La première Eve
Bonjour les Lucifans, et bien je suis là pour fêter la bonne nouvelle avec un chapitre traduit. Lucifer est sauvé ! (Somebody saaaaaave me !)
Juste avant la Fête des Pères, j'imagine que c'est une odieuse manipulation de Qui-Vous-Savez pour obtenir une nouvelle cravate céleste. :-P
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Chapitre 5 : La douche écossaise
Puisque Lucifer était en retard, Chloé demanda à Dan s'il voulait entendre la déposition des parents de la petite victime avec elle. Ses yeux bleus glissèrent sur elle avec un simple signe de tête et un air entendu. Il ne fit rien d'autre que l'accompagner en salle d'interrogatoire, où les témoins attendaient, mais elle se sentait étrangement réconfortée par sa présence à ses côtés. Il ne restait que quelques secondes avant qu'elle soit obligée de leur poser des questions froides et dures alors qu'ils avaient perdu ce qu'ils chérissaient le plus au monde. Dan savait cela, parce qu'il était père. Le père de Trixie.
Quelquefois, elle était triste que les choses n'aient pas duré entre eux. Particulièrement dans des moments comme celui-ci, alors que sans prononcer un seul mot, ils savaient indubitablement à quoi l'autre pensait.
Le couple qui leur faisait face était dévasté : le teint gris, les yeux gonflés et bordés de rouge, l'air de fonctionner au ralenti et toujours en état de choc. Ce n'était pas difficile de voir qu'ils ne comprenaient toujours pas ce qui venait de les frapper brutalement et pourquoi leur bonheur avait été égorgé.
Chloé prit la parole pour les remercier d'être venus en les assurant qu'il ne s'agissait que de quelques questions. Ils ne se tenaient pas la main mais il était évident qu'ils cherchaient du réconfort dans le très léger contact de leurs doigts sur la table. L'inspectrice ressentit un soupçon de remords en voyant cela, parce qu'une petite part d'elle-même était envieuse de n'avoir pas connu un tel amour. Après quelques questions de routine destinées à remplir leur dossier, elle était sûre qu'ils étaient véritablement amoureux aux regards tacites qu'ils se lançaient, à la façon dont ils finissaient chacun les phrases de l'autre, de petits détails pas extraordinaires certes mais qui rendaient la chose évidente. Et malgré tout, la compacité de leur douleur était palpable, les empêchant presque d'articuler leurs réponses qui semblaient vouloir rester coincées au fond de leurs gorges douloureuses.
Comme le Dr Estevez le lui avait déjà expliqué à l'hôpital, leur histoire était assez simple. M. et Mme Solano essayaient en vain d'avoir des enfants depuis plusieurs années lorsqu'ils avaient découvert que M. Solano était stérile. Ils s'étaient donc tournés vers la médecine moderne pour les aider, avaient trouvé un donneur et essayé l'insémination artificielle. Les choses s'étaient très bien passées. Mme Solano avait donné naissance à un petit garçon en excellente santé à peine une semaine plus tôt et ça aurait pu être le début d'une très belle vie de famille. Sauf que non.
— Je suis désolée de vous demander ça mais… est-ce que vous connaissez personnellement le donneur ?
— C'est mon cousin, répondit M. Solano. Nous sommes aussi proches que des frères et il voulait nous voir heureux. Nous avions prévu qu'il soit le parrain…
— Il faudra que nous l'entendions aussi… Comment le reste de votre famille a-t-elle pris la nouvelle ? Y a-t-il eu …des contestations ? souleva Dan en remarquant que Mme Solano portait une petite croix en or autour du cou.
— Seigneur ! Non ! répondit-elle en ouvrant de grands yeux choqués. Tout le monde était très impatient de rencontrer le bébé !
Et puis l'expression de son visage se transforma.
— Oh non !… J'ai oublié de prévenir mes parents… Ils arrivent à l'aéroport aujourd'hui …
Elle recommença à pleurer en s'excusant mais les larmes jaillissaient entre ses doigts.
— Tout va bien, dit doucement Chloé avec un arrière-goût de cendre dans la bouche, parce que la formule était creuse, rien n'allant bien, en réalité. Vous n'avez vraiment pas à vous excuser.
— Voudriez-vous peut-être une boisson chaude ? proposa Dan pour essayer d'alléger l'atmosphère. Un thé ? Un café ?...
— Je ne dirais pas non à quelque chose de plus fort, avoua le père les yeux humides en passant un bras réconfortant autour des épaules de sa femme qui s'était tournée vers lui pour pleurer. C'est… plus dur que je pensais… d'être ici.
— Oui merci, inspecteur Espinoza, sanglota la mère d'une voix étouffée sur la poitrine de son mari.
D'un coup d'œil, Chloé confirma à Dan qu'elle l'attendrait et il se leva pour sortir de la salle d'interrogatoire. Quand il eut fermé la porte derrière lui, une fois dehors, il dut inspirer profondément.
