Un combat de tous les instants

Chapitre 45 : Encaisser la douleur

3345 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/12/2018 22:57

Casey haletait et ses muscles étaient en feu. Les Foot-bots le submergeaient et Fishface, depuis qu’il s’était relevé, ne lui accordait aucun répit. Il parait les assauts avec de plus en plus de difficulté, acculé contre un mur. Pourquoi personne ne venait l’aider ? Il avait entendu Donnie crier quelque chose, mais dans la cohue émise par les ninjas de métal, il n’aurait su dire ce que c’était.

Alors qu’il se baissait pour esquiver le poing d’un robot qui se ficha dans le mur, il les vit. Juste là, à environ trois mètres sur sa gauche, en légère diagonale, et séparés de lui par groupe d’humanoïdes. Ses palets explosifs. Exactement ce dont il avait besoin pour se soustraire à son épineuse situation.

Ils lui avaient été arrachés par un Foot-bot dans l’affrontement et Casey, en dépit de ses efforts, n’avaient pas réussi à les récupérer sans risquer de se faire écharper. Il les avait ensuite perdus de vue, pendant que des pieds et des nageoires les repoussaient sans cesse.

Il n’avait pas le choix, il devait à tout prix remettre la main dessus. À présent qu’il était seul et qu’il ne risquait plus de blesser Léonardo en les jetant sur ses adversaires, il n’allait pas s’en priver. Avec sa batte de baseball, il para un coup, contra la queue de Fishface avec sa crosse de hockey et bondit par-dessus l’épaule d’un Foot-bot. Il n’avait plus rien à perdre. Si le combat se poursuivait, ses ennemis l’auraient à l’usure.

Casey glissa à plat ventre et sa main se referma sur l’un des palets. Un seul, mais c’était mieux que rien. Avisant les autres du regard, desquels il avait dû s’éloigner précipitamment pour ne pas être écrasé par la patte métallique de Xever, il eut une idée. Dangereuse, certes, et il n’aurait pas le droit à l’erreur, mais de toute façon, il n’avait jamais été du genre à réfléchir longtemps.

- Kongala ! s’écria-t-il en activant l’explosif qu’il avait à la main.

Il ne le jeta non pas directement sur Fishface, ni même sur un soldat Foot, mais à proximité d’un autre. Les palets étaient très proches les uns des autres, ce qui allait provoquer une réaction en chaîne, et par conséquent une immense déflagration. Il devait sortir de là avant que cela se produise.

Jouant des poings, des pieds, de la batte et de la crosse, il parvint à atteindre la fenêtre juste au moment où la première explosion retentissait. Le souffle chaud qui s’en dégagea le propulsa à travers l’ouverture béante et il poussa un hurlement de panique en plongeant droit vers le sol.

Il s’écrasa sans ménagement à côté de Léo, dont la vue du corps l’angoissa. Deux doigts plaqués contre sa gorge suffirent à confirmer à un Casey groggy que son ami était toujours vivant. La même panique l’envahit néanmoins lorsqu’il remarqua April, qui gisait un peu plus loin. Ayant l’impression que la chute avait réduit ses os en miettes, l’adolescent n’était pas en état de se lever, mais il décida de ramper jusqu’à elle. Il n’avait même pas progressé d’un mètre lorsqu’il s’immobilisa.

Sa chute et ses amis inconscients lui avaient presque fait oublier qu’un combat se déroulait dans la rue. Son inquiétude se mua effroi lorsqu’il aperçut le cadavre de Splinter, baignant dans son sang, non loin de Karai, elle aussi étendue par terre, pendant que Donnie, Mikey et Marion peinaient à prendre l’ascendant sur Shredder.

C’était un vrai carnage, et un gémissement à la gauche de Casey ne fit qu’ajouter à son désespoir. Tiger Claw, sonné et encastré dans le mur de l’immeuble, était en train de revenir à lui, probablement réveillé par les secousses provoquées par l’explosion successive des palets.

Prenant appui sur sa crosse de hockey, le jeune homme se redressa tant bien que mal, mais ses jambes chancelèrent. Sa chute l’avait vidé du peu d’énergie qu’il lui restait, et ce ne serait qu’une question de secondes avant qu’il s’effondre comme Léo et April, livré en pâture aux griffes de Tiger Claw.

***

Marion et Mikey tournoyaient autour de Shredder pour le distraire, ce qui ne l’empêcha pas de parer l’assaut de Donnie lorsqu’il se jeta sur lui. Il encaissa un coup en plein visage, qui le fit tituber, avant que son cadet ne soit touché à son tour, coupé par une lame au niveau du coude.

La blessure que Karai avait réussi à infliger au Destructeur semblait l’avoir à peine ralenti, et s’il souffrait, il n’en laissait rien paraître, contrairement à ses adversaires qui grimaçaient à chaque mouvement.

