’une autre humeur, il se serait moqué d’elle et son intuition à deux balles. Là, il n’était pas disposé. Il était las, fatigué. Il avait encore du mal à digérer même si finalement tout allait rentrer à peu près dans l’ordre. Une sorte de grognement lui échappa, mais Gaby ne se laissa pas démonter par son humeur de chien. Elle osa même s’asseoir à côté de lui. Elle le connaissait pourtant suffisamment bien pour savoir qu’il avait besoin de son espace vital.
« C’est… wahou, super pour vous deux. »
C’était super ? C’était quoi cette expression puérile ? Et puis c’était quoi, ça ? Des félicitations ? Comment fallait-il le prendre ? On était en passe d’être victorieux, certes, mais ce n’était pas la peine de sauter de joie à la moindre occasion. Surtout qu’il ne voyait pas vraiment ce que Gaby trouvait de « super ». Elle gloussa.
« J’ai rien vu du tout. Personne n’a rien vu.
— Tant mieux, c’était le but. »
Il avait dit ça de manière abrupte. Gaby perdit son sourire et son attitude désinvolte. Elle devait sans doute avoir compris que ce n’était pas comme ça qu’elle devait aborder le sujet. D’ailleurs si elle pouvait aussi avoir compris que tout ce qu’il voulait c’était d’être tranquille, ce serait tout aussi bien.
« Je voulais dire… enfin, je suis très heureuse pour vous deux… C’est… » Sa voix avait repris des intonations plus normales mais il ne voulait pas entendre ce qu’elle avait à dire.
« Tant mieux pour toi. » Il avala deux cachets. Déjà, s’il pouvait diminuer la douleur, peut-être que la présence de Gaby lui serait plus supportable. La jeune femme le dévisageait sans comprendre.
« Ca ne va pas ? » demanda-t-elle plus doucement. C’était bien tout ce dont il avait besoin. De la compassion. Il soupira.
« Non. » Clair. Expressif à lui tout seul, ce mot était le seul moyen pour lui de faire passer le message. Plus et il commencerait à être franchement désagréable.
Bien sûr que son attitude n’était pas simple à comprendre, mais, sincèrement, il s’en foutait. Si les autres ne pouvaient être à sa place, ce n’était pas son problème. Qu’ils lui laissent de l’espace. il voulait être en paix. Même si cela voulait dire qu’il allait cogiter.
Gaby se leva et s’excusa. Elle avait l’air vraiment désemparée. Tant pis. Il verrait plus tard pour présenter des excuses. Il se vautra sur son lit de camp et tourna le dos à tout le monde. Il ne voulait pas de cette bonne humeur. Il avait tenu bon avec Lucy, mais seul face à lui-même et surtout lâché dans la fosse aux lions, il n’avait pas la même retenue.
Il ruminait. Il aurait dû faire attention. Certes, au début, il en avait voulu à Lucy. Il pensait que c’était de sa faute, qu’elle n’avait eu qu’à gérer ses affaires de femme, ou ce genre de choses. Ce n’était pas à lui de s’occuper de ça. Mais bon, au vu de la situation de l’un et l’autre, normalement, jamais cela n’aurait dû arriver. Il avait fini par se trouver égoïste. Maintenant, il sentait coupable. Après tout, lui, c’était sûr, depuis le début et, pour toujours, il ne voulait pas de gosses. C’était bien trop risqué. Engendrer de petits Vröliks ? Non merci. Il aurait dû se faire stériliser. Cela lui avait traversé l’esprit, il y avait longtemps. Il avait même commencé les démarches. Il était certain que son choix était définitif. Puis, il avait fini par laisser traîner, pris par des obligations diverses et il n’y avait plus penser. Comme, de toute façon, il n’avait affaire qu’avec des professionnelles, il savait que la fille prenait ses précautions. Il s’était donc déchargé de cette responsabilité. Même, une fois avec Lucy, il n’avait même pas pensé à cela. C’était franchement une préoccupation qui lui était étrangère. La réalité avait donc fini par lui mettre une grande claque dans la tronche.
Mais cela allait être corrigé. Un coup d’aspiration ou il ne savait quoi et on n’en parlerait plus.
Pour le moment, cependant, c’était le sujet de conversation numéro un dans le camp. En même temps, quoi de mieux pour tromper l’ennui que de se régaler d’un scandale pareil ? Il ne savait pas comment réagir face à ça. Il savait que tout le monde ne se foutait pas de sa gueule, mais voir leurs sourires de connivence avait le don de l’énerver. Plus que d’habitude. Il était la cible et ça ne lui plaisait pas. Pourtant, pour les autres, il n’était pas en reste quand il y avait de quoi se gausser. Comme à propos de Jack et James. Se moquer gentiment du Lieutenant qui cherchait à corriger l’impossible Sujet Zéro. Et qui s’en était sans doute entiché. Mais là, c’était de lui et de Shepard qu’il s’agissait et ça ne passait pas. Il y avait de quoi régaler les merdes spécialisées dans ce genre de conneries qui se disaient journaux « people ». Ha, c’était clair que ça pouvait faire un superbe sujet d’article. L’héroïne Shepard enceinte de son pilote boiteux. Rien que d’y penser, ça lui foutait la gerbe et l’envie de taper dans quelque chose.
Le secret. C’était bien ça, le plus confortable, finalement. Même si au début, il pensait que Shepard avait honte. Maintenant exposé, il se sentait nu et faible. Il n’aimait pas qu’on parle de lui. Surtout que ça devait s’en donner à cœur joie sur les préférences de Shepard. Et d’imaginer à qui mieux-mieux ce qu’il s’était passé entre eux.
