Speak of the Devil

Chapitre 3 : Le truc le plus mignon du Paradis

3384 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/06/2017 13:28

3 Le truc le plus mignon du Paradis


Amenadiel

Amenadiel surveillait Chloé de loin, particulièrement quand elle officiait dans la journée car il travaillait de nuit. Pas tellement parce que Lucifer lui aurait demandé cela comme une faveur, mais parce qu'il se doutait que son frère sous-estimait grandement sa capacité à rester loin d'elle très longtemps. Lucifer trouvait toute règle ennuyeuse et la contrainte lui filait de l'urticaire.. Le fait qu'il s'agisse des siennes propres ne changeait rien à l'affaire. Tôt ou tard - et plutôt tôt que tard - il allait rappliquer.

La nuit dernière, en se rendant à son travail, il l'avait aperçue dans un bar avec Maze, et il avait bien reconnu cette gaieté factice orchestrée par l'alcool. La jeune inspectrice n'avait pas l'air d'aller bien. Pâle, cernée, électrique... Elle prenait mal le désistement inexpliqué de Lucifer, de toute évidence, et cherchait à oublier en vain qu'il ne lui avait héroïquement sauvé la vie, au péril de la sienne... que pour mieux l'abandonner juste après. La pauvre fille n'avait pourtant rien fait de mal. Absolument rien.

La surconsommation de Chloé l'inquiétait vaguement. Il n'était pas sûr qu'il puisse s'en ouvrir à Maze – notamment pour lui demander d'arrêter de la faire boire inconsidérément – car elle l'enverrait paître et traiterait de vieux rabat-joie coincé (en termes plus fleuris) et puis le dossier aurait été clos. Il savait pertinemment que sans une très bonne nouvelle, l'inspectrice n'avait que peu de chances d'aller mieux rapidement.

C'est donc avec une certaine mauvaise conscience qu'il s'apprêtait encore à devoir demander conseil au bon Dr Martin à ce sujet, pour savoir quoi faire dans ce genre de circonstance. Pourtant, la conversation avait dévié sur tout autre chose…

.

Marchant entre les visiteurs le long des couloirs du Hammer Museum pour aller rejoindre Linda à l'accueil et l'ange se demandait comment faire pour ne pas avoir l'impression à chaque fois de l'utiliser... Lucifer avait déjà naturellement tendance à faire valoir son droit à des séances et des coups de main inopinés, sans jamais se demander une seconde si elle était disponible ou si elle n'avait pas mieux à faire.

Qui était Linda Martin ? Les murs de son bureau montraient ses diplômes obtenus de nombreuses années auparavant mais elle ne parlait jamais d'elle. Il était normal qu'un thérapeute n'évoque pas sa vie pour ses patients mais elle avait plusieurs fois utilisé le terme d'amie que ce soit pour Maze ou Chloé. Était-elle mariée ? Avait-elle des enfants ? Ou consacrait-elle son temps exclusivement dévouée à ses patients ? Il trouvait la situation profondément injuste pour elle mais n'osait pas lui en parler de peur d'avoir l'air trop intrusif.

Parce que bon, c'était vrai qu'il était intimidé.

Il avait conscience qu'elle était vraiment gentille et qu'elle faisait de son mieux pour les aider tous. Il aurait seulement aimé comprendre pourquoi elle faisait ça.

Dans le hall d'accueil, il était en train de lui dire quelques mots de bienvenue quand la fine silhouette de Mazikeen était apparue à l'improviste à leurs côtés, les faisant sursauter tous les deux quand elle leur tapa à chacun sur l'épaule. Vile manie d'apparaître sournoisement comme ça !

— Ha ! C'est pour ça que tu refuses mes invitations ! lança la piquante démone, sans qu'on sache très bien auquel des deux elle s'adressait.

Planté gauchement en face d'elle, Amenadiel fronça un sourcil confus tandis que Linda arborait une expression étonnée. L'ange répondit toutefois aussitôt du tac au tac.

— Je croyais que tu avais dit que le Musée c'était, et je te cite, "chiant comme la mort"...

— Et je ne retire pas ce que j'ai dit ! confirma Maze en écarquillant les yeux sur le décor avec une moue méprisante.