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Là, l'open-space du commissariat aux tons bleu-gris leur sembla soudain plus froid que jamais, sans doute en raison de tout le béton, le verre et les surfaces métalliques. Il repéra instantanément la haute silhouette élégante de Lucifer, jetant des regards impatients autour de lui, probablement parce qu'il n'arrivait pas à mettre la main sur Chloé. Comme d'habitude, il était un peu trop bien habillé dans un costume bleu électrique porté sur une chemise blanche éblouissante. Après un simple signe de tête silencieux dans sa direction, Dan se dirigea vers la salle de pause pour s'occuper des boissons, mais le Diable se mit à l'y suivre comme un petit chien perdu.
— Inspecteur Du… Dan ! se reprit-il à temps. Je sais que je suis atrocement en retard mais… est-ce que l'Inspectrice est déjà partie ?
— Non. Les parents sont en train de faire leur déposition et l'infirmière qui a trouvé le corps a rendez-vous juste après. C'est quoi votre excuse du jour ?
Surpris par cet accueil, le Diable plissa les yeux pour scruter le visage de son interlocuteur.
— Oh. Est-ce qu'elle est à nouveau très en colère contre moi ?
Dan posa le grand gobelet de mauvais café à côté de la machine et commença à triturer les leviers pour en faire un autre.
— Est-ce que vous dites ça au pif ou vous commencez vraiment à piger ?
— Et bien… A vrai dire, elle est toujours un petit peu agressive avec moi ces derniers temps alors… S'il vous plait Dan, ce n'est pas de ma faute… Quand j'ai quitté la fête du karaoké hier soir, c'était parce que j'avais reçu un appel du LUX. Mon nouveau barman qui remplaçait Patrick pendant son congé s'est soudainement évaporé après minuit et n'a pas refait surface depuis… J'ai dû appeler Amenadiel en renfort, et croyez-moi, ce n'était pas une bonne pioche, parce que les seules concoctions qu'il était capable de servir, c'était ses infâmes cosmos !
— Et ? répondit Dan indifférent et impatienté pendant qu'il tenait du bout des doigts ses deux gobelets de café brûlant.
Lucifer recula prudemment d'un pas et le considéra attentivement comme si la réponse coulait de source.
— Et bien, j'ai dû le remplacer derrière le bar ! Parce qu'après tout, si Tom Cruise peut le faire… [1]
Dan haussa les épaules en levant les yeux au ciel et rebroussa chemin pour aller rejoindre Chloé mais Lucifer poursuivit :
— …mais quand un de mes videurs a disparu lui aussi, j'ai commencé à me dire que c'était peut-être plus que de la malchance !
Dan afficha une petite grimace de mépris.
— Non mais attendez une minute... Ce que vous êtes en fait en train de me dire, c'est que vous êtes en retard parce que, pour une fois, vous avez vraiment dû bosser ? Ah c'est impressionnant !…
— Et bien… non… J'ai dû simplement prendre de nouvelles dispositions et passer quelques coups de fils pour assurer le service de ce soir, bien sûr… Mais là n'est pas la question. Je me demandais combien de temps je devais attendre avant de pouvoir appeler vos copains des Personnes Disparues ? J'aurais bien commencé à enquêter tout seul mais Amenadiel m'a dit que deux personnes en une nuit, ce n'était peut-être pas à prendre à la légère… Je ne veux pas embêter l'Inspectrice avec mes problèmes mais…
— Bon ça va, j'ai compris. Écoutez, Chloé est en train de m'attendre mais je vais voir si je peux vous aider avec votre personnel rebelle un peu plus tard, d'accord ? Et, tenez, puisque vous êtes là… Est-ce que vous avez toujours votre réserve d'alcool sur vous ?
Lucifer sourit largement, apparemment très content qu'on lui pose la question. Ménageant son effet comme un magicien, il écarta un pan de sa veste pour sortir sa flasque en argent de sa poche de poitrine.
— Vous savez bien que j'en ai toujours… Alors comme ça, on boit pendant le service maintenant, Daniel ?
— Oh, ça va ! Fermez-la ! Ce n'est pas pour moi. Versez-en une petite goutte là-dedans, s'il vous plait. Et j'insiste sur « petite ».
Avec la mine confite du Grosminet qui aurait mangé le Titi, Lucifer s'exécuta avec bonne volonté. Et ce fut pile le moment où la petite silhouette d'Ella se matérialisa derrière eux. Ses yeux s'élargirent comme des soucoupes en voyant le Diable rempocher sa suspicieuse petite bouteille plate.
— Non mais, hey, les mecs ! Vous êtes sérieux là ?
Pris sur le fait, l'homme et le Diable sursautèrent d'un bel ensemble, légèrement penauds.
— Ce n'est pas ce que tu crois ! marmonna Dan avant de repartir en courant vers la salle d'interrogatoire.
Ella le regarda s'éloigner et se retourna vers Lucifer, en se croisant les bras sur la poitrine.
— Qu'est-ce que vous traficotez tous les deux ? Je sens un truc pas clair. Avoue tout et je saurai me montrer magnanime…
Lucifer sourit avec tendresse et amusement.
— Euh, ça dépend. Ici, je n'ai rien fait de bien concret, j'en ai peur. J'étais en retard… dit-il avant de redresser le dos et de bomber soudain le torse. Mais… mmh… pas assez pour manquer la Charmante Infirmière qui vient juste d'arriver par ici… ajouta-t-il avec un grand sourire de velours et sa voix qui étirait ses voyelles admiratives.