« Ils ne jouaient sûrement pas aux échecs. » avait sans doute été dit par quelqu’un. Et c’était impossible de démentir. Ça aurait été éventé plus tôt, il aurait été sans doute moins énervé. Mais là, au vu des circonstances, il avait du mal à faire celui qui était détendu.
Il se retourna et scruta les autres par-dessous la visière de sa casquette. Et puis, son champ de vision fut bouché par Liara. Il se retint de maugréer. Allons, bon, il ne manquait plus qu’elle s’en mêle. Il appréciait l’Asari, mais elle avait aussi tendance à être psychanalyste à ses heures perdues et il n’avait franchement pas envie d’avoir ce genre de conversation.
« Le docteur Chakwas veut te voir. »
Ouf. Finalement, il était heureux de la voir, elle et son bandage grotesque sur la tête ! Le toubib qui l’avait ausculté n’avait pas cherché l’esthétisme, c’était clair. Il se redressa et s’extirpa de son lit de camp avec difficulté. Liara le laissa faire, elle savait qu’il ne voulait pas de main secourable. Ils retraversèrent la tente en sens inverse. Il garda la tête baissée, boitillant plus que jamais. Il se concentra sur sa progression. Cela lui évitait d’avoir à regarder les autres.
Une fois dehors, il se sentit mieux. Heureusement que Liara gardait le silence. Cela n’allait pas durer, il le sentait. L’Asari avait parfois la langue bien trop pendue.
« Ce n’est pas facile d’avoir un secret percé au grand jour, n’est-ce pas ? »
Il se contenta de hausser les épaules. Il n’avait pas envie d’en parler.
« Surtout quand on se donne beaucoup de mal pour le garder. »
Et après ? Ca pouvait lui faire quoi ? Il se risqua à regarder dans la direction de Liara. Elle n’affichait pas le sourire ravi des autres. Juste une expression neutre. Elle parlait de ça comme d’un autre sujet. Pas du tout l’excitation de Gaby.
« Tu le savais ? » se risqua-t-il à demander. Après tout, elle ne montrait pas de surprise. Son attitude détonnait même. Il pensait qu’au moins, elle l’aurait félicité, comme l’aurait fait la jeune Asari qu’ils avaient pris dans l’équipe presque trois ans auparavant.
Liara avoua que oui. Devant son air perplexe, elle rit.
« C’est mon travail de percer les secrets des autres. »
Ah.
Evidemment.
Et pourtant, jamais Liara n’avait laissé entendre qu’elle savait ce que tout le monde ignorait. Un poids sembla s’envoler de ses épaules. Il savait que la conversation allait rester correcte et non pas être l’expression de l’hystérie collective. Pas de « bien joué, vieux. » Comme si c’était un jeu. Shepard n’était pas un prix de tombola.
Le silence s’installa tandis qu’ils progressaient à l’allure lente du pilote. Il ne décrocha toujours pas un mot. Et son expression ne se déridait pas pour autant.
« Tu n’étais pas au courant, n’est-ce pas ? » Encore une fois, il était un vrai livre ouvert. C’était une des raisons de son humeur difficile. Liara avait fait mouche.
« Non. » Il tenta de se cantonner à ce mot. Histoire qu’elle comprenne qu’il ne voulait en parler davantage. D’ailleurs, cela eut son effet. Liara ne dit rien. Pendant quelques minutes. Puis… puis la naïveté de l’Asari revint à vitesse grand V.
« Je trouve que c’est un symbole. Un espoir. »
Espoir ? Pourquoi ? Pour qui ? Et puis quel cliché ! L’enfant né après la guerre, qui va grandir dans un monde paisible ? Symbole de quoi ? Du croisement entre une super militaire et un boiteux ? Et puis, quoi, même s’ils avaient envisagé l’éventualité de le garder, vive le poids sur les épaules du gosse !
Il grogna. Finalement Liara était à ranger dans le même sac que les autres.
« Tu n’as pas pourtant pas l’air heureux. » dit-elle.
Ce fut la remarque de trop. Ils étaient tous devenus con, ou bien ? Avaient-ils oublié ce qu’il était à la base ? Au moins, sa forte personnalité et son savoir-faire avait fini par occulter le handicap. Mais dans la situation actuelle, c’était ce qui ressortait le plus.
« Heureux pour quoi ? » Pour avoir réussi à mettre Shepard dans une situation extrêmement gênante ? Qu’est-ce qu’ils attendaient de lui, qu’il saute de joie ?
« Heureux qu’on en soit arrivé là ? » poursuivit-il. Tant pis. Ça tombait sur Liara. Elle allait prendre pour le monde entier. Il s’arrêta et lui lança un regard courroucé. « Ah ! Tiens. Qu’est-ce que vous attendiez que je fasse ? Le fanfaron, comme d’habitude ? »
Tant pis pour le regard de Liara qui semblait ne pas comprendre qu’elle avait déchaîné la tempête.
« Vous vouliez que je dise haut et fort que oui, j’ai tringlé Shepard et en plus je l’ai mise en cloque ? » Il passait largement les limites de la vulgarité, mais franchement, il n’en avait rien à foutre. « Vous voulez des détails croustillants ? » Bien sûr que Liara ne voulait pas savoir de détails. Cependant, sa fureur semblait grandir au fur et à mesure qu’il se déchaînait et cela attira quelques regards. Et fit sortir Kaidan d’une tente.