— Vous ne voulez pas vous joindre à nous pour regarder l'exposition sur les Symbolistes ? questionna Linda avec une minuscule pointe de perversité planquée sous un air bon-enfant.

— Vraiment pas ! Mais si vous sortez ensuite dans un endroit où l'on peut vraiment s'amuser, appelez-moi !

La démone avait tourné des talons, fait voler ses longs cheveux bruns et avec un clin d'œil égrillard pour l'ange, était partie en roulant ses hanches gansées de cuir. Linda avait observé discrètement l'embarras ostensible de son compagnon tandis que Mazikeen déjà près de la sortie, les saluait en levant les pouces et en mimant l'acte sexuel d'un souple coup de hanches vers le haut.

— Y a-t-il… quelque chose entre vous et Mazikeen ?!

— Maze ? s'étrangla-t-il presque. C'est… c'est un démon ! Est-ce que vous pensez vraiment qu'on a quoi que ce soit en commun ?

— Bien sûr que non, acquiesça Linda diplomatiquement. De toute évidence, elle n'agit ainsi que parce qu'elle est une fidèle amie de Lucifer, juste pour se moquer de vous et vous ennuyer ?

— Exactement !

Il eut soudain une conscience aiguë du piètre menteur qu'il faisait.

.

Ils déambulaient lentement entre les larges cadres depuis une heure, prenant le temps de parfois s'arrêter pour les commenter à mi-voix, ce qui les obligeait à marcher assez proches l'un de l'autre. Linda s'était étonnée de toutes ses connaissances en matière d'art, il avait juste répondu que ça lui rappelait "chez lui, mais en moins beau". Sans aucune trace d'humour.

Alors qu'elle s'apprêtait à lui demander de la façon la plus détachée et délicate qui soit à quoi ressemblait alors le Paradis, il s'était arrêté devant une toile, se tournant vers sa blonde accompagnatrice.

— Que pensez-vous de celle-ci ? questionna-t-il avec un coup de menton pour la désigner.

— Très belle facture, argumenta-t-elle en s'approchant de la peinture, les coups de pinceaux semblent évanescents, le dessin est parfait, très réaliste, si on aime ce genre. C'est une imitation moderne du style symboliste… oui, très moderne, confirma-t-elle en prenant connaissance de la date récente de l'œuvre.

— Je voulais dire, le sujet du tableau. Vous avez entendu parler d'elle, j'imagine.

— Pallas Athéna ? Évidemment... s'étonna Linda en reconnaissant les attributs classiques de la déesse que le peintre avait tous figurés en détail délicats.

Le casque à cimier, l'égide, la lance, la chouette… Elle contempla le tableau présentant une belle femme à la toge rouge, puis questionna du regard Amenadiel, attendant qu'il développe un peu son propos.

— Vous savez peut-être ce qu'on raconte sur sa naissance, l'aiguilla-t-il en plissant un peu les paupières.

— Oh ! fit Linda en s'illuminant soudain. C'est de cela que nous sommes en train de parler ! Excusez-moi, je n'y étais pas !

— Oui, quand je vous ai dit que je n'étais pas né enfant. Je voulais vous montrer un précédent culturel avec lequel vous devriez être plus familiarisée...

— Certes Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse… commenta-t-elle. Née casquée et armée tout droit du crâne de son père Zeus. Mais je dois vous dire que les dieux de la mythologie grecque ne sont plus considérés comme les tenants d'une religion, mais plutôt les personnages toujours célèbres de très vieux auteurs classiques. Vous vous trouvez des points communs avec elle ?

— Juste un : je commandais l'Host Céleste pour mon Père. Mais je ne crois pas être particulièrement reconnu pour ma sagesse, si c'est ce que vous essayez de me faire dire, ajouta-t-il en guettant sa réaction.

— Je n'essaie rien du tout. Et donc tous vos frères et sœurs à l'exception de Lucifer et Uriel sont nés… adultes ?

— La plupart oui.

— Je serais assez curieuse de savoir à quoi ressemble une naissance divine.

— Oh, ça je m'en doute… Mais on n'en verra plus avant longtemps maintenant. Je veux dire… compte-tenu de l'état des relations entre mes parents !

