Le début du jeu
Le début du jeu
Les rugissements intermittents des puissantes bourrasques parvenaient sans peine à couvrir les innombrables bruits envahissant les rues new-yorkaises ; non pas qu’il y en eut réellement besoin, à cette heure si matinale, seuls les employés moroses de sortir par ce temps, et quelques courageux joggeurs ne craignant guère le froid (deux ou trois poussaient le masochisme jusqu’à se balader dans un ensemble de short et t-shirt, unanimement mentalement traités de fous – ou d’idiots – par les passants médusés) pointaient le bout de leurs museaux hors du cocon douillet des hauts bâtiments jalonnant les trottoirs glacés. Chacun marchait tête baissée, à grands pas, plongé dans des pensées connues de lui seul. Le vent s’engouffrait dans les vêtements, enroulant le moindre bout de tissu flottant autour de son propriétaire, ou encore arrachait l’étoffe de doigts impatients, agacés de n’avoir pensé à attacher ses pans avant de braver les frimas. Dans le calme matinal, les grincements des bus et pétarades des quelques voitures se mélangeaient dans un amalgame de grognements, engloutis par les souffles balayant la ville.
Pas une voix humaine ne venait briser la ronde des éléments, parfois agrémentée d’une légère pluie verglaçante, transperçant les tissus, au grand dam des piétons. Seulement les hululements artificiels des machines tranchait par intermittence les gémissements de l’aquilon. Rien qui ne pouvait réellement étonner par un automne pareil.
À l’est, l’astre diurne perçait péniblement les nuages, diffusant une lumière pâlichonne, bien loin de sa nitescence ordinaire, projetant à peine quelques ocelles de-ci de-là. Un mélange entre clarté et ténèbres, presque délicat tant il semblait évanescent, nullement admiré par les habitants empressés.
Une matinée morose, propice aux idées noires et autres ruminations.
Le vent fouetta cruellement la petite moto remontant péniblement une allée commerciale désertée, à l’exception des bars qui, eux, se trouvaient pour la plupart bien remplis de si bon matin. L’engin se déporta brusquement à droite, avant que l’homme ne saisisse fermement le guidon, rétablissant sa trajectoire, évitant ainsi une chute aussi ridicule que douloureuse.
Soupirant lourdement, Steve Rogers se dirigea vers le rebord de trottoir le plus proche, arrêta la Harley un instant (il avait bien pensé à choisir une marque moins voyante, mais la bécane un peu usée, customisée par ses soins, lui avait tapé dans l’œil, à la surprise du vendeur qui, néanmoins, s’était très vite reprit en tentant d’en doubler son prix), la béquilla, et repartit prudemment dans l’autre sens récupérer sa casquette, balayée par la précédente rafale. Heureusement, l’accessoire n’était guère allé loin, un gamin passant par là l’ayant rattrapée de justesse. L’enfant hésita à la garder pour lui, vérifiant l’absence de témoins aux alentours, mais le solide motard arrivait déjà à sa hauteur. Aussi se contenta-t-il de la lui tendre, observant le nouveau venu avec curiosité. En particulier ses lunettes de soleil, incongrues par ce temps. Surtout, le type lui rappelait curieusement quelqu’un…
Steve souffla un vif « merci », repartant tout aussi rapidement (quoique prenant le temps de lui dire d’être prudent sur la route), empêchant le gamin de l’observer plus en détail. Il avait beau avoir changé physiquement en presque trente mois, un fan – ou un détracteur de la première heure – pouvait parfaitement le reconnaître. Néanmoins, il se morigénait de n’avoir pas pensé à prendre un bonnet à la place d’une casquette. Bêtement habitué à l’agressivité des climats africains, il oublia les caractéristiques de l’automne américain. Lui qui voulait rester discret…
Au moment de réenclencher le moteur, il jeta un coup d’oeil dans la vitrine d’une friperie, clamant à grand renfort de néons écarlates d’exceptionnelles promotions dans la catégorie lingerie féminine. En un peu plus de deux ans, ses cheveux blonds atteignaient désormais ses épaules, légèrement éclaircis par les ardents rayons solaires. Sa peau également avait prit quelques couleurs, ce qu’il n’aurait jamais cru, ayant un mal fou à bronzer ; mais après quatre jours passés sur le sol continental, elle reprenait déjà sa teinte pâle habituelle. Une barbe entretenue, plus sombre que sa chevelure, entourait ses joues, remontant presque à ses tempes. Sa tenue était simple, un pantalon noir uni au bas ample fourré dans ses bottes au cuir légèrement craquelé, mais encore en bon état, une chemise blanche sous un blouson bleu foncé, d’épais gants beiges, une paire de lunettes de soleil cachant ses yeux bleus et une casquette noire floquée « All blacks ». Ce fut une sensation étrange que d’enfiler ces vêtements si près du corps, et si longs, après une longue période passée en pantalon large ou en caftan, et il se félicita d’avoir gardé une partie de ses tenues occidentales. Excepté un ou deux accessoires indispensables, c’était là tout ce qu’il avait conservé.
En parlant d’accessoires indispensables, songea-t-il en observant l’imposant colis solidement attachée à l’arrière de la Harley. Si l’emballage cartonné adoptait une forme rectangulaire pour brouiller les pistes, l’objet en son sein était circulaire. Un bouclier offert par une tribu locale au moment de son départ, spécialement conçu suite à ses propres récits de guerre (en minimisant tout de même son rôle pour ne pas prendre le risques d’éveiller d’éventuels souvenirs). Un cadeau qu’il aurait été impoli de refuser. Bien sûr, il se trouva sensible à l’attention, son fidèle bouclier en vibranium, un des métaux les plus solides du monde, lui manquant affreusement, cependant son transport se révélait plus compliqué que prévu. En particulier à cause des nombreuses rafales ne cessant de déséquilibrer sa moto. Pourtant, l’idée de louer une chambre afin d’y conserver l’objet ne l’effleura pas. Ces hommes mirent du coeur à leur ouvrage, lui offrant une œuvre unique ; Steve entendait se rendre digne de l’honneur lui ayant été fait.
Rabattant la béquille, il se demanda pour la énième fois s’il ne venait pas de commettre une erreur en revenant ici.
Si le directeur du SHIELD ne lui avait envoyé un message sur son vieux cellulaire, Steve ne serait d’ailleurs probablement pas revenu, tout simplement. Après les évènements ayant fait suite aux accords de Sokovie, divisant les Avengers en deux camps distincts selon leur approbation ou non, son statut passa de super-héros à hors-la-loi. Devant fuir au plus vite un territoire le reniant, il eut à peine le temps de libérer ses camarades de galère, ne laissant derrière lui qu’un vieux téléphone, destiné au génie, playboy, philanthrope et milliardaire Tony Stark. Avec une lettre, expliquant que si jamais le monde avait besoin de Captain America, avatar de Steve au combat, l’homme pouvait le contacter via le cellulaire à tout moment, il répondrait présent. Un bien faible contrepoids face à la culpabilité que Steve ressentait toujours au fond de lui, forcé de se confronter à ses propres alliés dans un affrontement absurde. Mais s’il regrettait, il savait qu’il recommencerait si pareille situation venait à se reproduire. Parce qu’il en allait de sa liberté de choix, de ses valeurs personnelles, et que les Avengers devaient à ses yeux conserver un libre arbitre pour pouvoir défendre efficacement ce monde des menaces planant tout autour de lui.
Et une dizaine de jours auparavant, après vingt-huit mois de silence radio, le portable avait enfin vibré. Il ne lui était guère nécessaire de relire le court message, Steve connaissant chacun de ses caractères par coeur.
Si vous voulez tenir votre promesse, venez à la Tour Stark dès que possible. Il se pourrait que notre bonne vieille planète soit sur le point de se faire infester.
