Et la lumière fut

Chapitre 4 : La responsabilité du premier né

2364 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/05/2017 12:36

  • CHAPITRE QUATRE - La responsabilité du premier né


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Avant la chute


- Te voilà enfin Amenadiel !


- Pourquoi m'as-tu appelé ? Morigéna l'ange, visiblement inquiet.


Les deux interlocuteurs qui se faisaient face n'avaient rien en commun sauf peut-être leur longue robe de cette même couleur grise. En effet, celui qui s'était fait appeler Amenadiel, possédait une stature imposante, sa haute silhouette tranchait avec celle plus chétive de l'autre. L'ange à la peau sombre et au crâne rasé était doté d'une indéniable prestance, accentuée par son physique musculeux, ses puissantes ailes noires et cette force tranquille qui semblait émaner de lui comme une évidence. Il avait l'esprit aiguisé d'un commandant et la carrure d'un guerrier. Ce n'était pas pour rien qu'il était la main de dieu, sa rectitude, son premier né.


Il avait tout pour impressionner ses frères.


Et surtout Uriel.


Le cadet de la fratrie ne restait jamais insensible à la présence du colosse, blâmant à chaque fois la création, et Mère plus particulièrement, pour ne pas lui avoir donné les mêmes atouts.

D'une tête de moins qu'Amenadiel, l'ange aux ailes grises et aux cheveux bruns mi-nuque était doté d'un visage pale bien moins gracieux, ponctué d'une froide sévérité qui semblait à première vue, n'autoriser aucune esquisse d'émotion. Si l'ange de la destinée ne se distinguait pas par ses capacités physiques et son expressivité, il se targuait à défaut d'une intelligence exceptionnelle et d'une ferveur sans limite pour leur Père.


- Viens, suis-moi, l'invita t'il en engageant la marche.


Les deux frères se dirigèrent dans un passage situé non loin du pinacle de la flèche. Ici la lumière de la cité d'argent traversait les vitraux pour teinter d'innombrables tâches de couleur les parois d'argent poli. Si l'effet était troublant, il n'entravait aucune tentative d'orientation.


Ou de lecture.


Derrière la balustrade de platine sur laquelle ils se tenaient à présent, la tour était creuse, si bien que son dernier tiers ne formait qu'une seule pièce surdimensionnée. Et partout, noyés sous des vagues d'énergie protectrice, se trouvaient les trésors de la bibliothèque.


Les étagères regorgeaient de parchemins, de livres, et de tablettes gravées il y en avait des milliers, des centaines de milliers même. Des colonnes d'archives relataient l'histoire de leur peuple, celui des enfers et ou encore des humains à naitre. Elles s'élevaient du sol au plafond tels des piliers de fumée ou des serpents emmêlés pétrifiés.


Bien peu nombreux, au vu de ces rayonnages vertigineux, les dizaines de bibliothécaires et de scribes de la flèche se livraient à leur interminable besogne. Certains passaient des décennies entières entre ces murs. Là, ils triaient, consignaient, modifiaient, retranscrivaient, protégeaient, et, toujours, étudiaient, étudiaient et étudiaient encore.


La plupart d'entre eux volaient simplement là où se trouvaient les ressources dont ils avaient besoin, mais pour les rares anges qui préféraient marcher, la bibliothèque disposait d'un système de balcons et de passerelles suspendues qui serpentaient étrangement les rayonnages.


Amenadiel connaissait assez Uriel pour savoir qu'il avait instauré un système d'une méticulosité et d'une rigueur quasi-surnaturelles afin de cataloguer et ranger chaque ressource. Seuls des individus formés leur vie durant à cette organisation pouvait se vanter de s'y retrouver sans mal.


- Je t'écoute Uri ? Demanda l'ange noir une fois qu'il fut évident que son cadet ne semblait pas disposé à lancer lui-même la conversation. Que se passe-t-il ?


Le régisseur de la Flèche se mordit l'intérieur de la joue, quelque peu agacé par cette manie coriace du premier né de toujours utiliser, pour chacun d'eux, des diminutifs. Etait-il obligé de renforcer sa supériorité en enlevant aussi des lettres à leurs prénoms ?


- J'avais besoin de te parler de notre frère, lui annonça-t-il avec solennité.


- Sami ?


- Sérieusement, en vois-tu un autre qui mériterait autant notre attention ? Releva l'érudit en joignant ses mains dans son dos.


Bien qu'agacé par le ton péremptoire de son interlocuteur, Amenadiel tacha d'ignorer la remarque pour en venir directement au fait.


- A-t-il encore posé des problèmes ?


- Tu t'exprimes au passé avec cette emphase toute singulière, alors qu'avec moi il est toujours question du futur, tu le sais.


- Ne joue pas avec ma patience Uri, et réponds simplement à ma question.