L'infirmière Naaji sortait de l'ascenseur et pénétrait à pas hésitants dans l'enceinte du commissariat. Elle portait d'insignifiants vêtements taupe que Lucifer trouvait insultants pour sa grande beauté naturelle.
— Ouhh, attention mogwaï en vue… Bouge pas d'ici, ordonna Ella. Je vais aller l'intercepter ou sinon elle va partir en courant.
— Non !… Je me permets de protester, miss Lopez. Je tiens à présenter mes excuses et mes plus profonds respects à cette délicieuse suspecte… Je comprends parfaitement que cette affaire est importante pour l'Inspectrice et je vais tout faire bien dans les règles, à partir de maintenant…
— Okay, super. C'est top, vraiment. Mais reste ici quand même !
Lucifer fronça les sourcils, ses traits à peine déformés par une moue boudeuse légèrement enfantine. La Splendide Infirmière Apeurée le regarda à nouveau avec crainte et il essaya de lui offrir son meilleur sourire. Allez ! Est-ce que son plus beau sourire était en panne lui aussi ? Est-ce qu'il avait perdu et son visage de Diable, et sa risette ravageuse par-dessus le marché ? Il y avait décidément quelque chose de pourri au royaume du « Dan-mark »[2].
Il prit la chaise en face du bureau de Chloé et commença tristement à triturer l'agrafeuse, ce qui était du dernier ennui.
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Chloé était de retour de la salle d'interrogatoire et ses pas résonnèrent dans l'espace désormais silencieux de la salle commune du poste, car presque tout le monde était sorti pour aller déjeuner. Comme d'habitude, elle le trouva en train de buller sauvagement, la mine sombre et semblant d'humeur massacrante.
— Lucifer ?
En la voyant pourtant, son visage s'éclaira instantanément et il se releva prestement en ayant soin de rajuster ses manchettes et de tirer sur sa veste. Quelquefois, ses bonnes manières la surprenaient toujours, et d'autant plus qu'il pouvait en manquer totalement dans d'autres domaines.
— Qu'est-ce que vous faites ici, tout seul ?
— J'attends de vous être d'une quelconque utilité, Inspectrice, répondit-il mais sans la moindre insinuation douteuse perceptible dans le ton de sa voix.
— Est-ce que tout va bien ?
— Oui. Oui, très bien. C'est juste que Mlle Lopez a chapardé la belle infirmière et lancé une ordonnance restrictive contre ma… malignité. Je suis trop diabolique pour elle.
Elle ne put se retenir de sourire et dit avec un petit rire.
— Vous auriez dû le voir venir de loin, n'est-ce pas, Votre Malignité ? Ou dois-je dire Altesse Diabolique ?
Il ronronna littéralement et lui adressa le plus éblouissant 'sourire à faire fondre' de son bien trop large répertoire… Il y avait décidément un truc qui ne tournait pas rond chez lui.
— Je suis heureux de vous voir rire, même à mes dépends, Inspectrice. Vous ne le faites plus si souvent ces derniers temps… Notre badinage frivole et pourtant si séduisant au-dessus des cadavres commence à me manquer…
Fidèle à elle-même, elle leva les yeux au ciel.
— Écoutez, tant que vous pouvez faire parler les gens sans détour sur leurs vraies motivations, je suis à cent pourcent pour votre présence. Mais l'infirmière Naaji est clairement prise de panique à chaque fois qu'elle vous voit… J'ignore pourquoi, mais vous pourriez être contreproductif dans ce cas précis. Ne faites pas l'enfant. Je suis d'accord avec Ella, c'est juste une décision rationnelle.
— Oui, et bien il n'en reste pas moins que c'est un peu vexant ! J'ai l'impression qu'elle cache tout un tas de secrets. Est-ce qu'au moins je ne pourrais pas rester derrière le miroir sans tain ? Vous ne seriez pas obligée de supporter la présence de Dan au lieu…
Secouant la tête pour montrer son désaccord, elle le coupa avant qu'il puisse ajouter quoi que ce soit de désobligeant.
— Écoutez Lucifer, Dan est un père et, à ma connaissance, pas vous. Il peut être en empathie avec les témoins. Laissez-le faire cette fois.
Le regard qu'il posa sur elle la fit rougir irrépressiblement quand il répondit d'une voix suave :
— Lieutenant, croyez que je me serais précipité au garde-à-vous pour perpétuer vos gènes, si je ne savais pas que c'était sans espoir.
Son ton était léger, la plaisanterie évidente, mais ses yeux étaient pleins de ferveur. Elle osa pourtant lui rendre son regard.
— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
— Les anges et les humains ne peuvent pas concevoir ensemble. Enfin, plus depuis longtemps, clarifia-t-il de son petit air supérieur, didactique et satisfait.
La confusion de Chloé s'amplifia de minute en minute avec le tour très inconfortable et soudain excessivement personnel que prenait cette conversation.