« Vous croyez qu’on saute au plafond tous les deux ? Qu’on n’a pas suffisamment de problèmes comme ça ? Tu sais ce qu’il va devenir ton symbole. Rien ! Rien du tout car Chakwas va faire ce qu’il faut pour ça. »
L’expression de Liara changea. De la surprise. Peut-être même de la déception. Mais elle croyait quoi ? « Non parce que c’est bon, on ne peut pas, on ne peut pas… »
Il perdait pied. Tout s’embrouillait. Il n’en pouvait plus. Il repensait sans cesse à la situation. Il aurait dû… Quelque chose montait dans sa gorge. De la rage, de la bille, un sanglot… Il secoua la tête. Il allait se reprendre. C’était de la colère, de la simple colère, pas juste une révolte sourde qui se terrait à l’intérieur de lui. Ce n’était pas le moment de faire ressortir ses vieilles peurs, ses vieux démons.
« Je peux pas. Je veux pas… Pas avoir de gosses. Pas qu’ils soient comme moi… » Le ton colérique s’essoufflait petit à petit. Et sa voix se brisa. Il n’en pouvait plus, il était fatigué… Fatigué d’avoir la trouille au ventre de perdre Lucy. Fatigué de ce corps qui ne le laissait pas en paix. Fatigué…
« Je peux pas… » Il répétait en boucle la même phrase. Si brisé. Il sentit la poigne de Kaidan qui le guidait.
« Allez, Joker, viens. » Il n’arrivait plus à lutter. A demander qu’on lui foute la paix. Dans un recoin où l’amena le Major, il se laissa tomber sur un tas de nippes dont il ne savait pas le degré de propreté. Peu importait.
« Je veux pas… » Kaidan lui tapota l’épaule.
« Joker. »
Mais le pilote secoua la tête.
« J’ai pas envie d’écouter tes sermons. D’ailleurs je ne les écoute jamais.
— Je sais. »
Kaidan marqua une pause.
« Mais j’ose toujours espérer que malgré tout, quelque chose rentre de temps en temps dans ta caboche bornée. »
Ce n’était pas le Major Alenko qui s’assit sur le tas de chiffons avec lui. C’était juste Kaidan, celui qui occupait le siège de co-pilote quand ils étaient tous encore sous les ordres d’Anderson. Celui qui parfois lui balançait une vanne de temps en temps. C’était il y avait si longtemps. Une éternité, selon Joker. Tant de choses avaient changé. De l’amitié, ils étaient passés à la défiance, à la rivalité. C’était comme ça. Peut-être que finalement, c’était lui qui se faisait une idée. Ou bien que Kaidan avait fini par se résigner.
Ce dernier semblait mal à l’aise. Cette conversation n’était pas simple. C’était comme s’il se forçait à l’aborder. Il s’éclaircit la gorge. C’était gênant.
« Tu sais… Je ne pense pas qu’il faille mal prendre… euh… cette espèce… de… d’hystérie collective. Je pense sincèrement qu’ils sont très contents et sincères. C’est juste que… »
Ça mettait mal à l’aise. C’était tout. Et ils ne savaient pas comment l’exprimer. Cette espèce de joie teinté d’étrangeté.
Kaidan toussota.
« Je… Je comprends que d’avoir un secret pareil découvert de cette façon…
— Je n’étais pas au courant. » coupa Joker, fixant droit devant, afin de garder son calme. Il avait le regard vide, ne sachant pas vraiment ce qu’il regardait. Ce caillou était fascinant.
« Ah. »
Kaidan bougea un peu. Joker se demanda pourquoi il se forçait à poursuivre une discussion que le mettait si mal à l’aise. Il attendit que son cheminement de pensée arrive à comprendre la raison de sa mauvaise humeur. Il pouvait presque l’entendre y réfléchir. Et oui, voilà pourquoi il ne participait pas à la joie collective. Sans parler du reste.
« De toute façon… On s’en fout. C’était une putain d’erreur. Chakwas va faire le nécessaire. » Le ton était neutre. Mais la détresse revint.
« C’est pour ça… Je veux pas en parler… Quand j’y pense… »
Voilà, il allait encore perdre contenance.
« Quand je pense que je lui ai fait ça. Elle a dû supporter savoir… Se battre avec… avec ce truc. » Comment avait-elle abordé les dernières missions avec cette chose à l’esprit ? Il ne savait pas. Cela n’avait pas forcément été facile. Peut-être qu’elle s’attendait à ce que ça parte tout seul.
« Comment ai-je pu être aussi con ? J’peux pas avoir de gosses. » C’était devenu un mantra depuis qu’il avait appris la nouvelle. « J’aurais du me faire stériliser. » Et faire chier sa mère par la même occasion. D’ailleurs, à l’époque, c’était pour la faire rager qu’il avait commencé à y penser. Parce qu’elle était pénible. Avec son envie de petits-enfants. Elle s’était échinée à leur trouver de beaux partis à sa sœur et lui. D’ailleurs, Amber devait sans doute avoir exaucé le vœu de leur mère avec le fils de cet associé avec qui elle l’avait casée. Il ne savait pas. Il n’avait pas de nouvelles de sa grande sœur depuis deux voire trois ans. Il ne savait plus combien de temps il ne lui avait pas écrit.
« Dis pas de conneries. » Kaidan le secoua.
« T’es marrant, toi. J’ai une chance sur deux pour filer ce que j’ai. » Pourquoi ne voulait-il pas comprendre ? « Je ne parierai pas dessus. J’suis joueur, mais pas à ce point là. » Il n’avait pas à se justifier.
