Un combat de tous les instants

Chapitre 76 : En suspens

2980 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 17/01/2021 22:45

L’attaque fut repoussée jusqu’à nouvel ordre. Au cours des jours qui suivirent, Mikey, Donnie, Raph et Léo tentèrent à tour de rôle de joindre les Mutanimaux, mais ne se heurtèrent qu’à un silence radio de leur côté. À mesure que le temps passait, l’inquiétude grandissait, et les ninja orange et rouge se démoralisaient.

Quand Marion les trouva tous les deux dans la salle de restauration, assis devant une pizzax à laquelle même Michelangelo ne touchait pas, elle eut de la peine pour eux. Elle s’approcha de son ami et passa ses bras autour de ses épaules, en calant son menton sur le sommet de son crâne.

- Tu vas me dire que tout va bien, toi aussi ? demanda-t-il d’une voix chargée de chagrin. Qu’ils ont sûrement eu un contretemps mais qu’ils sont indemnes, comme April le prétend ?

- April a des dons que je ne possède pas.

- Quand ils fonctionnent, grogna Raph. Donnie lui a demandé d’essayer de percevoir quelque chose, mais elle n’a rien vu. Elle n’a donc aucune idée de ce qui leur est arrivé. Alors ses discours stupides...

- Elle a simplement voulu vous remonter le moral.

- Et tu es venue faire la même chose ? interrogea Mikey avec dureté.

Marion raffermit son étreinte. Elle avait effectivement envie de le réconforter, mais elle ne lui mentirait pas en affirmant que les Mutanimaux étaient sains et saufs, parce qu’ils étaient tous dans l’expectative. Leur absence de réponse laissait néanmoins redouter le pire.

- Je suis surtout venue vous dire que Marianne et Léo ont décidé d’organiser une cellule de crise dans la salle informatique, mais si vous ne voulez pas vous joindre à nous, je peux toujours...

- Non, c’est bon. On vient.

Raph repoussa son siège d’un violent coup de pied et se dirigea vers la sortie, mais Marion relâcha Mikey pour le retenir par le bras. Il ne parvint pas à se soustraire à son étreinte, malgré ses tentatives, et capitula avant qu’elle l’attire également contre elle.

- Je sais ce que vous ressentez, affirma-t-elle. Pour Slash et pour Leatherhead. Le pire, c’est l’incertitude. C’est ce qui m’a rongée, moi aussi, pendant que Marianne était aux mains des Kraangs.

- Moi, à ta place, j’aurais plutôt plaint les Kra... aïe !

Le poignet de Raphaël émit un craquement sinistre sous l’étau des doigts de Marion, qui le serra juste assez fort pour lui faire mal, mais pas assez pour le blesser.

- Tu te remets vite de ton chagrin, à ce que je vois, lâcha-t-elle en le poussant vers la porte, tandis que Mikey leur emboîtait le pas, la carapace voûtée et la mine dépitée.

***

- On ne peut pas attendre indéfiniment, déclara Léonardo. Je suis aussi inquiet que vous pour Slash et Leatherhead – un peu moins pour Rahzar, comme je suppose tout le monde ici –, mais il faut se résoudre à envisager les choses sous le plus sombre des angles.

Il avait insisté pour exposer le motif de cette réunion, bien que les autres s’en doutent déjà, car il avait eu peur que Marianne manque cruellement de tact, comme à son habitude. Non pas qu’il se soucie de ménager Raph, mais il ne voulait pas ajouter à la peine de Michelangelo.

- Les Mutanimaux sont peut-être blessés, voire pire, ou ils n’ont peut-être tout simplement aucun moyen d’entrer en communication avec nous s’ils ont perdu le T-Phone programmé par Marianne lors de leur assaut sur la dernière base. Il peut y avoir mille et une explications à leur silence. Ce que je suggère, c’est de s’en tenir à ce qui a été longtemps prévu, à savoir passer à l’attaque sans les prendre en compte dans l’équation.

- Tu... commença Michelangelo, mais Léo le fit taire d’un geste.

- Je sais déjà ce que tu vas me dire, mais cette décision va aussi dans l’intérêt des Mutanimaux. S’ils ont des ennuis sur Terre qui les empêche de nous rejoindre, plus tôt nous regagnerons notre planète, plus tôt nous pourrons leur venir en aide. Puisque nous sommes dans le flou le plus total, autant tenter quelque chose au lieu de rester là les bras croisés.

