Life is Strange : Le Gardien du Temps

Chapitre 20 : Tempus Fugit

2620 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/12/2017 11:31

Afin de « m'instruire », Pharren avait requis un endroit isolé et tranquille. J'optais immédiatement pour la décharge malgré le malaise qu'elle m'inspirait. Mes sentiments sur cet endroit étaient particulièrement mitigés ; j'y avais passé de bons moments avec mon amie (Nous avions été folles de jouer avec une arme à feu ! Chloe arrivait toujours à m'embarquer dans des aventures dans lesquelles je ne me serais jamais aventurée seule) mais c'était également le lieu privilégié de Chloe et de Rachel. Je ne m'y sentais pas vraiment à ma place. Pire, c'était ici que j'avais été kidnappée, que Chloe avait été tuée (Dieu sait combien de fois le destin s'était acharné sur elle) et que Rachel avait été enterrée...


Le trajet se fit dans le silence le plus absolu. Anxieuse, je regardais le paysage défiler. Une fois arrivés nous nous enfonçâmes en plein centre de la décharge.

L'endroit était encore plus glauque que dans mes souvenirs. On pouvait encore voir les fameux bandeaux jaune de la police indiquant une scène de crime, déchirés, balayés par les vents. De plus, une partie de la terre où avait été ensevelie Rachel n'avait pas été retournée correctement.


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Mon « professeur » particulier ne semblait pas déranger outre mesure puisqu'il s'assit sans vergogne sur la carcasse d'une voiture. Étant trop près de l'ancien lieu de repos de Rachel Amber je décidai de m'asseoir plus loin. Beaucoup plus loin. Je n'étais pas superstitieuse mais j'avais tout de même certaines limites. Pharren ne dit rien devant mon refus mais je vis son expression se crisper.


Bonjour l'ambiance... J'étais presque tentée de sortir une blague du genre : « Une entité parasitaire et une fille qui remonte le temps entrent dans un cimetière... ». Presque.


« Bien. Maintenant que nous pouvons commencer, il est temps pour toi d'apprendre à canaliser ton don. Surtout si nous voulons éviter de te perdre de nouveau dans un paradoxe de réalités alternatives. »

« Quoi ? »

« Te rappelles-tu lorsque tu étais perdue dans le temps et que tu avais perdu tout contrôle sur ta capacité ? Tu dérivais dans une multitude d'univers parallèles. »


La leçon avait à peine commencée que je sentais déjà le mal de tête pointer le bout de son nez. Pourtant je voyais de quoi il parlait. Je faisais encore des cauchemars sur cet endroit : Je me retrouvais de nouveau plongée dans le noir, poursuivie par Jefferson. Je pouvais presque sentir encore les faisceaux lumineux qui me pourchassaient.

« Mes souvenirs sont un peu flous sur ce moment-là. Je ne sais même pas comment j'ai pu sortir de ce truc. »


Pharren m'annonça nonchalamment :

« Oh mais tu n'as pas pu Maxine, c'était bien au-delà de ce que tu es capable de faire. C'est moi qui t'ai sortie de là et j'étais à deux doigts d'échouer tant ton essence était enfoncée dans de multiples réalités. À chaque fois que j'essayais de te repêcher, tu me glissais entre les doigts. »

Un froid glacial s'engloutit en moi. J'avais failli rester coincé là-dedans ?

« Que me serait-il arrivé si vous n'étiez pas intervenu ? »

« Dans le meilleur des cas, ton essence, ton être ou ton esprit si tu préfères, se serait déchiré entre les multiples réalités. Tu aurais fini par sombrer dans la folie et éventuellement par mourir. Dans le pire des cas tu aurais parcouru encore et encore toutes ces réalités. »

« Pendant combien de temps ? »

Ses yeux emplis d'encre me fixèrent.