Kaidan se gratta la nuque. Il s’amusait à tripoter le datapad qu’il avait en main quand il s’était interposé entre lui et Liara. Il n’avait jamais été très doué pour cacher ses émotions. Pas besoin. Avec un physique pareil et une carrière brillante, il n’avait pas besoin de se protéger du monde. Il finit cependant par lui tendre l’objet.
« Tiens. Chakwas m’a dit que ça pourrait t’intéresser. »
Qu’est-ce que c’était ? Il haussa un sourcil interloqué mais Kaidan haussa les épaules. Il se leva.
« Tu sais, faut juste que les gens s’y fassent. Ils vont finir par comprendre. Je les comprends un peu… Je… »
Il détourna la tête. Ça avait l’air de lui coûter de parler.
« Je suis heureux que… qu’elle soit avec… toi. » Il avait un peu hésité à dire « quelqu’un », c’était limpide, mais bon, ça devait vraiment être difficile à admettre, pour lui. Joker savait qu’il avait été très accroché. A sens unique, malheureusement. Peut-être aussi qu’il avait cru que Shepard s’attacherait à quelqu’un d’autre que le connard qu’il pouvait être parfois.
Il ne préféra ne rien dire. Un merci aurait été franchement déplacé.
« Elle le prend comment ? » continua à demander Kaidan.
« Comme Shepard. » répondit le pilote. Comme Shepard. Oui, ne rien montrer mais craquer de temps en temps. « Elle a l’air toujours forte comme d’habitude… mais… » Elle pouvait être si fragile. Kaidan devait s’en douter. Il ne l’invita pas à continuer. Il shoota dans un caillou. La conversation retomba.
« Ca va mieux ? » risqua encore le Major.
Mieux ?
Oui. C’était vrai que sa colère était retombée. Sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. Il hocha la tête. Kaidan semblait encore avoir quelque chose à dire. Cela se voyait à la manière de se dandiner sur ses pieds. Il mâchonna sa lèvre puis se lança.
« Anderson est en route. »
C’était bon à savoir. Cela voulait dire que c’était fini. Que la Terre était enfin libre. Joker ressentit un soulagement immense qui le fit frissonner.
« Je sais qu’il va avoir d’autres chats à fouetter mais… reste discret, okay ? Il le saura quand même parce que tout le monde ne parle que de ça… »
Ah.
En effet. Il y aurait sûrement d’autres choses à penser, à dire. Mais plus tard, il savait que sans doute, il aurait des comptes à rendre à la hiérarchie. Même si c’était Shepard. Même s’ils étaient un peu à part.
Kaidan fit par faire un pas de côté.
« N’oublie pas de le rendre au doc. » dit-il en pointant du doigt le datapad.
Alors ça y était. C’était fini. La Terre, libre. Enfin.
Et elle au fond de son lit.
Elle rageait à demi. Elle aurait voulu être en première ligne. Repartir dès que Garrus l’avait sortie de son trou. C’était bien beau de dire qu’elle avait fait son devoir. Que sa mission était terminée. Mais il y avait toujours cette partie d’elle-même qui en voulait toujours plus.
Toujours plus d’action.
Plus d’adrénaline.
Voir tomber ces salauds. Les voir s’écrouler un par un.
Mais elle n’était qu’une femme. Qu’un être en chair et os. Pas une machine. Elle ne pouvait pas ne pas tenir comtpe de ce corps qui avait fini par dire que c’était bon. Elle ne pourrait pas aller plus loin. Pas pour cette bataille.
Elle avait déjà eu de la chance de s’en sortir vivante. Et à peu près en état.
A peu près.
Elle se leva. Prête à accueillir son mentor comme un digne soldat. La douleur de sa jambe la fit grimacer un peu mais elle tint bon.
Elle entendit d’abord le vrombissement des vaisseaux dans les montagnes. C’étaient avec une petite escouade qu’était venu l’Amiral. La jeune femme fit quelques pas. Elle voulait sortir de la chambre. Elle se sentirait moins diminuée dehors. Dehors… Avec son équipe. Ses hommes. Et tous ces soldats, ces civils, tous ceux qu’on avait trouvé à droit et à gauche, errant, perdus. Les résistants qui avaient participé à l’effort sur place dès le début.
D’ailleurs, Anderson, une fois descendu de son vaisseau, tint à passer entre les tentes, afin de voir comment se portaient tous ces gens qui avaient souffert. Shepard savait qu’il aurait un regard, un hochement de tête, un salut pour tous ces rescapés, voire un sourire pour les gosses.
Shepard le suivi du regard. Elle voyait son dos qui s’était voûté, les épaules qui étaient un peu basses malgré tout. La fatigue prenait le dessus chez lui aussi. Il n’y avait qu’un regard aiguisé pour le voir. L’Amiral avait eu son compte de sensations, tout comme elle.
Finalement, il finit par la rejoindre. Elle s’était résignée à prendre la béquille que Chakwas lui avait mise sans ménagement sous le bras. Ce n’était vraiment comme ça qu’elle avait vu leurs retrouvailles… Mais bon, l’un et l’autre était toujours en vie, ce qui était déjà exceptionnel.
Anderson longea le préfabriqué. Shepard put ainsi voir son visage. Victorieux. Soulagé. Mais également las. Les cernes s’imprimaient profondément dans sa peau de métis. Les rides du front étaient très significatives. Mais il rayonnait. Il avait une telle aura de chef de guerre vainqueur. C’était vraiment plaisant à voir. Shepard se rendait petit à petit compte que ça y était. Les Reapers étaient vaincus. Du moins sur Terre.