- C’est aussi ce que tu penses ? lança Marion à Marianne.

Elle ne fut pas surprise de voir sa sœur acquiescer. Elle la soupçonnait même de n’avoir que faire du sort des Mutanimaux. S’ils avaient pu prendre part au combat final, ç’aurait été un bonus, mais quoi qu’il leur soit arrivé, ils n’étaient jamais selon ses critères qu’une bande de mutants encore moins civilisés que les tortues.

- Et la dernière base ? interrogea April. Qu’est-ce qu’on fera s’ils ne l’ont pas détruite ?

- On s’en chargera. Une seule, ça ne devrait pas être la mer à boire, pas comme les nids kraangs qui fourmillaient dans New York avant notre départ.

- Sauf qu’on ne connaît pas son emplacement, souligna Donatello. On aurait mieux fait de le demander aux autres, juste... au cas où.

- Si l’occasion se présente, on pourra toujours essayer de pirater un terminal dans la ruche, proposa Marianne. Ils détiendront peut-être des informations concernant la Terre. Je ne serais même pas surprise que cet endroit serve de relai principal entre les deux dimensions.

- Vraiment ? interrogea Raph, suspicieux. Tu serais prête à faire ça ?

Sa méfiance disparut lorsqu’il réalisa que Marianne n’avait pas émis cette proposition dans l’intérêt des Mutanimaux, mais de son objectif de toujours, l’éradication des Kraangs sur Terre. Vu sous cet angle, c’était tout de suite moins suspect. Elle le lui confirma d’ailleurs dans la seconde qui suivit d’un ton sans appel.

- Ça me semble être la décision la plus logique, étant donné la situation, approuva Donatello.

- Si on considère que c’est ça, selon vous, envisager le pire, lâcha Michelangelo.

Sa remarque fit l’effet d’une bombe, et tous les regards convergèrent aussitôt vers lui, qui fixait pour sa part le processeur face auquel il était assis.

- Bah quoi ? Ce n’est pas ce que vous avez dit qu’il fallait faire ? Parce que bon, là, vous êtes loin du compte. Ça ne me plaît pas de songer que Leatherhead puisse... Enfin, peu importe. Vous ne parlez que des Mutanimaux et de la dernière base, mais comme l’a souligné Léo, il peut y avoir mille et une explications à leur absence de réponse. Et leur... leur... Le fait qu’il leur soit arrivé quelque chose n’est pas la pire.

Marion, qui comprenait Mikey mieux que personne, dans tous les sens du terme, fut la première à assimiler ses paroles, et elle ouvrit de grands yeux effrayés. Le visage d’April se décomposa quand elle saisit à son tour, et si les tortues avaient pu devenir livides, elles l’auraient probablement fait. Même Marianne, d’ordinaire hermétique, se mordit les lèvres.

- Attendez... intervint Casey. Je suis le seul à pas piger ?

- Une catastrophe sans précédent, expliqua Donnie. Les Kraangs ont pu... faire exploser New York ? Envoyer toute une armada pour compenser les bases perdues ? Étendre leur domination au reste de l’état, du pays, du... du...

Il fut incapable de prononcer le mot « monde » comme Mikey le mot « mort », mais il plana dans la pièce pendant un instant qui parut durer une éternité, jusqu’à ce Léonardo se tourne vers Marianne.

- Ils auraient pu renforcer leurs troupes terrestres sans qu’on s’en aperçoive ?

- C’est leur dimension, ici, rappela la jeune femme. Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, et à notre insu. Nous avons appris à survivre ici, mais nous n’en demeurons pas moins chez eux. Nous jouons selon leurs règles, et ils auront toujours tous les atouts dans leur manche.

Marianne secoua la tête. Quelle idiote ! Elle n’arrivait pas à croire qu’elle se soit fait une nouvelle fois damer le pion par cet ersatz de génie interdimensionnel. Comment avait-elle pu ne pas envisager cette possibilité ? Comment avait-elle pu sous-estimer les Kraangs, qu’elle considérait comme ses ennemis intimes ?

