Le début du jeu
Chapitre 3 : Lancer de dé (deuxième partie)
6578 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 08/04/2020 13:50
Bonjour, ou bonsoir ! Afin de faciliter la lecture, j’ai découpé le chapitre « Lancer de dé » en deux parties, les prochains seront d’ailleurs plus courts. Ceux qui l’ont déjà lu devront donc se rendre directement au quatrième chapitre, « Battre les cartes ».
Désolée pour le dérangement occasionnée par ce changement, et bonne lecture quand même j’espère ! Le chapitre suivant arrive dans les prochains jours, enfin !
Lancer de dé (deuxième partie)
Non sans surprise, il constata qu’aucune autre salve lumineuse ne venait agresser ses pupilles. Maudissant d’abondance le stratagème mettant hors service sa petite communauté d’IA parsemée d’androïdes, l’empêchant d’ordonner le réglage de ses verres fumés sur la vision nocturne, il s’engagea entre les parois métallisées, inspirant profondément pour maîtriser l’angoisse tordant sa poitrine.
Non, il n’était pas dans un trou noir donnant sur l’espace ; d’accord, il y faisait tout aussi sombre, mais si ç’avait été le cas, il ne serait pas en train de s’appuyer contre le mur, tout en pensant à la pile de dossiers abandonnée derrière lui…Et bien évidemment, les ascenseurs ne daignaient pas fonctionner correctement, ! Décidément, les aliens gâchaient sa vie !
Comme pour le narguer, une autre salve d’éclair frappa la Tour, se propageant plus rapidement qu’une peste pulmonaire le long des murs, ébranlant l’entièreté de la structure. L’onde de choc manqua le faire tomber. Un réflexe salvateur lui permit de rester debout, aveuglé par la vive lumière contrastant violemment avec les ténèbres intermittentes. S’ajoutant à l’agression visuelle, un martèlement continu assourdissant chassa contre les vitres, formant un rideau décourageant toute tentative de voir à l’extérieur.
Décidément, les spécialistes météorologiques allaient devoir se creuser la tête pendant des jours avant de trouver une explication convenable à cette tempête imprévue…
Débouchant sur une esplanade intérieure circulaire, aux fenêtres composées de petits losanges transparents formant un congénère de plus de deux mètres de haut, il put néanmoins constater que désormais, les éclairs déchiraient le moindre pan de ciel visible à travers la purée de pois.
Sans crier gare, le sol s’inclina vers le couloir, dans un hurlement de métal prêt à rompre. Un bruit oh combien haït par l’ingénieur, répercutant chaque secousse plaintive dans la moindre cellule de son corps. Ce n’était pas seulement sa Tour qui se faisait malmener, mais le symbole de Tony Stark. Le lieu d’où il faillit mourir, pour finalement « ressusciter », l’emblème des Avengers (l’équipe de super-héros possédait désormais son propre manoir, cependant, nul n’oubliait leur première résidence). Et désormais du SHIELD.
Le salon de jardin en pin massif, décoré de rouge et or, dévala la pente crée, droit vers le corps suspendu à un des bassins de sculpture (disposés en étoile à six branches, ces parterres originaux se trouvaient garnis de toutes les inventions n’ayant guère abouties de Tony, qui, organisant une surprise pour Pepper, les recycla afin de former une kyrielle de sculptures sans logique apparente, mais agencées artistiquement. Du moins selon l’avis de l’ingénieur. Pepper, elle, murmurant un petit « c’est l’intention qui compte », avant de l’embrasser tendrement). A défaut d’avoir un autre choix, Tony desserra sa prise, se laissant glisser jusqu’au parterre suivant. Empoignant d’une main un long rectangle censé représenter l’antenne d’un Chitauri (cela lui rappelait qu’il devait vérifier les vidéos surveillances de l’invasion de ces aliens, Rhodes lui soutenant qu’ils ne possédaient aucun appendice de ce genre), celui-ci se plia sous son poids, et sous la traction qu’il exerça en lançant son corps hors de la trajectoire d’un canapé vengeur, aidé par la vitesse de sa chute – plus ou moins – contrôlée. A présent, le sol prenait un angle d’environ quarante-cinq degrés.
Il n’y avait plus de temps à perdre ! S’il hésitait encore sur le but de ses agresseurs, tout doute était désormais levé ! Calant ses pieds contre le rebord en fonte, il lâcha le bout de ferraille, désormais plus cercle que rectangle, poussant sur ses jambes. Sortir de la forêt de sculpture fut plus pénible qu’il le croyait, en particulier quand il se trouvait secoué toutes les minutes tout en évitant les dizaines de kilos métalliques mal arrimés au carrelage.