« Pour toujours Maxine. Pour toujours et à jamais. Et c'est sans compter les répercussions que cela aurait pu avoir ici. »

Si ce qu'il disait était vrai, j'avais vraiment eu beaucoup de chance. Ce qui m'était arrivé n'était rien en comparaison de l'éternel cauchemar que j'aurais pu vivre. Pour peu je serais reconnaissante envers ma « bonne étoile ».

« Passons. Je vais t'apprendre à utiliser ton don avec précision. As-tu déjà essayé de remonter le temps, non pas de ton espace-temps, mais d'un objet ou d'être vivant uniquement. »


Ne comprenant pas vraiment sa demande je répondis par la négative. Pharren se leva et chercha quelque chose du regard. Il partit un instant et revint avec une feuille morte recroquevillée dans la main.

« Regarde attentivement. »

J'eu beau regarder il ne se passa rien. Du moins au début. Puis la feuille morte changea de couleur pour prendre une jolie teinte verte comme si elle venait tout juste de tomber sur le sol. Elle avait repris vie. Je regardais autour de moi. Le temps semblait défiler normalement.

« Vous avez remonté le temps d'une feuille ? »

J'étais complètement éberluée. Avais-je déjà pensé à utiliser mes pouvoirs de cette façon ?

« Maintenant à ton tour ! »

Il ponctua sa phrase en me pointant du doigt l'une des bouteilles de verre brisée.

« Heu... Comment je m'y prends ? »

« Ne te focalise pas sur ce qui se passe autour de toi mais uniquement sur ton objectif. »


Facile à dire mais c'était exactement le contraire de ce que j'avais fait à chaque fois ! J'essayais néanmoins. Je me concentrais du mieux que je pouvais.


Pratiquement une heure plus tard, je n'étais pas plus avancée. La bouteille était toujours brisée en mille morceaux, tout comme mes espoirs de réussite.

La seule fois où j'avais cru réussir, j'avais en fait remonté le temps entièrement et non pas uniquement sur cette stupide bouteille. Désespérant de parvenir à un résultat après une énième tentative, je réclamai une pause. Mon interlocuteur y consentit d'un bref mouvement de tête, l'air penseur.


« C'est tout de même étrange... Tes pouvoirs sont bien venus d'un seul coup ? »

« Et bien oui. »

Il se rapprocha de moi.

« Il t'a fallu combien de temps pour t'en sentir maîtresse ? »

« Je ne sais pas. Au bout de deux jours je ne m'en sortais pas trop mal, je crois. »

Pharren semblait de nouveau méditatif.

« Qu'est-ce qui ne va pas encore ? »

« C'est très étrange. Tu as réussi à remonter le temps de toute cette réalité, et parfois même de beaucoup, mais tu n'arrives pas à te focaliser juste sur un seul objet. Il a fallu des mois, parfois des années aux premiers manipulateurs de temps pour arriver au stade où tu en es. Pourtant tu n'arrives même pas à assimiler les simples bases de la manipulation de temps. »

« C'est donc si étrange que ça ? »

Il haussa les épaules.

« C'est comme savoir courir et faire du vélo mais ne pas savoir marcher. »


Confuse, je laissais mon professeur à ses réflexions quelques instants. En vérité j'étais tout aussi perdue que lui, voire plus. Lorsque j'utilisais mon pouvoir c'était presque de façon naturelle, je n'avais pas l'impression de sauter des étapes.

Alors que je contemplais la décharge, Pharren prit de nouveau la parole :

« Je pense que nous pouvons exclure le fait que tu sois une descendante des manipulateurs de temps. J'ignore toujours d'où tu tiens tes pouvoirs mais certainement pas d'eux. »

Merci Capitain Obvious ! J'aurais pu te le dire moi-même. Mes ancêtres ne sont pas originaires d'Arcadia Bay.

« Il faut donc revoir la façon dont utilises tes pouvoirs. Raconte moi tout depuis le début, s'il te plaît. »


J'étais contrariée de devoir tout raconter depuis le début mais je savais que je n'y couperais pas. Pas si je voulais sauver Warren. Alors je lui débitais tous les évènements depuis le cours de photo où j'avais découvert par accident mon nouveau pouvoir.