- Autrement dit, on est coincés, marmonna Raph. On ne peut pas retourner sur Terre sans être sûrs que le ciel ne nous tombera pas sur la tête dès notre arrivée.

- Et comment on est censé le vérifier ? demanda Casey avec cynisme.

- Peut-être en trouvant d’autres terminaux ? suggéra Léo. Avec Marion, on en a approché pas mal, en mission. Si Donnie vient avec nous, il sera le plus à même de les exploiter pour en tirer des infos.

Raph serra les poings. Il n’aimait pas entendre son frère évoquer Marion comme si elle était sa partenaire de combat attitrée, d’autant qu’elle était redevenue celle de Michelangelo depuis qu’il avait recouvré son apparence de ninja. Ensemble, ils avaient dérobé une partie du matériel nécessaire à l’aménagement du technodrome, Donnie et Léo se chargeant du reste.

- On n’a pas vraiment le choix, reconnut April. Mieux vaut tenter de tirer au clair la situation à New York avant de foncer dans le tas. Si toute la Terre est envahie...

- Oui ? fit Casey, car elle s’était interrompue. Si toute la Terre est envahie quoi ?

Il n’y avait rien à ajouter, cependant, car il n’y aurait rien à faire. Si la Terre entière était tombée, ils n’auraient plus aucune chance de vaincre les Kraangs, ni de sauver leur monde. Il serait déjà trop tard.

***

L’équipe de terrain se composerait de Mikey, Léo, Marion et Donnie. Ils s’entasseraient tous les quatre à bord de l’une des navettes furtives et mettraient le cap sur le premier bâtiment kraang d’envergure qu’ils croiseraient, dans l’espoir de pouvoir découvrir quelque chose dans leur base de données.

Donatello s’apprêtait à regagner la salle informatique quand il entendit des voix qui l’arrêtèrent. Ils s’étaient tous séparés après le conciliabule qui s’y était tenu afin de se préparer à la mission qui les attendait, à l’exception de Raph, qui avait choisi de s’y attarder pour tenter un dernier contact avec les Mutanimaux.

Il pensait que son frère aurait terminé, étant donné qu’il s’était écoulé plusieurs unités de temps kraang, mais il entendait son timbre, ainsi que celui de Marion qui avait dû revenir entre-temps. Malgré lui, et malgré le nœud de son estomac, Donnie osa un regard discret à l’intérieur de la pièce.

Le couple se tenait enlacé devant l’appareil avec lequel Raph avait essayé en vain d’établir une communication. Ils ne parlaient pas, mais les regards qu’ils échangeaient en révélaient long sur la profondeur de leurs sentiments. Ils dévoilaient tout ce que leur orgueil les empêchait de se dire.

La patte de Donnie se crispa autour de la clé USB kraang que Marianne lui avait offerte. Elle contenait une copie des travaux qu’il lui avait réclamés, ceux portant sur le Mutafix. Il la gardait sur lui presque en permanence, sauf quand il partait en mission, car il avait toujours peur de la perdre. Dans ces moments-là, il la dissimulait dans un compartiment secret de la salle informatique.

L’impression coupable d’être un voyeur l’assaillit tandis qu’il laissait ses prunelles s’attarder sur Raph et sur Marion, pourtant ce n’était pas vraiment eux qu’il voyait. Il s’imaginait à la place de son frère, avec April dans le rôle de son amie. Une scène qui ne se concrétiserait jamais, du moins sous cette forme.

Si Donnie voulait tenir la rouquine dans ses bras de cette façon, ce ne serait pas en tant que tortue, mais en tant qu’humain. C’était la condition à respecter pour que son rêve devienne réalité. Une condition à laquelle Raph n’avait pas eu à se soumettre. Le cœur lourd de peine et d’envie, le ninja mauve s’inclina et battit en retraite.

***

Assise sur sa couchette, April tenait son visage entre ses mains. Elle avait eu toutes les peines du monde à se débarrasser de Casey, qui avait sauté sur le prétexte de fin du monde potentielle pour chercher une nouvelle fois à lui soutirer un baiser. Elle-même avait prétendu une soudaine migraine pour se dérober.

Ce qui n’était pas tout à fait faux, bien que les céphalées ne se soit manifestées qu’une fois qu’elle se fut isolée. Pour se détourner des tourments que lui infligeaient malgré eux Casey et Donnie, elle s’était mise à solliciter ses pouvoirs psychiques en se concentrant sur les Mutanimaux.