Un craquement sinistre l’amena à se hisser sur les bras, soulevant son buste suffisamment pour en observer la source. La façade de verre se para de minuscules fêlures, d’abord presque insignifiantes, puis se rejoignant promptement ; l’ensemble ressemblait désagréablement à une multitude de toiles d’araignées grisâtres. Les Skrulls auraient voulu en faire exprès de placer un symbolisme narguant sous son nez, qu’ils n’auraient pas mieux réussi, se fit-il la réflexion.
Tony cessa d’agripper la bordure glacée malgré la température ambiante (ou peut-être son esprit l’imaginait-il ainsi ? Au fond, peu importait). Libéré de toute contrainte, son corps suivit l’inclinaison imposée par la Tour en pleine destruction, tandis que l’homme plaça ses bras en protection autour de sa tête. La chute devint rapidement incontrôlée, imprimant un mouvement de rotation nauséeux à l’homme ballotté par les éléments.
Une fraction de seconde avant que les vitres entières ne volent en éclat, gueule béante et avide fracassée par la tempête, tendant ses bras invisibles tranchants à la suite de sa proie. Des milliers de fragments de tessons se fichèrent dans le bois, le sol, le métal lentement réduit à néant, lacérant le moindre recoin à leur portée.
La collision entre la chair et le métal fut dure, émettant un son proche de celui d’un gong. Ou un simple grésillement, qui savait ? Tout ce que Tony savait, était que son bras droit irradiait une douleur lancinante, relayée par son flanc, sa hanche, et une partie de sa cuisse. Au moins son visage ne paraissait avoir subit aucun dommage gravissime, seuls quelques picotements venant titiller le grain de son cou.
Repliant le bras contre sa poitrine, il serra les dents de douleur, retenant un gémissement qu’il jugea parfaitement inutile. Jetant un regard vers le bas, il constata ce dont il se doutait déjà, soit qu’une majeure partie de son côté droit se trouvait incrustée d’éclats. Seuls ses mollets et ses pieds furent épargnés, protégés par les jambières le recouvrant du genou à la cheville.
En fond sonore, le tonnerre accompagné d’éclairs (les premiers ne cessant de survenir après ces derniers) continuait de pilonner inlassablement les environs de la Tour.
À ce rythme, l’édifice ne tiendrait pas longtemps, Tony le savait. Il fallait sortir de là, maintenant !
La simple pensée de laisser tout son travail aux mains de Captain America, catapulté au milieu d’une invasion alien, lui donna la force de rassembler les siennes. Il devait le prévenir au sujet des Bosons, et le plus vite serait le mieux ! Sans parler qu’une mort aussi peu glorieuse, écrasé sous sa propre « maison », se trouvait loin d’être digne d’un Stark !
Repoussant la vague montant à son coeur, il se redressa péniblement, gardant son bras inutile en écharpe. Extirpant un tesson particulièrement mal placé, près de son aisselle, il s’avança d’un pas chancelant, appuyé lourdement contre le tunnel s’étirant à l’infini.
Qu’avait-il pensé, juste avant de se lancer contre cette folle course-contre-la-montre ? Encore sonné, il se contenta de suivre machinalement le chemin imposé par son inconscient. Au moins, ce n’était plus la sueur qui tâchait ses vêtements, songea-t-il cyniquement.
Ah oui ! Il fallait trouver un moyen de monter sur le toit !
Étrangement, il comprenait désormais bien mieux la petite sirène, quand Andersen expliquait que chaque pas était comme un millier d’aiguilles s’enfonçant dans la plante de ses pieds.
En temps normal, son objectif ne se trouvait qu’à deux étages de son bureau, une distance qu’il parcourait en à peine cinq minutes, grâce aux ascenseurs et ses braves petons pressés de se dégourdir.
À présent, bien qu’il ait déjà franchit le premier étage le séparant de l’air naturel en faussant compagnie à l’esplanade mortelle, Tony éprouva des plus nettement la relativité temporelle. Comme si les minutes cherchaient à narguer son impuissance, elles se métamorphosaient inexorablement en monstres chronophages, intangibles et pourtant accablantes de présence.
L’avantage, avec la précédente explosion de l’ensemble des fenêtres de la Tour, fut que l’ingénieur n’eut guère à pousser de lourds battants, qui seraient probablement restés obstinément fermés face à ses forces déclinantes. En effet, la salle menant sur la plateforme située au tiers du bâtiment ressemblait fort à une véranda futuriste, de base parée de larges vitraux laissant entrer la lumière solaire à toute heure du jour.
Pour le moment, seul un ciel enfumé, transformé en cyclone rugissant, se dévoilait à l’œil curieux.
Retenant à grand peine un nouveau gémissement douloureux, Tony n’eut « qu’à » repousser du pied les débris d’un cadran ne servant désormais qu’à encombrer le chemin.
