Un combat de tous les instants

Chapitre 52 : Mystère chiffré

3383 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 16/05/2019 22:45

- Donner le commandement à Michelotto ? Tu es tombé sur la tête ou quoi ?

Marianne tapota ses feuilles de notes pour les aligner, avant de ramener sur Donatello un regard sévère. La tortue le soutint, quoique légèrement mal à l’aise. Il se doutait que la suggestion allait lui déplaire, mais elle lui semblait néanmoins nécessaire.

- Je veux bien admettre que la mort de votre maître lui a permis d’acquérir enfin un peu de maturité, mais je ne suis pas sûre que ça suffise à...

- En réalité, c’est toujours Mikey qui a dirigé les opérations menées en dimension X. Je sais que c’est difficile à croire, étant donné que tu ne le connais quasiment que d’ici, mais aussi étonnant que ça puisse te paraître, là-bas, il devient un véritable génie. Même moi, je ne suis pas aussi ingénieux que lui en territoire kraang.

Les sourcils de Marianne s’arquèrent, affichant sur son visage dur une expression dubitative. Donnie insista :

- J’ai conscience que j’en demande beaucoup à un esprit aussi scientifique que le tien, mais je t’en prie, accepte de te fier aveuglément à moi sur ce point. Si tu n’as pas confiance en Mikey, aie confiance en moi. On a suffisamment travaillé ensemble pour que tu saches que je ne prendrais jamais une telle décision à la légère.

Marianne dut admettre que c’était vrai. Bien que la proposition ne la séduise pas, Donatello ne la lui aurait pas soumise sans raisons valables. De toute la bande, il était le plus sérieux, et le seul que la jeune femme pourrait accepter de croire sur parole, elle qui avait plutôt tendance à s’appuyer sur des faits établis ou démontrés.

- Partons là-dessus pour le moment, s’inclina-t-elle sans toutefois consentir à donner un accord définitif. Et pour les membres de l’escouade ? C’est tout de même la grosse expectative.

Donnie se passa une patte sur le visage. Effectivement, c’était le point qui posait le plus de problèmes dans la mise en place d’un plan correct. Ils avaient envisagé de réclamer une nouvelle fois l’assistance de Slash et de Leatherhead. Le second accepterait sûrement, et le premier très probablement. Quant à Rahzar, restait à savoir s’il serait prêt à les aider derechef.

Là où les doutes étaient encore plus nombreux, c’était au sein de leur propre équipe. Un point d’interrogation entourait Marion, Léonardo et bien évidemment Karai. L’adolescente avait commencé à s’entraîner à manier l’épée de la main gauche, d’abord avec Raphaël, puis avec Michelangelo, mais ses progrès étaient minces. Sans l’aide de ses amis, elle aurait déjà baissé les bras.

En ce qui concernait Karai, même si elle finissait par sortir du coma, ses muscles seraient tellement atrophiés qu’elle ne serait pas apte au combat avant longtemps. Et cela valait aussi pour Léonardo, qui se négligeait totalement. Il ne quittait pas la chambre de la kunoichi, ne parlait plus, ne se nourrissait plus... Une ombre avait davantage de consistance que lui, actuellement.

- Pour l’instant, on fait avec ce qu’on a, déclara Donatello. Ta sœur a beau se croire inutile, je suis certain que même sans épée, elle pourra être d’un précieux soutien dans la dimension X. Ne serait-ce que moralement, pour Mikey. Sans elle pour l’aider à remonter la pente, il aurait peut-être sombré comme Léo, après la mort de maître Splinter.

Marianne hocha la tête tout en consultant ses dernières notes en date, qui n’étaient guère plus engageantes que les précédentes. En dépit de journées entières de discussions, de théorisations et de délibérations, ils avaient à peine avancé. Les suggestions de Casey, Raphaël et Marion, qui consistaient principalement à foncer dans le tas et à casser du méchant, s’opposaient à celles de Marianne, Donnie et April, partisans de la prudence.

Le seul point sur lequel ils étaient tous sensiblement d’accord, c’était sur le fait qu’il était presque impossible de prévoir ce qui les attendrait dans la dimension X. Qu’ils chargent tête la première ou progressent à petits pas, la difficulté resterait la même, celle de ne rien être en mesure d’anticiper.

Les Kraangs avaient prouvé à maintes reprises combien ils pouvaient se montrer imprévisibles. Après la dernière irruption des tortues dans leur monde, ils auraient sans doute fait renforcer la sécurité, mais de quelle manière ? Avec une armée de kraathatrogons ? Des nouveaux robots ultra-perfectionnés ? Peut-être même auraient-ils déplacé les habitants de New York, auquel cas il faudrait probablement des semaines au groupe pour les relocaliser.