Sourcils froncés, le docteur Martin venait d'être frappée par une idée et s'arrêta d'avancer au milieu de la galerie. Elle s'approcha insensiblement du géant noir pour éviter que d'autres visiteurs ne s'étonnent de ses propos.

— Pourquoi ? Vos parents seraient-ils les seuls à faire des enfants ? Vous ne pouvez pas en avoir ?

Amenadiel s'arrêta, plissa ses paupières légèrement bridées encore plus franchement pour demander sur un ton mi-moqueur, mi-inquiet en se penchant sur elle :

— Est-ce que ce genre de rapports n'est pas prohibé au sein de la même famille, même chez les humains ?

Le petit visage rond de la thérapeute resta un instant figé, comme elle faisait toujours lorsqu'elle réfléchissait intensément et venait de comprendre quelque chose.

— Oh mon Dieu ! inspira-t-elle. Est-ce que vous sous-entendez qu'aucun d'entre vous n'avez jamais de relations sexuelles parce que vous êtes tous réellement de la même famille ? Vous n'avez même pas de... cousins éloignés, issus d'une autre... branche ?

— Docteur, est-ce que nous sommes vraiment en train d'avoir cette inusable conversation sur… le sexe des anges ? soupira-t-il.

Amusée par la formule et par son esprit, elle se mit à rire spontanément avant de se reprendre un peu mais le regard toujours pétillant.

— Pardonnez-moi mais… oui ! Mon intérêt est purement… médical et professionnel, je vous assure.

— Bien entendu, répondit-il en l'imitant à dessein. Si vous voulez tout savoir, en fait, si. Nous avons bien, comme vous dites, des "genres de cousins". Mais pendant un temps infini nous n'y pensions même pas, répondit-il en évitant soigneusement de la regarder.

— Et qu'est-ce qui a changé ? s'intéressa-t-elle.

— Vous savez bien quoi, bougonna-t-il en se refermant soudain.

— Non, non, pas du tout, protesta-t-elle avec sincérité.

.

Amenadiel s'arrêta délibérément devant un autre tableau quelques pas plus loin, représentant Aphrodite et un minuscule Eros et le désigna d'un geste ouvert de la main. Linda le considéra interdite, faisant aller ses yeux du tableau à ceux de son guide, craignant de comprendre.

— Une œuvre qui ne peut que parler à une psychologue, remarqua-t-elle prudemment. Ce qui est arrivé, c'était… Cupidon ? Le petit dieu ailé de l'amour ?

— Oui, même si ce n'était pas son nom. Quand mon frère est arrivé, il faut comprendre que c'était juste le truc plus mignon que le Paradis avait jamais connu depuis une éternité. Mes parents étaient très heureux quand ils l'ont conçu et ça personne ne pouvait l'ignorer !... Enfin bref, il était minuscule, rose, grassouillet et joyeux, et il riait tout le temps comme si tout ce qu'il voyait autour était une bonne blague. Personnellement et si vous voulez tout savoir, je pensais que la bonne blague, c'était ses ailes de poussin ridicules !... Il fallait le voir froncer ses petits sourcils et se concentrer en vain quand il essayait de voler comme nous, sans comprendre pourquoi il finissait toujours dans l'herbe le cul par-dessus tête... Pas assez de portance, expliqua-il avec un coup d'œil en coulisse. Mais mon frère haussait alors une épaule en marmonnant "encore raté" et se relevait pour cavaler partout en gloussant. Ma mère et mes sœurs le trouvaient adorable. Elles étaient toujours après lui à essayer l'attraper pour le vêtir mais il aimait jouer à cache-cache. Il refusait de s'habiller car il pensait que ça empêcherait ses ailes de pousser et il surveillait anxieusement chaque jour leur croissance trop lente à son goût. Je gage que lui se sentait puni de n'être pas né adulte...

— On dirait que ça au moins, c'est un joli souvenir, commenta Linda.

— Ça l'est.

— Et qu'est-ce qui s'est passé de travers ?

— Un jour ses ailes ont poussé, se sont recouvertes de plumes et elles étaient… splendides. D'une blancheur immaculée et irradiant de lumière. C'était magnifique.

— Et ça, c'est mal ? questionna-t-elle dubitative.