Directeur du SHIELD
Pour connaître cette promesse faite à Stark, Steve supposait que l’ingénieur était de mèche avec Fury, même si ce partage d’informations ne correspondait pas à l’image qu’il s’en faisait. L’ancien super-héros hésita, pensant à un piège, au vu de sa dernière « conversation » avec Stark (il s’agissait bien de la chose qu’il regrettait le plus, avoir dû affronter l’actuel leader des Avengers, aveuglé par sa colère d’apprendre l’assassinat de ses parents par Bucky. Mais Steve ne pouvait le laisser occire son meilleur ami, totalement conditionné au moment des faits par Hydra, l’organisation lui ayant lavé le cerveau jusqu’à en faire un pion bien obéissant, le renommant au passage Soldat de l’Hiver. Mais impossible de faire comprendre au milliardaire que Bucky avait été forcé, encore moins de le convaincre qu’il n’était pas son véritable ennemi. Un véritable fiasco, de l’avis de Steve). Et surtout, il croyait dur comme fer que le SHIELD se trouvait démantelé, suite à l’infiltration de ses réseaux par Hydra, une affaire ayant mené à son implosion quand le pot-aux-roses fut découvert. Mais il comptait tenir sa promesse, dusse-t-il tomber dans quelconque guet-apens pour prouver sa sincérité à Stark.
Dans une dernière pétarade, il immobilisa la Harley au pied de la gigantesque tour, représentative de l’ego de son concepteur, dominant la majorité des autres édifices new-yorkais. Un building dans les teintes ocre et émeraude (tiens, la dernière fois que Steve l’avait vu, le gris métallisé remplaçait le vert), dont le côté gauche s’élevait verticalement vers le ciel avant de s’étendre vers la droite, formant une plateforme asymétrique. Tandis que la partie dextre se présentait légèrement de biais, inclinant vers son camarade, un moment interrompue un instant par la terrasse, avant de reprendre son chemin une fois l’obstacle traversé. Le sommet revêtait ainsi une forme particulière, mais la principale attraction du bâtiment (quatre-vingt treize étages, se vanta un jour Stark) résidant dans le A azuré démesuré, entouré d’un cercle beige, placé aux deux-tiers, légèrement décalé vers la gauche.
Une bouffée de nostalgie envahit le super-soldat, désormais hors-la-loi. La réprimant, il s’engagea dans l’imposant hall d’accueil, encombrant paquet sous le bras. La décoration était moderne, tout en courbes parfois improbables, un style encore à ses prémices deux ans auparavant. Seul le bureau, sans secrétaire car entièrement automatisé, conservait une forme traditionnelle, quoique construit en ébène. L’entièreté du mur de l’entrée se trouvait fait de baies vitrées, sans la moindre disjonction entre elles, permettant une luminosité suffisante malgré l’heure matinale pour ne pas utiliser l’éclairage artificiel. Ce qui ravissait Steve, par moment dégoûté des lumières tremblotantes et agressives des néons. Un instant, il pensa vaguement la dangerosité d’un mur entièrement fait de verre, avant de se rappeler qui décidait probablement du design de l’immeuble. Ou l’ego de Stark méprisait cette possible menace (nul doute que l’ingénieur y avait pensé au moins une fois), ou il ne s’agissait pas de simple verre, mais d’un matériau bien plus solide. Dans le doute d’une alarme plus ou moins sensible, l’homme ne toucha les vitres pour vérifier.
Longeant un tapis à la fois simple dans ses motifs (seules deux bordures dorées venaient trancher le rouge de l’étoffe) et luxueux dans sa composition (il n’y avait que Stark pour marcher sur ce qui ressemblait à du velours), Steve alla se placer devant les deux bras articulés sagement posés sur le rebord du meuble.
S’activant à son approche, ils effectuèrent le geste de saluer en enlevant un chapeau imaginaire, une voix sensuelle s’élevant des minuscules hauts-parleurs incrustés sur les côtés.
– Bienvenue au quartier général des Avengers, que puis-je pour vous ?
– Me dire quand Stark compte employer de véritables humains, au lieu des nombreux androïdes parcourant la tour ?
– Désolé, cette information est confidentielle.
Steve tiqua. Depuis quand le milliardaire incorporait-il un tel langage dans les programmes de ses serviteurs mécaniques ? Quelque chose lui échappait, chose qu’il détestait.
D’un geste naturel, il fit mine de s’accouder au secrétariat, posant son paquet au sol tout en rapprochant ses mains des cordes l’entourant. Il lui suffisait de tirer sur l’une d’entre elles, et l’ensemble se dénouerait de concert, lui permettant de saisir sa protection en quelques secondes. Se jeter dans la gueule du loup sans une protection de base ne fut guère envisageable pour le super-soldat.
– Que puis-je faire pour vous ? répétèrent les enceintes.
Renonçant à en apprendre plus pour le moment, il se contenta de répondre :
– Je suis attendu par le directeur du SHIELD.
Les bras articulés s’activèrent immédiatement, pianotant sur un écran holographique apparut à peine la demande formulée. Même la technologie déroutante de Stark lui manquait, en dépit de son incapacité presque totale à l’utiliser, constata Steve, entre nostalgie et étonnement.
– Votre nom ?
– Steve Rogers.
Donner son véritable patronyme pouvait être dangereux, il le savait mieux que quiconque. Cependant, avec les caméras jalonnant probablement le hall, Stark ou Fury devait déjà être au courant de son arrivée. Autant la jouer franc-jeu dès le départ, partir sur une base correcte, en dépit de pouvoir rétablir la confiance. Et puis, une autre raison de son honnêteté, il souhaitait garder encore un peu secrète l’identité sous laquelle il vivait depuis tous ces mois. Juste au cas où…
– Monsieur le directeur vous attend au quatre-vingt huitième étage, monsieur Jacques Synès. L’ascenseur vous conduira directement devant son bureau, expliqua la voix, toujours sensuelle, quoique revêtant une sonorité moqueuse.
Autant pour son identité…
Au moins, prévenu de la présence du Directeur dans la Tour, ne se trouva-t-il pas surpris du renforcement de la sécurité. Rien que pour accéder à l’ascenseur, il dut décliner son identité à deux autres reprises, scanner son empreinte digitale et attendre vérification avant de pouvoir entrer dans la cabine, suffisamment spacieuse pour abriter une petite chambre à coucher. Il prit celui aux parois vitrés, laissant défiler la ville au fur et à mesure de la montée ; Stark disposait d’un autre, privé, aux quatre murs solidement opaques, mais les invités ignoraient pour la plupart son existence. Connaissant déjà le paysage s’étalant sous ses yeux, Steve en profita pour analyser ce qu’il savait de la situation, s’adossant pensivement à l’une des parois ne constituant ni le fond, ni les portes de l’ascenseur.
Définitivement, Stark faisait équipe avec Fury cette fois-ci. Le SHIELD était donc effectivement de retour ?
À cela s’ajouta rapidement une deuxième question.
Le Directeur siégeait à la tour Avengers ? Et si l’équipe de super-héros se retrouvait désormais sous l’égide de l’organisation de renseignement (entre autres, mais Steve n’allait pas commencer à dresser la liste de ses aptitudes), à la place de celle de l’ONU ? L’avancée ne serait guère formidable, néanmoins Fury se trouvait, selon le super-soldat, mieux avisé de la nécessité de laisser une certaine marge de manœuvre aux Avengers. Oh, il ne doutait pas un instant que le SHIELD chercherait encore et toujours à les garder sous son contrôle, mais si changement de propriétaire il y avait eu, peut-être les accords de Sokovie furent modifiés ?
Voilà probablement la raison de la convocation de Steve ; à l’origine de la création des Avengers, Fury ne voulait sûrement pas voir son équipe se dissoudre aux quatre coins du globe, pas avec les menaces renfermées entre autres par l’espace.
Un mince espoir effleura le coeur de Steve, en même temps que, paradoxalement, sa méfiance s’accrut. Si le Directeur voulait le voir réintégrer l’équipe de super-héros, il pouvait tout aussi bien tenter de le persuader d’adhérer aux accords maudits, textes remaniés ou non. Et ça, il en était hors de question, il refusait toute forme de négociation à ce propos. Il s’était battu, et avait trop perdu pour accepter un retour en arrière.
Silencieusement, la porte coulissa, donnant accès à un couloir au plafond voûté, toujours de cette teinte métallisé glacée. Steve n’était encore jamais venu ici, aussi s’étonna-t-il du dénuement de cette partie de la Tour, en totale opposition avec les couloirs certes également démesurés, mais agencés avec un goût tout particulier, que ce soit par les tableaux accrochés aux murs (une touche de Pepper, Tony – Stark, corrigea-t-il immédiatement – n’appréciant pas particulièrement la peinture), les dégradés de couleurs sombres mais confortables ou les niches parsemant parfois les murs, abritant autant d’objets précieux.
