I live, I die, I live again

Chapitre 3 : Une noix difficile à briser

1950 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/02/2020 07:41

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Les uns contre les autres (février-mars 2020).

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Sur les parois de la grotte, la lumière glisse à l’inverse d’un liquide : s’accumulant sur les reliefs, disparaissant dans les cavités. Elle vacille comme si elle allait à chaque instant s’éteindre, et pourtant l’ampoule continue de briller au bout du long double-fil qui la relie à la batterie de Volta. Un geste brusque et son crochet est planté dans la pierre, au-dessus de sa tête. La roche s’effrite. L’ampoule suspendue se balance et toute la lumière semble tourner jusqu’à l’entrée de son refuge. Au dehors, le jour est presque mort et la chaleur avec lui.

Avec une forme de précaution, elle retire les bandages qui la protègent du sable, et qui sont l’apanage des Buzzards. Ceux de ses bras, ceux de ses jambes et ceux de sa tête, jusqu’au foulard humide de son haleine et de sa sueur après les heures de travail. De ces oripeaux de voyage, elle ne possède qu’un seul jeu. Contre la paroi, le large sac de toile rude où elle a stocké tout le cuivre débité repose comme un ossuaire, et à côté, elle a jeté le War Boy.

Pour endiguer l’hémorragie de sa jambe, elle a fait ce qu’elle a pu. L’essentiel, finalement, pour s’octroyer le temps nécessaire à le livrer. Elle ne sait pas combien il a de côtes fendues au châssis ni en combien de pièces est réellement sa jambe. Les brûlures sont difficiles à distinguer du reste et son épaule s’est plus ou moins replacées dans l’axe pendant le transport. A présent, il a aussi une longue trace de cisaille à cuivre sur le sommet de son front blanc. Il ne s’est pas poudré depuis plusieurs jours, c’est une évidence, et les seules marques au cambouis qu’il possède sont sous son nez et autour de ses yeux. Une toute fin de demi-vie qui y passera en deux jours sans transfusion, avec de la chance. L’étendue des peintures au cambouis ne trompe pas, chez les War Boys, Volta en a vu assez pour savoir. Et le moins ils en ont, le plus dangereux ils sont car il sont réellement en bout de course.

— J’ai intérêt à me grouiller, demain, souffle-t-elle en tirant son sac jusqu’à elle, mais ses yeux sont toujours sur lui, qui semble enfin émerger.

Elle prend un risque, en faisant ça : même à demi ouvert, même quasiment canné, il a eu de bons réflexes, plus tôt. Il vaut certainement même plus que ce dont il s’est vanté. Si les rumeurs sont vraies, à la Citadelle, ne restent plus que les War Boys inaptes à se battre sur la Fury Road, et les War Pups aux bras encore si immatures qu’ils ne soulèvent même pas les capots. Tout le reste a servi de chair à pneus et à poudre, dans une tentative enragée d’elle ne sait même pas quoi. Le mot guerre suffit à décrire tout ça, de toute façon. Ils voudront sûrement rafistoler celui-là, même s’il ne lui reste sans doute intrinsèquement que très peu de temps à vivre. Elle ne doute pas qu’elle sera effectivement récompensée. En attendant, son poignard reste à son côté.

Tandis qu’il fait rouler sa tête sur la paroi, elle fouille dans les poches latérales de son sac et en tire un autre morceau de cuivre. Une longue tige, effilée, qui ne lui demandera plus que peu de boulot. Sa tréfileuse manuelle, elle l’a fabriquée elle-même et la ressent comme un prolongement de son bras. Il ne lui faudra que quelques instants pour que sa seconde ampoule soit à nouveau fonctionnelle. Mordre, tirer, souffler sur les poussières et recommencer. Le Way Boy a ouvert les yeux. Bleus comme ça, il a souvent dû en chier dans la réverbération.

Il regarde sa jambe, essaye de prendre une respiration ample – ce qui échoue – puis semble faire le focus sur l’endroit où il se trouve. La couleur ocre de la roche ne le trompera pas : ils sont toujours sur le territoire des Rockriders, tournés vers la plaine, cependant. A l’extérieur du défilé. Elle a un peu dégusté pour le hisser là-dedans, mais le sac de cuivre était plus lourd encore. Même si elle se concentre sur son ouvrage, elle perçoit qu’il évalue la situation. S’il se remet à lui balancer n’importe quoi, à commencer par ses rouleaux de cuivre, elle l’achèvera et décidera que la récompense n’en valait pas le désagrément.

— Qu'est-ce que tu fais ?, l’entend-elle dire.

Volta s’applique et ne le regarde plus.

— Quelle importance.

— C'est du fil.

— Tu vas pas recommencer.

Elle le sait, que les War Boys sont une flopée de grandes gueules dont seuls les plus siphonnés et impulsifs tiennent le coup jusqu’à avoir le temps de grossir deux lymphomes comme ceux-là. Devoir scier quelques-uns de ces dévots sur la Route, c’est une chose. Mais s’en farcir un pour une nuit, c’est pire qu’un clou dans la chambre à air. Elle pince, puis tire un grand coup sur son fil qui se sépare largement en trois filaments, longs d’une coudée et plus fins que les dernières herbes jaunes. Du bout des doigts, elle les entortille en une sorte de tresse bien serrée, puis – de sa petite boîte – elle tire son aiguille. Une inspiration brusque, et elle sent que son fardeau bavard vient de se tasser contre son sac de collecte.