Voir Anderson en chair et en os face à elle était une confirmation on ne pouvait plus tangible. Et pourtant elle avait encore du mal à y croire. Même quand il la salua et qu’elle lui rendit ce salut en retenant la grimace de douleur que lui arrachait son bras. Même quand ce même Anderson, oui, l’Amiral Anderson, s’approcha d’elle pour une accolade paternelle.
« Vous avez accompli un miracle, mon enfant. »
Ce n’était qu’un murmure à son oreille.
Mais elle avait bien entendu. Cela la chamboula. Elle ne s’était pas attendu à tant d’épanchement de la part d’Anderson. C’était une façon de la remercier d’avoir fait son devoir, d’avoir réussi l’impossible à laquelle elle ne s’était pas du tout attendu. La sensation était étrange, indescriptible. Cette phrase, cette embrassade de père… C’était plus fort que tous les éloges militaires qu’elle était en droit d’attendre.
Elle sentit une bouffée émotive l’envahir. Elle mit cela sur le compte des hormones, ces saloperies qui lui menaient la vie depuis quelques semaines. Elle n’allait pas se mettre à pleurer comme une idiote !
Shepard prit sur elle pour calmer cette crise de larmes qui arrivaient. Il fallait qu’elle dise quelque chose. Et vite.
« Heureuse de vous revoir, Amiral. »
Ce dernier sourit. Cela forma des petites rides au coin de ses yeux. C’était un sourire sincère, entier. Comme l’était Anderson.
« Moi aussi, Shepard. Moi aussi. »
Il la détailla du regard. Elle devait être un sacré spectacle, avec sa béquille et son bras en écharpe. Et sa tenue qui n’était pas très réglementaire. Son armure avait déchiré sa tenue sur plusieurs parties. Immettable. Chakwas lui avait donc trouvé une sorte de tunique, trouvés dans le matériel amenés par les Quarians. Ce n’était pas vraiment à sa taille, elle ballait par endroit et la serrait à d’autres. Mais bon, c’était mieux que rien.
« Comment vous sentez-vous ? »
Elle haussa l’épaule qui n’était pas immobilisée.
« Pas trop mal. »
Cela aurait pu être pire. Mais ce n’était pas son état à elle qu’elle voulait parler. Elle voulait tout savoir. Comment s’était passée la bataille. Comment les Reapers avaient été vaincus. Comment ça se passait ailleurs. Tous les détails possibles. D’ailleurs elle s’empressa de poser la question à Anderson. Enfin, plusieurs questions toutes à la suite. Ce qui fit lever la main de l’Amiral.
« Calmez-vous, Commander. » dit-il doucement avec un sourire, néanmoins. Il l’invita à entrer dans le préfabriqué. Mieux valait s’asseoir. Il y avait tant de choses à raconter.
Elle s’assit au bord de son lit tandis qu’il prit une chaise. Il commença alors son récit. Comment, une fois que le signal avait été activé, la débandade s’était déclarée dans le camp ennemi. Comment les différentes Flottes avaient réussi à pénétrer dans l’atmosphère terrestre. Le désarroi en constatant l’état dans lequel se trouvait leur planète d’origine. Renouer contact avec ceux qui s’étaient battus depuis le début. Bien peu restaient. C’était bien ça qui posait problème. Un génocide à l’échelle planétaire.
Shepard déglutit. C’était vrai qu’elle n’y avait que peu pensé. Le dépeuplement de la Terre. Ce n’était pas une extinction de la race humaine, mais ça fichait quand même un sacré coup. Il y avait encore une bonne dizaine de milliards d’habitants sur Terre après la conquête de l’espace. Maintenant, il faudrait recenser les rescapés… Bien peu par rapport au nombre d’origine. Les résistants s’étaient réfugiés dans les régions les plus reculées, les plus accidentées. Terrés dans les profondeurs, retournés à l’âge de pierre, ils avaient attendu qu’on leur vienne en aide. Plus que des résistants, c’était des rescapés. Tenir bon. Tenir bon coûte que coûte.
Mais le signal que Shepard et son équipe avait réussi à déployer n’avait pas suffit. Il fallait abattre l’ennemi. Avant qu’il ne puisse réagir. Et c’était là que Legion et les Quarians avaient participé à l’effort de guerre. Cela avait fini par être efficace. Un à un, les immenses ennemis étaient tombés. Dans le Pacifique, les Hanars étaient parvenus à un résultat spectaculaire, nettoyant en premier la zone. Ils étaient vraiment efficaces dans leur milieu naturel. L’Asie avait également été reconquise de manière assez rapide, grâce à la présence en avance des Quarians. Les Amériques et l’Europe avait posé plus de problèmes. C’était aussi la zone la plus dévastée. Anderson eut une faiblesse dans la voix quand il parla de Londres. Il était né là-bas.
Shepard attendit qu’il se ressaisisse. Ce n’était pas évident. Elle n’était pas native de la Terre, mais elle avait une certaine empathie pour son mentor et sa visible tristesse. Il en faudrait du temps pour reconstruire, certes, mais au moins, ils avaient désormais cette chance-là.
Elle avait encore du mal à y croire. Sans doute parce qu’elle ne l’avait pas vu de ses propres yeux. Enfin la victoire ? Et encore en vie ? Elle avait vraiment cru qu’elle ne survivrait pas à cette guerre, qu’elle y passerait. Finalement, elle s’en était sortie. C’était limite trop beau pour être vrai. Elle avait sérieusement un instinct de survie coriace.