La résonance de ses pas s’arrêta en même temps que Steve, devant la porte blindée marquée d’un S grenat stylisé, emplissant sa quasi-totalité là où une initiale dans un coin aurait fait l’affaire. Il paria intérieurement que le sol répercutait volontairement les bruits des visiteurs, ôtant tout effet de surprise.
Levant la main pour frapper, il la laissa en suspens, observant les battants fendre en son milieu la voyante consonne, s’ouvrant jusqu’à s’encastrer dans les murs, comme n’ayant jamais existés.
À peine entra-t-il, un léger son feutré l’avertit de leur prompte fermeture.
– Vous ne comprenez pas, fit une voix féminine. Votre idéalisme frôle l’imbécilité, pourtant, vous savez parfaitement comment fonctionne l’opinion publique. Si elles obtiennent d’autres raisons de haïr les Skrulls, les masses ne feront pas la différence entre eux. La seule chose qu’elles entendront, ce sera « aliens ».
Steve crut tout d’abord que cette affirmation lui était destinée, avant de comprendre qu’elle s’adressait à l’homme confortablement installé dans un fauteuil de cuir, verre à la main, derrière un large bureau central recouvert de paperasse (au point que Steve ne devina sa couleur qu’en observant ses pieds), occupant une grande partie de l’espace. De longs cheveux blonds dorés, une carrure imposante et des vêtements terriens (un jean délavé d’un bleu très clair assorti d’un débardeur noir – encore une ne craignant pas le froid), la femme ne paraissait pas l’avoir remarqué.
Au contraire de Tony Stark. Le milliardaire se leva, habillé d’un élégant costume ébène sans cravate, assorti d’une chemise blanche dont les trois derniers boutons étaient défaits. Braquant ses prunelles chocolat sur le nouvel arrivant dès son entrée, il passa pensivement la main sur sa barbe de trois jours, avant de la déplacer dans ses cheveux châtains courts, offrant un sourire railleur, pouvant tout aussi bien être destiné à Steve qu’à la blonde. Bien que plus petit que son interlocutrice, il ne semblait nullement se rendre compte de cette différence de taille. A le regarder, n’importe qui aurait même pu croire l’inverse.
– Tout ceci est très intéressant, mademoiselle Danvers, mais je ne suis pas certain que la différence entre « méchants » et « gentils » aliens soit discutable aujourd’hui. Disons que si vos Skrulls se tiennent tranquillement loin de notre planète, nous les laisserons en paix. Mais dans le cas contraire, il me faut bien agir. J’ai un monde à protéger, figurez-vous.
– Peut-être, mais pour ma part, c’est sur un univers que je dois veiller.
– Dans ce cas, c’est à vous de sensibiliser les populations de l’univers. Evidemment, la majorité s’élèvera contre la nuance que vous vous efforcerez de faire, mais il y aura des exceptions, les Avengers par exemple. Et à partir de ces exceptions, vous pourrez petit à petit convaincre le reste.
La dénommée Danvers s’apprêta à répliquer – vertement, supposa Steve au vu de son expression agacée –, mais Tony hocha négativement, le désignant avec son verre déjà presque vide. Danvers se retourna, bras croisés sur sa poitrine, et l’espace d’un instant il eut la nette impression de passer par un scanner visuel et particulièrement complet. Cependant, il ne cilla, fixant dans les yeux la jeune femme.
– Permettez que j’accueille mon nouvel invité, sourit l’ingénieur, un sourire froid destiné au super-soldat.
– Je n’avais rien d’autre à vous dire, répondit sèchement Danvers. Pensez à ce que je viens de vous expliquer.
Sur ces paroles, elle se retourna vers la porte à grandes enjambées, esquissant à peine un vague salut envers Steve. Elle ne s’arrêta qu’une demi-seconde, le temps pour les portes de s’ouvrir, durant lesquelles elle le scruta attentivement, sourcils froncés. Puis, elle disparut dans le couloir tout aussi promptement.
Surpris, Steve crut la voir décoller du sol, mais les battants coupèrent net son observation avant de pouvoir se faire une idée plus précise. Droit comme la justice, il se concentra sur Stark, en quête d’explications.
– La politique universelle, il faut toujours prendre des gants, plaisanta ce dernier, se dirigeant vers un mini-bar occupant une bonne moitié du mur de gauche. Un verre ?
– Non merci, déclina Steve.
Profitant de ce que le milliardaire se servait généreusement – décidément, il ne pouvait y avoir de Stark sans réserve d’alcool à proximité –, il en profita pour examiner rapidement les lieux. Au moins, la décoration restait sobre. Une épaisse moquette céladon tapissait le sol, à moins qu’il ne s’agisse d’un carrelage très fin, Steve ne parvenant guère à identifier clairement le matériau. Comme la plupart des pièces de la Tour, une large baie vitrée ouvrait le fond de la pièce sur la ville, le soleil parvenant enfin à percer faiblement la couche moutonneuse privant le monde de sa lueur. Les murs se trouvaient parés d’un bleu-gris métallisé, à la fois voyant et discret, quelques canapés munis de coussins plus ou moins écrasés et d’une couverture Iron Man roulée en boule à leurs pieds disposés de-ci de-là. Avec, bien entendu, nombre d’écrans holographiques apparaissant un peu partout dans la pièce, certains éteints, la plupart de ceux allumés diffusant les informations : tempêtes, émeutes sur le continent africain, inondations…
La pâle lueur bleuté disparut quand il se concentra un peu plus dessus.
Toujours avec ce sourire figé, trop immobile pour être franc, Tony alla se placer devant les baies vitrées, sans lâcher un mot. Si le milliardaire ne paraissait pas avoir fondamentalement changé, toujours prêt à effectuer quelques pirouettes verbales pour couper court à ce qui pouvait l’embarrasser (Danvers s’en rendit probablement compte à ses risques et périls), Steve ne manqua cependant pas son air fatigué, ni les plis de son front soucieux.
Une autre chose était clair comme de l’eau de roche. Tony lui en voulait encore. Et n’allait sûrement pas laisser passer l’occasion de le titiller quelque peu.
Puisque l’ingénieur ne paraissait pas décidé à engager la conversation, perdu dans ses pensées – ou tentant de le faire croire –, Steve brisa le silence, se promettant de ne pas céder à ses provocations futures.
– Où est Fury ?
– Bonjour à vous aussi, Captain. Après presque trois ans d’absence, un « comment allez-vous » ne serait pas de trop.
Ignorant délibérément les nombreux sous-entendus que pouvait renfermer cette phrase, Steve reprit :
– Très bien. Comment allez-vous, Stark ?
– A votre avis ?
Le ton était indifférent, presque nonchalant ; mais l’intéressé vida son verre d’une traite, le faisant ensuite tourner nerveusement entre ses doigts, mâchoires serrées.
– Il n’est pas nécessaire d’en passer par là, reprit doucement Steve dans une tentative d’apaisement. Si je suis ici uniquement pour satisfaire quelconque désir de vengeance, je ne resterais pas. Je ne suis revenu que parce que Fury me l’a demandé, avec votre concours visiblement, alors pourquoi ne pas me dire la raison de ce curieux message, au lieu de nous chamailler inutilement?
Un nouveau sourire satisfait prit place sur les traits de Tony, qui se retourna enfin.
– Ah, vous faites erreur Captain, vous êtes ici à la demande du directeur du SHIELD.
– C’est ce que j’ai dit, fit l’autre, ne comprenant pas où l’homme voulait en venir.
– Non, selon vous, c’est Fury qui vous a convoqué, nuance.
L’incompréhension se lit sur le super-soldat. Intrigué, il ôta ses lunettes de soleil inefficace, toisant Tony de ses yeux céruléens, cherchant le moindre indice indiquant une plaisanterie de sa part.
Au bout de plusieurs minutes durant lesquelles un autre verre fut resservi, il se rendit à l’évidence.