— Déjà une fois, pas deux.

— Hein ?

La mince tresse de cuivre passe dans le chas.

— J'ai déjà été cousu. Une fois. Pas une deuxième.

Les mains dégantées de Volta restent un moment suspendue, le triple fil au milieu de la boucle métallique de sa grossière écharde à points. Elle avise les hachures incrustées de restes de chrome qui lui servent de lèvres. Elle avait pris ça pour d’autres stupides scarifications morbides ou mécaniques, mais – nul doute – il ne raconte pas de vran'ye. Le fil poursuit sa route et elle le tire en arrière, son aiguille apprêtée.

— Je vais pas te coudre. Mais chert voz'mi tu sais que je peux comprendre ceux qui t'ont fait ça.

Elle envoie sa main droite fouiller dans son sac et en tire un culot fait du dernier liège de ce monde. Rare. Gris et lisse à force d’être frotté, traversé de part en part par deux fils enrobés qui viennent boucler à la sortie. Franchement, à supporter un tel moulin à paroles dans des garages, elle ne garantis pas qu’elle ne l’aurait pas carrément balancé depuis là-haut jusqu’aux gravats du pied de leur Citadelle. C’est pas de chance, mais elle devra faire avec. Elle a bien compris que même au bout du bout, celui-là foncera la bouche ouverte. En attendant, si elle veut qu’il tienne encore un jour, il va devoir refaire au moins un quart-de-plein.

— Il y a de l'eau à côté de toi.

De son menton, elle lui désigne l’outre, à sa droite. A présent, la tresse de cuivre est tendue sur le dessus du culot, et elle déballe un objet. Un bulbe transparent fait d’un verre inégal déjà largement brossé par le sable.

— On s'en cogne si ça fait mal, ajoute-t-elle. Force toi.

Quelques mouvements du poignet et l’ampoule est fermée. Elle n’a pas de quoi y faire le vide mais tant pis. Alors, elle remonte le double-fil qui en repart, jusqu’au boitier électrique où la première ampoule est déjà branchée. La batterie ronronne dans l’exiguïté de la grotte, et ce bruit blanc a quelque chose de rassurant. Clic. La seconde ampoule s’allume comme un petit Soleil au milieu du filament échaudé. Elle semble satisfaite. Et à un nouveau crochet, au-dessus de la tête du War Boy, elle vient suspendre le fruit de ce bref labeur.

— C'est bon, dit-elle en se rasseyant, et en remplaçant sur ses genoux sa petite boîte par une autre, deux fois plus grande. Noire.

— Tu sais faire du fil à lumière, balbutie le War Boy, et elle n’a pas besoin de confirmer l’évidence.

Il en a sans doute déjà vu, des ampoules fabriquées par les siens voire elle-même, toutes celles de la Citadelle étant monnayées aux Iskra contre des litrons d’Aquacola. Leurs batteries aussi sans doute. Peut-être même en a-t-il même monté sur l’un des véhicules qu’il a conduits. Volta soulève sa boîte et regarde au travers d’une pièce translucide, sur le côté.

— Il faut des petits doigts, lui dit-elle, et elle remarque qu’il l’examine pour la première fois autrement que sous l’angle de sa cisaille ou de son aiguille.

— Tu as vécu… T'as moins de six-mille jours.

— Et alors.

Elle le fixe, prête à ouvrir sa boîte tandis qu’il attrape l’outre et finit par boire. Est-ce qu’il parle toujours comme ça, par start-and-stop ? Sûrement, il pense aussi comme ça en dedans. Elle hausse les épaules.

— A moi au moins, il m'en reste encore quelques-uns.

Peut-être autant, qui sait. Pour l’instant, elle n’a que ces tâches sur la peau qui semblent ne même pas grossir si rapidement. Il cligne des yeux. Elle sent bien que ce qu’elle a dit ne se heurte pas à du métal. Et alors, elle ouvre sa boîte dont s’échappent une douzaine de gros papillons de nuit. Gris-bruns, poilus, pourvus de motifs annelés. Des Moths, comme son père les appelle.

— T'as raté une belle occasion, dit-elle, et elle ne sait pas pourquoi elle continue cette conversation. Un Tatra T815 te passe dessus, tu essuies le bingle en chaîne de tout ce fatras d’engins derrière, tu as au bas mot une demi-douzaine de craques à la carlingue et t’es toujours là.

Une noix difficile à briser.

— Je m'en fous.

Cette réponse vient plisser le regard sombre de Volta.

— Toi tu t'en fous ?

Il est un War Boy, au milieu d’événements que – de l’Est à l’Ouest des Wastelands – tous devinent à présent historiques, et il s’en fout de ne pas y passer héroïquement ? Finalement, il a du se réduire en bouillie le cerveau dans le canyon, elle ne voit pas d’autre raison.

Un silence s’installe et les papillons viennent voler autour des deux ampoules, juste au-dessus de leurs nez. Frénétiquement. Irrépressiblement attirés par la lumière qui les possède comme d’autres se laissent aliéner par l’eau ou la vitesse. Elle rattrape la gourde : il est hors de question qu’il la siphonne. Et alors, levant son doigt en direction des bestioles aveuglées qui s’agitent au-dessus de l’ample cicatrice qui lui barre le visage en suivant la forme de lunettes trop de fois portées près des tempêtes, elle lui pose comme un ordre :

— Mange.

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