Guren

Chapitre 12

Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:50

Voici le chapitre 12, chers lecteurs ^^
J'espère qu'il vous plaira, il y a un peu de tout là-dedans, je vous laisse vous faire votre propre opinion =)
Merci à Briseglace, une fois de plus, pour son aide pour la correction ^^

- Nagoshi-san, je vais avoir besoin de votre aide.

- Dites toujours. Si c’est en rapport avec votre mission, je verrai ce que je peux faire pour vous.

Shizuru ignora son ton grinçant. Cela faisait des mois qu’ils collaboraient mais elle limitait ses entretiens avec lui au strict minimum. Un rapport tous les dix jours, tout au plus, bref et détaillé, toujours au téléphone et jamais plus de quelques minutes. L’un comme l’autre s’en portait le mieux du monde. Nagoshi lui parlait toujours sur le même ton, railleur et vaguement dédaigneux, probablement ravie de la voir se débattre parmi les yakuza.

- Les Gurentai ont enlevé une petite fille il y a quelques jours. Alyssa Searrs. Dix ans, pas très grande, yeux bleus et cheveux blonds. Elle est probablement retenue quelque part dans un des laboratoires d’Asward.

- Alyssa Searrs, Alyssa Searrs…marmonna Nagoshi.

Shizuru perçut en fond sonore le cliquetis caractéristique d’un clavier d’ordinateur et se demanda pour la dixième fois depuis qu’ils se connaissaient quelle faute il avait pu commettre pour que ses supérieurs lui refilent le dossier Fujino-Gurentai.

- Alyssa a disparu samedi dernier, annonça-t-il finalement. À Fuuka. Et d’après ce que je vois, le principal suspect s’appelle Natsuki Kuga. Pas un mot au sujet d’Asward. D’où est-ce que vous tenez votre info ?

- À votre avis ? demanda Shizuru, d’un ton faussement léger.

- Je vois.

- Je suppose que vous connaissez suffisamment l’histoire pour savoir qui est Alyssa et le rôle qu’elle a joué pendant le Festival. Les Gurentai ne l’ont sûrement pas enlevée pour le plaisir. Vous pourriez obtenir un mandat pour passer leurs locaux au peigne fin ?

Nagoshi souffla dans le récepteur.

- Ça va être difficile. L’organisation est énorme, la plupart de leurs laboratoires sont des établissements placés sous haute sécurité, protection industrielle et tout le bazar. Et la société est truffée de Yakuza : on peut être sûrs qu’ils ont graissé la patte aux bonnes personnes pour qu’avoir ce genre de papier et venir fouiller chez eux soit un véritable parcours du combattant.

- Essayez.

- Je verrai ce que je peux faire. Laissez-moi quelques jours. D’ici là, dites à Kuga de se tenir à carreaux.

- Je n’y manquerai pas.

Quelques jours. C’était beaucoup trop long. Shizuru raccrocha avec la ferme intention d’explorer d’autres pistes.

*************************

Natsuki était assise dans son lit, le dos confortablement appuyé contre des oreillers lorsque Shizuru revint dans l’appartement, en fin de journée. La solitaire avait éparpillé le contenu de son sac à dos sur les couvertures et lisait attentivement une des lettres qu’elle avait dérobée. Même si elle était encore un peu pâle, Natsuki semblait bien moins mal en point que le matin.

- Tu vas un peu mieux, on dirait, observa-t-elle en ôtant sa veste.

- J’ai dormi toute la journée. C’est incroyable, je ne pensais pas que je pourrais me redresser toute seule aussi vite !

- C’est une bonne nouvelle, tu seras vite sur pied. Tiens, tu dois mourir de faim, fit-elle en posant un sac en plastique sur la table de chevet. Je t’ai pris un repas à emporter, en venant ici.

Elle prit place dans le fauteuil pendant que Natsuki se jetait sur le contenu du sac, et passa une main dans ses cheveux pour en ôter les gouttelettes de pluie qui s’y était accrochées. L’automne tirait à sa fin et depuis quelques jours une humidité implacable s’était abattue sur les rues de Kyoto.

- Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?

- Pas grand-chose, jusqu’à présent, soupira la solitaire, déçue. Des notes de service, une lettre…pas de doutes, les orphans sont au centre d’un projet bien rôdé pour Asward…mais rien au sujet d’Alyssa, ou des HiMES.

 Natsuki fronça les sourcils, dépitée. Est-ce qu’elle avait fait tout ça, pour rien ?

- Il me reste encore pas mal de documents à examiner, expliqua-t-elle. Et un CD.

Elle tapota une pile de document mieux rangée que les autres, comme pour se rassurer.

- Je suis allée voir un ami qui travaille à la police, annonça Shizuru en ignorant le froncement de sourcil de Natsuki. Je lui ai parlé d’Alyssa, en lui disant qu’elle était élève à mon ancienne école et que je me faisais du souci. Il m’a confié que des demandes pour obtenir un mandat étaient en cours.

Le visage de la solitaire s’illumina. Elle n’y croyait plus.

- Ça risque de prendre un peu de temps, tempéra Shizuru. Quelques jours, probablement. D’ici là, repose-toi, tu ne peux rien faire dans cet état, de toute façon.

Natsuki s’agita devant elle, mal à l’aise. « Quelques jours » d’attente équivalaient à une éternité d’inquiétude. Mais que pouvait-elle faire d’autre, blessée comme elle l’était ?

- Je vais voir si je peux explorer d’autres pistes, pendant ce temps, proposa Shizuru.