Est-ce qu'il venait tout juste de reconnaître devant elle qu'il ne pouvait pas avoir d'enfants, comme si ça n'était rien ? Même si, très honnêtement, elle n'arrivait pas du tout à l'imaginer dans le rôle de père, cette idée attristante faisait lentement son chemin en elle, parce qu'elle n'était pas sans intérêt. Et si c'était là la raison pour laquelle il couchait frénétiquement avec la moitié de la ville ? La raison de son absence de tout objectif ou but dans la vie, à l'exception d'un amusement perpétuel ? Ne venait-il pas de dire qu'il se sentait inutile quand elle était arrivée ? Tout s'éclairait parfaitement. Cette enquête était vraiment en train de l'affecter, même s'il refusait de l'avouer comme un gros macho.
Elle s'éclaircit la gorge pour répondre.
— Bon, quoi qu'il en soit, il y a tout de même quelque chose que vous pourriez faire pour m'aider, si vous voulez…
— Tout ce que vous voulez sauf…
— …la paperasse ? Non. Je préfère que ça soit fait correctement. Si c'est pour tout recommencer derrière vous, non merci. Mais je pensais que vous pourriez jeter un coup d'œil avec Ella sur quelque chose de très bizarre que nous avons trouvé avec Pierce hier, sur les enregistrements de sécurité…
— Vous m'intriguez, Lieutenant. Dites-m'en plus. Bizarre comment ?
— Peut-être bizarre comme… un ifrit ? chuchota-t-elle avec un petit sourire en coin. Serait-ce une tâche digne de Votre Altesse Diabolique ?
Pendant quelques secondes, l'incrédulité la plus totale se peignit sur le visage de Lucifer. Ses pupilles se dilatèrent violemment sous l'effet d'un désir primal parce qu'elle venait juste d'essayer d'être gentille avec lui. Il ne savait pas pourquoi et s'en fichait. Elle était incroyable. Un vertige menaçait de le saisir alors qu'il ressentit un picotement intense derrière ses épaules. Non pas les ailes, par pitié. Il semblait hypnotisé et souffla à voix basse :
— Inspectrice, je serais ravi que vous me donniez des petits noms affectueux sur une base plus régulière mais… ça ne vous ressemble pas beaucoup et… ah… Est-ce que vous êtes en train d'essayer de flirter avec moi délibérément pour me remonter le moral ? Vous n'avez pas à faire ça vous savez…
Prise par surprise, Chloé changea subitement d'attitude. Elle soupira avec amertume, en penchant la tête en avant avec un regard mécontent et un peu abattu qu'il ne comprit pas.
— Est-ce que je manque à ce point de subtilité pour que, même vous, vous arriviez à me percer à jour ?
Il laissa passer le « même vous ».
Enivré par son parfum, il la dominait de toute sa taille, juste à quelques centimètres d'elle, il s'approcha encore pour murmurer à son oreille :
— Non. Vous n'avez pas à faire cela… à moins de vouloir que je vous embrasse à perdre haleine, là tout de suite devant tout le monde.
Même s'il n'y avait presque personne dans la pièce, elle se figea sur place et déglutit en respirant un peu plus difficilement. Merde ! Pourquoi est-ce qu'il faisait ça ? Juste au moment où elle se disait qu'il était son plus cher ami et qu'il avait besoin d'aide pour un problème secret et délicat dont il était trop fier pour parler…
Elle évita son regard pour répondre plus sèchement :
— Sans rigoler ? M'embrasser à perdre haleine ? Vous êtes tellement imbu de vous-même, Lucifer !
— Le problème avec vous ma belle, c'est que vous n'imaginez même pas les avantages qu'il y aurait à jouer avec ma… malignité, la taquina-t-il de ce ton séducteur qui la faisait frissonner.
Elle recula aussitôt d'un pas pour mettre une distance un peu plus professionnelle entre eux, parce qu'elle savait pertinemment qu'il ne pouvait faire ceci que pour tâcher de fuir les conséquences psychologiques lourdes de l'enquête. C'était toujours un bleu, ignorant tout de la façon insidieuse dont une affaire pouvait faire ressurgir de vieux démons, et de toute évidence, il n'était pas encore capable de gérer cela proprement. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Mais il valait mieux pour lui qu'il garde ses repères plutôt que de se risquer de se retrouver en terrain encore plus glissant.
— Rah ! Seigneur ! Vous dites ça d'une façon qui rend les choses tellement indécentes ! Vous êtes impossible. Je vous envoie Ella mais vous avez intérêt à rester courtois avec elle ! Je peux faire avec votre badinage parce que je sais que vous n'êtes pas sérieux, mais faites quand même attention. Un de ces jours, vous pourriez finir avec des accusations de harcèlement !
Elle s'éloigna promptement en direction de l'antre d'Ella, sentant malgré tout son regard choqué qui pesait lourd dans son dos.
Il serra les dents. Je sais que vous n'êtes pas sérieux. Ça lui faisait le même effet qu'un coup de lame démoniaque dans le cœur. Comment diable était-il supposé la courtiser et « s'ouvrir » à elle, si elle refusait la moindre petite approche ? L'ice bucket challenge ? Trop facile. Qu'ils essaient donc la douche écossaise [3] qu'était Chloé Decker !