Une puissante rafale compromit sérieusement son équilibre, comme mû d’une volonté propre, ayant choisi comme objectif de lui offrir un saut de l’ange sans parachute avant l’heure. Pourtant, la fournaise ambiante ne décrut guère, paraissant même gagner quelques degrés supplémentaires, si encore cela était possible. Presque immédiatement, un nouveau choc ébranla la Tour, et cette fois Tony ne put résister, ballotté de droite et de gauche. Une vague de douleur monta dans sa poitrine, sa vision s’obscurcit d’innombrables points colorés, tandis qu’il se sentit glisser vers le rebord, impuissant.
Puis, tout s’arrêta. Le monstre de métal dominant New York s’immobilisa.
Tony poussa un soupir de soulagement, perdu entre tonnerre et éclats aveuglants.
Juste une seconde.
D’abord quasiment inaudible, un son parvint à son oreille. Un grincement affaibli. De plus en plus fort, évoquant la chair trop longuement étirée commençant à se rompre.
Ce fut ensuite un gémissement, crissement de métaux condamnés à disparaître, concert de poutres incapables de supporter la pression à laquelle elles étaient soumises, distorsion des circonvolutions psychédéliques décoratives. Un violent soubresaut secoua entièrement la carcasse de la Tour, des fondations à son point culminant. Comme un spasme douloureux, un dernier effort adressé aux cieux, pour montrer à la face de l’espace qu’elle ne s’était pas laissé abattre tel un vulgaire gibier entravé mené à l’abattoir.
Lâchant ce qui s’apparentait à un soupir désespéré, la Tour recommença à s’incliner de l’autre côté, emportée de son propre poids. Un dangereux jeu s’enclencha, culbuto gigantesque ignorant impitoyablement l’homme rampant presque pour atteindre le bout du monde. Attraction-répulsion létales au résultat évident, mais à la lutte continue.
Enfin, se rendant à l’évidence, le premier édifice capable de s’auto-alimenter une année entière se redressa, rigoureusement vertical, revenu à sa position d’origine.
Tony crut qu’une dernière oscillation viendrait clore le combat fantasmagorique sur les éléments. Un instant, il crut qu’il y avait une chance pour que la puissance du cyclone ne puisse totalement mettre à bas sa Tour.
D’un seul coup, cependant, elle céda dans un crissement insupportable, le faisant grincer affreusement des dents. La dernière phase de la destruction, il le savait : l’écroulement. D’une traite, elle s’effondra, cacophonie futuriste revenant à la terre d’où elle avait émergée.
Accroché au bord de la plateforme, qu’il put atteindre après maintes efforts, Tony vit comme dans un cauchemar éveillé le sol se rapprocher à une vitesse ahurissante, avant que les premières nuées de poussière ne l’aveuglent, irritant sa gorge plus sûrement que du papier de verre.
L’apesanteur vint le cueillir ; un instant, il ne toucha plus sol, suspendu à quelques centimètres de la balustrade, avant que son corps ne revienne la heurter avec brutalité, enfonçant plus profondément encore quelques tessons déjà plantés dans sa chair. Le cri franchit la barrière de ses lèvres, sans qu’il ne cherche à le retenir. Sentiments confus, mélangés dans un maelström de peur, de colère, de dépit.
Une promesse. Celle de faire payer.
Il ne laisserait pas Steve et les autres renégats dans cette bauge infecte. Il avait appelé de son chef la bannière étoilée. Il n’abandonnerait pas ses responsabilités.
Puisant dans ses dernières forces, il inspira profondément, réflexe inutile ais amplement psychologique. Prenant appui sur le rebord épais, il poussa sur ses jambes, propulsant son corps dans un saut de l’ange fou.
N’était-ce pas le moment ou jamais de tester ses nouvelles jambières ? songea-t-il cyniquement.
Il vola, traversant le nuage ocre de poussière martelée sans répit par les éclairs coruscants.
Il tomba, lourdement, ayant horriblement conscience qu’il se trouvait très près encore de la structure s’effondrant. Et si le Sakor n’avait pas suffisamment emmagasiné d’énergie, lui coupant toute retraite définitivement ? Et si le poids du sac à dos surchargeait les jambières, bloquant leur déclenchement ?
Pour un baptême de l’air, il trouvait l’idée quelque peu extrême, aussi excentrique fut sa personnalité.
À mi-parcours, une sensation familière lui offrit de nouveau la capacité de respirer. Celle des répulseurs poussant sur l’air afin de lui permettre de s’élever.
La chute libre ne dura que quelques millisecondes, une ou deux à tout casser. Assez pour le condamner ? Il éprouvait la ferme intention de montrer que non !
Poussant les capacités de répulsion de ses jambières au maximum, il se redressa en plein vol, entraîné grâce à ses nombreux vols en armure du passé. Même lancé comme une fusée, presque parallèle à sa Tour, les lacérations de sa chair meurtrie vinrent protester de tout leur soûl face à cette agression vitale.