Elle s’appliqua à garder un ton détaché. La tension qui régnait entre elles s’était estompée depuis ce matin mais pas au point d’effacer tout ce qu’elle avait ressenti alors, et qui persistait, lancinant comme une brûlure.

Natsuki laissa son regard se poser sur le visage de son amie. Shizuru regardait par la fenêtre, ses traits délicats figés en un masque de neutralité impeccable. Elle évitait son regard, la solitaire en était sûre. Natsuki déglutit, incertaine alors que l’appréhension faisait battre son cœur un peu plus vite.

- Je te remercie de m’avoir sauvée, déclara-t-elle d’un ton qui lui parut ridiculement solennel. Mais tu n’es pas obligée de t’impliquer dans tout ceci…ça peut être dangereux.

Pour la première fois depuis le début de la discussion, les yeux carmin de Shizuru se plongèrent dans les siens. La fille de Kyoto haussa un sourcil avec élégance et Natsuki fut surprise de voir un sourire amusé naître sur ses lèvres. En vérité, son amie avait retenu un éclat de rire.

- Natsuki, tu m’as impliquée dans cette histoire à l’instant où tu m’as téléphoné.

La solitaire s’empourpra. Je ne veux pas qu’elle se retrouve mêlée à tout ceci, avait-elle confié à Mai. Les circonstances ne lui avaient pas laissées le choix mais Shizuru avait parfaitement raison.

- Je…

- Si tu veux bien, je vais considérer que tu as prononcé cette dernière phrase par politesse, dit-elle avec indulgence. Je ne t’aide pas par obligation. Ça n’a jamais été le cas, alors ça ne va pas commencer aujourd’hui.

Natsuki baissa les yeux, confuse. Elle savait que Shizuru répondrait de cette façon, et que sa remarque avait été stupide voire insultante. Mais elle ne s’était pas senti le droit d’accepter son aide comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Plus maintenant.

- Sauf si tu ne veux pas de mon aide, bien sûr.

Cette remarque lui fit l’effet d’une gifle. Shizuru pensait-elle sincèrement qu’elle lui ferait l’affront de refuser son soutien ? Non, réalisa-t-elle, son amie lui renvoyait simplement l’ascenseur, en retournant sa dernière remarque contre elle. Juste retour des choses.

- Ne dis pas de bêtise, grommela Natsuki, vexée. Mais je vais considérer que je l’ai bien cherché, et que tu as dit cette phrase par politesse, dit-elle en reprenant ses mots.

Elles n’allaient tout de même pas tourner autour du pot toute la journée, comme si c’était la première fois qu’elles se parlaient ! pensa-t-elle avec une pointe d’agacement.
Natsuki se sentait blessée et en colère. Elle savait qu’il y avait peu de chances que Shizuru l’accueille à bras ouverts mais elle ne pensait pas que voir autant de distance entre elles la toucherait à ce point. Son irritation se mua en une profonde tristesse. Sur le moment, il avait été facile de se persuader que laisser Shizuru partir à Kyoto était la meilleure chose à faire. Puis relativiser et se dire que sa froideur au téléphone n’était pas si grave, lorsqu’elle était à Fuuka et occupée à prendre soin de sa petite sœur. Mais maintenant qu’elle se trouvait face à elle, la peine qu’elle ressentait était incomparable.

Shizuru lui accorda un sourire avant de se lever, mettant fin à cet échange de formalités prudentes. Elles étaient comme deux chats sauvages, s’observant avec méfiance comme si un rien pouvait briser la trêve fragile qui s’était installée entre elles. Comme si elles avaient eu besoin de vérifier l’une et l’autre que les bases de leur relation n’avaient pas été complètement effacées au cours des derniers mois.

 - Je vais y aller, fit-elle en enfilant sa veste.  Je travaille à mi-temps et je ne veux pas être en retard.

- Shizuru…

- Hum ?

Natsuki se pencha en avant avec une grimace et attrapa du bout des doigts un boitier en plastique.

- Est-ce que tu pourrais regarder le contenu de ce CD, pour moi, s’il te plait ?

- Tu ne préfères pas que j’amène mon ordinateur ici, pour que tu le vérifies toi-même ?

Natsuki secoua la tête et lui tendit le boitier qu’elle tenait comme s’il contenait tous ses espoirs. Son regard avait quelque chose de suppliant.

- Non. Ce sera plus rapide si tu t’en charges, si ça te va.

- Bien sûr, assura Shizuru en prenant le CD.

*******************************************

Shizuru eut la mauvaise surprise de constater qu’une grande partie des données étaient cryptées. Elle renonça bien vite à tenter de contourner les protections des fichiers par ses propres moyens et demanda à Kohei, l’un des meilleurs hackers du Fujino-kai, de se charger du problème. Sa position de Kyodai, au sommet de la hiérarchie yakuza, la dispensa d’avoir à fournir la moindre explication concernant la provenance du CD. Un privilège chèrement payé, songea-t-elle en pensant au dragon écarlate qui rampait sur son dos. Le tatouage était magnifique. Fin et d’une élégance mortelle. Mais lorsque Shizuru apercevait sa forme serpentine rouge sang dans le reflet d’une glace, elle avait l’impression insupportable d’être une bête marquée et s’empressait de le masquer sous ses habits.

La journée de cours s’achevait péniblement. Shizuru avait été incapable de se concentrer et avait finit par jeter l’éponge et passer la dernière heure avachie sur sa table, le visage plongé au creux de ses bras en une fidèle imitation d’Hideki.