– Comment ? souffla-t-il, incrédule. Je croyais que le SHIELD avait été démantelé ?
– Il l’a été, confirma Tony. Je pourrais vous faire un exposé détaillé de ce que vous avez manqué, mais après des mois à creuser des puits ou aider je ne sais qui sous un soleil de plomb, je suppose que votre capacité d’analyse frôle la simplicité abyssale. Aussi me contenterai-je d’un bref résumé.
– Je vous en remercie, sourit Steve.
– C’est vrai, quoi de mieux qu’une ONG pour faire honneur à la réputation de Captain America, même sans que le monde ne le sache ? Je m’attendais à un peu moins de prévisibilité, JARVIS n’a mit que quelques mois à vous retrouver après tout. Au fait, où sont les autres ? Vous êtes venu ici tout seul ?
Le blond soupira, désabusé. Comment expliquer à l’ingénieur qu’aider les gens faisait partie de ses valeurs, qu’il s’agissait d’un sentiment profondément ancré en lui ? Et qu’outre alléger un peu la souffrance de personnes dans le besoin, se retrouver à l’écart d’un monde ultra-modernisé, envahi par les écrans, la technologie, et tant de choses lui étant proprement inconnues, fut presque libérateur ? Revenir à une certaine forme de simplicité, uniquement aidé d’outils non automatisés, retrouver le contact avec l’humain, tant d’expérience lui ayant manqué, se rendit-il compte au fil des mois.
Seulement Tony, enfant de ce siècle envahi, génie informatique et technologique, ne partagerait jamais cette vision des choses, et son sens de la répartie ne nécessitait guère d’être alimenté.
– Votre IA ne vous a pas donné tous les détails ?
– Je respecte la vie privée des quidams, fit pompeusement Tony, exagérant une révérence imaginaire.
Il reprit cependant promptement son sérieux. Ca plus que la grande blonde convainquit Steve du sérieux de la situation. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais vu air aussi grave sur le visage du châtain.
– Les explications, Stark.
– Tony, je croyais que depuis le temps, vous le sauriez.
– Très bien…Tony. Donc ?
– Croyez-vous que Fury aurait laissé sa précieuse organisation disparaître de manière si insignifiante ? Voyons, Cap, je vous croyais plus fin analyste. Une fois les choses calmées, il commença à rassembler ses quelques agents les plus fidèles, et les plus efficaces, jusqu’à former un noyau constitué d’une cinquantaine de personnes. C’est peu, mais il faut un début à tout!
»Bref, financé en grande partie par un milliardaire dont le génie n’a d’égal que l’humilité (Steve leva les yeux au ciel, à peine surpris de cette preuve que l’ego de Tony ne diminuait pas, et n’en avait pas l’intention), le SHIELD a pu se reformer en partie sans aide gouvernementale. Oh, les secrétaires et autres politiciens ont bien protesté quand ils s’en sont rendu compte, mais vu que notre retour (l’ingénieur ne remarqua pas que son interlocuteur tiqua à l’emploi du pluriel) a sauvé les fesses de Manhattan, ils se sont retrouvés forcés d’admettre notre utilité. Officiellement, les gouvernements n’interviennent pas, officieusement, il leur arrive de faire appel au SHIELD. Cependant, Fury n’a pas repris son poste de directeur, après des décennies à diriger sans recevoir, je suppose que tout le monde aurait envie de prendre des vacances.
»Et pour répondre à la question que vous mourrez d’envie de me poser, il désigna Maria Hill comme successeur.
– Vous savez qu’après ces explications, c’est autre chose que je vais vous demander ?
Tony lui fit un sourire en gâteau d’anniversaire, marchant le long des vitres, le regardant enfin dans les yeux.
– Patience, la bannière étoilée ! Pour faire simple, trois ou quatre mois après votre fuite, une série d’incidents a commencé à frapper notre bonne vieille terre : des feux incontrôlables en Australie, des tremblements de terre au Brésil, bref, rien que de très naturel, aussi personne n’a fait attention. Et puis, il y a eu des incidents, notamment dans les forces armées, des militaires se tirant dessus entre eux, du sabotage, toute sorte de choses. Mais en dépit des recherches menées, rien ne fut trouvé pouvant expliquer de tels débordements. Évidemment, ces évènements restèrent secrets, pas seulement dans notre armée, nombre de pays sont touchés. Ensuite, des émeutes civils ont commencées, prenant de plus en plus d’ampleur…Sérieusement, Cap, même ça vous ne le savez pas ?
Steve hocha négativement la tête, songeur. Enfin, les régions traversées par le groupe de bénévoles n’étaient pas exemptes de heurts, comme partout ailleurs, mais rétablir l’ordre ne fut jamais particulièrement compliqué. Quitte à demander l’aide de Natasha pour récolter quelques informations sur les raisons du conflit, afin de le régler à l’amiable.
Une autre question effleura son esprit. Tony devait-il vraiment discourir comme s’il se trouvait face à la presse ? L’homme était remarquable conteur, mais instinctivement, Steve chercha à lire entre les lignes de cette éloquence qu’il jugea bien travaillée.
– Je ne sais pas où vous êtes allé vous enterrer, mais il s’agit vraiment du trou de balle du monde !
Étonnamment, Tony paraissait on ne peut plus sérieux. Et peut-être un peu consterné, car il fit enfin signe à son invité de s’asseoir sur l’un des canapés disposés en demi-cercle.
– Bon, passons. Puisque tous les militaires à l’origine des bavures se sont mystérieusement évaporés dans la nature, sans qu’un seul ne puisse être appréhendé, et que les émeutiers affirment décider collégialement de leurs actions, une organisation terroriste de grande ampleur a été soupçonnée. Avec l’accord du gouvernement (une petite grimace ironique déforma une seconde les traits de l’ingénieur, ce qui ne surprit pas Steve outre-mesure), Hill décida finalement d’intervenir, utilisant ses contacts pour lancer un appât.
– Quel genre d’appât ? l’interrompit Steve, soupçonneux. Cela n’impliquait pas l’utilisation d’êtres humains j’espère, acheva-t-il, insistant sur les derniers mots.
Il ne savait que trop bien où pouvaient mener de telles méthodes ; Bucky en était un exemple, certes extrême, mais penser à son ami, manipulé mentalement durant plusieurs décennies par Hydra, lui rappelait à quel point la frontière entre le devoir et l’abus de droit se trouvait mince.
– Pas l’utilisation d’êtres humains, mais de contacts entraînés et faisant leur travail, éluda le milliardaire avec un sourire charmeur. Et il s’agissait seulement de se mêler aux protestataires pour en apprendre un peu plus. Une excellente initiative, car rapidement ces agents infiltrés furent approchés par un petit groupe d’activistes. Disposant visiblement d’importants moyens, et d’une technologie de pointe, notamment d’espèces d’électro-bombes désactivant tous les systèmes électriques dans un rayon de presque un kilomètre. Moins de deux semaines après, la majorité des agents ont coupés les ponts.
– Une nouvelle infiltration par Hydra ? proposa Steve, réprimant le frisson, entre inquiétude et colère, remontant le long de sa colonne vertébrale.
-Si seulement, soupira son interlocuteur.
Cette réponse, plus que le reste de la conversation, persuada le super-soldat que quelque chose de grave se jouait, derrière les émeutes à répétition.
– Il y a un mois environ, Hill a retrouvé l’un de ces hommes, complètement par hasard, alors qu’elle se rendait en Californie. Étrangement, il ne réagit à aucun des signes de reconnaissance usité par le SHIELD. Intriguée, Hill voulut comprendre le pourquoi de cette attitude suspecte, et ça, c’était une mauvaise initiative, car dès que l’« agent » comprit plus ou moins qui elle était, il tenta à toutes forces de lui faire un troisième œil au milieu du front. Ne faites pas cette tête, Cap, elle va bien !
L’intéressé se contenta d’un bref hochement sec, désireux de connaître la fin de l’histoire. Il n’ignorait guère les risques du métier d’agent du SHIELD, en ayant lui-même fait partie un bref instant avant de prendre son indépendance, néanmoins il ne se sentait jamais vraiment à l’aise avec certaines de leurs méthodes. En particulier quand celles-ci impliquaient des personnes vivantes.