— Non. Mais ce qui était mal et que nous n'avons pas vu venir, c'est que sans nous en rendre compte nous l'avons habitué à recevoir une attention maximale. Toujours fêté, félicité, chouchouté, câliné... particulièrement par mes sœurs... En plus, il faisait la fierté de notre Père alors qu'il croissait en force et en beauté.

— Oh oh, je crois que je vois ce qui s'est passé. Le trop parfait petit dernier faisait de l'ombre aux autres ?

— Quelques-uns de mes frères ont commencé en effet à prendre ombrage de ce... favoritisme. Il a ainsi semé dans nos cœurs et sans le vouloir les premières graines de l'Envie. La première d'une bonne liste de péchés capitaux introduits au Paradis... Assez sagement, toutefois, mon Père a perçu les problèmes venir quoiqu'un peu tard, et a demandé à chacun d'entre nous, les aînés, les plus âgés, de le prendre dorénavant avec nous pour le former à nos domaines respectifs, et afin qu'il passe plus de temps en compagnie de ses congénères.

— Pourquoi ?

— Pour réorienter son énergie sur des activités plus... euh viriles, si je puis dire, répondit Amenadiel avec un certain embarras. Et ça aurait pu marcher. Mon frère y mettait de la bonne volonté. En réalité, il ne cherchait qu'à plaire et était très intelligent. Il faisait ce qu'il fallait pour essayer d'être accepté, mais j'imagine que notre accueil assez réservé n'a pas été assez gratifiant pour lui.

— Vous lui avez battu froid par jalousie ?

— Oui, ça on l'a fait, et bien fait et d'autres petits tours pas très sympas… éluda-t-il. Et nous nous sommes montrés durs avec lui. Il en a été très affecté car c'était la première fois qu'il était exposé à des sentiments négatifs… et nous aussi. Il s'est alors caché longtemps en pensant avoir fait quelque chose de mal. Et ce qui est arrivé pendant ce temps a été pire que tout...

Frappée par un détail qui venait juste de se frayer un chemin au cerveau, Linda resta sans rien dire quelques instants en contemplant le tableau, les joues soudain envahies d'une roseur coupable.

— Êtes-vous... en train d'insinuer depuis tout à l'heure que… Lucifer et Eros ne sont qu'un ?!

— Et bien ? s'étonna Amenadiel, interloqué par sa réaction. Qu'est-ce que ça change au fond le nom qu'on lui donne ? C'est toujours lui !

.


Linda

Et bien, pour elle, ça changeait pas mal de choses ! S'être jetée à la tête de Satan ne résonnait pas tout à fait comme avoir cédé à un dieu antique censé incarner l'amour charnel… Qu'il puisse être, ou avoir été, l'un et l'autre la troublait infiniment. Elle n'avait pas lu la Bible depuis longtemps mais se souvenait que Dieu avait laissé aux humains le pouvoir de nommer et donc définir les choses… Mais Lucifer, Maze et maintenant Amenadiel ne semblaient pas être dupes de ces définitions. Ni tenus d'y accorder le moindre crédit.

Elle n'eut finalement pas tellement le temps d'y repenser hypocritement à tête plus reposée. Les montagnes russes émotionnelles par lesquelles elle en passait avec ces patients surnaturels, la laissaient épuisée et elle se demandait si elle n'était pas définitivement dépassée. Quel est ton péché Linda, l'Orgueil ?

Debout sur la pointe des pieds devant le miroir de sa salle de bains, elle auscultait sans complaisance l'ovale légèrement relâché de son visage, la peau qui commençait à plisser autour de la bouche et les pattes d'oies aux yeux. Sans être laide, loin de là, elle savait qu'elle n'avait plus cet ingrédient magique qu'on appelle la jeunesse et qui était nécessaire à beaucoup d'hommes pour ressentir de l'excitation et du désir.

Or, de ce point de vue, le comportement de Lucifer envers elle lui avait toujours paru inexplicable et quelque peu incroyable. Qu'elle ait pu le trouver absolument irrésistible, très littéralement parlant, passe encore. Il se présentait en effet comme un grand jeune homme brun, exsudant un charme canaille renversant et une légèreté désarmante.