Anderson continua son compte-rendu. La Terre n’était finalement pas la plus difficile des zones dont il fallait reprendre contrôle. C’était dans ses alentours que cela avait été difficile. Aidé par les Quarians, pui de Legion et de ses semblables, ils avaient fini par venir à bouts des Hérétiques. Shepard comprit alors l’importance des données que le Geth avait récupérées sur Rannoch. Lui et ceux qui n’avaient pas été touchés par l’altération qui avait donné les Hérétiques s’en étaient servis pour venir à bout de ces derniers. Ainsi, la querelle Quarienne avait pris fin. La mutinerie d’une partie de la Flotte Nomade avait tellement enflé au cours des dernières heures de la bataille du système solaire que les principaux Amiraux avaient fini par démissionner.
Encore là, il avait fallu du temps pour venir à bout de chaque vaisseaux que les Reapers avaient vomi avant de s’immobiliser. C’étaient là le rôle de sa propre Flotte ainsi que celle de Hackett. Le jusqu’auboutisme de ces troupes-là faisait peur à voir. Détruire ou être détruit. Il n’y avait rien d’autre. Alors, sans pitié, ils avaient purgé. Il ne devait en rester aucun.
Libre enfin de tout ennemi, la Terre, exsangue, était enfin de retour entre leurs mains. Hackett était déjà parti vers d’autres zones.
« Wrex, Orinia et Kirrahe vous adressent leurs amitiés. »
Cela voulait dire qu’eux aussi avaient déjà changé de zone. Chacun était donc reparti chez soi avec la certitude que l’engin de Presalia fonctionnait. Et une stratégie d’attaque assez efficace pour reprendre leurs planètes. Cela prendrait du temps.
La Flotte de Hackett, avait toutefois gardé une certaine forme coalisée. Les Batarians, Hanars, Elcors, Volus, Turians, Asaris, Krogans, Salrians et autres races avaient laissé quelques vaisseaux afin de reprendre le contrôle de la Zone de la Citadelle, qui avait subi également un assaut de la part des Reapers, revenus à la charge après leur première défaite. D’ailleurs, ce n’était pas encore réglé, d’après les dernières informations qu’Anderson avait eues. Ils commençaient à s’adapter. Presalia était donc encore sur le pont et cherchait à contrer leur évolution.
« Les communications sont difficiles. Trop d’émetteurs et récepteurs ont été endommagés. »
Là encore, il faudrait du temps pour reconstruire. C’était un bon technologique en arrière qui n’était pas négligeable.
« On privilégie les communications urgentes et vitales »
Même se déplacer dans la Galaxie n’était pas simple. Un grand nombre de Reapers étaient encore actifs. Tant qu’ils n’étaient pas ciblés, ils représentaient encore une force de nuisance non négligeable.
Shepard comprit qu’elle n’irait pas à la Citadelle de sitôt. Elle serra inconsciemment le poing sur sa jambe blessée. Ça ne s’annonçait pas bon. Elle allait donc rester encore coincée ici un moment.
« Chakwas m’a mis au courant pour votre état. »
Lequel ? Elle n’avait pas envie qu’Anderson apprenne son erreur de parcours. Mais il ne montra pas que c’était de ça dont il parlait.
« Vous allez être transférée sur Mars. Les moyens seront moins rudimentaires qu’ici. L’équipe de back-up prépare votre arrivée. »
Mars, hein ? Ce n’était pas encore la Citadelle mais peut-être que ça suffirait à Chakwas pour sauver sa jambe.
Par contre, quelque chose la turlupinait. On parlait d’elle, certes, mais les autres ? Ils n’allaient pas se tourner les pouces, ici, ce serait insupportable pour eux. Elle avait déjà senti que Garrus voulait aller en découdre avec les Reapers sur Palaven. Liara aussi lui avait paru désirer se rendre sur Thessia.
« Que vous faire mes hommes ? » demanda-t-elle. Le Normandy était planté dans une montagne. Ils étaient désœuvrés. Anderson expliqua qu’il comptait réattribuer un poste à chacun sur un vaisseau de sa Flotte. Ils allaient probablement être séparés en attendant qu’on tente de voir ce qu’il y avait à sauver du Normandy. Et autant dire que le splendide vaisseau n’était pas une priorité du tout. C’était un peu difficile à admettre mais au vu de la situation, c’était bel et bien vrai. Même si ça laissait un peu d’amertume dans la gorge. EDI. Son vaisseau. Son équipage. Elle s’en sentait dépossédée. Mais vu son état, elle n’allait pas pouvoir repartir aux commandes d’une frégate. Tous les bras et les cerveaux étaient nécessaires. Hors de question de garder un nombre pareil d’homme à ne rien faire.
Elle n’osa pas demander ce qu’Anderson comptait faire de Joker. Lui demander serait avouer. Et elle n’était pas prête à en parler. Cela lui paraissait déplacé. Demander à garder son amant près d’elle. Rien que l’idée la mettait mal à l’aise. Elle n’eut pas le courage de le faire. Elle était encore couarde. Machinalement, elle serra le poing.
« Je sais que c’est votre équipage, tempéra Anderson d’une voix douce, mais la situation…
— Je sais. Je sais. » dit-elle. Sa gorge s’étrangla. Elle n’avait pas envie d’ajouter quoique ce soit. Ils allaient tous la laisser en arrière. Elle et sa foutue jambe. Et la chose qui habitait son ventre. C’était… dur. Anderson dut se rendre compte que le sujet était sensible.