Il s’éleva diagonalement, cherchant à s’éloigner le plus possible avant l’onde de choc gigantesque qui ne manquerait pas de frapper le sol, quand l’édifice se retrouvera entièrement détruit.
Celle-ci arriva un chouïa plus rapidement qu’il ne l’espérait.
Frappé de plein fouet, il se mit à zigzaguer dangereusement, toussant d’abondance, incapable de distinguer quoi que ce fut à travers les larmes envahissant ses yeux brûlés par la poussière. Plissant les paupières, il rentra la tête dans les épaules, protégeant comme il le pouvait son cou.
Il devina plus qu’il ne vit l’ombre gigantesque qui recouvra son corps. Inclinant sa trajectoire vers la droite, le souffle ardent d’une plaque de métal grimaçante frôle son visage, le déséquilibrant un peu plus.
À peine hésitant, il s’imprima une légère rotation, obtenant une vue d’ensemble du désastre lui tournant le dos. Au départ, il ne comprit pas comment tant de petits vaisseaux aliens purent le rejoindre si vite, même masqué par l’écran occultant désormais tout regard extérieur à la tempête.
Il soupira contre sa malchance, cherchant comment se défendre dans son hasardeuse position.
Puis il corrigea son erreur. Toutes les tâches sombres lui arrivant droit sur la figure n’étaient pas des Skrulls venus achever le travail, mais une multitude de débris.
Il accéléra encore, ajoutant aux capacités de répulsion l’énergie censément contenue au sein du Sakor. Il se savait à la limite de tout faire disjoncter. Enfin, ce n’était pas comme s’il avait le choix.
Sa vision ne fut plus qu’un ensemble confus de formes à peine distinctes, évitées le plus souvent de justesse. Ses capacités d’esquive de pilotage ne furent jamais tant mises à l’épreuve, ainsi que sa concentration. Tout comme Tony se sentit rarement autant en danger, réalité affreusement ennuyante dans son concept le plus basique. Par contre, quand elle prenait la forme d’un impensable cyclone…
L’éclat du crépuscule, pourtant bien loin de celui d’un astre solaire en pleine journée d’été, manque l’aveugler plus sûrement que les salves d’orage. Ne sentant plus les secousses imposées par une kyrielle de déchets facilement cinq ou six fois plus gros que lui, il ralentit progressivement, prenant identiquement conscience de la chaleur presque insupportable enserrant ses mollets. Bien évidemment, il frôlait dangereusement la surchauffe, en conclut-il pragmatiquement.
Il fouilla les alentours, à la recherche d’un endroit où atterrir rapidement et – relativement – en sécurité.
Avisant un toit vert, il décida que le potager soigneusement entretenu ne méritait guère d’être épargné, s’il venait à s’écraser tel un insecte deux mètres plus loin.
Ayant anticipé la rudesse du contact entre son corps et la terre battue entrecoupée de pavé, il réussit à s’arranger pour que seul son côté gauche heurte le muret censé protéger les plantations des animaux domestiques – un chien probablement, s’il se fiait à la baballe en plastique vert qui fit « pouêt » quand son pied l’écrasa involontairement.
Bien, pour un vol d’essai, le résultat était finalement plutôt concluant !
D’abord méfiant devant l’absence de réaction de l’intérieur du bâtiment ( il n’en était plus à un piège près désormais), il en comprit de suite la raison quand il se releva, à l’aide d’un râteau pour enfant abandonné par quelque bambin turbulent.
Tournant sur lui-même, souhaitant évaluer les dégâts subis par sa Tour (peut-être les fondations avaient-elles tenus, ou bien sa chute s’arrêta miraculeusement, comme parfois dans certaines émissions), seul un tas de gravats put lui indiquer la direction à suivre. Certes gigantesque. Mais seulement une mare de débris recouvrant l’entièreté de la zone sur des dizaines de mètres, là où s’élevait un édifice majestueux.
Tout était terminé ; seul le ciel, légèrement éclairci quoique toujours menaçant, résonnait encore de quelques explosions moqueuses. Elles-mêmes se turent rapidement, tout comme la pluie cessa à son tour.
Rien d’étonnant, songea-t-il amèrement, les capacités des Bosons restaient à leurs balbutiements. Ils ne pouvaient être contrôlés que quelques minutes seulement.
Se frottant le visage, désemparé, Tony s’appuya dos contre le mur, lâchant un long soupir. La Tour avait littéralement été foudroyée sur son socle.
Si Pepper et lui formaient encore un couple, la jeune femme aurait tout simplement pu ne pas survivre à une telle catastrophe. Triste preuve que leur séparation était définitivement la bonne solution.