Il avait beau être avant tout un soldat conscient des risques du métier, il ne se sentait pas obligé d’aimer ça.
– Bon, vous vous en doutez, l’agent en question, après une course-poursuite des plus…intéressantes, s’est finalement fait abattre.
Cette phrase fut énoncée d’un trait, contrairement au reste de ses explications, comme si le milliardaire se méfiait de la réaction de Steve. Celui-ci resta de marbre, à l’exception de ses mâchoires serrées.
– Je ne vois pas en quoi une battue peut être intéressante, rétorqua-t-il cependant.
– Parce que l’homme en question s’est transformé en Gemini Criquet à peine refroidi.
– Pardon ?
Tony ouvrit l’un des tiroirs de son bureau, coulissant sans un bruit, avant de lui tendre une pochette cartonnée d’un rouge carmin, peu épaisse. En l’absence d’inscriptions explicatives, Steve l’ouvrit, parcourant rapidement les quelques photographies, accompagnées de feuilles volantes à l’écriture bleu pâle.
De ce qu’il lisait, l’agent, une fois à terre, se serait soudainement métamorphosé en une créature extraterrestre chauve, à la peau écailleuse d’un vert foncé épais, plutôt petite, et aux longues oreilles pointues. Même s’il ne voyait pas ses yeux, le rapport expliquait qu’ils étaient rouges.
– C’est un Skrull, l’informa Tony. Une créature métamorphe, capable de prendre l’apparence de n’importe qui. Entre autres, mais restons aux bases. Les derniers représentants de l’espèce sont censés se trouver dans un immense vaisseau parcourant l’espace à la recherche d’un lieu où ils pourraient vivre en paix, sans être persécutés comme ils l’ont été durant des années par les Krees – une autre race extraterrestre, très proche des humains cette fois. Officieusement, l’officier Danvers, la superbe blonde venant de quitter le bureau, les gardent sous sa protection. C’est pour cela que je l’ai contactée, ne me demandez pas comment, je ne répondrai pas. Sauf que pour sa part, personne n’a fait le mur ces derniers temps.
– Vous auriez pu me prévenir qu’il s’agissait du rapport d’autopsie, commenta-t-il, une légère nausée au ventre (heureusement, la mise à mort fut faite proprement, Barton pourrait en être jaloux).
– Estomac fragile ? fit Tony en haussant les épaules, un nouveau verre rempli à la main.
– Vous ne devriez pas boire autant, ça ne plaira sûrement pas à Pepper.
– Y’a plus de Pepper, siffla l’ingénieur, le regard noir. Au bout de la deuxième tentative d’assassinat contre elle depuis ma nomination, j’ai compris qu’être directeur du SHIELD impliquait le célibat.
– J’en suis sincèrement désolé, murmura piteusement Steve. Hum, et comment est-ce arrivé ? Votre promotion je veux dire ?
Pour un peu, il aurait grimacé de son manque total de subtilité à changer de sujet. Pourtant Tony ne s’en formalisa pas, au contraire, parler d’autre chose sembla le soulager. Steve pouvait parfaitement le comprendre ; presque trois ans après la mort de Peggy, seule femme qu’il eut jamais aimé, il peinait encore à en parler autrement qu’en son for intérieur. La situation était peut-être légèrement différente dans les faits avec Pepper, mais le milliardaire devait ressentir quelque chose d’équivalent.
– Suite à l’incident, de la méfiance a commencé à envahir les rangs du SHIELD. Hill a bien tenté de garder les troupes soudées, mais deux autres agents infiltrés Skrulls ont fait des dégâts dans deux autres bases de l’organisation, du jour au lendemain. Personne ne les a soupçonnés. La pression a fini par être trop forte, entre les suspicions internes et les rapaces externes tentant d’en profiter pour récupérer leur part du gâteau. Elle a fini par démissionner. Fury faillit reprendre son rôle, mais nous avons convenu lui et moi qu’il se débrouillait bien mieux dans l’ombre. Aussi, personne n’ayant ma compétence et mon talent pour diriger, ai-je finalement pris le poste. Et puis, Stark Industries finançant le SHIELD à hauteur de quatre-vingt treize pourcent, c’était un argument de poids pour ma nomination.
En dépit de son air proche d’un chat devant un bol de lait, Steve eut l’impression que le ton était faussement enjoué. Scrutant l’homme plus attentivement, il remarqua la courbe nerveuse de ses lèvres, presque un rictus, la fatigue sous-jacente derrière le masque d’affabilité, et surtout, comme une pointe de regret dans les yeux chocolat. Combien de verres s’enfilait Tony derrière la cravate pour supporter son nouveau rôle ? Et pourquoi continuer à ce poste, s’il ne s’y sentait pas à l’aise ? Voilà un mystère auquel Steve ne trouvait de réponse. Mais l’autre attendait visiblement une réponse, à demi perdu dans ses pensées.
– Très bien, Tony, je vous félicite pour votre patriotisme…
– Si vous croyez que je le fais pour ce pays, vous êtes un crétin aveugle, grogna l’ingénieur.
– Hum…Disons que c’est un acte de courage, mais je ne comprends pas pourquoi je suis ici.
– C’est pourtant simple : à la manière d’Hydra, et peu importe ce que chantera Danvers au sujet de ses précieux petits aliens, un nombre indéterminé d’entre eux a infiltré le SHIELD. J’ignore à qui me fier, y compris pour Hill, mais vous et vos camarades hors-la-loi, vous êtes partis avant que ce merdier ne se dévoile. Seuls trois aliens ont été identifiés, de vrais coups de chance dont deux sont signés Nicky. Leurs patronymes sont plus loin dans le dossier. Regroupez vos amis, enquêtez sur ces personnes, trouvez-moi une piste potable, et je me débrouillerai pour vous redonner vos statuts d’antan.
Steve releva le nez, surpris. Ainsi, les choses en étaient au point que Tony en vienne à demander son aide, plutôt que celle de ses bras droits ? Cela pouvait expliquer en partie l’absence d’êtres humains dans la Tour, une mesure de sécurité aussi extrême que l’était l’ingénieur.
– Oui, je suis désespéré à ce point.
– Vous lisez dans mes pensées.
– Lisez plutôt dans les leurs, et donnez-moi une bonne raison d’intervenir en votre faveur.
– Qui d’autre est au courant ? De cette décision ?
– Personne, pas même Fury. Aussi feriez-vous mieux d’être discret.
Tony se leva, imité de Steve qui récupéra son paquet. Un regard amusé suivi son geste, avec un il-ne-savait-quoi de glacial sous-jacent. De tranchant.
– Je vois que vous n’avez pas mit longtemps à remplacer votre précieux bouclier en vibranium, siffla Tony. Voyons, encore cet air surpris ! Evidemment, vous ne vous êtes pas rendu compte d’avoir été scanné à votre entrée dans cette pièce. Il fallait que je m’assure de votre bonne foi, et de l’absence d’arme sur votre personne. Je mets d’ailleurs au point un scanner pour démasquer les Skrulls, mais passons. Je n’ai certainement pas oublié vos actions, et le temps ne les a pas rachetées. Alors voyez la situation comme une rédemption, un signe de votre dieu ou le présage d’une pluie de cacahuètes, peu m’importe. J’agis dans l’intérêt du plus grand nombre, pas dans celui de votre conscience, sachez-le. Et si jamais vous me trahissez encore une fois, ou essayez de m’éliminer, je vous poursuivrais jusqu’aux entrailles des enfers, et même le trou le plus noir et le plus putride de Guantanamo ne pourra vous protéger de moi.
– Je n’ai pas essayé de vous tuer ce jour-là, et je regrette que nous ayons dû…
– Vraiment ? Je me souviens pourtant d’un bouclier enfoncé dans ma poitrine. Si j’avais encore mon réacteur ARK à ce moment-là, j’en serais mort. Mais vous avez sûrement une bonne explication Captain. Enfin, là n’est pas le sujet. Tout ce qui m’importe, c’est si vous acceptez d’aider le SHIELD, ou non.