Tandis que je lui parlai de la fois où j'avais pratiquement stoppé le temps pour sauver Kate, je compris alors que jusqu'ici j'avais tenté de sceller ces souvenirs au plus profond de ma mémoire. Il m'était difficile de les raconter.


Si la plupart de mes confessions le laissèrent de marbre il se montra vivement intéressé par ma capacité à changer le cours du temps via mes photographies. Enfin du moins c'est ce que j'en déduis, car hormis un léger froncement de sourcils il était impossible de lire quoique ce soit sur son visage. Lorsque j'eu finis, le soleil avait commencé à se coucher. 

J'allais proposer de partir car je commençais à avoir froid mais il me demanda de lui faire une démonstration avec un cliché. Par chance et malgré le fait que je ne l'avais pas utilisé depuis plusieurs jours, j'avais toujours mon appareil et quelques photos sur moi.

J'en pris une au hasard et tentai l'expérience. Je n'étais pas sûre de mon coup car je ne l'avais pas fait depuis la mort de Chloe et mes échecs répétés de l'après-midi ne me confortaient pas dans ma capacité à y arriver. Malgré tout je sentis de nouveau un tourbillon m'absorber pour remonter le temps. Mais l'expérience s'arrêta d'un coup.

« Je ne comprends pas ce qui s'est passé, j'y arrive très bien d'habitude. Je vais réessayer. »

« Pas la peine, m'interrompis Pharren. C'est moi qui t'ai arrêté. Je voulais juste voir comment tu faisais. Inutile de faire plus de dégâts que nécessaire. »


Pas croyable. Cette chose m'avait court-circuité. Si jamais je devais avoir un affrontement avec lui j'étais plutôt mal partie.

Max, tu t'attendais à quoi de la part du Gardien du Temps ? Et ce n'est pas comme si tu avais déjà eu les bonnes cartes en main.

Malgré tout, la pilule passait plutôt mal.


Pharren tendit la main vers mon appareil photo et demanda mon consentement. J'ignore ce qu'il voulait en faire mais au point où j'en étais... La perte de contrôle sur l'ensemble de ma vie était absolue, alors pourquoi pas celle de mon Polaroid !

Il prit une photo et me la montra. Tout d'abord je ne compris pas vraiment ce qu'il avait photographié et jugeais plutôt de sa qualité : l'éclairage était mauvais et le cadre de l'image était encore pire. Me ressaisissant, je m'intéressais plutôt à son contenu, je doutais que Pharren veuille un cours de photographie.

« Vous avez photographié de l'herbe... », fis-je perplexe.

« Concentre toi dessus. Je veux que tu remontes le temps sur ça et rien d'autre. Fais en sorte qu'elle retourne sous terre. »

Je haussais les épaules sans grande conviction et me mis au travail.


Il me fallu un peu de temps pour me concentrer mais cette fois-ci j'y mis toute ma volonté. Je me focalisais uniquement sur ce petit pré de verdure. Chaque parcelle de détermination que je pouvais rassembler était canalisée dessus. Je sentais mon mal de tête grandir mais je ne lâchai pas l'affaire pour autant. Je commençais à avoir le vertige. Lorsqu'il devient trop fort, j'abandonnai :

« Désolé, je n'y arrive vraiment pas. Peut-être que demain si ... »

Je me tus lorsque je vis que Pharren ne me regardait pas. Je suivis son regard et je vis que le petit carré de terre qu'il avait prit en image plus tôt était entièrement dénué d'herbe.

Je regardais de nouveau la photo. Oui, il s'agissait bien du même endroit.

Pour la première fois je vis Pharren esquisser un semblant de sourire.

« Ton cas n'est peut-être pas perdu après tout, Maxine. »

Fière de moi, je lui rendis son sourire. Rompue, mes genoux flanchèrent. J'étais épuisée comme jamais mais j'avais réussie !