Marianne soupira. Elle était un génie, oui, mais pas un devin. Après avoir repoussé une mèche flamboyant derrière son oreille, elle se leva de son siège et décréta qu’elle allait se dégourdir les jambes. Depuis qu’elle s’était délestée de son plâtre, elle faisait régulièrement des promenades autour de la maison, afin d’aider ses muscles à se remettre de leur immobilisation prolongée. Marcher la détendait, mais elle aurait préféré que cela lui apporte une idée plus ou moins miraculeuse.

***

Les mains plaquées sur les tempes de Karai, par-dessus laquelle elle était penchée, April prit une profonde inspiration et se projeta dans son esprit. Presque aussitôt, et comme chaque fois qu’elle procédait à cette désagréable corvée quotidienne, elle fut happée par les ténèbres.

- Karai ? appela-t-elle, et son timbre mental se répercuta en écho aussi bien dans son crâne que dans celui de la kunoichi. Karai, est-ce que tu m’entends ? Fais-moi un signe, je t’en conjure.

Aucune réponse. Évidemment. Ici, tout était froid, vide, et parfaitement silencieux. April s’y sentait toujours mal à l’aise, mais elle continuait à chercher une trace de conscience chez la kunoichi. Léo ne lui aurait jamais pardonné si elle avait renoncé, or il leur en voulait déjà bien assez à tous.

L’adolescente laissa ses pouvoirs la guider au hasard dans le néant au cœur duquel elle se trouvait, sans rien remarquer d’inhabituel. Elle erra au cœur de l’obscurité pendant de longues minutes, qui se transformèrent en quart d’heure, jusqu’à ce qu’elle décide de renoncer. Même si Karai devait revenir à elle, cela n'arriverait pas aujourd’hui.

Alors qu’April s’apprêtait à s’extraire du psychisme de la kunoichi, quelque chose d’anormal se produisit. Elle fut incapable de s’arracher à son esprit, comme si une force occulte et déterminée l’y retenait contre son gré. La jeune fille tenta de se débattre, ce qui lui provoqua une violente migraine, sans qu’elle parvienne pour autant à ses fins.

Un cri lui échappa quand un flash lumineux dansa devant ses yeux, et qu’une série de nombres se succédèrent. Elle ne les vit pas, ne les entendit pas. Elle les perçut, tout simplement, et sans qu’elle soit en mesure de dire comment. 40. 77. 94. 73. 97. 74. Après cela, deux mains la secouèrent.

- April ? April, qu’est-ce qui s’est passé ? Tu l’as sentie ? Elle est revenue ?

L’intéressée porta une paume à son front douloureux. Elle aurait voulu dire à Léo de ne pas l’agiter autant, mais elle était incapable de bouger, et surtout de parler. Une bile acide menaçait d’affluer dans sa bouche, et si elle s’avisait de l’ouvrir, elle rendrait son petit-déjeuner dans la seconde.

Léonardo finit par comprendre qu’elle n’était pas en état de s’exprimer, car il la lâcha et recula d’un pas, en s’efforçant de réfréner tant bien que mal son impatience d’avoir des réponses à ses questions. Enfin, April le renseigna :

- Il y avait quelque chose, oui, mais ce n’était pas Karai. Enfin, je ne crois pas. C’était juste... étrange. Des chiffres... Non, des nombres. Je ne... Je ne me sens pas bien. Est-ce que tu peux me conduire au laboratoire, s’il te plaît ?

Léo la saisit aussitôt par le bras pour la soutenir, moins pressé de lui venir en aide, cependant, que d’en apprendre plus sur tout ce qui pouvait concerner Karai. April tâcha d’ignorer la maigreur de ses doigts, mais le ninja était devenu si émacié, à force de refuser de se nourrir, qu’il était très difficile de ne pas en tenir compte.

Il l’escorta prudemment sur le palier, puis dans les escaliers où ils ne rencontrèrent personne. Casey et Mikey regardaient la télévision sur le canapé, mais ils avaient mis le volume à un tel niveau qu’ils ne purent les entendre et ne leur accordèrent par conséquent aucune attention.

Marianne n’étant toujours pas revenue de sa promenade, ce fut seul qu’ils découvrirent Donnie, occupé à se gratter le crâne avec un crayon, tandis qu’il réfléchissait à des stratégies auxquels ils n’auraient pas déjà pensé. Autrefois, c’était Léonardo qui mettait au point les plans, souvent contredits par Raph, mais à présent, ce n’était plus la peine de demander quoi que ce soit à la tortue bleue.

- Un problème, April ? s’enquit-il en bondissant sur ses jambes pour lui céder sa chaise, alors même qu’elle franchissait à peine le seuil.

- J’ai mal à la tête. Un incident étrange est survenu pendant que j’essayais de contacter mentalement Karai.