- Tu sais, Marion..., commença Michelangelo avant de s’interrompre, car elle repoussait avec le plat de son épée le bras acéré que Shredder avait essayé d’abattre sur elle. Quoi qu’il arrive, je suis heureux de t’avoir eu comme sœur.

- Moi aussi, Mikey.

Marion tenta de refouler la tristesse que lui inspira la pensée de Marianne, ainsi que celle de Raphaël, restés au repaire. Il était désormais de plus en plus évident qu’ils allaient tous mourir ici, et qu’ils ne reverraient jamais les deux autres. Son aînée était intelligente, elle pourrait survivre seule, et peut-être même continuer la lutte contre les Kraangs, mais Raph... Combien de temps résisterait-il à la tentation de commettre un acte stupide qui lui coûterait la vie, en dépit de la promesse qu’il lui avait faite, dans le seul but de venger ses proches ?

L’adolescente poussa un hurlement quand l’une des lames de Shredder s’enfonça dans son épaule, avant qu’il la repousse contre Michelangelo. La tortue et la jeune fille tombèrent à la renverse dans un enchevêtrement de jambes, et se blottirent l’un contre l’autre, attendant le coup fatal. La main de Marion serra celle de son ami, qui ferma les yeux.

Le Destructeur balaya sans peine Donatello qui tenta de s’interposer pour l’empêcher d’en finir avec eux, mais dut tourner la tête au moment où un vrombissement sonore se fit entendre. Son volume s’accroissait de seconde en seconde, signe que son origine se rapprochait. Le ninja mauve s’immobilisa.

- Mais c’est... Casey, attention !

Le jeune homme réagit juste à temps pour se jeter sur le côté, tandis qu’un véhicule percutait le tigre mutant qu’il affrontait de plein fouet. Tiger Claw s’écrasa par terre, secoué par le choc. Une tête de cerf surgit du toit de l’automobile pour cracher un long jet de flammes en direction de Shredder, qui recula d’un bond pour se placer hors de sa portée. Donnie saisit quant à lui Marion et Mikey pour la peau du cou pour les plaquer à terre.

- Qu’est-ce que vous attendez ? Montez ! ordonna Raphaël.

Casey s’était déjà précipité vers la porte arrière du Party Wagon, qu’il ouvrit en grand avant de revenir chercher Léo. Marion convint en quelques mots de se charger d’April, pendant que les tortues restantes porteraient Karai et Splinter à l’intérieur. Heureusement pour eux, Raph ne semblait pas avoir remarqué que le rat était mort, et non inconscient comme leurs amis, sans quoi sa mission de sauvetage se serait transformée en carnage.

- Écarte-toi, vieux, je prends le volant, indiqua Casey en se faufilant sur la banquette avant.

Le ninja rouge voulut protester, mais avec son bras blessé, aucun doute que les réflexes du jeune homme seraient meilleurs que les siens pour les ramener indemnes au repaire, d’autant qu’il avait eu l’occasion de prouver à North Hampton l’étendue de ses compétences en matière de pilotage.

- Tout le monde est là ? demanda-t-il en se retournant.

Donnie laissa à Mikey le soin d’installer convenablement la dépouille de Splinter dans un angle, afin d’aider Marion à hisser April à l’intérieur. Marianne cessa de maintenir Shredder à distance à l’aide des lasers et du lance-flammes qui constituaient l’armement du Party Wagon. Casey n’attendit pas que les autres aient refermé correctement la porte pour appuyer sur l’accélérateur.

- Tchao, les tocards !

Cette phrase lui valut un regard noir de la part de Donatello. C’étaient eux, les tocards. Ils avaient échoué. Ils avaient été incapables de vaincre Shredder et ses sbires, et cela s’était soldé par la perte de leur maître. Raphaël, loin de se douter de la gravité de la situation, rajouta sur le même ton que Casey :

- J’ai toujours dit que vous ne pouviez pas vous en sortir sans moi. Comment ils vont ?

Marion, Donnie et Mikey échangèrent un regard, se demandant s’il valait mieux avouer la triste vérité dès à présent, ou attendre qu’ils soient en sécurité. La question ne se posa pas longtemps, néanmoins, puisque Raphaël remarqua la traînée de sang que Splinter avait laissée sur le sol du véhicule.

- Eh ! Le maître est blessé ?

Tant bien que mal en raison de son bras cassé, il se faufila à l’arrière. Marion tenta de l’intercepter avant qu’il n’atteigne le corps du rat, mais Raph l’écarta de son membre valide, avant de se figer. Sa mâchoire se crispa, de même que ses poings, et il poussa un hurlement de rage.