« Arrêtons-nous en là pour le moment, il est tard. J'ai besoin de réfléchir quelques instants puis nous rentrerons. »


J'avais beau être congédié comme un vulgaire serviteur du XVIIIe siècle, je fus soulagée d'arrêter et me promenai quelques instants afin de me remettre de mes émotions.

Je me décidai à trainer alors près de la petite cachette de Chloe et Rachel, là où elles avaient gravées leurs noms. Je voulais la revoir une dernière fois, histoire de tourner la page. La gorge serrée, je me demandais toujours sur ce qui aurait pu se passer si je n'avais pas quitter Arcadia Bay à l'époque. Serais-je moi aussi devenue amie avec Rachel Amber ? Aurait-elle été assassinée ? Et Chloe ? Je ne restai à l'endroit que quelques minutes. Il était inutile de ressasser le passé encore plus que je ne le faisais.


Je m'apprêtais à partir lorsque je vis quelque chose bouger. Y avait-il quelqu'un dans le coin ? Je m'apprêtais à le demander à haute voix lorsque la même sensation que j'avais eue sur le parking me frappa en pleine face. Si la sensation de paralysie était moins forte que la dernière fois, celle d'être épiée était beaucoup plus intense. Je pouvais pratiquement sentir des yeux me parcourir. Décidant d'en finir une fois pour toute avec le petit plaisantin qui me suivait, je fis le tour de la cachette en courant afin de le surprendre. Mais tout comme dans le parking, je ne découvris personne.

Soit j'avais perdu définitivement la boule (ce qui expliquerait pas mal de choses !) soit mon stalker était particulièrement doué pour m'éviter. L'un dans l'autre ce n'était pas rassurant.

« Tout va bien Maxine ? »

Un énorme cri suraiguë sortie de ma gorge et je sursautais sous la peur. Mon pied se pris sur une canette vide et je glissais (non je me ramassais !) sur le sol. Mi-assommée, mi-humiliée, je levais la tête. Ce n'était que Warren, enfin Pharren.

« Au poil. Super. », Maugréais-je.

Je marmonnais plusieurs insultes bien senties mais mon interlocuteur n'y réagit pas, ce qui m'agaça encore plus. Il dut quand même sentir mon énervement puisqu'il me proposa sa main pour m'aider à me relever. Je fus tentée de refuser et de l'envoyer balader mais j'avais eu mon lot de comportement puéril pour la journée.

« Il y a un problème ? Je t'ai appelé plusieurs fois. »

Ne voulant pas passer pour (plus) folle que je ne l'étais déjà, je décidais de ne rien dire pour le moment.

« J'ai encore deux ou trois choses à te dire mais nous pouvons en parler sur le retour. »

Je m'époussetai le mieux possible et nous nous mîmes en chemin.


Je cru un instant que le retour se ferait aussi silencieusement que notre aller mais je me trompais. Mon prof particulier avait décidé d'utiliser ce temps à bon escient (son point de vu, pas le mien) pour continuer à me débiter un flot de paroles et d'avertissements sur les dangers que mes pouvoirs et moi représentions, etc.

Lasse et fatiguée, je le coupai en me laissant aller à une question :

« Si Chloe était destinée à mourir dans les toilettes, puisqu'il est apocalyptiquement incorrect de sauver quelqu'un, pourquoi ai-je reçu mes pouvoirs juste avant qu'elle ne meure, si ce n'est pour essayer de la sauver ? »

Pharren interrompis son monologue. Il s'apprêtait probablement à sortir une quelconque explication à laquelle je ne comprendrais rien, mais lorsqu'il vit les larmes qui coulaient le long de mes joues, il y renonça. Pour la première fois, j'entendis un semblant de compassion dans sa voix :

« Je ne sais pas Max, je ne sais pas. J'espère que nous pourrons le découvrir. »


Le reste du chemin se passa sans autre échange. Seul le cri du vent qui passait par la fenêtre de la voiture me tint compagnie.


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