Léonardo la lâcha une fois qu’elle eut pris place sur le siège, et April s’accorda quelques secondes de silence avant de rapporter à Donatello ce qui lui était arrivé. Elle dut se concentrer pour réussir à se remémorer les nombres, que le scientifique s’empressa de noter sur une feuille.

- Tu as une idée de ce à quoi ils pourraient correspondre ? interrogea Léo.

- Aucune. Ou plutôt si, des centaines. Je vais avoir besoin d’un moment afin d’y réfléchir et d’écarter des possibilités.

- Et pour Karai ? Qu’est-ce que ça signifie ? Est-ce que c’est elle qui a transmis ça à April ?

- Je n’en suis pas certaine, répondit l’intéressée. Comme j’étais dans son esprit, ce serait effectivement logique, mais quel intérêt de me communiquer des nombres ? Un signe plus évident aurait été le bienvenu.

Léo ne releva pas, mais April crut voir son visage perdre un peu de sa dureté. Ce petit rien avait ravivé son espoir, ce dont l’adolescente était incapable de se réjouir. Elle avait peut-être tout simplement eu une vision, une intuition, comme celle qui lui avait permis de comprendre que ses amis étaient mal en point face à Shredder et Tiger Claw, quelques semaines plus tôt. N’importe quoi qui n’aurait strictement rien à voir avec Karai. Si tel était le cas, la déception du ninja n’en serait alors que plus grande.

- Je vais étudier ça de près, promit Donnie. Dès que je trouve une piste, tu en seras le premier informé, Léo. Quant à toi, April, tu ferais mieux d’aller te reposer. Tu es toute pâle, et nous savons tous à quel point tes pouvoirs peuvent te mener la vie dure.

La rouquine ne put qu’approuver, et Léo se résigner. Il détestait devoir attendre, lui qui le faisait constamment, guettant un geste, un frémissement de paupières de la part de Karai, mais il n’avait pas vraiment le choix. Ensemble, ils quittèrent le laboratoire, laissant Donnie à son ouvrage.

***

April buvait une tasse de chocolat chaud dans la cuisine, où Casey l’avait rejointe, quand Marion et Raphaël rentrèrent de la forêt, où ils avaient été s’entraîner. Ils étaient couverts de boue et de traces de mousse de la tête aux pieds, et semblaient éreintés. Ils s’étaient encore livrés à un exercice particulièrement musclé, qui n’avait pas dû se révéler concluant, à la vue de l’expression maussade de l’adolescente.

Afin de la réconforter, April lui tendit sa boisson à demi entamée, et Marion l’accepta avec un regard reconnaissant. Le travail acharné qu’elle fournissait pour tenter d’acquérir un niveau d’épéiste correct avec son bras gauche la fatiguait beaucoup. Elle ne se plaignait jamais ouvertement, car elle était trop orgueilleuse pour cela, mais son abattement se lisait dans ses yeux.

- Quand je pense qu’à une époque, vous ne pouviez pas tenir deux minutes sans avoir envie de vous écharper, et que vous vous entendez maintenant comme larrons en foire au point d’être devenus partenaires de combat, j’ai presque de la peine à le croire, commenta Casey. L’un de vous n’aurait pas eu le cerveau saupoudré de mutagène, par hasard ?

Personne ne jugea utile de lui répondre. Marion acheva d’engloutir le chocolat chaud d’April, puis s’affala sur la table. Elle était si fatiguée qu’elle parvenait à peine à garder les paupières ouvertes. Si Mikey n’avait pas fait irruption au même moment, elle se serait sûrement assoupie.

- Un bon massage va t’aider à te délasser, affirma-t-il en se positionnant derrière la chaise de son amie.

Marion grimaça légèrement lorsqu’il commença à manipuler l’épaule qui ne se remettait pas de la blessure infligée par Shredder, mais ne tarda pas à se détendre. Effectivement, cela soulageait ses muscles, endoloris par des heures d’exercices quotidiens.

April attendit que ses amis aient un peu récupéré pour leur raconter ce qui s’était produit avec Karai durant leur absence. Elle-même s’était rétablie de sa migraine, non sans l’aide d’un médicament qui avait presque aussitôt contribué à l’atténuer. Les autres, y compris Michelangelo, l’écoutèrent attentivement.

- Léo a dû sauter au plafond, non ? supposa Raph.

- Pas tout à fait. J’ai seulement cru qu’il allait m’arracher la langue si je ne lui révélais pas au plus vite ce que j’avais vu dans l’esprit de Karai. J’espère sincèrement pour lui que Donnie va réussir à donner un sens à cette série de nombres.

- Ne t’inquiète pas, même s’il ne trouve pas, Marianne y parviendra sûrement.