"Ne vous lancez pas la-dedans avec moi, l'avait-il avertie sans détour alors qu'elle se voyait le draguer éhontément, je suis plus addictif que l'héroïne. Une fois que vous commencez, c'est très difficile d'arrêter".

Le ton sur lequel il l'avait dit était celui de la plaisanterie. Mais force était de constater que ce n'était pas des paroles en l'air… C'était un amant expérimenté, enthousiaste, curieux et rebuté par… à peu près rien. Mais si bizarrement détaché. Donc elle comprenait comment, ce diable d'homme aux accents suaves pouvait représenter pour elle une tentation, mais pas réellement pourquoi lui avait proposé leur "petit arrangement" sans sourciller ! Parce qu'il n'avait jamais semblé dégoûté par ses quelques imperfections physiques, elle avait bien sûr pensé qu'il le cachait très bien. Et qu'il avait une autre motivation très importante pour accepter de coucher sans aucun déplaisir apparent avec une femme plus très jeune…

Quand elle avait compris qu'elle commençait à éprouver des sentiments d'affection pour lui, à grand renfort de volonté et d'auto-sermons, elle avait mis un terme à leurs siestes crapuleuses et il avait paru légèrement étonné mais pas insistant. Comme si ça n'avait pas d'importance. Sans doute, cela n'en avait-il pas ? Cela faisait mal évidemment, mais c'était aussi l'indice qu'elle était allée trop loin, et qu'en ce qui la concernait, leur relation avait cessé d'être "insignifiante". Pourtant, pas dérangé le moins du monde, il avait continué à la voir pour lui parler de tout ce qu'il avait sur le cœur. Il ne la voyait pas comme sa thérapeute, à proprement parler, mais comme quelqu'un qui lui expliquait ce qu'il ressentait ou ce que les autres ressentaient.

Aussi s'était-elle sentie presque soulagée en comprenant qu'il éprouvait finalement un intérêt particulier pour la jeune policière avec qui il s'était mis en tête de travailler. Il semblait toujours osciller en permanence entre l'égoïsme, l'inadaptation la plus flagrante et l'immaturité... Il pouvait bien se vanter d'avoir "des millénaires" au compteur, si on lui avait posé la question, elle ne lui aurait pas donné plus de vingt ans… A plus d'un titre, il se comportait parfois comme un parfait connard, mais si inconscient de tout, si sincère dans sa façon d'être à côté de la plaque, qu'il en devenait touchant dans cet apprentissage impatientant, auquel il se livrait pourtant globalement avec assez de bonne volonté.

Avant, elle s'était imaginé qu'il fallait le prendre plutôt comme un extraterrestre découvrant les méandres des relations intimes quand elles ne sont pas sexuelles. Jamais personne n'avait mieux illustré la dichotomie proverbiale entre le sexe et l'amour. Indépendamment de toutes les choses hallucinantes qu'elle venait d'apprendre sur son compte et de la valse de ses étiquettes, elle aurait dit qu'il y avait deux Lucifer se partageant sa névrose : le dandy inconséquent sulfureux, punisseur impitoyable, jouisseur impénitent, et... un jeune homme vraiment amer, anormalement timide pour ce qui était des "relations normales", profondément seul, sans amis, qui tombait amoureux pour la toute première fois et s'en trouvait désemparé.

Graduellement, elle avait vu la jolie inspectrice mobiliser toute l'attention de son patient favori. Pris dans un désir croissant de percer son mystère, il faisait reculer parfois au second plan ses "problèmes familiaux" et elle se sentait relativement rassérénée, car tout ceci lui semblait beaucoup plus sain et aller dans le bon sens (quoique lentement).

Et puis de temps en temps, Lucifer en progrès se permettait une spectaculaire et stupéfiante rechute.

Ironique quand elle y pensait : chute et rechutes de l'ange déçu ! Excellent titre pour un mémoire qu'elle ne pourrait pas écrire. La dernière en date était justement assise sur le canapé juste à côté de lui, exhibant en gloussant et dans l'ordre : son diamant d'une taille indécente, ses faux seins en béton armé, ses jambes interminables et sa cervelle de moineau. Mesdames et messieurs, Candy Morningstar. Madame Candy Morningstar.


(à suivre)


Laisser un commentaire ?