- Allez les endormis, c’est moi qui paye le café avant qu’on s’y remette, lança Seiko en fouillant dans son porte-monnaie.

Elle donna quelques coups d’index à l’épaule de Shizuru qui se redressa en lui adressant un regard faussement boudeur. Et se retrouva nez-à-nez avec le téléphone de son amie, ou plutôt l’objectif de l’appareil photo qui y était incorporé. Qui émit quelques notes joyeuses pour confirmer que l’expression de Shizuru était immortalisée dans sa carte mémoire.

 Seiko éclata de rire.

- Merci, c’est dans la boîte ! Je connais quelques personnes de la classe qui seront ravies de te voir comme ça, le regard farouche et les cheveux ébouriffés, plaisanta-t-elle.

Shizuru leva les yeux au ciel. Par certains côtés, Seiko lui rappelait Chie, la spécialiste des potins de Fuuka qui traquait le moindre scoop armée de son téléphone portable.

- Mamoru, amphi de chimie du jeudi matin ? proposa Hideki, les yeux pétillants.

Seiko poussa un profond soupir en prenant un air rêveur alors qu’ils quittaient la salle.

- S’il n’y avait que lui. Shizuru, tu n’as pas idée du nombre de cœurs que tu fais chavirer dans cette Université…

La principale intéressée retint un grondement irrité qui aurait été digne de Natsuki et une étincelle d’agacement joua dans son regard: elle ne se sentait absolument pas d’humeur à entendre Seiko se lancer dans des histoires de cœurs. La dernière fois que ses amis avaient abordé le sujet, la discussion avait duré des heures après qu’Hideki ait surpris une étudiante rougissante détailler Shizuru de la tête au pied dans un couloir entre deux cours. Une certaine Tomoe, si ses souvenirs étaient exacts.

Ils quittèrent l’Université avec le flot des autres élèves. Les nuages qui assiégeaient la ville depuis le début de la semaine s’étaient dissipés pour aller s’accrocher au loin comme des boules de coton sur les flancs des collines boisées qui bordaient le campus et la banlieue de Kyoto. Les cours s’étaient achevés tôt, aujourd’hui et la plupart des étudiants discutaient par petits groupes massés sur les marches de l’entrée ou assis sur les pelouses du parc pour profiter de cette éclaircie inespérée. Et postée sous un arbre, face à l’entrée principale, Shizuru reconnut la silhouette de Natsuki. Elle cligna des yeux comme pour chasser une hallucination mais il n’y avait aucun doute. Son amie arborait son habituelle nonchalance, les bras croisés sur la poitrine en scrutant la foule des élèves d’un air d’ennuie, ses sourcils légèrement froncés suggérant une impatience étudiée. La première surprise passée, Shizuru ne put retenir un sourire : C’était sa pose classique de dur-à-cuire qui ne veut pas être approchée, une posture que Natsuki affectionnait particulièrement à l’époque où elles ne se connaissaient pas encore. Mais les coups d’œil qu’elle lançait autour d’elle de temps à autre racontaient une autre histoire. La solitaire l’attendait. Son regard étincelant croisa le sien et froncement de sourcils et bras croisés disparurent comme par magie. Natsuki hocha timidement la tête dans sa direction et s’avança vers elle.

- Je vous laisse, on se retrouve ce soir pour les maths ? lança Shizuru en quittant Hideki et Seiko pour venir à sa rencontre.

Natsuki se déplaçait avec précaution et une certaine raideur gênait la fluidité habituelle de sa démarche, preuves insignifiantes qu’elle avait était gravement blessée deux jours auparavant. Même pour une HiME, la vitesse à laquelle elle se remettait était extraordinaire.

- Je ne pensais pas te voir ici, s’étonna Shizuru une fois qu’elles furent assez proches. Tout va bien ?

- Oui, oui. Je passais juste dans le coin. Je…tourne en rond dans cet appartement et je voulais prendre un peu l’air, expliqua la solitaire en regardant autour d’elle, embarrassée. Elle plongea les mains dans ses poches pour se donner une contenance. J’espère que ça ne pose aucun problème, demanda-t-elle très vite, soucieuse.

Une lueur d’amusement traversa le regard de Shizuru. La jeune fille n’avait pas l’air à l’aise au milieu de tous ces visages inconnus. Ça ne faisait probablement que quelques minutes qu’elle était là et déjà elle faisait tourner les têtes. Natsuki finit par s’en rendre compte et jeta des regards noirs à ceux qui la détaillaient avec un peu trop d’insistance.

- Viens, allons nous asseoir un peu plus bas, tu te feras moins d’admirateurs, déclara Shizuru.

Elles s’assirent sur un carré de pelouse ensoleillé, Shizuru à genoux, le dos droit, Natsuki avec un peu moins de rigueur et une grimace lorsque ce mouvement tira sur ses blessures.

- Natsuki s’ennuie donc suffisamment pour venir me rendre visite à l’Université ?

La solitaire haussa les épaules. Son expression incertaine avait disparu et un air revêche plissait ses traits. La solitaire n’aimait toujours pas montrer la moindre de ses faiblesses. Elle avait vite remit son masque en place lorsqu’elle avait réalisé à quel point elle avait l’air perdue en lui adressant la parole.

- L’inaction. Je n’aime pas rester assise sans rien faire, argua-t-elle d’un ton bravache.

Quelques mois avant le Festival, Shizuru aurait sourit et se serait empressée de mettre à jour son petit manège : à la façon dont elle laissait ses doigts déchiqueter le moindre brin d’herbe à sa portée, Natsuki était angoissée. Mais aujourd’hui, elle ne s’en sentait pas d’humeur.