« Je sais que vous aimeriez y retourner, Shepard. Mais pas dans votre état. Je préférerais vous savoir en train de vous retaper, plutôt que de courir encore la Galaxie en vous bousillant la santé. »
Elle hocha la tête. De toute façon, elle s’en sentait incapable. Sa petite escapade dans le camp lui avait coûté cher. Elle ne se voyait pas dans un vaisseau à aboyer des ordres, coincée dans un fauteuil ou devant se déplacer avec une béquille. De toute façon, Chakwas ne la laisserait jamais filer.
La jeune femme devait se résigner.
« Quand au reste de votre équipe… » Les électrons libres. Ceux-là n’avaient aucun compte à rendre à l’Alliance. Elle savait bien que chacun allait se tourner vers sa propre guerre. « Je mettrais à disposition un moyen de transport pour qu’ils se rendent où ils le souhaitent. »
Ce fut un faible merci qui franchit ses lèvres. Elle n’avait pas vu leur séparation comme ça. Cela allait être assez brutal. Mais comment vouloir les retenir ? Chaque heure comptait. C’était idiot, stupide et enfantin que de vouloir les garder auprès d’elle.
Anderson se leva.
« Vous avez l’air exténuée. Je vais vous laisser vous reposer. »
Il réajusta sa casquette et fit quelques pas vers la porte. Porte que Chakwas ouvrit sans frapper.
« Ah. Excusez-moi, Amiral. » trouva-t-elle quand même à dire quand elle vit qu’il était encore là. Elle avait dans les mains un plateau avec une seringue et quelques flacons. Cela n’annonçait rien de réjouissant pour le Commander.
« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais faire quelques injections au Commander Shepard. » La Doc était maîtresse chez elle, cela se voyait. Elle pouvait mettre n’importe qui dehors sans ménagement, même Anderson. Ce dernier assura qu’il était sur le point de s’en aller. Il marqua cependant un temps d’arrêt, la main sur la poignée.
« Je suis vraiment fier de vous, Lucy. »
Elle ne s’y attendait pas, à celle-là. Tant de familiarité de sa part. Elle leva la tête vers lui mais il avait déjà franchit la porte et la refermait.
Chakwas avait un sourire quand elle posa le plateau sur une caisse qui servait de chevet. Mais Lucy ne s’y attarda pas. Elle était figée.
Trop.
Encore une fois, un trop plein d’émotions la surbmergea.
Elle sentit sa tête tourner. Pris d’un violent frisson, elle se pencha par-dessus le rebord de son lit et se mit à vomir.
Alertée, Chakwas se précipita.
« Shepard ! »
La Doc la souleva pour qu’elle ne chute pas de son lit. Sa respiration était rapide, violente.
« Dites quelque chose ! »
Lucy tenta de reprendre son souffle, mais une nouvelle nausée la prit et elle vomit à nouveau.
Panique.
Elle paniquait.
C’était plus fort qu’elle, elle perdait le contrôle, ne parvenait pas à se calmer. Sa respiration avait laissé place à des sanglots très forts, complètement fous et douloureux. Elle faisait une crise d’angoisse. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était d’agripper Chakwas. Son regard n’accrochait plus rien, elle ne parvenait pas à retenir toutes ces émotions qui l’envahissaient. Comme si le départ d’Anderson avait ouvert une vanne.
Ils allaient tous partir.
Elle allait rester seule.
Seule dans une foutue chambre d’hôpital.
Sans visage familier.
Sans personne à qui parler.
Sans ami pour l’aider à tuer l’ennui.
Ils allaient tous partir se battre.
Et elle ne pourrait pas les emmener sur le front.
Shepard n’entendait plus rien. Elle ne voyait plus rien. Elle ne contrôlait plus rien.
Ce fut à peine si elle sentit la douleur de la piqûre.
Oh non.
Elle ne voulait pas perdre conscience.
Qu’allait-il se passer pendant ce temps-là ?
Mais elle ne put lutter contre le sédatif qui l’emporta vers l’inconscience.
Ça ne lui plaisait pas. Il savait que c’était le boulot qui voulait ça. Que c’était normal, après tout, que des troupes non mobilisées et en pleine forme aillent grossir les rangs. Chacun comptait, même le troufion de base. C’était normal. Ce qui l’embêtait un peu, c’était l’idée qu’on les sépare. Ils avaient choisi d’être ensemble, de suivre leur leader, Shepard. Maintenant que le Commander était hors circuit, ils allaient donc être dispatchés, comme ça, sans plus d’égard envers ce qu’ils étaient, une équipe ?
Là, il l’avait mauvaise. Anderson veillerait à ce que les réaffectations soient cohérentes mais il l’avait franchement mauvaise. C’était comme quelque chose d’horriblement amer qui descendait dans sa gorge. Qu’est-ce que Shepard en pensait. Il n’osait pas aller la voir. Cela le mettait mal à l’aise. Et il n’avait pas envie de se faire charrier s’il était trop présent auprès de son amante.
Et puis, il y avait une pensée à laquelle il ne voulait pas penser.
Qu’est-ce qu’il allait advenir de son cas ?
Comme il avait planté le Normandy, il n’avait plus de vaisseau. C’était là qu’il regrettait amèrement s’être fait avoir comme un bleu. Son vaisseau. Son précieux vaisseau. Il avait bien compris que cela ne servait à rien de faire chier le monde, on n’allait pas s’occuper d’elle avant un bout de temps. Le Normandy, son merveilleux vaisseau, était donc relégué au rang de tas de ferraille inutile. EDI était seule. Il avait eu beau protester, on n’avait pas tenu compte de son inquiétude. On ne voyait qu’EDI comme une IA. Elle pouvait bien rester seule. Ce n’était pas un être humain. Certes, mais c’était un membre de l’équipage. Très encombrant, synthétique, mais quand même ! Mais malgré ses protestations, on n’avait voulu rien faire. Ce fut EDI qui avait dû le rassurer, avant de se mettre en veille prolongée.