- Raph... Raphaël... murmura Marion en le saisissant pas les épaules, ce qui était peine perdue, étant donné qu’il semblait à peine l’entendre.

- Shredder l’a tué et vous n’avez même pas été fichu de lui rendre la monnaie de sa pièce ? gronda-t-il. C’est... C’est notre maître et il... Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment ça a pu arriver ? Pourquoi est-ce que vous n’avez pas empêché ça, hein ?

Il se dégagea de l’étreinte de l’adolescente pour secouer violemment Mikey et Donnie, qui restèrent sans réaction. Ils ne cherchèrent même pas à se défendre des accusations de leur frère, car ils savaient que c’était le chagrin bien plus que la colère qui s’exprimait par sa bouche.

Raph se mit à marteler l’habitacle, perturbant la conduite de Casey qui esquiva de justesse le lampadaire duquel il s’était dangereusement rapproché. Personne n’essaya de l’arrêter, jugeant préférable de le laisser se défouler jusqu’à ce qu’il se calme de lui-même. Il finit par s'affaler sur le sol, les yeux humides, et par se prendre le visage entre les mains, les genoux repliés contre son torse.

Marion se traîna jusqu’à lui et, sans se soucier de la présence des autres, posa sa tête sur son épaule avant d’entrelacer sa main avec la sienne. Personne ne fut surpris par ce geste. En réalité, ils étaient tous tellement accaparés par leurs propres préoccupations qu’ils n’y prêtèrent même pas attention.

- On n’a rien pu faire, finit-elle par révéler dans un souffle rauque. Shredder était bien trop fort pour nous. Peut-être qu’en l’attaquant tous ensemble, on aurait eu une chance, mais Tiger Claw ne nous a pas laissé une seule occasion de nous réunir.

- Tout ça, c’est à cause d’eux, grinça Raph.

D’un mouvement sec, il désigna Léonardo et Karai, étendus côte à côte. Marion ouvrit la bouche, estimant qu’elle se devait de l’informer que Splinter n’était pas parti avec son fils et April mais de son propre chef, sans doute à cause de ce qu’il avait dit dans le dojo, néanmoins elle se ravisa. Inutile d’ajouter à sa douleur en évoquant cela dans l’immédiat.

Ils étaient désormais de retour dans les souterrains du métro, qui devinrent de plus en plus familiers à mesure qu’ils se rapprochaient du repaire. Casey ne tarda pas à immobiliser le véhicule, et en descendit pendant que Donnie se levait, sans un mot, pour ouvrir la portière.

Un par un, ils portèrent les inconscients et le corps sans vie de Splinter jusqu’au dojo, pendant que Marion soutenait Marianne, qui avait lâché ses béquilles au moment où Raph l’avait jetée sur son épaule. Elles les retrouvèrent au milieu de la salle principale, et la cadette se pencha pour les ramasser, permettant ainsi à l’aînée de s’appuyer dessus.

Mikey, qui avait transporté Karai, se tenait sur le seuil. C’était la première fois que Marion le voyait ainsi, aussi triste, aussi sérieux. Ses prunelles avaient perdu leur éclat et il semblait presque plus âgé que ses frères, lui à qui son sourire et son entrain conféraient d’ordinaire un air d’éternel enfant.

Quand il remarqua la présence de son amie auprès de lui, il la serra dans ses bras et Marion lui rendit son étreinte. En l’entendant sangloter dans le creux de son cou, ses larmes se mêlèrent aux siennes. Elle n’avait pas été très proche de Splinter, mais même si elle ne l’avait pas connu, la souffrance de ses amis était tellement perceptible qu’elle se serait laissée envahir par elle de la même manière.

Seule Marianne demeurait indifférente à ce qui se passait autour d’elle. Une fois qu’ils se furent tous rassemblés dans la salle d’entraînement, elle se mit à examiner les blessés avec une froideur médicale. Les autres la laissèrent faire, en silence. Personne n’avait le cœur à s’exprimer. Ce fut elle qui parla en premier, et ce qu’elle annonça ne leur plut guère.

- Il va falloir que vous sortiez. Tous.

- Pourquoi ? demanda aussitôt Casey, que...

- Allez me chercher les serviettes, mouchoirs, draps ou n’importe quoi qui soit constitué de tissu les plus propres que vous pourrez trouver. Ramenez-moi aussi du désinfectant, et... Botticelli ? J’espère que tu as une perceuse, dans ton laboratoire.

- Une perceuse ? s’exclama Mikey. Tu crois vraiment que c’est le moment de jouer à docteur Frankenstein ?

- Harmony a un traumatisme crânien avec épanchement. Si je ne réduis pas très vite la pression, ça lui sera fatal, alors je vous conseille de faire ce que je vous dis sans tergiverser, parce que chaque seconde compte.