Les symboles, encore et toujours. Les Skrulls devaient probablement le croire morts, avec un effondrement pareil. Quelqu’un avait-il pu le voir s’envoler ? Rien n’était moins sûr. D’accord, une foule compacte se fut probablement formée dès les premiers éclairs lancés dans le ciel. Cependant, la majorité se mit à fuir quand la situation dérapa, il en aurait parié ses jambières, à moins que la population n’ait définitivement qu’une immense case « réseaux sociaux » et « buzz » implantées à la place du cerveau.
Les débris ! Avaient-ils touché quelqu’un ?!
Une souffrance fulgurante vint le frapper, le laissant sans souffle. Le temps de reprendre ses esprits, et il réalisa que le rouge s’étendant progressivement à ses pieds ne provenait pas des coquelicots raclés dans leur parterre coloré aux couleurs de Winnie l’ourson.
L’adrénaline due à sa folle course-poursuite contre les temps s’évaporait comme neige au soleil, le laissant à peine capable de tenir sur ses jambes flageolantes.
Bon, s’il ne se trompait pas, l’effet de l’électro-bombe se trouvait à présent dissipé.
Fouillant dans la poche de son pantalon, un soulagement l’étreint quand le plastique du portable de Steve rencontra la pulpe de ses doigts. Il n’aurait plus manqué qu’il le perde durant son vol.
Détestant prendre un risque qu’il écarterait obligatoirement habituellement, il ouvrit d’une main le clapet mat, composant un numéro de portable apprit par coeur. Pourvu que son interlocuteur soit effectivement humain, sinon, il serait dans une merde plus profonde encore.
Déjà que celui-ci allait lui passer un savon d’utiliser sa ligne privée !
Un « bip », classique mais oh combien rassurant dans ce contexte, l’informa que son appel se trouvait en cours de transmission. Sans fil conducteur, ses pensées se raccrochèrent à ce qu’elle purent, soit précisément un certain Steve Rogers, qui devait probablement lui en vouloir terriblement de l’avoir conduit droit dans les ennuis. Bien différents d’une nappe phréatique finalement inexistante sous un soleil de plomb, tracas auxquels le super soldat se serait bien mieux accommodé. Sans nul doute, le croyait-il mort d’ailleurs, oubliant que personne n’achevait un Stark aussi facilement. Et ses autres collègues renégats ? Natasha, qui le profila si justement par le passé (mieux valait qu’il ne se fasse pas rire tout seul tiens, il avait mal aux côtes), devinait-elle qu’il échappa à la catastrophe, même de justesse ? L’oeil de faucon de Barton put-il voir sa silhouette tourmentée esquiver avec adresse le multiples débris décidés à lui fracasser le crâne ? Wanda accourait-elle en ce moment même parmi la foule afin de déterminer si elle pouvait secourir des civils ? Et monsieur Lang ?Non, lui, Tony ne voyait pas ce qu’il pouvait bien faire.
Le bruit caractéristique d’un téléphone que l’on décroche vint le tirer de ses réflexions.
– Je me doutais bien que les Skrulls ne pouvait pas avoir raison de vous si facilement.
– Quelle perspicacité Nicky ! ironisa Tony, grimaçant quand, s’affaissant trop brusquement, sa cuisse blessée râpa le pavé.
– Simple question d’expérience, corrigea Fury, nullement impressionné. Que puis-je pour vous ? Beaucoup je suppose, pour que vous veniez me contacter sur ma ligne personnelle.
Un fin sourire étira les lèvres de l’ingénieur, malgré le lancinant élancement imprimé dans sa chair. Le colonel ne l’exprimait peut-être pas clairement, mais le reproche restait sous-jacent. Une simple petite destruction de la Tour la plus imposante de New York ne perturbait décemment pas l’homme en noir, visiblement. Tony se demanda vaguement s’il se montrerait seulement surpris, en apprenant que de son propre chef, il faisait appel aux services de Captain America en personne.
Et que celui-ci accepta. Quoique, une invasion alien menaçant la vie des citoyens de la Terre entière motivait, de l’avis général, facilement l’ancien leader des Avengers.
– Je me posais simplement une petite question, commença-t-il.
– L’attaque d’il y a quelques minutes a sans nul doute été orchestré par les Skrulls, oui. Danvers est en chemin. Elle pourra nous dire si certains de ses aliens se sont « égarés » depuis sa dernière visite dans l’espace. J’ai d’ailleurs longuement entendu parler de votre entrevue d’hier.
– Sérieusement Nicky, un jour il faudra que vous m’expliquiez comment vous réussissez à contacter miss Reese Witherspoon (2) ! Et de quelle manière vous l’avez rencontrée, je sens que l’histoire pourrait être intéressante. Rassurez-moi, aucun mini-Fury métis ne se balade dans l’espace ?