Donc, sans vaisseau à piloter, qu’allait-il devenir ? Anderson allait aussi le réaffecter quelque part.
Il ne voulait pas y penser.
Il ne pouvait pas s’y résoudre.
Pas seulement parce que cela voudrait dire s’éloigner de Lucy et la laisser dans l’état où elle était.
Mais aussi parce qu’il était depuis le début, un homme de Shepard et il ne se voyait pas finir cette guerre sous les ordres de quelqu’un d’autre. Ça, il ne pouvait pas. Tout son être le refusait. Ça le répugnait.
Il savait qu’on ne lui laisserait pas le choix. Que de doute façon, il n’avait pas de légitimité à vouloir rester auprès de Shepard. Même si tout le monde savait, il n’avait pas vocation à exiger quoique ce soit. Faire des galipettes avec Shepard ne lui donnait pas de droits supplémentaires. Il restait le subordonné des autres chefs.
Cela le mettait en rogne et le rongeait. Que faire ? Recroquevillé sur son lit de camp, il était en train de songer à se péter une fois pour toute un de ses bras, lorsque Chakwas arriva d’un pas rapide dans leur tente.
Elle héla Gardner et lui demanda s’il n’avait pas vu Anderson. Le cuisinier eut à peine le temps de dire non que la doctoresse avait déjà fait demi-tour et était partie dans l’autre sens.
Joker se redressa illico. Il n’y avait pas dix milles choses qui pouvaient faire courir Chakwas après Anderson.
Shepard.
Le pilote s’extirpa de son refuge et tenta de suivre l’itinéraire du toubib en boitillant. Pas évident. Il commençait à s’inquiéter un peu. Est-ce que Lucy allait bien ? Ne valait-il mieux pas qu’il se rende à son chevet ?
Il aurait dû n’en avoir rien à cirer qu’on lui fasse des remarques mais il craignait plus que ce soit elle qui en fasse les frais et vraiment, ce n’était pas le moment.
Mais après tout…
En lui-même, il savait où était sa place.
C’était vraiment une situation délicate. Pire que lorsqu’ils se cachaient. Dans ce cas, il n’aurait pas eu à se poser la question. Y aller en douce n’était pas très possible.
Le pilote finit par apercevoir à nouveau Chakwas qui avait fini par mettre la main sur Anderson. Tiens, il y avait Kaidan aussi.
« Il faut absolument la transférer sur Mars. »
Première phrase prise au vol alors qu’il s’approchait.
Attendez…
Anderson se grattait l’arrière du crâne, visiblement en train de réfléchir à quoi répondre.
« Je vais affréter une navette. Vous pensez avoir besoin de combien de temps pour qu’elle soit transportable ?
— En trente minutes, je peux très bien empaqueter le matériel et la préparer pour embarquer. »
Trente minutes ?
Mais…
Lucy allait partir dans moins d’une heure ? Là, comme ça ?!
Il en eut l’estomac retourné.
« Je l’ai mise sous sédatif, ça devrait faciliter les choses. »
Et en plus, la Doc l’avait droguée ! La colère remonta sourdement. Comment avait-elle pu faire une chose pareille ?
Alors Shepard allait mettre les voiles sans possibilité de dire au-revoir à qui que ce soit.
Sans qu’il puisse lui dire un mot ?
Cela le révulsa.
Sa première impulsion fut d’aller engueuler la Doc.
Puis, il se ravissa. Non, si Lucy partait dans une demi-heure, il n’avait pas une seconde à perdre. Il devait aller la voir. Coûte que coûte. Quitte à se faire engueuler parce qu’il n’était pas là où il devrait être.
Il emmerdait tout le monde.
Merde.
Il ne voulait pas que ça se passe comme ça.
Boitillant à qui mieux-mieux, serrant les dents de douleur, il pressa le pas en direction du préfabriqué.
Lucy ? Partir sans lui ?
Plutôt lui passer sur le corps. Plutôt crever.
Ça y était, il se ressaisissait. Il revoyait sa priorité. Suffit de faire le mariole, celui qui ne sait plus où se mettre. Il avait finit par retrouver son caractère et ses couilles. Il n’était pas seulement l’amant de Shepard. Il était aussi son rempart, son soutien le plus inconditionnel et aussi plein de conneries niaises dont la seule penser le fit rougir. Mais c’était vrai.
Il avait l’impression qu’on se débarrassait un peu d’elle après avoir accompli sa mission. Certes, elle était blessée. Et en sale état. Mais de là, à la laisser seule dans un hosto sans personne, c’était vraiment dégueulasse. Lui, il voulait rester, il pouvait rester et il allait leur donner des raisons pour qu’on le laisse près d’elle.
Merde !
L’instant d’après il se calma un peu. Aussi parce que son dos lui rappela son existence. Qu’est-ce qu’il allait bien leur dire. Il se voyait bien jouer les chevaliers blancs en baragouinant des niaiseries.
Aimer Shepard n’était pas un argument valable.
Et si…
Le datapad ! Ce putain de datapad qu’il n’avait pas lu. Il fit demi-tour aussi sec et entreprit d’aller le chercher.
Peut-être que s’il faisait valoir cet argument… Cela ne lui plaisait pas spécialement mais…
Putain, il fallait vraiment qu’il se dépêche.