Raphaël ouvrit la bouche, s’apprêtant à répliquer que la mort de Karai ne serait pas une grosse perte, mais il se ravisa au dernier moment. Splinter avait donné sa vie pour secourir sa fille, et même s’il ne l’aimait pas, si elle périssait, leur maître serait mort en vain.

Il fut le premier à se lever, tendit la main à Marion pour l’aider à se redresser sur ses jambes fourbues, puis ils se dirigèrent vers la sortie du dojo, Donnie, Mikey et Casey dans leur sillage. Sans même avoir besoin de se concerter, ils se répartirent les tâches. Le ninja mauve se rendit dans son laboratoire en quête d’une perceuse, Marion et Casey se dirigèrent vers la salle de bain où se trouvait l’armoire à pharmacie et les deux autres montèrent à l’étage, chercher du tissu.

- J’espère que tu sais ce que tu fais, murmura Donatello au moment de remettre l’outil à Marianne, qui nettoya soigneusement la mèche avec le coton imbibé d’alcool préparé par Marion.

- Étrangement, je n’ai encore jamais pratiqué de craniotomie, répliqua-t-elle, et son ton d’ordinaire si froid vibra pour la première fois d’une note d’appréhension. Maintenant, si l’un de vous se sent plus apte à procéder, libre à lui.

Personne ne releva. Si Marianne ne tentait rien pour sauver Karai, elle mourrait de toute façon, alors autant la laisser faire. Ils déplacèrent une nouvelle fois Léonardo et April, car bien qu’ils ne présentent aucun signe de réveil imminent, il valait mieux qu’ils ne reviennent pas à eux pendant que la rousse percerait un trou dans le crâne de la kunoichi.

Ils étaient en train de les installer dans le laboratoire, sur des draps étalés à la va-vite, quand le vrombissement de la perceuse résonna jusqu’à eux. Mikey grinça des dents, effrayé. S’il avait entendu ce bruit des centaines de fois quand Donnie bricolait, il ne s’attendait pas à l’associer un jour au cerveau de Karai.

Les secondes s’écoulèrent, insoutenables. Raphaël arpentait nerveusement la pièce de long en large, Marion s’était assise sur une chaise et Casey sur la table de travail, et Donatello était retourné dans la salle de bain chercher une autre fiole de désinfectant, afin de s’occuper des blessures de Léo. Les Foot-bots et son passage à travers la fenêtre l’avaient bien amoché.

Le groupe était si préoccupé par l’état de leurs amis qu’ils en oubliaient presque combien ils étaient mal en point, eux aussi. Casey souffrait de nombreuses estafilades et contusions, Mikey parvenait à peine à plier le bras à cause de sa coupure et la chemise de Marion collait à sa peau, imbibée du sang qui s’échappait du trou où Shredder avait enfoncé sa lame, au niveau de la clavicule.

Le silence qui régnait sur le laboratoire était tel qu’une mouche en train de voler n’aurait passé inaperçue. C’était la première fois que Mikey tenait aussi longtemps sans prononcer un seul mot. Assis en tailleur sur le sol, la tête calée sur ses poings, il se morfondait en attendant des nouvelles du dojo, comme tous les autres.

La porte finit par s’ouvrir, les faisant sursauter, et Marianne s’avança dans l’encadrement. Tous les regards convergèrent aussitôt vers elle. Les vêtements, le visage et les mains écarlates, elle faisait peur à voir. Nul n’afficha une grimace de dégoût, cependant. Après avoir assisté à la mort de Splinter, ils pouvaient endurer les pires spectacles.

- Je crois avoir réussi, indiqua-t-elle, sans paraître vraiment convaincue. Néanmoins, je ne suis pas chirurgienne, je n’ai pas de scanner à ma disposition, ni rien, alors... Je ne peux pas vous garantir qu’elle se réveillera.

- Tu as fait ton maximum, affirma Donnie, et ses paroles furent ponctuées par le hochement de tête de tous les autres, à l’exception de Raphaël. Personne ne te reprochera quoi que soit si... Enfin, quoi qu’il arrive, tu ne seras pas responsable.

- Je suis désolée pour elle. Et pour votre maître.

En dépit de l’indifférence cassante dont Marianne avait toujours fait montre à l’égard de ses nouveaux alliés, elle était sincère. Marion et elle ayant perdu leur mère très jeunes, elle savait à quel point c’était dur d’avoir à surmonter la mort d’un proche.

- Bon, ajouta-t-elle une fois qu’elle eut recouvré son impassibilité habituelle et chassé l’once de tristesse qui s’était emparée de son cœur. À votre tour, maintenant. Vous semblez avoir grand besoin de soins, vous aussi.

Laisser un commentaire ?