– Dans vos rêves, peut-être, soupira l’intéressé, passablement agacé. Que voulez-vous ?
– Pas connaître l’évidence, répondit Tony. (il enchaîna rapidement, autant pour couper la prochaine réplique de l’homme, que parce qu’il ne se sentait pas suffisamment en forme pour continuer longtemps son petit jeu de question-réponse) En combien de temps pouvez-vous venir récupérer l’homme le plus important du monde échoué sur une terrasse remplie d’herbe ?
– D’herbe ? répéta Fury, la voix médusée.
Tout en sachant à quoi il pensait, Tony ne souhaita pas le détromper, à la fois parce qu’il n’éprouvait guère l’envie de discutailler, que parce qu’il savait que la perspective de faire d’une pierre deux coups motiverait l’ancien directeur du SHIELD.
– Tout en contactant un chirurgien aussi fiable que possible dans ces conditions.
– Vous êtes blessé ? fit le Colonel, bien plus sérieux soudainement.
– Non, je veux me refaire les seins, ricana l’ingénieur.
– Ne bougez pas de là où vous vous trouvez, ordonna l’autre, semblant oublier qu’il s’adressait censément à un supérieur, un tic désagréablement fréquent trouvait Tony. Sauf si vous êtes trop à découvert…
– Vous savez, dans mon état, quoi qu’il en soit je ne pourrais pas déplacer ma carcasse, grinça-t-il.
– Y a-t-il des Skrulls près de vous ?
– Personne…Ah si, un pigeon perché sur une parabole de télévision.
– Où avez-vous échoué ?
– Devinez ? Ne soupirez pas, je plaisante Nicky.
– Arrêtez de m’appeler comme ça, je vous l’ai déjà dit, et pas qu’une fois.
Tony sourit, un sourire de sale gosse que Fury ne pouvait voir.
– Dans vos rêves, peut-être. Plus sérieusement, la rue des Martyrs, vous connaissez ? Perpendiculairement à la Tour, en face de l’arrêt de bus ? A trois pâtés de maison, à tout casser.
– Hum. Un toit terrasse, vous avez dit ?
– Ouais, avec un potager et une barrière Winnie l’ourson.
– Très bien, nous arrivons dans quelques minutes. Je vais contacter Hill, pour la prévenir que vous êtes toujours en vie. Elle n’a cessé d’essayer de vous joindre…
– Non ! cria impulsivement Tony, avant de siffler de douleur. Pour le moment, silence radar, Nicky. Seul vous est au courant que je suis en vie, compris ? Je ne…plaisante pas. Ne (il reprit une inspiration, reprenant un souffle moins laborieux) …Ne trahissez pas la confiance que je viens de placer en vous.
– Vous me surestimez probablement, Stark. Enfin, nous n’avons pas le temps de pavoiser. Nous en discuterons plus tard. Je vais raccrocher ; tâchez de rester en vie jusqu’à mon arrivée.
Tony ne retint pas un rire mi-nerveux, mi-amusé.
– Ne croyez pas vous débarrasser si facilement de moi, conclut-il, s’offrant le plaisir de couper le premier la communication.
De nouveau seul, il resta là, à contempler la population grouillante continuant de courir en tous sens. Comment une bête conversation téléphonique de cinq minutes pouvait-elle autant épuiser ? Le hululement furieux d’un gyrophare résonna dans le lointain. Les pompiers donc, dépêchés rapidement sur les lieux de la catastrophe. En même temps, il ne s’agissait pas de l’effondrement de n’importe quel édifice. Ni de n’importa quelle victime. En contrebas, une voix féminine brisa le silence relatif, à laquelle répondit une autre, masculine cette fois, bien plus grave. Tony n’entendit pas ce qu’ils pouvaient bien se raconter ; s’éloignant de son nouveau lieu de villégiature temporaire, elles s’éteignirent en franchissant le coin de la rue. Oh, il n’avait guère besoin d’un grand effort de concentration pour deviner que ces quidams inconnus parlaient de l’« incident » survenu quelques rues plus loin. Cela ornait sans doute toutes les lèvres de la ville, et dans la soirée les bouches de milliers d’américains à travers le continent. Les journalistes raffolaient des faits divers dramatiques, surtout quand ils frappaient une personnalité charismatique.
Sa biographie serait-elle diffusée dans le journal télévisé de dix-neuf heures ?
Le goût métallique du sang envahit sa bouche. D’abord incrédule, il comprit qu’il venait de se mordre la langue, luttant contre les fluctuations fulgurantes irradiant de son côté droit.