L’envie de protester, de se justifier, d’effacer les traces de la colère sourdant derrière les déclarations de l’ingénieur monta en Steve, menaçant de le submerger. Mais il se tut, inspirant profondément afin de retrouver un semblant de calme intérieur. Tony avait raison. Il était trop tôt encore, et un premier pas venait d’être fait de son côté en demandant sa participation. Il était du devoir de Captain America d’accepter cette main tendue, bien que Tony ne le verrait jamais ainsi. Un jour, plus tard, ils pourraient peut-être en reparler calmement, avec une véritable volonté de faire avancer les choses.
En tout cas, c’était l’un des plus grands rêves de Steve : faire la paix avec Iron Man, et réunir les Avengers.
– J’accepte, Directeur, finit-il par déclarer, tendant sa main ouverte.
L’autre hésita, la méfiance dans les yeux. De longues secondes s’écoulèrent, tandis qu’il faisant pensivement tourner le liquide ambré dans son verre de cristal, le bruit des glaçons tintant clairement dans le silence ambiant. Finalement, il capitula dans un soupir à la fois nonchalant et contrarié, refermant rapidement sa main dans celle de Steve, la relâchant tout aussi promptement.
µµµ
Lançant un regard inquiet aux lourds nuages cendrés recouvrant New York, Steve retira un instant sa casquette, épongeant son front trempé de sueur. Les pluies battantes régulières n’empêchaient pas la chaleur d’étendre ses longs doigts étouffants le long des routes goudronnées, au contraire. En cette fin d’année, la moiteur aurait bien plus correspondu à une fin d’été indien, sans le soleil.
Au moins, cette fois, avait-il pensé à retirer ses lunettes aux verres fumés. Et laisser son bouclier sous le lit.
Balayant rapidement les environs du regard, il ne s’attarda pas sur les petites échoppes s’alignant de chaque côté du trottoir. La plupart se trouvaient être de rustiques bâtisses à deux ou trois étages, aux épaisses poutres d’ébène ou de chêne peint, dont les enseignes rivalisaient d’ingéniosité par leur disposition, leur forme ou leur calligraphie (il en vit même une triangulaire, pointe en bas, à l’écriture gothique affichant fièrement le nom d’un petit restaurant). Cependant, entre deux étrangetés parfois bancales, un édifice bien plus moderne venait pousser, tranchant par ses formes terriblement géométriques, d’une droiture maladive – à l’exception de quelques originalités versant plutôt dans le psychédélique, Steve ne voyait pas d’autre qualificatif pour les circonvolutions impensables tournant à des angles défiant la gravité. Sans le connaître, l’ambiance duquartier le mettait à l’aise, y compris dans ses bizarreries. Certes, les routes étaient goudronnés, et il avait compté deux magasins d’électronique en déambulant dans ces rues étroites, mais l’ensemble gardait un charme certain, oscillant entre un petit côté désuet et l’empreinte de ce que les hommes de ce siècle appelaient le progrès.
– Hé Cap, ne t’endors pas, on n’est pas là pour flâner, grésilla son oreillette.
Faisant mine de se frotter les mains, les portant à sa bouche, il répondit en murmurant, s’arrêtant devant un panneau énonçant un nouvel arrivage de boules puantes chez « Les dingos ont du boulot ! ».
– Très amusant, Arthur (pourquoi Clint, ancien espion du SHIELD lui aussi hors-la-loi, choisit ce pseudonyme, cela demeurait un mystère pour Steve). Ton œil de faucon voit quelque chose d’intéressant ?
– Ça dépend si c’est quelque chose d’intéressant pour la filature, ou pour moi. Si tu as le temps, tu pourrais m’acheter quelques shawarmas ? Ca fait longtemps.
– Arthur…
– La donzelle continue de marcher vers l’est.
– Parfait. Et Audrey (tout aussi surprenant que pour Clint, la nouvelle identité de Natasha. Et encore, l’espionne rousse avait expliqué avoir crée cette identité bien longtemps auparavant, « au cas où ») ?
– Elle prend un café, à dix mètres de toi.
Steve hocha vaguement la tête sans répondre – de toute manière l’archer le voyait probablement. Eux trois passèrent la soirée à consulter le dossier remit par Tony, une fois l’hôtel trouvé et payé, apprenant par coeur les identités des trois faux agents du SHIELD. Wanda et Scott, quant à eux, étaient restés dans leur cachettes respectives, n’ayant pas été contacté quand les autres se retrouvèrent à New York. Wanda parce que Steve ne voulait pas la mêler à quelconque autre affaire pouvant la mettre en danger, la trouvant trop jeune pour la mettre encore une fois en danger. Quant à Scott, bien que ses capacités de miniaturisation/agrandissement soient impressionnantes, il n’était pas un combattant, et il avait une famille. La principale raison pour laquelle Steve voulait également le tenir à l’écart.
Il se gardait bien d’avouer à Tony que les fugitifs ne se trouvaient pas au complet. Une simple précaution.
En effectif réduit, Captain décida de ne pas se séparer, si l’un d’eux demandait des renforts en urgence. Aussi, lui et Natasha suivraient un à un les suspects, chacun sur quelques jours, tandis que Clint les observait à distance, gérant le peu de matériel disponible, comme veiller à l’intracabilité de leurs communications. Steve devait au moins accorder que dans le domaine de la miniaturisation, Tony et Stark Entreprises restaient les meilleurs.
Leur première cible, une femme censée se nommer Laurence Spyglass, venait de terminer sa journée de travail en tant que consultante juridique, et serpentait depuis une bonne heure entre magasins, bijouteries artisanales et étals alimentaires. Le soir tombant sur la ville, au contraire de la veille où il était sorti tôt, la foule fatiguée envahissait de manière croissante les boyaux du quartier, jouant des coudes pour arriver le plus rapidement possible à la gare, ou à la station de métro selon leur transport.
Steve craignit un instant d’être reconnu, mais par chance, les gens se trouvaient plus pressés de regagner leurs domiciles, ne levant le regard que pour vérifier l’itinéraire suivi, ou restaient rivés à leur écran de portable, sans faire même attention aux passages piétons et autres véhicules à quatre roues.
Une fois, il perdit de vue Spyglass dans la cacophonie, ne pouvant se repérer à ses vêtements, enfin, de son imper long beige recouvrant son corps jusqu’aux genoux ; les tons vestimentaires restaient à peu près les mêmes. Heureusement, ce ne fut pas le cas de Clint, qui le guida chaque fois sur la bonne route, accompagné des soupirs amusés de Natasha.
La jeune femme finit par entrer dans un salon de thé, enfin une maison de thé, se corrigea-t-il mentalement, bien que la différence lui ait toujours échappée, faute de s’y intéresser. Nommée Komoriya, celle-ci se trouvait construite sur trois étages, dans un style japonais traditionnel. Une porte, tendu de tissu blanc cassé fin, mais occultant, coulissa, et Spyglass salua avec enthousiasme la servante qui l’accueillit, l’étreignant comme une excellente amie.
– Qui s’y colle ? fit Clint.
– Une femme aura plus de chance d’entrer sans se faire remarquer, déclara Natasha, soudainement apparue aux côtés de Steve, observant avec une attention feinte les délicates reliures d’ouvrages au travers d’une vitrine de libraire.
– Un couple plus encore, répondit Steve, croyez-en mon expérience.
– Il va bien falloir nous séparer à un moment.
Ignorant le petit sourire moqueur de Natasha, Steve glissa son bras sous le sien, s’avançant vers la maison de thé en feignant une curiosité toute touristique. Elle n’ajouta rien, se blottissant contre lui comme si elle accompagnait le plus adorable des petits amis. Pourtant, même aussi proche, Steve ressentit clairement la distance mise dans ce geste.
Un œil extérieur pouvait être facilement trompé par le jeu d’acteur parfait de la rousse. Mais Steve ne pouvait se méprendre sur le professionnalisme émanant de chaque geste.
Attirée par le frappement sur les montants de bois, la servante, une quadragénaire à la peau piquetée comme un citron sans une once de morphologie asiatique, parut embêtée.
– Bonjour, commença Natasha sur un ton chaleureux, nous souhaiterions prendre une tasse de thé. Enfin, ce doit être le bon endroit, une maison de thé, non ? Qu’en penses-tu chéri ?