- Hum…

Natsuki lui jeta un regard en coin et manqua se frapper le front en voyant son expression distante et égale. Ce n’était pas le moment de jouer les durs. Elle s’agita, agacée du luxe de précautions qu’elle devait prendre pour adresser la parole à son amie. Depuis quand est-ce que Shizuru boudait les gens ? Elle avait l’impression d’être assise à côté d’une statue tant elle était sur la défensive ! Si son amie avait daigné lui accorder un regard, Natsuki aurait parié que ça aurait suffit à la pétrifier sur place. Son cœur se serra avec une violence inattendue. Elle faillit se lever et partir. S’enfuir. Au lieu de ça, elle redressa le menton et s’efforça de reprendre son aplomb. Allez, regarde-moi !

- D’accord, d’accord, soupira-t-elle. J’en avais assez de gamberger. Il n’y a rien dans ces fichus papiers. J’ai passé la journée à réfléchir à ce que je pourrais faire de plus…et…je suis complètement bloquée. Je me fais du souci pour Alyssa, avoua-t-elle, les sourcils froncés. J’y pense tout le temps.

Elle avait passé chaque minute à repousser les vagues d’inquiétudes qui noyaient ses pensées. Alyssa allait-elle bien ? L’avait-on frappée ? Avait-elle froid ? Faim ? Était-elle…en vie ? Ou…sur une table d’opération comme un vulgaire cobaye ? Ou pire ?

Shizuru la vit fermer les yeux avec force et se radoucit.

- Tu ne peux rien faire de plus, pour l’instant. Même si tu savais où chercher, tu n’es pas en état de tenter quoi que ce soit.

- Je sais…je sais. Mais c’est dur, marmonna-t-elle en rentrant la tête dans les épaules. Je n’ai aucune garantie qu’elle aille bien.

Shizuru garda le silence. Il aurait été facile de bercer d’illusions la solitaire. La rassurer en lui disant que oui, Alyssa était captive mais ne souffrait pas, que tout irait bien et qu’elle retrouverait vite sa sœur. La fille de Kyoto savait mieux que quiconque que les chances de retrouver Alyssa saine et sauve étaient infimes. Elle ne mentirait pas sur ce point à Natsuki.

- Tu veux me parler d’elle ?

La solitaire hésita un instant et finit par secouer la tête.

- Non. Non, j’aurais l’impression de faire…une oraison funèbre ou quelque chose de ce style.

Comment était-elle parvenue à mettre au point seule sa vendetta après la mort de sa mère, sans devenir folle à force de broyer des pensées noires ? Et l’attitude de Shizuru qui lui faisait perdre tous ses moyens ! Natsuki aurait aimé avoir la maîtrise qu’elle avait à l’époque. Aujourd’hui, les choses étaient différentes, parce que…parce que…

- Ça ne m’était jamais arrivé avant, constata-t-elle tout haut.

- Pardon ?

- Prendre soin de quelqu’un d’autre, comme Alyssa. C’était la première fois.

-Tu as su t’adapter, on dirait. C’est ce qu’il m’avait semblé quand tu m’en avais parlé au téléphone il y  a quelques temps. D’une certaine façon, ce n’est pas vraiment étonnant.

- Pourquoi ça ?

Shizuru esquissa un léger sourire, peinée de lui rappeler sa situation, mais résolue à ne pas la regarder en face. Pas encore.

- Tu es peut-être la personne la mieux placée pour comprendre une orpheline, Natsuki. Je ne vois pas comment tu aurais pu délaisser Alyssa après ce qui venait de lui arriver. Elle était entre de bonnes mains, avec toi.

- Je crois…balbutia Natsuki, gênée. Elle avait l’air heureuse, à la fin. Et moi aussi, ça me faisait plaisir. Mais ça n’a pas été facile. Tu aurais vu la tête des autres, à Fuuka, quand je l’ai accompagnée à l’école la première fois ! Je parie que ça les fait encore causer, marmonna-t-elle.

Et sans même s’en rendre compte, Natsuki entrepris de lui raconter un autre évènement qui avait fait hausser les sourcils à l’Académie. Et un autre. Elle aurait pu en parler pendant une heure, sans même le réaliser. Son angoisse se dissipait. Et à chaque phrase, il lui semblait que les traits de Shizuru se détendaient. Imperceptiblement. Sa posture était moins rigide, la ligne de ses lèvres plus relâchée. Lorsqu’elle tourna la tête pour la regarder enfin, l’éclat dur de ses yeux pourpres s’était adouci. Natsuki sentit une surprenante satisfaction l’envahir alors qu’elle guettait la plus infime de ses réactions. Elle se demanda alors si c’était ce qu’avait pu ressentir Shizuru en sa présence, la première fois qu’elle avait voulu engager la discussion avec celle qu’on considérait Dame de Glace de l’Académie. Pourrait-elle lui arracher un sourire ?

Shizuru réalisa vite que Natsuki l’épiait du coin de l’œil et comprit ce qu’elle essayait de faire. Malgré l’air tourmenté qu’elle affichait lorsqu’elle avait commencé à lui parler d’Alyssa, elle souriait maintenant. L’image d’une Natsuki à l’air maussade et au regard indéchiffrable, debout sur ce quai de gare, semblait bien lointaine.

- Tu as changé, observa-t-elle.

- Hum ?