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Au fond de lui, il espérait vraiment mettre un frein à ses très nouvelles insécurités personnelles concernant les prétendus « sentiments naissants » de Chloé pour Pierce. Il savait qu'il pouvait tout gâcher d'un simple mot, mais comment pouvait-il supporter de la voir se détacher de lui chaque jour un peu plus ? Ces foutues ailes étaient à ça de se déployer alors qu'il ne faisait que penser à l'embrasser… penser au plus petit effleurement, même pas époustouflant…
Oh son Paternel devait bien se marrer et se réjouir sans fin de tout ceci ! Évidemment qu'Il le faisait. Oui, Samaël, l'Archange rebelle qui avait refusé prétentieusement de courber l'échine devant les hommes et de les servir comme on le lui avait ordonné, parce qu'il pensait que c'était des créatures inférieures… Samaël, jeté à bas des cieux et forcé de s'occuper de la lie de l'humanité en Enfer, à priori parce qu'ils se ressemblaient assez dans le fait de ne pas suivre des commandements de Papa et de remettre en cause Son autorité…
Il fallait le voir maintenant, le fier Satan ! Empêtré jusqu'au cou dans ces enquiquinants sentiments humains, vulnérable, insécurisé, et désespérément attiré par une femme comme il n'en avait jamais connue. Aussi brillante et acérée que Justice, l'épée angélique de Caliel. Un magnifique miracle qu'il rêvait d'aider, de servir, de chérir et d'adorer avec la moindre parcelle de ce qui restait de lui… Comment son Père ne pourrait-Il pas rire de lui maintenant, en lui renvoyant à la face un énervant « Je te l'avais bien dit » ?
Une longue minute, il eut le sentiment d'être observé. Un point derrière son crâne le chatouillait à nouveau. Il fit volteface et découvrit Marcus Pierce qui se tenait là, à le contempler de ses insondables yeux froids.
— Capitaine ! Que faites-vous ici ?
— Je travaille là, Morningstar. Vous avez oublié ?
— Non, ce que je veux dire, c'est que vous devriez probablement vous reposer davantage…
Le beau visage de Pierce tressaillit légèrement. Il était assez amusé de voir combien il était facile de décoder Lucifer lorsqu'on savait très exactement qui il était et ce qu'il était.
— Je ne faisais que passer en coup de vent pour prévenir que j'étais sorti de l'hôpital et voir Decker à propos de l'infanticide. Pour ce que j'en sais, le bureau du Maire appelle toutes les deux heures et s'inquiète de ce que la presse ne vende la mèche très bientôt. Il nous faut des faits, pas des fuites !
— Elle est excellente ! Mettez-la sur un tee-shirt, ça va faire un tabac. Mais si vous voulez tout savoir le Lieutenant vient juste de finir d'entendre les parents et elle est actuellement avec l'infirmière.
— Pourquoi n'êtes-vous pas avec elle ?
— Fascinante question s'il en est, à tous les égards... L'inspectrice peut gérer le témoin seule cette fois et m'a demandé de regarder plutôt les enregistrements vidéo.
— Oh ça ! Oui. Et pendant qu'on y est, j'ai vraiment hâte d'avoir votre opinion éclairée à ce propos !
Lucifer sourit, un peu surpris de cette déclaration.
— Et bien, voilà qui est nouveau ! Cette balle passée bien près et votre petite NDE [4] vous ont-elles fait changer d'avis sur mon compte ? Auriez-vous des regrets de m'avoir complètement ignoré depuis le début ?
Pierce n'eut même pas l'occasion de répondre qu'il ne l'ignorait pas du tout. Un cri perçant qui ressemblait à « Capitaine » déchira l'air lorsqu'Ella l'aperçut et commença à se montrer une nouvelle fois sous son jour le plus pétillant et hyperactif. Effaré, il la regarda parler comme une mitraillette en bondissant sur place, juste avant qu'elle ne se mette à le serrer dans ses bras sans prévenir. Marcus n'avait pas compris ce qui venait de se passer, se contentant de grimacer pendant que Lucifer observait avec une fausse compassion :
— Ah, mais c'est qu'elle a le câlin fougueux, notre chère Ella !
— Ouh, désolée, désolée, Capitaine, ça vous fait toujours mal, hein ?
— Ça ira, Lopez, merci. J'ai… euh… entendu dire que vous deviez bosser sur les cassettes avec Morningstar ?
— Les cassettes ? Oh, vous voulez dire les CD ? Oui !
— Parfait, allez-y. Je serai dans mon bureau jusqu'à ce que je puisse voir Decker mais je ne reste pas la journée.
— C'est tout à fait normal, Capitaine, approuva-t-elle, ses grands yeux noirs débordant d'une inquiétude toute zélée.
Il les contempla un instant pendant qu'ils se rendaient dans le labo. Morningstar le lorgnait par en dessous comme s'il avait l'air de penser qu'il avait quelque chose sur lui. Ce qui était drôle. Ces gens le faisaient mourir de rire. Pas exactement le genre de mort qu'il escomptait mais peu importait.