– Ça paraît logique, fit Steve en haussant les épaules, entrant dans le jeu du touriste benêt.
– Bien sûr, fit la servante, « Hatsu » d’après son badge soigneusement calligraphié. Cependant, tous nos salons en étage et au rez-de-chaussée sont occupés. Il nous en reste bien un en sous-sol, mais cela ne vous conviendra probablement pas…
– Ce sera parfait pour découvrir les coutumes, la contredit Natasha, enjouée.
– Comme vous voudrez, capitula Hatsu, s’inclinant pour les laisser passer.
D’un petit pas rapide, elle les amena jusqu’à un escalier de bois fraîchement repeint, l’odeur des pots à peine débouchés flottant encore dans l’air. Steve lança un regard vers les autres couloirs, formant un carrefour en forme de croix, aux limites fixées par les mêmes enfilades de cloisons délicates. De petites lanternes devaient en éclairer l’intérieur, projetant de dansantes ombres sur les parois, mouvant au rythme des déplacements.
Il ne put en voir plus, forcé de presser le pas pour ne pas perdre leur guide des yeux. Sous son apparence détendue, ses muscles se bandaient, à l’affût, prêts à se battre à la moindre menace. L’ensemble de la maison de thé paraissait pourtant agréable, mais son instinct lui murmurait de se méfier, en particulier avec un Skrull dans les parages. La bâtisse n’ayant pas d’autres issues que celle-ci, il espéra ne pas avoir à évacuer des civils en urgence, si quelque chose tournait mal.
– Donnez-vous la peine d’entrer, fit Hatsu, s’effaçant devant une porte bardée de quatre serrures extérieures.
Il sentit une mince tension s’infiltrer dans la poigne de Natasha. S’il s’agissait d’un piège, celui-ci était grossier. La rousse partagea son avis, lui dédiant un regard d’avertissement.
– À la réflexion, nous gardons quelques a priori. Nous préférerions boire notre thé dans une pièce moins sombre, ce sera meilleur pour le teint de ma fiancée, déclara-t-il d’un ton ferme.
Natasha roula des yeux, l’air de lui demander s’il plaisantait. Et si oui, que ce n’était pas drôle.
Il n’eut pas le loisir de s’y attarder.
– Oh, vous pensez avoir vraiment le choix ? susurra moqueusement Hatsu.
Sous les yeux des deux Avengers, le bras de la servante s’allongea, prenant une forme effilée à l’éclat glacial. Poussant sa coéquipière sur le côté, Steve sentit l’acier (enfin, ça y ressemblait beaucoup en tout cas) de la lame fouetter l’air au-dessus de sa tête. Roulant sur le côté pour se mettre hors de portée, il constata avec agacement que le deuxième bras venait également de se transformer, tentant de passer Romanov de l’état d’espionne à brochettes du Nouvel An.
Esquivant de nouveau, elle lança son pied dans le bas-ventre d’Hatsu, la faisant reculer de quelques pas. Sans avoir besoin de l’exprimer, ils profitèrent de cette diversion pour remonter le couloir, trop étroit pour se battre correctement, en direction de la sortie.
– J’ai connu mieux comme accueil, soupira Steve. Arthur, on a besoin de toi !
– Les geishas se sont montré plus féroces que prévu ?
Débouchant à un tournant, il bondit en arrière, évitant de se faire éventrer par une hache aux contours irréguliers, reliée au bras de Laurence Spyglass, le dispensant de répondre.
– Définitivement une Skrull donc, commenta Natasha, pestant après avoir échoué à électrocuter l’assaillante.
– Et vous, définitivement peu discrets, rétorqua Laurence, dégageant son arme d’une poutre.
Steve ne manqua pas la moue excédée de la rousse, vexée dans son honneur d’espionne. Avisant la cloison la plus proche, elle sortit deux poignards d’une pochette située dans le bas de son dos, sous sa ceinture. D’un coup sec et précis, une balafre sépara le tissu en deux. Elle s’engouffra dans l’ouverture ainsi pratiquée, suivie de Steve. Les six individus, tranquillement installés sur des coussins aux couleurs chatoyantes, les fixèrent avec surprise. Mais sans peur.
Il allait leur dire de fuir les lieux, quand les doigts du premier s’allongèrent, formant une panoplie de petites lames aux formes imaginatives.
Il bougea immédiatement, courant se mettre à couvert sans chercher à faire front. Une des règles de base apprise tout au long de ses missions, d’abord se protéger, ensuite seulement riposter. Aussi se plaqua-t-il contre un argentier aux gravures plus bretonnes que japonaises, heureux d’avoir conservé tous ses membres. Du coin de l’oeil, il vit Natasha courir dans une direction différente, sûrement dans la même intention.
Avec maintes précautions, il ôta la boucle de son holster, dissimulée par son blouson en cuir mordoré, sortant son pistolet avant de l’empoigner à deux mains. Il ne savait pas où Natasha avait bien pu se retrouver, ne pouvait qu’espérer la revoir saine et sauve. L’impression de respirer si fort que tout le monde pouvait l’entendre dans la pièce manqua de le perturber, mais il se reprit rapidement, attentif.
Un sifflement menaçant l’avertit une seconde avant l’impact. Jaillissant de sa cachette, Steve entendit plus qu’il ne vit l’argentier exploser dans son dos. Il n’avait pas le temps de planifier. Vaincre des ennemis armés, presque à main nues, était risqué, mais pas impossible.
Le premier Skrull qu’il atteignit n’eut pas le loisir de pousser un seul cri avant de s’effondrer sur le sol, un coup de pied dans les genoux le mettant à terre, avant qu’une balle ne le réduise définitivement au silence. Esquivant une hache de Laurence, particulièrement vide, il fit feu deux autres fois, sans toucher but.
Hatsu rejoignit enfin ses camarades, entrant dans la pièce, visiblement furieuse. C’est à ce moment que Natasha jaillit de derrière une sculpture abstraite représentant soit un rapace difforme, soit un humain plié de manière improbable ; un coup de pied en bas des côtes, puis un second dans la tempe, et la servante se retrouva à terre, électrocutée la seconde d’après.
Enchaînant, elle atteignit un autre à la gorge, puis se propulsa de tout son poids en arrière pour faire tomber une autre alien, les faisant tous les deux atterrir lourdement au sol. Steve tira sur un assaillant sur le point de la frapper par-derrière. Profitant de l’ouverture, Laurence feinta, entaillant sa cuisse sur plusieurs centimètres. Une blessure douloureuse, mais bien plus superficielle que celle qu’il aurait récoltée sans s’être poussé. Coinçant son bras armé dans le creux de son coude, il lui tordit brutalement le bras, Laurence lâchant un cri de rage. Il voulut la projeter contre le mur, mais son regard joyeux le convainquit de baisser le sien.
Il maudit Tony de ne pas l’avoir prévenu que les Skrulls pouvaient métamorphoser toutes les parties de leur corps. Sous la plante de pied de Laurence, une pointe fuselée prit forme, fusant ensuite vers le sien. Il dut l’écarter en catastrophe, gêné par la position restreignant ses mouvements.
Il détestait se battre ainsi, mais dans une situation de ce type…
Rejetant la tête en arrière, il la renvoya brusquement en avant, heurtant avec force le front de la Skrull. Déstabilisée, elle le lâcha, titubant en se portant les mains au visage. Cherchant son arme, tombée au sol pendant l’affrontement, Steve la retrouva sur un tatami, à demi-enfouie sous un coussin jaune pâle.
Un alien, la repérant avant lui, transforma son bras en masse, avant de l’écraser, enfonçant le sol sur plusieurs centimètres. Le regard rouge sang ne promettait que souffrance.
Une forme sombre vola à travers la pièce, atterrissant sur le seul meuble encore en état de servir. Steve voulut se précipiter vers Natasha, qui se relevait aussi vite que possible, mais un nouveau sifflement l’en dissuada.
Une fois sur pied, l’espionne prouva avec un coup de pied balayette qu’elle n’était pas encore vaincue.
– Arthur, siffla-t-il, on a vraiment besoin de toi là !
– J’arrive, tu sais le temps que ça prend de traverser les rues new-yorkaises à l’heure de pointe ? rétorqua Clint, essoufflé comme s’il courait un marathon.