 Une part de son esprit, prudente et blessée, lui soufflait qu’elle était en train de retomber dans les mêmes erreurs. Qu’elle ne gagnerait que peines et douleurs si elle laissait de nouveau Natsuki l’approcher. Son cœur se serra. C’était probablement la vérité mais le seul crime qu’avait commis la solitaire était de ne pas avoir pu lui rendre ses sentiments. Aussi blessée qu’elle ait pu l’être, Shizuru n’avait pas à se montrer odieuse. Il était peut-être temps de l’accepter et de laisser le passé derrière soi. Tout oublier. Du jour de leur rencontre où elle était tombée éperdument amoureuse, à l’instant de son départ pour Kyoto où Natsuki ne lui inspirait plus qu’une profonde amertume. Faire table rase et construire quelque chose de nouveau. Sans romance, ni remords, ni secrets. Elle se ravisa. Elle ne pouvait pas confier à Natsuki qu’elle travaillait pour un clan Yakuza, pas encore. Son amie attendait qu’elle s’explique, l’air surprise et…ravie ?

- C’est rare que tu me parles autant de toi, ou de quelqu’un qui t’es proche. Et tu es plus…attentive, dit-elle en évoquant à la fois son attitude et le comportement qu’elle avait avec Alyssa. Par moment j’aurais pu croire que c’était Mai  qui me parlait, s’amusa-t-elle.

En parlant de la fillette, Natsuki semblait heureuse et épanouie. Shizuru garda ces pensées pour elle. La solitaire était toujours mal à l’aise quand on lui faisait remarquer quels sentiments elle exprimait sans s’en rendre compte.  

Natsuki plissa les lèvres en une moue peu convaincue, sans savoir si cette dernière remarque était une bonne ou une mauvaise nouvelle et le sourire de Shizuru s’élargit. Franc, sincère et radieux.

La solitaire sentit un curieux tiraillement au creux de sa poitrine, en voyant ce sourire. Comme si une petite main s’était doucement refermée sur son cœur. Elle n’aurait pas dû être aussi heureuse, réalisa-t-elle en songeant à Alyssa, retenue Dieu sait où. Une ombre de culpabilité voila le soulagement tranquille qui apaisait ses pensées mais en regardant de nouveau Shizuru sourire, elle sentit qu’un poids avait définitivement quitté ses épaules.

***********************************

Il faisait presque nuit lorsque Kohei poussa la porte du bureau. Deux autres Shatei étaient présents dans la salle et discutaient dans la pénombre, comme s’ils n’avaient pas encore réalisé que le jour déclinait. Il bascula l’interrupteur pour y voir un peu plus clair et reconnut deux de ses équipiers habituels.

- Salut vieux, pas encore rentré chez toi ?

- Pas encore, soupira-t-il. Encore deux-trois trucs à régler ici et je pourrais y aller.

L’autre pointa du pouce un écran où des colonnes de chiffres et de lettres défilaient à toute allure.

- C’est à toi, le programme qui tourne sur le PC ?

- Ouais. J’essaie de trouver la clé de cryptage d’un fichier. Avec un peu de chance, ce sera la bonne, cette fois.

- C’est quoi ?

- Un truc que m’a filé Fujino. La fille. Je sais pas où elle a chopé ça, mais elle m’a dit que ça venait des Gurentai et que c’était urgent. Ça fait quoi…cinq jours que je bosse dessus ? Leur protection est une vraie plaie !

- Cette gamine, on parlait d’elle justement. C’est vrai ce qu’on raconte sur sa mère ?

- J’en sais rien et je m’en fous, bailla-t-il, peu intéressé. Je préfère largement la savoir chez nous que chez les Gurentai et ça me suffit. Elle apprend vite. Je l’ai vu embobiner un sarakin en deux secondes, tout sourire, sans que le gars s’en rende compte, et lui faire renégocier tout un contrat sans se faire prier. Une vraie charmeuse de serpent. Dommage qu’elle n’ait pas envie de bosser dans la finance parce qu’elle serait redoutable.

L’ordinateur bipa et une page de fichier Excel apparut à l’écran.

- Enfin ! Voyons-voir ça…

Kohei fit défiler les lignes et ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’un nom lui sauta au visage. Il vérifia la date et l’heure au bas de l’écran et se rua sur le téléphone en jurant.

- Merde !

Shizuru décrocha à la deuxième sonnerie.

- J’ai réussi à ouvrir un fichier, annonça-t-il sans préambule. Les Gurentai ont rendez-vous ce soir avec Goichi Takamura, aux docks de la baie d’Osaka. Ce mec est un trafiquant d’arme, il bossait pour nous en expédiant nos colis dans toute l’Asie du Sud-Est avant de nous lâcher l’année dernière. Il y a marqué Orphan, pas loin de son nom.

- Quelle heure ?

- Là, maintenant !

- J’y vais, déclara-t-elle d’un ton sans appel. Je suis en bordure de la ville en ce moment, je peux être là-bas en moins d’une heure. Avec un peu de chance, j’arriverais avant qu’ils ne lèvent le camp. Envoie-moi les coordonnées exactes, j’appelle un taxi.

- Je…

Elle raccrocha sans autre forme de procès, le laissant seul avec la tonalité de la ligne résonnant dans le récepteur.