Il s'ébroua pour chasser ces pensées et marcha en direction de la salle d'interrogatoire.
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Après avoir frappé un coup, il entra là en propriétaire et alla se présenter au témoin avec une brève poignée de main. L'infirmière le regarda avec circonspection tandis qu'il pressait ses doigts dans les siens.
— Désolé de vous interrompre. Mlle Naaji, je suis le Capitaine Pierce et je voulais que vous sachiez que je prends cette affaire très au sérieux. Vous devez tout nous dire. Particulièrement, si vous avez reçu des menaces, que ce soit en votre nom personnel ou celui de l'hôpital…
— Mlle Naaji nous a déjà confirmé que ce n'était pas le cas, l'informa Chloé, un peu désarçonnée qu'il intervienne personnellement dans son affaire.
Peut-être qu'il se sentait plus concerné parce qu'il lui avait donné un coup de main ? Ou parce que le travail sur le terrain lui manquait ?
— Très bien, je serai dans mon bureau. Si vous pouviez passer me voir ensuite ? demanda-t-il à l'inspectrice en ignorant délibérément Dan.
En dépit de sa formule au conditionnel polie, c'était clairement un ordre. Elle acquiesça et attendit patiemment qu'il se retire.
A côté d'elle, Dan essayait de ne pas trop sourire. Il ne savait que trop bien combien Chloé se montrait jalouse de ses dossiers et combien le Capitaine ferait bien de ne pas s'en mêler, s'il espérait obtenir quelque chose d'elle.
— Est-ce que vous savez que vous travaillez avec des gens… vraiment bizarres ? intervint soudain Maryam Naaji avec un regard perplexe sur la porte par laquelle Pierce était sorti.
— Allons bon ! Est-ce que tous les hommes avec qui je travaille vous font peur ?
— Et bien, non. Pas lui ! dit-elle en désignant Daniel du regard, et se gagnant un sourire heureux de la part de l'intéressé.
— D'accord, maintenant que ceci est bien clairement posé, ce que j'ai besoin de savoir, c'est si vous avez la moindre suspicion que le meurtrier puisse frapper encore.
Paupières baissées, ses longs cils caressant ses joues, l'infirmière secoua la tête d'ignorance.
— Ce n'est pas exactement comme si nous avions parlé… Je l'ai juste vue. En plus, elle marmonnait dans une langue étrange que je ne comprenais pas.
— Attendez, attendez une petite minute, l'interrompit Dan avec son crayon levé flottant au-dessus de sa feuille de notes. Quand est-ce qu'il a été établi que le meurtrier était une meurtrière ?
Insécurisée par sa réaction, Maryam Naaji cligna des yeux.
— Quand je l'ai dit hier à votre jeune collègue chrétienne... Elle a demandé une description précise pour faire faire un portrait-robot…
Dan et Chloé échangèrent un regard perplexe. Pourquoi Ella aurait-elle omis de leur reparler de quelque chose comme ça ?
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Bésame, bésame mucho, como si fuera esta noche la última vez
Bésame, bésame mucho, que tengo miedo a perderte, perderte después [6]
Durant les dernières heures de l'après-midi et le début de la soirée, le club n'était pas officiellement ouvert. Apparemment, la musique était un peu différente de l'ordinaire aussi, bien moins bruyante, avait remarqué Dan en dévalant les escaliers conduisant à la piste de danse principale. Quelques employés étaient déjà là, occupés à nettoyer, à signer des reçus de livraison, brancher des sonos et d'autres choses de cet ordre. Comme promis, Dan était venu au LUX pour poser quelques questions, çà et là, à propos du barman et du videur.
Lucifer le voyait plus comme une mesure qui rassurerait son personnel. En plus, il savait que lorsqu'il était personnellement impliqué, il manquait certains détails. Et c'était pire lorsqu'il était impliqué et bouleversé par le rejet d'une certaine Inspectrice, qui le conduisait à espérer se saouler en vain. Et à faire des trucs complètement stupides qu'il savait ne pas devoir.
Donc il laissa Dan faire son petit tour, sortir son sourire et son badge et parler aux autres videurs pour recueillir les données les plus ennuyeuses de la procédure. Lucifer n'y brillait pas parce qu'il était trop impatient. L'un de ses très nombreux défauts mal venus. On aurait pu croire qu'avoir littéralement tout le temps du monde lui aurait permis de développer un peu de sagesse et de patience… Pas vraiment !
Pour l'heure, il avait accepté de danser avec Lilith. Elle portait une courte robe de satin rouge à fines bretelles qui la moulait délicieusement. Douce et chaude contre lui, elle était aussi probablement un peu éméchée car sa constitution n'était pas aussi résistante à l'alcool que la sienne. Elle souriait et paraissait de bonne humeur, virevoltant sur l'une de ces danses latines qui mêlaient dans leur jeu les sourcils froncés, les regards passionnés, les sourires prometteurs et les coups de hanche provocateurs. Très provocateurs. A tout cela, il ne trouvait rien à redire. Bien au contraire.
Quiero sentirte muy cerca, mirarme en tus ojos
Verte junto a mi
Piensa que tal vez mañana yo estaré lejos
Muy lejos de ti… [7]
La chanson était triste mais Lucifer se sentait étrangement raccord avec sa thématique.