Steve faillit jurer, quand un vacarme provenant de l’entrée attira son attention. Il se retourna, se mettant en garde…Quand un trait noir fusa entre les aliens, se plantant dans le mur adjacent au couloir menant au dehors. Un claquement sec troubla l’air, suivi d’une explosion de faible intensité, suffisante pour repousser les plus proches de la flèche sans pour autant tuer tous ceux dans la pièce.
De taille moyenne, les cheveux blond-châtains courts et les yeux d’un marron foncé, Clint ressemblait au citoyen lambda des Etats-Unis en jean noir troué aux genoux, baskets usées blanches et rouges, manteau outremer posé sur un sweat également noir, sans parler de son bonnet rayé blanc et noir seyant (lui l’adorait, ses coéquipiers le trouvait affreux). Si ce n’était le carquois pendant à son épaule, et l’arc bandé à la main.
– Me voilà, déclara-t-il simplement, tout sourire.
– Super, alors maintenant aide-nous à sortir d’ici, souffla Natasha, taser au poing.
– Allons, tu vas laisser des aliens vivants ? la taquina Clint.
– Ça suffit Barton, décida Steve, nous ne sommes pas là pour mener une extermination de masse.
L’intéressé prit un air clairement dubitatif, clouant quelques récalcitrants au sol. Ce n’était pas que par bonté d’âme que Steve décida de partir ; ils avaient également besoin d’en garder en vie, et ça, les espions le savait.
Laissant Clint tenir en joue les survivants, Laurence Spyglass comprit, Steve vérifia l’état de marche de son vieux portable, composant le numéro de Stark. En voyant qui l’appelait, l’ingénieur serait peut-être plus disposé à répondre. Bien que Steve craignait sa réaction quand il apprendrait le manque de discrétion de son équipe…
Un bruit désagréable, comme un crissement, résonna dans son oreille, avant que le téléphone ne sonne dans le vide. Ou plutôt, quelque chose semblait couper le lien entre les deux appareils.
– Je n’arrive pas à le contacter. On dirait que le signal est bloqué, annonça-t-il en soupirant.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? fit Clint sans se détourner des prisonniers.
Un éclat de rire impromptu coupa Steve dans son début de réponse. Fronçant les sourcils, il se tourna vers Laurence, qui peinait à retrouver son sérieux. Il trouvait cela perturbant d’avoir en face de lui une jeune femme au physique avantageux, les pupilles pétillantes, tout en sachant ce qui se cachait derrière cette apparence soi-disant inoffensive.
– Ravi que tu trouves cela si amusant. Tu pourrais nous mettre dans la confidence, proposa Natasha, jouant avec l’une de ses lames.
– C’est…(elle toussa un peu, reprenant son souffle) C’est Stark qui vous envoie, hein ?
– Pourquoi dis-tu cela ? grinça Steve, toisant la Skrull de toute sa hauteur.
Un large sourire fendit son visage, trop grand pour qu’il n’y ait pas un petit effet comique voulu.
– Surprise ! finit-elle par déclarer.
Faisant signe à ses deux équipiers de le suivre, Steve les entraîna dans un recoin, un peu à l’écart. Mais toujours à portée de flèche. Avant d’ouvrir la bouche, il sut qu’ils partageaient son avis.
– Ça sent pas bon tout ça, commença Clint.
– C’est peut-être un piège pour nous détourner d’eux, tenta Natasha. Si elle tentait de nous manipuler ?
– Dans le doute, il faut retrouver Stark, et s’assurer qu’il va bien, fit Steve.
Selon lui, Laurence ne mentait pas. Elle avait parut réellement surprise quand elle comprit qui le Captain tentait d’appeler. Et pour le deviner aussi sûrement, il en aurait mis la main à couper que quelque chose se préparait. D’un autre côté, il était hors de question de laisser les autres aliens sous surveillance.
– Appelez la police, décida-t-il. Elle pourra au moins les garder quelques heures sous bonne garde, puis Tony n’aura aucun mal à faire pression pour les récupérer. Restez ici pour les surveiller le temps que les autorités arrivent sur les lieux, puis rejoignez-moi à la Tour.
– D’acc, mais vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ? demanda Clint, haussant les épaules. N’oubliez pas qu’il se trouve dans l’un des bâtiments les plus sécurisés du monde.
Le visage de Natasha se fripa une fraction de seconde, troublé. Puis elle écarquilla les yeux, braqués sur Steve.
– Les bombes électro-magnétiques ! fit-elle.
– Quoi ?
– La sécurité de Stark se base principalement sur l’électrique et l’électronique. En utilisant l’une de ces bombes, elle peut être désactivée en quelques secondes. Pas très longtemps, mais suffisamment pour agir.
Un frisson glacial parcourut Steve. Sans un mot, il se détourna.
– Faites ce que je vous ai dit, et rejoignez-moi le plus vite possible ! lança-t-il. Où as-tu garé ma moto, Clint ?
– Près de la gare, au niveau de la sortie nord !
Il lui fit un signe de remerciement, sans pour autant stopper sa course. S’il se dépêchait, il avait une chance de pouvoir prévenir Tony des manigances planant autour de lui. Évidemment que les Skrulls allaient tenter de s’en prendre à lui ! Il était, et bien que cela soit toujours aussi étrange aux yeux de Steve, le directeur de la seule organisation habilitée à éliminer les menaces extraterrestres ! Comment avait-il pu ne pas faire le rapprochement plus tôt ? Il aurait pu au moins mettre en garde l’excentrique milliardaire !
Voyons, tenta-t-il de se rassurer, relevant régulièrement les yeux vers le haut sommet de la Tour Stark, dépassant fièrement des autres édifies de la ville, si une bombe électro-magnétique est réellement utilisée en ce moment même, le brusque arrêt de ses appareils allait mettre Tony en alerte. Et de là, il serait suffisamment prévenu pour se défendre contre ses assaillants, en attendant sa propre arrivée sur les lieux.
Il empoignait le guidon de sa Harley, quand le ciel s’obscurcit brutalement. Dirigeant une nouvelle fois son regard vers la Tour, sa gorge se serra douloureusement. Un épais nuage, bien plus étendu que tous les autres, se nimbait d’une kyrielle de nuances écarlate, pourpre et orangé. Un grondement roula dans le ciel chargé, interpellant l’ensemble des passants, au pas soudainement plus rapide.
Puis, une violente lueur éclatante déchira les cieux, accompagnée d’une pluie diluvienne acide, frappant avec violence le goudron, les toits et les avenues bordées d’échoppes.
Steve n’en crut pas ses oreilles. L’éclair survenait après le tonnerre ?
Un second aveugla les plus curieux qui braquaient leur regard en l’air, suivi d’un autre, et bientôt la foudre occulta le moindre pan de ciel visible au-dessus de la Tour Stark.
Épouvanté, Steve n’assista guère longtemps à ce spectacle.
Sous les assauts du tonnerre, la Tour Stark s’inclina brusquement dans un nuage de poussière dense. Même d’ici, Steve put distinguer l’éclatement des vitres, créant une pluie mortelle aux éclats lumineux, tel un immense parapluie artificiel.
Des cris affolés résonnèrent un peu partout autour de Steve, mais il ne les entendait presque pas.
Dans un cauchemar éveillé, la Tour céda brusquement, dans un crissement digne des colosses à l’agonie. Elle s’écroula d’une traite sur elle-même, laissant une mare de débris tout autour de son socle.
En quelques minutes, tout fut terminé, excepté le ciel toujours aussi menaçant.
Hébété, peinant à croire ce qu’il voyait, il ne sut quoi faire un long moment. Une seule pensée tournait en boucle dans son esprit.
La Tour Stark venait de s’effondrer.
Tony était encore à l’intérieur la veille.
Peut-être était-il sorti à ce moment, avait-il dû s’absenter ! Tony Stark ne pouvait périr, et certainement pas de cette manière !
Et au fond de lui se forma une autre promesse, celle de continuer le combat contre les Skrulls, avec ou sans lui à la tête du SHIELD, ou ailleurs.
Il n’y croyait toujours pas quand il rentra à l’intérieur de la maison de thé, l’air sombre.
La première à s’en rendre