**********

Le véhicule la déposa à quelques centaines de mètres des entrepôts. Shizuru effectua le reste du parcours à pied en prenant soin d’éviter les flaques de lumière jaunes jetées par de vieux lampadaires au bord de la route. Elle ignorait dans quelle mesure les environs étaient surveillés. Seule et sans arme, elle ne pouvait pas se permettre de prendre le moindre risque. Dès qu’elle le put, elle quitta l’accès principal et coupa à travers le terrain vague qui bordait les formes trapues des entrepôts tassés le long des docks. Dans l’obscurité, les bâtisses massives ressemblaient aux cubes d’un jeu de construction géant. Les odeurs d’iode et de fioul se faisaient de plus en plus fortes à mesure qu’elle approchait, portées par un vent marin glacial et elle fut bientôt assez proche pour apercevoir les squelettes métalliques des grues qui s’élevaient derrière les hangars.

Shizuru enjamba les restes d’un grillage tordu, dévoré par la rouille et se coula dans l’ombre des parois en tôle. C’était ici qu’avait lieu le rendez-vous, mais les environs semblaient déserts, arrivait-elle trop tard ? Ou bien les Gurentai avaient-ils annulé le rendez-vous en découvrant qu’on leur avait volé des informations ? Elle progressa jusqu’au hangar suivant et se figea dans les ténèbres en entendant un crissement de graviers contre le sol cimenté.

- Qu’est-ce qu’ils foutent là-bas, ils auraient déjà dû revenir pour embarquer la dernière caisse ! râla une voix d’homme.

- Ils se sont peut-être fait bouffer…

Des ricanements s’élevèrent.
Shizuru risqua un coup d’œil et compta trois ombres. Il y avait probablement d’autres yakuza le long des docks et devant la porte du hangar. Les marchandises restantes devaient être à l’intérieur. La jeune femme commençait à avoir une petite idée de ce qui était en train de se tramer mais il fallait qu’elle en ait le cœur net. Elle revint sur ses pas, escalada un empilement de caisses plaquées à l’angle du hangar et se hissa à la force des poignets en s’agrippant à la gouttière pour atteindre le toit. Les vis émirent un grincement menaçant lorsqu’elle s’éleva, qui lui sembla plus bruyant qu’une alarme. Elle pria pour que personne ne l’ai entendue et pour que la gouttière supporte son poids quelques secondes de plus. Le souffle court, elle se tendit pour atteindre une poutre d’acier qui s’avançait à l’extérieur et resta pendue quelques instants dans le vide avant de s’y installer à califourchon. Elle était sur le bras d’un treuil de chargement mobile qui traversait le hangar, réalisa-t-elle en voyant la chaîne en métal grosse comme son poing qui y était logée. Et il y avait juste assez d’espace entre les tôles de la paroi et celles du toit pour qu’elle puisse se faufiler à l’intérieur.

Des lampes-torches étaient disposées sur le sol et dispensaient une lumière diffuse contre les caisses. Il y avait quatre hommes dans l’entrepôt et Shizuru en devina au moins un autre dont l’ombre s’étirait dans la clarté nocturne filtrant par l’entrebâillement de la porte principale. L’un des yakuza portait une sorte de canne courte et Shizuru reconnut un fourreau de katana lorsqu’il le cala sur son épaule.  « Jinta-le-dingue », tel qu’il s’était lui-même présenté après avoir tranché la main d’un membre du Fujino-kai. Shizuru était trop loin pour distinguer les détails de son visage mais elle entrevit dans la pénombre des traits acérés, taillés à la serpe.

Un grondement étouffé monta d’une caisse isolée et Shizuru réalisa qu’il s’agissait en fait d’une cage. Un homme aurait pu se tenir debout à l’intérieur et, en plissant les yeux, elle aperçut des touffes de poils sombres qui perçaient entre le maillage des grilles. Un Orphan. Vendu à un trafiquant d’armes. Shizuru l’avait redouté à l’instant où Kohei lui avait décrit ce qu’il avait lu dans le fichier protégé.

- La ferme ! hurla Jinta en décochant un coup de pied dans la cage.

Les grondements redoublèrent d’intensité et il se mit à rire.

- Si ces connards ne se magnent pas pour venir récupérer le dernier, je le libère et ils pourront tester eux-mêmes la marchandise ! cracha-t-il.

- Heu…pas de blagues, le calma un des yakuza, peu rassuré. Ces trucs sont incontrôlables…

- Exactement, susurra Jinta avec délectation. Je suis prêt à parier que l’un d’eux se libèrera avant la fin du voyage et fera un carnage à bord avant qu’ils pigent ce qui se passe. Bah, s’ils ne veulent pas attendre d’en avoir des dressés, c’est leur problème, lança-t-il comme si ça n’avait aucune importance.

Shizuru en avait assez vu et entendu. Elle pivota lentement et rebroussa chemin…

- Hé ! C’est quoi ça !

- Y a quelqu’un là-haut !

Shizuru sentit son sang se geler dans ses veines et rampa aussi vite qu’elle le put vers le carré de ciel nocturne. Des cris retentirent et des coups de feu résonnèrent comme des claquements de tonnerre dans l’enceinte métallique. Ramper, se redresser, sauter et courir le plus vite possible à travers le terrain vague…mais dehors, les yakuza faisaient le tour du bâtiment et Shizuru savait qu’elle n’avait aucune chance en terrain découvert. Elle fit volte-face et bondit pour saisir à pleine main le rebord du toit en tôle qui lui déchira les paumes. Elle se hissa, le cœur battant la chamade et roula sur les plaques en acier. Des balles fendirent l’air à l’endroit où elle se trouvait une fraction de seconde auparavant.

- Sur le toit !

BANG !

Sous ses pieds, la tôle se déchira comme du papier, traversée de part en part par une rafale de mitraillette tirée de l’intérieur.