— Tu ne m'as pas dit ce que nous étions en train de fêter ? essaya-t-il pendant qu'il entourait sa taille de ses mains possessives pour la renverser en arrière.
— C'est une surprise.
— Dis-la moi maintenant, la pria-t-il.
— Tu n'as jamais été patient, Samaël, répondit-elle après un petit rire.
— Je t'ai déjà dit de m'appeler Lucifer.
— Oui, c'est vrai. Mais je n'aime pas ce nom. Je préfère Samael qui est bien plus agréable et qui évoque la douceur.
Il l'envoya tournoyer sur ses hauts-talons sans lâcher sa main et d'un bras solide la ramena vers lui, si vivement qu'elle trébucha légèrement sur un pas et se retint à ses épaules pour ne pas tomber. Ils partagèrent un sourire, très conscients que les quelques mortels qui les entouraient les regardaient avec admiration et un certain inconfort croissant au bas du ventre… Ils savaient qu'ils formaient un tableau splendide tous les deux. Semblables en perfection et en beauté, merveilleusement synchrones et sexys comme ça n'était pas permis.
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Tout avait commencé à cause de cette attirance fatale, et apparemment défendue, entre eux deux. Mais comment l'auraient-ils su ? Bien que jeune, Samael avait bien vite compris que Lilith souffrait beaucoup de sa condition hybride lorsqu'il avait trouvé refuge chez elle, après sa fugue de la Cité d'Argent.
Il était détesté par ses frères qui l'avaient battu et laissé seul dans le désert. Malgré tout, son père avait ordonné qu'il ne reste plus avec ses sœurs aînées, pensant qu'un peu de compagnie masculine améliorerait les choses au regard de son « retard de développement ». Samael voulait être gentil et se faire des amis, il posait beaucoup de questions et essayait de se faire à la dureté de son nouvel environnement. Un échec. Tout ce qu'il essayait, échouait misérablement : ses frères ne voulaient pas le voir traîner dans leurs pattes.
Alors il s'était enfui aussi loin que possible et avait vécu seul pendant longtemps, avec des animaux pour seule compagnie, à dormir dans des arbres creux et à pleurer sur sa solitude… Jusqu'à ce que Lilith le trouve dans la forêt et le conduise jusque chez elle, en un point très éloigné du Jardin.
Lilith était différente de ses autres sœurs. Elle avait des idées bizarres et un comportement étrange. Régulièrement, elle avait l'habitude de l'abandonner ou de l'envoyer balader mais avec des larmes de honte et des cris de souffrance. Et quelques jours plus tard, elle revenait, les yeux suppliants et enfiévrés, câline au possible, à le serrer désespérément contre elle en caressant ses longs cheveux noirs, à insister pour qu'il dorme auprès d'elle pour partager leur chaleur corporelle. Bien sûr, il n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait durant ces quelques jours. Cela l'inquiétait beaucoup parce que la maladie était une chose inconnue au Paradis.
Avec le temps, elle avait réclamé peu à peu encore plus de cajoleries, jour et nuit, soutenant que cela l'aidait à atténuer ses douleurs. En bon garçon, il voulait vraiment qu'elle se sente mieux. Comment de doux massages sur son corps auraient-ils pu être mauvais s'ils étaient apaisants ? En plus, il était plus que reconnaissant qu'elle au moins semble l'accepter comme il était – même s'il était un ange « pas terminé » comme elle l'avait désigné à leur première rencontre.
L'un de ces jours où elle l'avait laissé tout seul, il avait rencontré en se promenant une petite créature blonde qui ressemblait à s'y méprendre à une sœur angélique – à ce détail près qu'elle semblait elle aussi « pas bien terminée » comme lui, avait la même petite touffe bouclée que Lilith en haut de ses cuisses et qu'elle était amusante parce qu'elle croyait qu'il était un « homme-oiseau ». Ils étaient vite devenus amis et il avait pris l'habitude d'aller la voir pour tromper son ennui à chaque fois que Lilith ne voulait pas de lui pour des raisons jamais évoquées. Eux par contre, n'arrêtaient pas de bavarder. Comme lui, la petite avait de nombreuses questions, sur à peu près tous les sujets. Elle était très désireuse de savoir des choses.
Mais un jour, la trop curieuse petite Havah, ou Eve, puisque c'était elle, était partie à sa recherche parce qu'il n'était pas venu à leur rendez-vous. Et elle était tombée sur Lilith et lui, au beau milieu d'un « moment privilégié ». Malheureusement, elle avait pile choisi celui où Lilith avait décidé de lui enseigner un nouveau tour d'une grande audace pour la rendre parfaitement heureuse et apaisée...