- Des problèmes ? Oh oui, il va y en avoir mon frère, annonça sinistrement l'érudit.


Son interlocuteur se figea, l'air grave.


- Parle ! Qu'as-tu vu ?


Uriel perdit un instant son regard sur les rayonnages de la bibliothèque, laissant planer un silence de mauvais augure.


- La certitude que Samael ne trouvera jamais la paix à la Cité d'argent et qu'il va au-devant de gros changements…


- Sois plus clair !


- Voilà le souci, je ne le peux pas. Je n'ai pas encore réussi décrypter complètement les schémas concernant notre frère, tu sais à quel point il est difficile pour moi de les cerner. Les détails de son avenir m'échappent encore…


Amenadiel pouvait distinguer cette frustration poindre dans la voix du cadet.


Oui, l'ange de la destinée à l'extraordinaire don de prescience et au psychique divinatoire pouvait ignorer des choses, surtout quand il s'agissait de Samael. Ce dernier était la définition même de l'inattendu, de l'imprévisible, avec ce besoin de ce qui est fou et déraisonnable, complètement aux antipodes du cadet. Avec lui, les schémas étaient toujours difficiles à interpréter, comme si son esprit chaotique refusait de se laisser correctement sonder.


Déjà petit, Uri testait ses facultés à l'élaboration de blagues afin de compromettre Samael. C'était sans compter sur l'incroyable capacité de sa victime à défier les pronostiques pour, au final, toujours mettre un terme à ses vaines tentatives par de violentes bagarres.


Et cette tête dure en a pris des coups. Beaucoup.


Si l'ange de lumière détestait bien une chose, c'était la manipulation.


- Pourtant vois-tu, reprit l'érudit, je n'ai pas toujours besoin de mes visions pour comprendre les desseins de quelqu'un... Puis contre toute attente, il héla un des archivistes en plein travail.


Aussitôt un ange à la courte barbe noire et l'habit bleu apparut à leurs côtés.


- Que puis-je pour toi Uriel ?


- Nous aurions besoin de consulter les dernières archives empruntées par Samael. Fais le nécessaire et rassemble-les je te prie.


- Je m'en occupe immédiatement.


- Merci Ephinael.


L'exécutant lui adressa en retour un respectueux signe de tête avant de disparaitre pour s'atteler à sa tâche.


Amenadiel se tourna alors brièvement vers son jeune frère avec cette question silencieuse que lui seul était capable de poser.


- Oui, il est venu effectuer des recherches, confirma le cadet, et ce, une partie de la matinée. Malheureusement j'ai raté son passage, ayant dû m'absenter ailleurs. Selon le registre, il a quitté la bibliothèque il y a de cela quinze minutes, je viens tout juste de l'apprendre.


- Et évidemment, tu n'as pas pu te retenir d'espionner ses lectures, remarqua le premier né en croisant ses bras contre son torse massif. A ce que je sache, il ne lui ait pas encore interdit de profiter du savoir de la Flèche.


- Certes, mais crois-moi mon frère, tu vas me remercier d'avoir été curieux.


Ce fut finalement au bout de quelques minutes qu'Uriel, lui-même, après s'être entretenu avec Ephinael autour d'une table de travail recouverte de parchemins, revint vers l'aîné avec un rictus troublé et dans les mains, un plateau contenant un tas de rouleaux en piteux état. Fragiles, Jaunis, on eût dit que le moindre souffle, la moindre caresse, aurait suffi à les désagréger pourtant ils demeuraient intacts.


- Voilà, annonça t'il en présentant les précieux écrits à son frère. Constate par toi-même !


Dans un soupir résigné, l'ange noir s'empara du plateau pour ensuite s'installer à un bureau, immédiatement imité par l'érudit qui se contenta de le fixer silencieusement le temps de son inspection.


Au fur et à mesure de sa lecture, le visage d'Amenadiel se décomposa pour se muer rapidement en une grimace amère. Les écrits relataient tous de L'Eden, de l'étude humaine, et principalement de l'arbre de la connaissance. Ce végétal offert au jardin, et qui semblait être le principal intérêt de Samael compte tenu du nombre impressionnant d'éléments extraits à ce sujet.


Le fait était qu'il y vouait une véritable fascination.


L'aîné s'attarda plus particulièrement sur le long parchemin traitant des fruits de l'arbre, réservoirs d'une force astringente interdite aux humains, considérés encore trop faibles pour recevoir pleinement la conscience du…


Désir.


Oh Seigneur…


Voilà un terme bien trop souvent entendu de la bouche de son jeune frère pour n'être qu'une simple coïncidence.


Soudain, un frisson lui parcourut la nuque, comme annonciateur d'un mauvais pressentiment.