April ne releva pas. Elle n’avait rien contre la jeune femme, mais elle n’aimait pas le temps que celle-ci passait seule en compagnie de Donatello, quand elle ne décidait pas de mener des expériences sur son ADN à moitié kraang qui, le plus souvent, ne donnaient strictement rien.

April s’abstenait néanmoins de trahir la moindre jalousie, car elle estimait ne pas en avoir le droit. Donnie ne lui avait jamais caché ses sentiments ; c’était elle qui les avait toujours repoussés. Quoi qu’elle ressente, désormais, c’était son problème, pas celui du ninja mauve. Elle ne pouvait envier le temps qu’il consacrait à une autre alors qu’elle se savait elle-même incapable de lui rendre son affection.

Ils étaient toujours dans la cuisine quand les deux scientifiques les rejoignirent. Léonardo étant le seul absent, Mikey se proposa pour aller le chercher. Il avait regagné la chambre de Karai, mais à l’instant où il apprit que Donnie et Marianne avaient percé le mystère des nombres perçus par April, il dévala les escaliers.

- Ce sont des coordonnées, révéla la rousse en déroulant une carte sur la table, que Marion s’empressa de caler avec la tasse vide qu’elle avait encore à la main. Elles indiquent un point précis dans Manhattan. Juste ici.

Avec son index, elle tapota une intersection. Les autres s’interrogèrent mutuellement du regard, mais cet emplacement ne leur évoquait rien. Il était d’autant plus difficile de se repérer sur un plan qui n’offrait même pas une vue satellite. Il n’y avait rien que le nom de rues dans lesquelles les tortues se souvenaient vaguement d’avoir patrouillé, sans jamais y avoir remarqué quoi que ce soit de suspect.

- Si Karai a transmis ces coordonnées à April, elle ne l’aura pas fait sans raison, déclara Léo. Nous devons nous rendre sur place.

- Euh... Je te rappelle qu’on a quitté New York parce que ça commençait à devenir trop dangereux pour nous, souligna Mikey, approuvé par plusieurs hochements de tête.

- Je croyais que c’était surtout pour laisser aux blessés le temps de guérir ? Marion va mieux, Raph et Marianne n’ont plus leur plâtre...

- Léo, si tu crois que je vais mieux, c’est que tu es vraiment resté trop longtemps enfermé, répliqua l’épéiste. Je ne peux toujours pas combattre, pourtant ce n’est pas faute d’essayer. Et...

Marion s’interrompit. Elle en avait déjà dit assez sans avoir en plus besoin de souligner que lui-même, maigrelet comme il l’était, avec sa masse musculaire qui avait fondu à vue d’œil, pourrait être terrassé par une pichenette.

- Ne nous précipitons pas. Demain, April tentera une nouvelle fois de pénétrer l’esprit de Karai, et de voir si autre chose se produit. Dans le cas contraire, nous...

- Oui ? insista Léo. Nous ferons quoi ? Pourquoi perdre du temps ? Si April ne se sent pas de réessayer d’entrer en contact tout de suite avec Karai, nous pouvons partir maintenant, arriver à New York à la tombée de la nuit pour profiter de la faveur de l’obscurité et être revenus bien avant l’aube.

- Ou tomber sur le clan des Foots au grand complet, ou un escadron kraang, ou que sais-je encore, et être décimés à l’instant même où nous aurons remis un pied dans la ville, rétorqua Donnie. Combien de fois devrais-je te demander d’apprendre à réfléchir lorsqu’il est question de Karai ?

- On en reparlera quand Raph aurai appris à réfléchir tout c...

Un coup de poing de l’intéressé le dissuada d’aller plus loin. Léonardo pivota aussitôt sur lui-même, en position de combat, mais Casey bondit de son siège pour agripper le ninja rouge, pendant que Mikey s’interposait entre eux deux, les bras levés.

- Calmos, les frangins. J’ai une super idée qui va mettre tout le monde d’accord. Pourquoi est-ce que Donnie et Marianne ne fabriqueraient pas un drone à partir des restes du vieux vaisseau kraang qui se trouve sous la maison ? À condition qu’il soit assez endurant, on pourrait s’en servir pour découvrir ce qu’il y a à cet endroit sans risquer nos carapaces en s’aventurant dans New York.

- Je... n’en reviens pas que tu aies des idées pareilles, confessa Donnie.

- Surtout hors dimension X, renchérit Casey. Cette fois c’est sûr, y a vraiment un truc qui tourne plus rond. Je crois que je ferais bien d’aller me coucher avant que le ciel nous dégringole sur la tête.

- Tu pourrais faire ça ? interrogea Marion en ignorant les commentaires des deux garçons pour se tourner vers sa sœur.

Marianne marqua une légère hésitation, car cela dépendrait du matériel qu’elle aurait à sa disposition, mais elle finit par acquiescer. La question était réglée.

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