Elle ne voyait pas pourquoi cet essai se révélerait plus fructueux que les précédents, mais au moins, cela lui permettait de se focaliser sur autre chose que le mélodrame qu’était devenue son existence, par sa propre faute.

À force de concentration, April parvint à les chasser de son esprit. Donnie et Casey, mais aussi Marion et Raph, Marianne qu’elle avait toujours soupçonné d’avoir captivé l’intérêt du ninja mauve... C’était la première fois depuis des jours qu’elle arrivait à faire le vide complet. À ne plus laisser ses problèmes personnels prendre le pas sur ceux qu’ils avaient à résoudre tous ensemble.

Ce fut sans doute pour cette raison que la solution lui apparut.

***

- April ? s’étonna Donnie.

Après avoir renoncé à attendre que la salle informatique soit vide, il était venu s’installer dans la navette furtive pour y patienter jusqu’au moment du décollage. Il lui restait un peu de temps avant que les autres le rejoignent, et April était bien la dernière personne qu’il aurait imaginé voir apparaître dans le cockpit.

Elle l’ignora et se dirigea vers le tableau de commande, sur lequel elle pianota. Donnie murmura son nom une seconde fois, mais comme il n’obtint pas plus de réaction de sa part, il la soupçonna d’être en transe. Il en eut confirmation lorsque, après avoir entré des coordonnées dans le système de navigation, elle parut brusquement prendre conscience de l’endroit où elle se trouvait.

- Qu’est-ce que tu as vu ? interrogea doucement la tortue.

- Je... Une base kraang. Un laboratoire, je crois.

- Ici ? Ou sur Terre ?

- En dimension X. Je... Je ne sais pas ce qu’il y a exactement. Je sais juste que vous devez y aller. Les coordonnées n’étaient pas aussi nettes que lorsque Karai m’a transmis celles de l’usine de Shredder, alors j’espère que vous trouverez.

- Merci, April.

Elle lui adressa un petit sourire, qui s’effaça presque aussitôt de son visage. Donatello, qui l’avait suivie des yeux pendant qu’elle effectuait ses manipulations, se détourna d’elle pour fixer son attention sur un point invisible face à lui.

April savait qu’elle devrait dire quelque chose, mais quoi ? Elle percevait vaguement ce qu’il ressentait, un mélange de doute et de chagrin. Pas de colère, pourtant elle l’aurait méritée. Elle était hypocrite et malhonnête vis-à-vis d’elle autant que d’autrui au sujet de ses propres sentiments.

Elle avait eu tort d’en vouloir à Marion d’avoir outrepassé cette barrière qu’elle jugeait infranchissable. La seule personne à qui elle pouvait s’en prendre, c’était elle-même, car c’était elle qui compliquait chaque jour un peu plus sa situation, à tergiverser au lieu d’assumer ses choix et son comportement.

- Donnie... commença-t-elle d’une voix à peine audible. Je...

- Booyakasha !

Mikey fit irruption en bondissant à l’intérieur de la navette furtive, Marion dans son sillage. Le regard de l’adolescente glissa de Donatello à April, à la fois mal à l’aise et soulagée d’avoir été interrompue, car elle n’avait aucune idée des mots qu’elle s’apprêtait à prononcer.

Michelangelo, totalement ignorant du fait qu’ils avaient débarqué au mauvais moment, s’installa à côté de son frère devant le tableau de commande, tout en demandant distraitement à April si elle prenait finalement part à la mission.

- Non, je... J’ai eu une vision. Enfin, plus une impression qu’une vision. J’ai donné les coordonnées à...

Elle buta, incapable de formuler à voix haute le nom du ninja mauve. Il vint à son secours, quoique sans ramener son attention sur elle.

- Elles sont déjà enregistrées, affirma-t-il. On peut y aller. Vous êtes prêts à décoller ? Où est Léonardo ?

- Ici, indiqua l’intéressé en pénétrant à son tour dans la navette, où l’espace commençait à manquer.

April lui céda sa place à bord et, les prunelles fixées sur la nuque de Donatello, elle leur souhaita bonne chance, juste avant que la trappe se referme, soustrayant la tortue et le reste de son équipe à sa vue.

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