Il n'était pas dur d'imaginer Samael, fervent défenseur du libre arbitre, envisager de braver les règles instaurées par Père afin d'offrir à ces êtres ce don unique qu'il estimait fondamental pour la libération de tout esprit. A présent que l'ange de lumière avait une solution pour mettre à exécution son plan, pourquoi se retiendrait-il plus longtemps ?


- L'imbécile ! Tonna l'ainé en cognant son poing sur la table. Il ne va pas oser ?


- Je crains, hélas, que tu ne saches déjà la réponse, lui répondit Uriel en secouant dramatiquement la tête.


Immédiatement, Amenadiel ferma les yeux, essayant de contenir au mieux cette colère grandissante en inspirant et expirant bruyamment, puis il joignit ses mains dans un geste de prière pour tenter de contacter spirituellement son frère.


Sami !

Réponds mon frère...

Et ne fais pas semblant de ne pas m'entendre !

Tu sais que je déteste quand tu fais ça.

Je te conseille de ne pas m'ignorer de la sorte...

Dernier avertissement...


Non rien. Aucune réponse.


Aurait-il déjà quitté la Cité d'argent ?


- C'est comme ça... Tu l'auras voulu ! S'exclama-t-il en se redressant d'un bond pour se diriger prestement vers la sortie, je viens te chercher !


- Amenadiel, héla l'érudit, déjà sur ses talons, ne songe même pas à y aller !


Mais il ne l'écoutait plus, obnubilé par un seul objectif.


Ramener son frère avant l'irréparable.


Une fois à l'extérieur de la Flèche, l'ainé vola en toute hâte en direction d'un bâtiment qui n'avait rien d'impressionnant comparé au reste de l'architecture de la Cité d'argent. Il mesurait moins de deux cents mètres de long et ses murs et minarets n'étaient pas plus imposants que ceux d'une forteresse. Pour un bâtiment angélique, il était, en somme, des plus modestes.


La chambre des portails.


Il atterrit gracieusement à l'entrée, le cadet toujours à ses côtés.


- Arrête ! Ce que tu comptes faire ne changera rien aux évènements à venir...


L'ignorant prodigieusement, l'ange noir poussa l'épaisse porte en argent pour pénétrer dans une immense salle où trônaient ici et là, des miroirs gravés de runes qui rayonnaient d'une lumière mystique et tournoyaient lentement sur eux-mêmes.


Posté devant l'un d'eux, Amenadiel leva ses mains ouvertes, touchant presque le verre. Une mélopée entre la parole et le chant, parfois grave, parfois aiguë, parfois les deux à la fois, s'échappa alors de sa gorge. Il psalmodia longuement sans jamais reprendre son souffle.


Le verre ondoya, et tout ce qui se trouvait devant lui devint légèrement flou, presque intangible. Au bout d'un long moment, Amenadiel baissa les mains, puis s'éloigna de l'ouverture. L'arche d'argent était toujours là, mais le verre avait disparu pour céder la place à…


Rien.


Littéralement.


Pas un mur blanc, ni à un espace vide, mais à une absence si essentielle qu'il était même impossible de poser les yeux sur elle : toute tentative se soldait par la contemplation d'un côté ou de l'autre du cercle d'argent.


- Tu échoueras mon frère, prédit froidement Uriel, tes schémas sont plus lisibles, je l'ai vu... tu ne rattraperas pas Samael à temps !


L'aîné se tint immobile comme s'il avait quitté son corps, voir cet espace-temps. Face à la béance, un improbable souvenir lui revint en mémoire, le ramenant à époque déjà lointaine de l'enfance.

A cette course puérile lancée dans un énième défi de compétition.


Il le revit distinctement, Sami avec cet éternel sourire narquois, virevoltant gracieusement dans les airs, ses performances de voltiges ponctuées par des cris d'excitation tandis qu'il continuait inlassablement de narguer Amenadiel sur l'avance qu'il lui mettait à chaque accélération. L'ange noir se rappela cette urgence de revenir à la hauteur du petit frère, de ne surtout pas le laisser s'éloigner davantage, et voir la honte le gifler sur cette incapacité à tenir la cadence.


Et pourtant rien à faire, il filait toujours plus vite, dans une frénésie parfaite et cette joie féroce comme si rien ne pouvait l'arrêter. Ce qu'il visait c'était cette sensation de se vider, de puiser au fond de ses ressources,

Là où son jeune frère trouvait la force de toujours donner le meilleur de lui-même pour aller jusqu'au bout des choses, Amenadiel abandonna rapidement, pris par ce désarroi total de voir Sami le distancer rapidement jusqu'à totalement disparaitre dans l'horizon, avec cette peur intime qu'il sera jamais capable de le rattraper.


Plus question d'avoir ce sentiment de défaite et d'abandonner sans avoir au moins essayé.


- Non ! cette fois, je le rattraperai Uri, lança-t-il avant de se précipiter dans le portail avec toute la détermination possible.


Direction l'Eden.


A suivre…

A suivre…

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