Shizuru recula frénétiquement. Fuir, fuir, fuir…où ?
Elle se rua en avant, vers la carcasse décharnée d’une des longues grues du port qui s’élevait entre la mer et elle et bondit, aussi loin qu’elle le pouvait.
Incapable de calculer la distance qui la séparait de la structure en acier dans l’obscurité, Shizuru rata la poutrelle supérieure et s’écrasa contre celle d’en dessous. Elle sentit ses côtes craquer lorsque son corps percuta le métal. L’instinct de survie la fit s’accrocher à la poutre pour ne pas basculer en arrière, comme un naufragé à son radeau, le souffle coupé net et un cri de douleur muet aux lèvres.

- Il est passé où ?

Ses paumes ensanglantées glissaient contre l’acier et lorsque Shizuru parvint à se hisser, sa vision bascula un instant. Elle força un peu d’air dans ses poumons, d’une inspiration douloureuse qui lui brûla la poitrine comme une coulée de lave. Monter.

 - Par ici !

- Devant !

Le sang lui battant les tempes, elle trouva quelque part la force de se redresser et de grimper jusqu’à la poutrelle supérieure. La mer était juste devant elle, gigantesque miroir d’obsidienne.
Shizuru s’élança, la tête rentrée dans les épaules, guettant la rafale qui la faucherait en pleine course. Les balles sifflèrent et s’écrasèrent en une pluie d’étincelle contre le métal.
Elle sauta la tête la première.
Traversant l’air, Shizuru se tendit comme un arc et plongea dans les eaux sombres et glacées.
Elle s’obligea à nager le plus loin possible en longeant les docks, pour profiter de l’ombre qu’ils projetaient sur la surface.
Autour d’elle, l’eau polluée du port semblait épaisse, lourde et grasse comme de l’huile de moteur. Au moins, le froid avait le mérite de lui éclaircir les idées. Shizuru grimaça et remonta à l’air libre le plus lentement possible. Une goulée d’oxygène et elle replongeait, en sécurité dans l’obscurité des flots, pour s’éloigner davantage.

Les yakuza ne la retrouveraient plus, maintenant. Dans la nuit, il était quasiment impossible de déceler quoi que ce soit à la surface de l’eau sculptée par le vent. Elle pouvait être n’importe où. Et ils ne pouvaient pas prendre le risque de s’éterniser ici.
Shizuru s’arma de patience et se prépara à passer l’heure suivante immobile dans l’eau glacée, pour leur laisser le temps de quitter les lieux et s’accorder une marge de sécurité confortable. Les minutes à venir allaient être longues…

********************

Natsuki dormait lorsque le claquement du verrou la tira de ses rêves, suivit du glissement feutré d’une porte que l’on ouvre.

- Shizuru ?

La solitaire se leva et alluma la lumière qui éclaira le petit hall d’entrée. Elle tomba nez-à-nez avec son amie qui lui adressa un salut de la main en écartant des mèches de cheveux humides de son visage. Éberluée, Natsuki la vit ôter ses chaussures couvertes de boue alors que ses habits, scandaleusement plaqués contre sa peau, gouttaient lentement sur le parquet.

- Shizuru ! Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu es trempée et…

- J’empeste la vase et le fioul, acheva son amie. Ara ara, une douche s’impose, sourit-elle avec entrain comme si c’était la chose la plus naturelle au monde.

- Tu es blessée, surtout ! s’écria la solitaire en apercevant les plaies qui s’ouvraient dans le creux de ses mains. Qu’est-ce qu’il t’est arrivée ? Laisse-moi voir ça…

- C’est bon, je vais bien, je t’assure. Laisse-moi le temps de reprendre une apparence humaine, et je t’expliquerai tout après.

Elle se sentait gelée jusqu’aux os. En la voyant frissonner, Natsuki la laissa s’esquiver dans la salle de bain, interloquée, et alla lui chercher des vêtements secs.

*******************************

Shizuru s’observa dans la glace en grimaçant. Une énorme marque rouge s’étalait en travers de son corps, juste sous sa poitrine, et commençait à prendre une teinte violacée. Elle inspira avec prudence et palpa doucement la peau à cet endroit. Elle avait mal, mais avec un peu de chance il n’y avait rien de cassé, juste de sévères contusions. Shizuru n’était pas médecin mais estimait que si elle ne hurlait pas de douleur et qu’elle pouvait respirer sans trop souffrir, ça ne devait pas être bien grave.

Elle passa un t-shirt noir et un short que Natsuki avait déposé dans la salle de bain quelques minutes auparavant, alors qu’elle laissait avec délice l’eau brûlante la réchauffer. En temps normal, Shizuru ne s’en serait pas formalisée mais son cœur avait manqué un battement quand elle s’était rappelée du tatouage qui ornait son dos. Heureusement, le rideau de douche était entièrement opaque et, de toute façon, si Natsuki était aussi pudique qu’autrefois, Shizuru était prête à parier qu’elle avait gardé les yeux rivés dans la direction opposée. Et elle pouvait s’estimer heureuse que la solitaire ne lui ait pas apporté un débardeur !

Elle revint dans la chambre où son amie l’attendait, pensive, assise sur son lit devant un plateau où était déposée une tasse fumante. La solitaire lui avait préparé du thé.

- Ookini, Natsuki, remercia Shizuru, touchée par l’attention.

- Donne-moi ça, je vais m’en occuper, pendant que tu me racontes ce qu’il t’est arrivée, demanda-t-elle en lui prenant le rouleau de gaze qu’elle tenait et en lui faisant tendre les mains devant elle.