Fury lui disait de patienter sagement jusqu’à l’arrivée du taxi ? Très bien. Il s’octroyait donc le droit de piquer un petit somme, en attendant les renforts. Dans un film, ou face à une armée d’aliens ennemis, il aurait lutté pour rester conscient, craignant de sombrer dans un vide éternel s’il relâchait sa vigilance. Mais sur cette terrasse aux arômes de tomates rongées par un début de mildiou, de rhubarbe plantée de l’année, et de parterre aromatique aux puissantes fragrances musquées, piquantes ou enivrantes, il ne ressentait aucune peur. Désormais sorti d’un enfer artificiel, il était intimement convaincu qu’il ne périrait guère.
Il avait une mission à accomplir, après tout.
Le monde s’éteignit doucement, tandis qu’il élaborait mentalement la prochaine étape de son plan pour contrer l’invasion Skrull.
µµµ
Tony ouvrit les yeux. La lumière tamisée n’agressa pas particulièrement ses pupilles, pourtant, sa vision se troubla un instant. Fermant les paupières le temps de s’adapter, il passa la langue sur ses lèvres, assoiffé. A la réflexion, quelque chose sentait affreusement mauvais, aussi. Fury ne faisait-il jamais le ménage dans ses planques ? L’homme aurait pu avoir un minimum de bon sens pour ses invités.
– Il nous a fallut une bonne demi-douzaine d’ampoules de sels avant de pouvoir vous réveiller, déclara la voix grave de l’intéressé.
Ce qui expliquait l’odeur, donc, conclut l’ingénieur.
– Et c’était trop demander de me laisser dormir ?
– Nous pensions que notre cher Directeur souhaitait organiser dès que possible la suite des opérations, ironisa Fury, se calant plus confortablement dans un grincement.
– Nous ? releva-t-il, rouvrant les yeux, satisfait de constater qu’il y voyait cette fois clairement – constatant que les bras immatériels de la nuit avaient désormais pris possession du ciel.
Opinant affirmativement du chef, Fury continua de le dévisager, confortablement installé dans un fauteuil au cuir défoncé, aussi affreux que confortable. Tony le savait, l’ayant offert en personne à l’ancien Directeur, de base pour le titiller gentiment. Il fut pris à son propre siège quand celui-ci, après quelques jours, le remercia sincèrement – ou pas, il cherchait encore à le déterminer précisément – de ce cadeau particulièrement utile. Depuis, Fury ne le quittait presque plus quand il rentrait « à la maison », quitte à piquer un roupillon entre ses bras entre deux nuits blanches.
Remarquant finalement la méfiance de Stark, il lui désigna du menton un coin de la petite pièce.
Suivant la direction indiquée, la suspicion de Tony ne fit qu’augmenter. Occupée à ranger panoplie d’instruments médicaux de fortune dans une valise roulotte, le docteur Ho lui adressa un petit signe amical de la main. Au lieu d’y répondre, comme à son habitude, il l’observa en coin, guettant sa réaction. Déçue de ce manque d’intérêt, elle n’ajouta rien, cessant de sourire en rassemblant quantités de compresses et bandages ensanglantés, réunis sur une table ébréchée, quoique particulièrement épaisse, collée contre le mur gauche. Elle saisit les coins d’une large bande de tissu, les repliant vers son centre. Un concert de tintements résonna entre les murs blanchis à la chaux (un mauvais point, Tony détestant les hôpitaux) de granit pur. Plissant le front, il distingua un éclat fugitif accroché par une surface transparente, reflété des appliques en demi-cercles posées au milieu des deux murs sur ses flancs. Outre celles-ci, la lumière était fournie par une fenêtre classiquement rectangulaire sur le mur à sa droite encastrée dans une soupente, petite, à mi-chemin entre sol recouvert de parquet imitation bois gris veiné de blanc, et plafond recouvert de lattes de chêne vernies de foncé, dissimulant, il le savait, un double-plafond.
Une commode faisant office de table de chevet imitant le style victorien (Fury refusant de dévoiler où il la dénicha), sur laquelle se trouvait posée une lampe de chevet éteinte, à la base ronde de bois clair gravée d’une tulipe à trois feuilles, surmontée d’un abat-jour d’un blanc soigneusement épousseté, encadrait le lit accueillant l’ingénieur. Le portable de Steve trônait, disposé près de son propriétaire actuel. Omettant la couverture fine estampillée SHIELD ceignant sa taille, il fut tenté de se plaindre de l’oreiller mou soutenant sa nuque, ainsi que de la taie d’oreiller unie caca d’oie. Cependant, il trouvait le reste plutôt confortable, surtout pour un lit de camp.
Il lança un regard interrogateur devant la perfusion piquant une veine de son coude, suivant le cathéter jusqu’à tomber sur une pleine poche de sang.
– Le docteur Ho a fait un travail remarquable avec peu de moyens, reprit son vis-à-vis.
Tony crut rêver. Fury lui faisant un cours implicite de politesse ? Il aurait tout vécu !