Havah les avait regardés avec la plus grande perplexité, en restant figée sur place, et pensant qu'il serait sans doute impoli de les interrompre. Alors Lilith avait attrapé un fichu fruit qui était tombé à côté d'eux et l'avait lancé dans sa direction pour chasser la petite espionne. Bien sûr, Havah n'avait rien compris, avait attrapé le fruit avec un sourire de reconnaissance, s'était assise confortablement et avait croqué dedans pour attendre…
Et une merde sans nom s'en était suivie, comme chacun sait. Et pour être honnête, c'était juste le commencement…
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Mais aujourd'hui, Lucifer était plus sûr de lui. Tout ça s'était produit il y avait très longtemps. Il n'était plus du tout celui qu'elle appelait « l'ange inachevé ». Lilith ne pouvait plus jouer avec lui ce jeu de yo-yo troublant. Il connaissait les femmes à présent. Du moins, il pensait qu'il les connaissait très bien.
Linda aurait sûrement objecté qu'il se trompait parce qu'elles se trouvaient toutes sous son charme et que ça faussait la donne. Il se demanda brièvement quand donc il avait commencé à développer une « Linda intérieure » qui lui faisait gentiment la leçon quand sa version physique n'était pas là pour s'en charger…
— Je suis désolé ma chère, répondit-il enfin. Mais Samael a disparu dans la Chute. Je ne suis plus lui désormais. Il m'a été arraché.
Elle soupira et caressa sa joue d'un bout de doigt taquin.
— Tu en es sûr ? Je vois bien que tu as toujours la barbe naissante des très jeunes gens.
— Ça n'a rien à voir avec la jeunesse. Certains mortels apprécient sa rugosité sur des parties très sensibles de leur corps, l'informa-t-il avec un sourire proprement diabolique.
— Lesquelles ? demanda-t-elle avec les yeux luisants.
Il laissa glisser ses mains le long de ses hanches divines aux proportions parfaites et si rondes.
— Je pourrais envisager de t'éclairer sur ce point si, de ton côté, tu songeais à me dire quelle était ta surprise…
— C'est un marché équitable.
Elle se cambra contre lui le ventre en avant pour les faire se toucher. Il sourit, ravi de son impudeur. Et parce qu'il s'attendait à quelque plaisir extrêmement charnel, il fut complètement pris au dépourvu quand elle murmura dans son cou :
— Je comprends très bien que tu te sois senti diminué quand Père t'a rendu incapable de procréer. Quel gâchis, soit dit en passant, parce que bon… regarde-toi ! J'ai ressenti ton dépit l'autre jour, lorsque tu as parlé de l'enfant humaine. J'ai vu des représentations d'elle, là où vit Mazikeen.
— Tu es allée là où vit Mazikeen ? répéta-t-il avec inquiétude.
— Ne fais pas cette tête, je comprends bien plus que ce que tu crois ! Cette visite m'a ouvert les yeux. J'ai compris pourquoi tu avais assigné ma fille Mazikeen à la protection de cette petite : elle nous ressemble, elle est brune comme nous, elle a les mêmes yeux noirs… Tu prévois d'en faire ton héritière en Enfer ! A cause de la cruauté de Père, tu n'as pas d'autre choix que de prendre un enfant au hasard et de le faire former par ta meilleure tortionnaire… C'est à la fois triste et injuste. Je reconnais que j'ai été dure avec toi quand je suis partie parce que tu ne pouvais plus me donner d'enfants ni étancher mes irrésistibles besoins de maternité… J'ai été méchante avec toi, je m'en rends compte à présent, mais c'est terminé. J'ai décidé d'arranger ça pour toi, mon amour.
Elle jeta ses bras autour de son cou et poussa encore plus son ventre contre lui. Il sentit quelque chose cogner contre le sien et il fit un petit bond en arrière sous la surprise.
— Mais qu'est-ce que… ?
Lilith sourit et posa ses doigts sur sa bouche pour le faire taire.
— Je suis enceinte, chuchota-t-elle. Et je vais bientôt donner naissance à plusieurs petits démons en un rien de temps… Père ne pourra pas les exiger tous. J'ai pensé à une solution. Tu pourrais comme ça avoir ton propre héritier, ou tes héritiers, si tu en voulais un de plus par sécurité, et au moins, ils seraient à moitié célestes !
Lucifer ouvrit la bouche au beau milieu de la piste de danse.
— Qu… quoi ?
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(à suivre)
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[1] Pour les plus jeunes, ceci est une référence au film « Cocktail » (1988)
[2] Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark (citation célèbre de Hamlet, Sheakspeare).
[3] Depuis quelques années, défi populaire qui consiste à se verser sur la tête un seau plein d'eau glacée. Si on veut passer son tour, il faut donner de l'argent à une œuvre de charité. La plupart des célébrités font les deux. La « douche écossaise » est un procédé par lequel on alterne le chaud et le froid à des fins thérapeutiques mais qui est symboliquement pris comme une vive et brutale alternance de sensations, événements ou impression qui passent d'un extrême à l'autre.
[4] NDE : Near Death Experiment, soit expérience de mort approchée en français.
[5] Embrasse-moi, embrasse-moi beaucoup (encore), comme si cette nuit était la toute dernière fois
Embrasse-moi, embrasse-moi beaucoup, parce que j'ai peur de te perdre, de te perdre après ça
[6] Je veux te sentir tout contre moi et m'admirer dans tes yeux / Te voir tout près de moi
Pense que peut-être demain moi je serai loin / Très loin de toi