Shizuru se laissa faire avec un peu d’appréhension mais estima que si Natsuki tenait à s’occuper d’elle ce soir, elle n’allait tout de même pas refuser. Elle s’assit sur le matelas à côté d’elle et la solitaire banda ses paumes blessées avec application pendant qu’elle lui racontait toute l’histoire. Elle passa sous silence la véritable identité de Kohei, qui passa du statut de yakuza à celui d’apprenti hacker du département informatique de son université.

- Tu aurais pu me prévenir, bouda Natsuki, en collant un morceau de sparadrap en travers des bandelettes qui enserraient sa main droite.

- Je n’ai pas eu le temps, j’ai dû partir immédiatement à Osaka. Je n’étais même pas sûre de ce que j’allais trouver là-bas.

- Des ennuis, la preuve, grommela la solitaire.

Shizuru s’adossa contre le montant du lit et pinça les lèvres lorsque ses muscles meurtris protestèrent.

- Tu es blessée ailleurs ?

- Je vais bien, ce n’est rien, assura Shizuru, surprise que Natsuki ait remarqué.

- Alyssa fait la même tête quand elle me cache un gros bobo. Montre-moi. Allez !

Shizuru releva un bout de son tee-shirt, révélant une peau pâle marbrée d’indigo. Tiens, la couleur avait changé depuis tout à l’heure, nota la fille de Kyoto. Natsuki inspira entre ses dents avec une grimace, avança la main comme pour toucher et suspendit finalement son geste.

- Il n’y a rien à faire, à part attendre, conclut Shizuru en laissant le tissu masquer la blessure. Ne t’occupe pas de ça, insista-t-elle en la voyant regarder son tee-shirt avec inquiétude, il y a plus important pour l’instant.

Natsuki hocha la tête d’un air peu convaincu avant de la regarder en face.

- Asward vend ses orphans, déclara-t-elle. Ils n’ont pas peur de perdre leurs clients en court de route ?

Ces créatures n’étaient pas invincibles, mais elles étaient suffisamment rapides et puissantes pour faire des dégâts considérables et tuer plusieurs hommes avant d’être maîtrisées !

- Des armes biologiques. Et vu les acheteurs, probablement des terroristes ou des individus de la même espèce, je n’ose pas imaginer à quoi ils vont servir. Mais il y a autre chose. Asward projette de dresser des Orphans, afin qu’il soit possible de les contrôler facilement.

Natsuki pâlit brusquement en comprenant où son amie voulait en venir.

- Tu m’avais bien dit…qu’Alyssa était parvenue à maîtriser une de ces choses, n'est-ce pas ? demanda doucement Shizuru.

- Ces types ont enlevé Ayssa…pour qu’elle dompte leurs Orphans ?

- J’en ai bien peur.

Natsuki se laissa retomber en arrière, sur le matelas.

- Ils sont complètement fous…je n’y ai pas pensé un seul instant…je…je croyais qu’ils voulaient recréer une HiME…pas l’utiliser de cette façon…

Shizuru se frotta les yeux comme pour en ôter la fatigue et s’allongea précautionneusement, en espérant diminuer la douleur dans ses muscles.

- Ce n’est qu’une hypothèse…mais si elle est correcte, c’est plutôt une bonne nouvelle. Alyssa est en vie. Et probablement en un seul morceau. Ce yakuza n’aurait pas parlé de ça si leur projet de maîtriser les Orphans avait été abandonné.

- Je…je suppose…

Natsuki s’imagina sa sœur, frêle et sans défense, face à un de ces monstres, et frissonna. Elle secoua la tête. Alyssa n’était pas si faible, loin de là. Sa petite sœur avait un mental d’acier et avait survécu aux horreurs qu’on lui avait fait subir dans des laboratoires pendant des années. Malgré les apparences, c’était une gamine incroyablement tenace et têtue. Elle ne devait pas l’oublier. Aussi pénible que soit sa situation, Alyssa tiendrait le coup.

Jusqu’à ce que je vienne la chercher.

Et à ce moment, elle ferait payer cher à ces types qui l’avaient replongée dans ce cauchemar.

Natsuki se tourna vers Shizuru qui dormait à poings fermés.
Son amie était exténuée et elle ne songea pas un instant à la réveiller. Elle considéra d’aller passer le restant de la nuit sur le canapé du salon, avant d’écarter cette idée tout aussi vite : c’était un lit deux places après tout. Et elle n’allait pas agir comme si l’idée de dormir à trente centimètres de Shizuru lui posait un problème, alors que ça n’était pas le cas.

Elle alla chercher une autre couverture pour son amie, en se rappelant que quelques mois auparavant elle s’était demandée dans quelle mesure elle serait encore capable de faire confiance à Shizuru. Cette idée lui parut incroyablement déplacée, lorsqu’elle songea à ce que la fille de Kyoto avait accompli pour elle ce soir.

Natsuki étendit la couverture sur Shizuru qui s’y blottit d’elle-même en se tournant dans son sommeil, et repensa à leur discussion dans le parc, amusée. Qui aurait cru que ce serait elle, la solitaire, qui chercherait un peu de reconnaissance et d’attention dans les yeux de son amie ?

Elle s’allongea à son tour avec un étrange soulagement et l’impression qu’une petite main se refermait doucement sur son cœur, comme la dernière fois. Elle ne put savourer ce sentiment très longtemps : Natsuki éteignit la lumière en laissant échapper un soupir lorsque les dernières paroles de Shizuru lui revinrent en tête. Alyssa. Elle n’était pas prête de retrouver le sommeil.

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