Enfin, un peu de bienséance ne pouvait pas faire de mal, n’est-ce pas ? Vivement qu’il n’ait plus à se méfier de tout le monde, cela en devenait affreusement usant.
Ceci dit, le borgne n’avait pas tort, se dit-il. Tony ressentait un engourdissement bienfaisant envahissant son corps. Comme si lui se trouvait réveillé, mais ses muscles détendus, eux, continuaient de dormir. La douleur n’était plus qu’une information lointaine, aisément supportable, et si il se sentait encore légèrement confus, il se trouvait capable de tenir un raisonnement, pourvu qu’il ne soit pas exagérément compliqué. Son bras droit, posé à plat sur le côté de son corps, était entièrement recouvert, à l’exception du bout des doigts, d’un solide bandage, entaché par endroits d’auréoles sombres. Un coup d’oeil inquisiteur l’informa que sa cuisse avait subit le même sort, ainsi que son flanc et son buste. S’il ne se trouvait pas allongé dans un lit de fortune, se retrouver en caleçon devant Nick Fury aurait pu se révéler gênant. Ces derniers n’étaient pas entièrement enrubannés, Ho ayant posé une rivière continue de gaze fermement maintenue couvrant le côté droit de son corps. Néanmoins, il prit un instant pour vérifier que ses vêtements se trouvaient à portée de bras, sur une chaise de paille installée au pied du lit. En résumé, il fut bon pour un minimum syndical de remerciement.
– Merci de votre travail, docteur, lâcha-t-il du bout des lèvres, continuant de déterminer s’il pouvait lui faire confiance ou non.
L’intéressée fit signe qu’elle entendait, jetant les tessons rougeâtres dans la poubelle disposée au pied de la table. Ôtant ses gants, qui rejoignirent leurs prédécesseurs, elle reporta son attention sur son patient.
– Vous avez perdu beaucoup de sang, et êtes très affaibli. Il faut vous reposer, le plus longtemps possible serait le mieux. Je repasserai demain, en fin de matinée, afin de vérifier si vous respectez bien ces consignes.
Sur ce, elle saisit la poignée de sa valise, ouvrant dans un grincement la petite porte dont le bas laissait un espace entre elle et le sol. D’accord, elle semblait également lui tenir rigueur d’avoir été congédié, trois mois plus tôt, du manoir des Avengers. Le prétexte de la protéger d’éventuelles représailles ne la convainquait guère. Sans rien ajouter, elle ressortit, descendant bruyamment les escaliers que Tony apercevaient dans l’encadrement. Une idée fleurissant dans son esprit, il se tourna vers Fury.
– Suivez-la, juste sur quelques rues, afin de vérifier qu’elle ne court pas avertir ses petits copains Skrulls ; je n’ai plus envie, au moins pour ce soir, d’essuyer d’autres mauvaises surprises.
L’homme ne parut pas tenir compte du ton censément sans réplique.
– Je ne vais pas vous laisser seul, enfin.
– Si vous ne voulez pas que je prenne mes affaires et reparte fissa.
– Qui vous dit que je vais vous laisser faire ? fit le Colonel, tapotant « nonchalamment » son holster.
– Qui vous dit que vous pourrez m’en empêcher ? rétorqua sur le même ton le Directeur du SHIELD.
Fury le jaugea encore, interminable. Tony se força à garder les mains à plat sur la couverture, soutenant son regard en y ajoutant un soupçon de défi. Finalement, le premier céda en entendant le mobile accrochée à la porte d’entrée tinter, signe que le docteur repartait dans la nuit. Il lui dédia cependant un rapide coup d’œil, comme pour lui signifier qu’il n’était pas dupe de ce prétexte fallacieux.
Tony l’ignora, se concentrant plutôt pour écouter la clé de Fury tourner dans la serrure. Miraculeusement, il parvint à patienter en comptant lentement jusqu’à vingt, par précaution. Une fois certain d’être seul, il tendit le bras, refermant sa prise sur ce fichu portable. Il hésitait entre ne plus pouvoir le regarder en peinture, ou le garder en permanence sous les yeux.
Ni Ho, ni Fury, n’allait apprécier, se fit-il la remarque, composant le seul numéro préenregistré dans l’appareil. Peu importait, il n’y avait pas de temps à perdre.
Contrairement au Colonel, son interlocuteur décrocha presque à la seconde, surprenant Tony.
Il ne le fut pas suffisamment pour ne pas couper l’herbe sous le pied de l’autre, prenant le premier la parole.
– Dites-moi, Captain, vous êtes libre demain matin, j’espère ?
---------------------------------------------------------------------------------------------
1 :intelligence artificielle créée involontairement par Tony Stark et Bruce Banner dans « L’ère d’Ultron », ayant réussie à supprimer JARVIS.
2 : actrice principale du film « La revanche d’une blonde »